Bertrand Tavernier (1941-2021)
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Fin janvier 2015, le directeur de la photographie Pierre-William Glenn, AFC, fut sollicité pour reprendre, aux Laboratoires Éclair, l’étalonnage de L’Horloger de Saint-Paul, de Bertrand Tavernier, en vue de la sortie deux mois après d’une version DVD Blu-Ray. Il avait envoyé au cinéaste et ami une lettre lui faisant part de son émotion, en revoyant le film, de revivre l’expérience du tournage à son côté. En voici la teneur...
Cher Bertrand,
J’ai pu, vendredi 23 janvier, reprendre l’étalonnage de L’Horloger de Saint-Paul, dont la version qu’on avait soumise à mon approbation en vue d’une version DVD Blue-Ray était vraiment honteuse ; je finirai mercredi 28 et peut-être le 27, si la salle est libre.
La journée a été source de sentiments les plus toniques et les plus révélateurs de mon, notre, rapport au cinéma. Je vis toujours, en revoyant les films que j’ai tournés, ce sentiment étrange du "temps qui ne passe pas", et je me suis retrouvé projeté (comme dans toute fiction d’ailleurs) dans un autre temps mais les sensations du tournage me reviennent dans le présent et j’ai, vendredi dernier, physiquement revécu mon expérience à tes côtés, à Lyon il y a un peu plus de 40 ans. Je n’ai même pas eu à penser qu’il fallait laisser au cœur le soin de garder souvenance, notre mémoire après tout n’est pas un acte volontaire. Quand le cœur veut oublier, il laisse l’esprit en repos. Quand il veut se souvenir il arrive à ses fins : les émotions ressurgissent, intactes.
Et, preuve que le souvenir n’implique pas forcément regret et tristesse, j’ai eu le sentiment qu’il s’est passé réellement quelque chose dans mon existence... et que ça se repasse encore. Les passions et les jours ne sont donc pas confondus. On dit que l’on peint, que l’on sculpte, que l’on compose, que l’on écrit et que l’on filme pour résister au temps et devenir immortel. Je te garantis que le saut dans le temps du 23 janvier, qui m’a fait retrouver le sentiment de la lumière de la ville de Lyon, de ses intérieurs sombres, de ses bouchons et de ses traboules, le sentiment aussi de ta proximité amicale, généreuse et inquiète, m’a considérablement rajeuni.
Toute cette prose émue pour te dire que le film n’a plus rien à voir avec ce qui m’avait été proposé et que, malgré un travail d’après un interpositif en HD et non de l’original négatif, j’ai pu retrouver, avec l’étalonneuse Aude Humblet, tout ce qui faisait et fait de L’Horloger un film moderne et original. Il est vrai qu’il n’y a pas plus de "vieux" films qu’il n’y a de "vieux" livres et que notre cœur conserve des empreintes fraîches des moments créatifs et d’amitié. Éternelle bien entendu...
https://www.afcinema.com/Le-grand-voyag ... rnier.html
Cher Bertrand,
J’ai pu, vendredi 23 janvier, reprendre l’étalonnage de L’Horloger de Saint-Paul, dont la version qu’on avait soumise à mon approbation en vue d’une version DVD Blue-Ray était vraiment honteuse ; je finirai mercredi 28 et peut-être le 27, si la salle est libre.
La journée a été source de sentiments les plus toniques et les plus révélateurs de mon, notre, rapport au cinéma. Je vis toujours, en revoyant les films que j’ai tournés, ce sentiment étrange du "temps qui ne passe pas", et je me suis retrouvé projeté (comme dans toute fiction d’ailleurs) dans un autre temps mais les sensations du tournage me reviennent dans le présent et j’ai, vendredi dernier, physiquement revécu mon expérience à tes côtés, à Lyon il y a un peu plus de 40 ans. Je n’ai même pas eu à penser qu’il fallait laisser au cœur le soin de garder souvenance, notre mémoire après tout n’est pas un acte volontaire. Quand le cœur veut oublier, il laisse l’esprit en repos. Quand il veut se souvenir il arrive à ses fins : les émotions ressurgissent, intactes.
Et, preuve que le souvenir n’implique pas forcément regret et tristesse, j’ai eu le sentiment qu’il s’est passé réellement quelque chose dans mon existence... et que ça se repasse encore. Les passions et les jours ne sont donc pas confondus. On dit que l’on peint, que l’on sculpte, que l’on compose, que l’on écrit et que l’on filme pour résister au temps et devenir immortel. Je te garantis que le saut dans le temps du 23 janvier, qui m’a fait retrouver le sentiment de la lumière de la ville de Lyon, de ses intérieurs sombres, de ses bouchons et de ses traboules, le sentiment aussi de ta proximité amicale, généreuse et inquiète, m’a considérablement rajeuni.
Toute cette prose émue pour te dire que le film n’a plus rien à voir avec ce qui m’avait été proposé et que, malgré un travail d’après un interpositif en HD et non de l’original négatif, j’ai pu retrouver, avec l’étalonneuse Aude Humblet, tout ce qui faisait et fait de L’Horloger un film moderne et original. Il est vrai qu’il n’y a pas plus de "vieux" films qu’il n’y a de "vieux" livres et que notre cœur conserve des empreintes fraîches des moments créatifs et d’amitié. Éternelle bien entendu...
