Major Tom wrote:C'est le Château de Ferrières-en-Brie, en Seine-et-Marne.

Ben, dans ce cas, on peut dire que c'était pas mal vu de penser que les deux lieux de tournage étaient le même château.
Ferrière est le premier, construit dans les années 1830 par l'architecte Joseph Paxton pour James de Rotschild. C'est un château XIXe dont la particularité était d'être extrèmement moderne et confortable (taille des appartements, électricité, eau chaude...)
Et Mentmore Towers...a été construit dans les années 1850 par l'architecte Joseph Paxton pour Mayer de Rotschild
D'après mes souvenirs, le second visitant le château du premier, a dit à l'architecte, "construisez moi le même, mais en deux fois plus grand". Il est possible que Kubrick n'ait pas choisi ce château par hasard, tant il est symbolique de la mentalité de la grande bourgeoisie du XIXe
Federico wrote:Je ne sais pas où Michel Chion voit de l'optimisme ici car comme dans tous les films de Kubrick, les personnages sont pris dans un cercle infernal dantesque avec une porte qui une fois franchie laisse peu d'espérance sur son seuil
A mon avis aussi, optimisme il y a, tout simplement parce que les deux héros du film ne sont pas seuls.
Stark wrote:Personnellement, j’y vois davantage un acte de foi, profondément sincère, en la permanence du sentiment amoureux et sa capacité à briser les forces qui menacent l’équilibre conjugal. Après avoir traversé les forêts de feu, l’homme et la femme acceptent leur part obscure respective, prennent acte des difficultés qu’il y a à vivre durablement ensemble, et s’engagent prudemment sur la voie de la continuation ("Pas de promesse", demande Alice). Il ne s'agit pas de croire que tout est gagné, mais de prendre la décision de continuer à vivre un amour conjugual réel, malgré les menaces qui pèsent sur lui. La réplique qui clôt le film est limpide : la meilleure façon de s’aimer, c’est encore de se le montrer. La vertu du couple est dans son exploration mutuelle, constante, chaque jour reconsidérée. Alice ne souhaite plus (se) mentir, et sait que l'équilibre conjugal est d'autant plus fragile si l'on s'enferme dans le déni (qu'ait une origine personnelle, morale, sociétale ou autre) : à travers son aventure Bill le comprend à son tour. C’est la morale sans doute modeste, mais infiniment touchante, de ce chef-d’œuvre testamentaire. Une morale qui vient en contre-point aux vertiges dédaléens que Kubrick nous a fait explorer pendant plus de deux heures et demie.
Comme le dit très bien Stark ici.
Sur le plan "amour conjugal", je pense qu'il y a deux façons de voir le film;
La première, la plus courante, c'est de penser à ce pauvre Bill, qui semble frustré et qui reviendra de ses aventures aussi frustré. Pauvre vieux mari coincé qui n'a pas su tirer son coup. C'est un peu court à mon avis, d'autant que les attractions que Bill rencontre ne sont guère sexy et puent la mort. Et que Kubrick n'est quand même pas le dernier des ânes à vouloir consacrer un film sur un sujet aussi flasque à touts points de vue.
La seconde, c'est de voir que Bill:
- comme la plupart des gens, vit en couple mais "eyes wide shut". Il a réussi ce qui est le petit rêve bourgeois de 95% des gens, mais il n'en est même pas heureux.
- comme beaucoup, se réveille un jour en découvrant que la personne qui vit avec lui est un être humain, donc doté d'imagination, de réalité, de personnalité, de désirs...que l'autre est un Autre. Comme beaucoup, il fuit "eyes wide shut" devant cette découverte traumatisante.
- puis, comme certains, plus rares, il a l'occasion de se dire que vivre avec un Autre et le respecter en tant qu'être humain égal à lui-même, est peut-être l'expérience la plus riche et la plus intense qu'il aura l'occasion de connaître dans sa courte vie.
Après, ça parle aussi de fidélité. Je ne pense pas que Fidelio soit cité à un moment crucial du film par hasard. C'est un opéra dont le thème central est la fidélité et il est de Beethoven, qui n'est pas la dernière des inspirations de Kubrick. La fidélité, on peut la voir de deux manières.
La fidélité contraignante, ce pauvre Bill torturé par l'angoisse d'imaginer que sa femme le trompe et qui erre, de pute en bordel géant pour tenter de s'en remettre, et qui, pauvre petit bourgeois, ne parvient même pas à tromper sa femme et revient chez lui la queue basse. Pas très convaincant pour moi.
Ca me rappelle les écrits de Catherine Millet, qui dans un premier livre nous racontait sa vie sexuelle de femme libérée pour qui le comble du bonheur était de se faire mettre par trois inconnus à l'arrière d'une camionnette en bas de l'Avenue Foch. Et qui dans un second livre, nous confiait son malheur de femme jalouse à qui son mari avait accordé la liberté sexuelle et qui ne supportait pas de le voir sauter la bonne.
En deux bouquins mal écrits, elle avait parfaitement résumé la médiocrité de notre époque et le fait qu'un petit bourgeois, même quand il est échangiste, reste un parfait petit bourgeois.
On peut aussi voir la Fidélité au sens philosophique du terme. La Fidélité est don qui apporte la confiance. Et la confiance est, pour beaucoup mais pas pour tous, c'est vrai, facteur de stabilité, qui permet, surtout pour un être aussi inquiet, instable, émotif, intuitif et de fait un peu paranoïaque que peut l'être un grand artiste, de trouver la force de créer.
Quand à celui qui verrait ici de la naïveté et du sentimentalisme, je lui répondrait de regarder un peu dans le détail la vie des grands politiques et hommes d'affaires de notre temps comme du passé. Il est bien rare que derrière une grande réussite, il n'y ait pas de fort longues histoires de fidélité. Pouvoir se reposer sur quelqu'un est d'une valeur sans équivalent même s'il faut savoir en être conscient afin de ne pas être trahi. Une relation de fidélité de ce type est offerte à Bill quand il "rend service" à Ziegler. Mais Bill est médecin, créateur et artiste au sens où Schnitzler l'entend. Son véritable soutien, c'est l'amour, pas le pouvoir.
Donc oui, je pense que ce film est, avec raison, très pessimiste sur l'état du monde, et très optimiste sur les deux héros du film puisqu'ils ont appris à vivre les yeux ouverts et qu'ils sont deux.
En revanche, je suis tout à fait d'accord, la chanson de Gainsbourg correspond très bien