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"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
C'est vrai que cette expression de "vieux film", très répandue, m'a toujours agacé, qu'elle soit exprimée par mes proches ou non d'ailleurs.Pierre-William Glenn a écrit : ↑7 avr. 21, 17:18 Il est vrai qu’il n’y a pas plus de "vieux" films qu’il n’y a de "vieux" livres...
Parfois, elle est même utilisée pour des films de 2000. Comme si 20 ans, c'était déjà il y a une éternité dans l'échelle temporelle du 7e art...
C'est très curieux, car il convient de noter qu'elle n'est utilisée QUE pour le cinéma. On ne parle pas, en effet, de "vieux livre" pour désigner un Balzac, de "vieux tableau" pour désigner un Manet ou encore de "vieux disque" pour désigner un album des Beatles, mais simplement de livre, de tableau ou de disque, sans lui accoler l'adjectif "vieux".
Par contre, l'expression "ah, c'est un vieux film" peut se rapporter aussi bien à un Chaplin muet, un Hitchcock de 1960 ou un Pialat de 1990. Et elle est souvent péjorative.
Pour le cinéphile, il n'y a pas de vieux films, uniquement des bons et des mauvais films, c'est le seul critère qui doit entrer en ligne de compte.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Tout dépend de l’âge de l’interlocuteur. Dans la bouche d’un gamin de 15 ans, c’est tout à fait normalZelda Zonk a écrit : ↑7 avr. 21, 18:24 Parfois, elle est même utilisée pour des films de 2000. Comme si 20 ans, c'était déjà il y a une éternité dans l'échelle temporelle du 7e art...
(par contre, c’est vrai que ça me fait tiquer dans la bouche de certains, et ce sont la plupart du temps des spectateurs de TF1 d’ailleurs, chaîne qui ne diffuse essentiellement que des fictions vieilles de moins de 20 ans).
Personne ne parle de vieux tableaux peut-être parce que la peinture n’a plus d’actualités. En revanche, on doit sûrement le dire pour la musique (« vieux tube des années 80 », « un vieux rap des débuts » sont des choses que j’ai souvent entendu). Pour la littérature, l’échelle temporelle est plus grande surtout.
Dernière modification par Supfiction le 7 avr. 21, 19:20, modifié 1 fois.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Pour le vieux cinéphileZelda Zonk a écrit : ↑7 avr. 21, 18:24 Pour le cinéphile, il n'y a pas de vieux films, uniquement des bons et des mauvais films, c'est le seul critère qui doit entrer en ligne de compte.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
C'est juste mais c'est un peu différent : là, il y a une nuance de nostalgie affectueuse (qui peut aussi jouer pour les films, d'ailleurs) sur l'air des "bons vieux tubes" ou bien une façon de se repérer (le vieux rap ramène au début du mouvement comme on dirait un vieux blues en évoquant Charley Patton) alors que l'emploi de "vieux films" traduit généralement (pas toujours) une incapacité de s'extraire du présent.Supfiction a écrit : ↑7 avr. 21, 19:13 Personne ne parle de vieux tableaux peut-être parce que la peinture n’a plus d’actualités. En revanche, on doit sûrement le dire pour la musique (« vieux tube des années 80 », « un vieux rap des débuts » sont des choses que j’ai souvent entendu).
Mais ce n'est pas inscrit dans le marbre tout ça, on est d'accord.
Reste que j'ai horreur de ça aussi, de même que "naphta", comme ça m'est arrivé de le dire et même si j'ai compris que c'était une façon commode de classer.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Y'a aussi simplement un effet technique (muet, noir&blanc, cinemascope et 16/9e) plus sensible avec un art comme le cinéma qu'avec le roman sur les cent dernières années.
Et un effet de captation d'un réel propre au cinéma qui accentue avec le temps la sensation de voir quelque chose de "démodé".
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Surtout ça oui. Les voitures, les téléphones, les ordinateurs tout particulièrement pour dater des films relativement récents.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
C'est vrai qu'on n'utilise guère cet adjectif "vieux" pour parler des autres arts, mais enfin les gens n'en pensent pas moins quand ils se confrontent à un roman, tableau ou musique des siècles passés.
Pour ma part j'aime assez cette expression de "vieux films", que j'emploie volontiers, peu m'importe si d'autres l'utilisent de façon moqueuse ou péjorative.
Pour ma part j'aime assez cette expression de "vieux films", que j'emploie volontiers, peu m'importe si d'autres l'utilisent de façon moqueuse ou péjorative.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Il y a eu ce podcast de 2 heures d'hommage avec des invités assez intéressants, notamment Laurent Heynemann qui était assistant-réalisateur sur l'horloger de Saint-Paul et que la fête commence :
https://www.franceinter.fr/emissions/ho ... -mars-2021
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Les films sont une image de la société et ils envoient bien plus d'infos contextuelles qu'un livre qui ouvre plus à l'imagination. Je ne comparerai pas avec le théatre ou la peinture qui sont moins grand public.
Et puis y a la technique, le look "grain" des vieux films qui heurtent les jeunes habitués au look video du numérique.
Et puis y a la technique, le look "grain" des vieux films qui heurtent les jeunes habitués au look video du numérique.
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Jean-Pierre Dionnet rendra hommage à Bertrand Tavernier dans l'émission MAUVAIS GENRE sur France Inter le samedi 10 avril
The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
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Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Très beau texte qu’on sait absolument sincère tellement ils étaient proches.
Re: Bertrand Tavernier (1941-2021)
Ah oui, superbe et très émouvant.