Vicente Aranda (1926-2015)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Vicente Aranda (1926-2015)

Message par cinéfile »

En raison de l'actualité autour du cinéaste (Cambio de Sexo en salles depuis mercredi dernier, sortie disque à venir pour A Coups de Crosse/Fanny Pelopaja chez LCQF ), plusieurs discussions/textes postés sur le topic "Cinéma Espagnol", et une mini-rétrospective ce mois-ci pour moi (Gracias Flixolé), je crée ce topic pour regrouper les échanges autour de Vicente Aranda.

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Wikipedia dice :
Vicente Aranda Ezquerra, né le 9 novembre 1926 à Barcelone et mort le 26 mai 2015 (à 88 ans) à Madrid, est un réalisateur et scénariste de cinéma espagnol. L'amour, l'érotisme, la cruauté sont les thèmes récurrents de ses films, abordant des sujets sociaux et politiques. Il a également porté à l'écran plusieurs romans contemporains. Amants, son film mondialement reconnu, a remporté plusieurs prix dont un Goya.

Il fait partie, avec d'autres intellectuels espagnols des années 1960, de la Gauche divine.

Vicente Aranda Ezquerra est le fils cadet d'une famille originaire de l'Aragón, arrivée à Barcelone au début du XXe siècle. Son enfance fut marquée par la guerre civile espagnole, durant laquelle sa famille prit le parti des républicains. Depuis son plus jeune âge, il accomplit un grand nombre de travaux différents à Barcelone pour gagner sa vie, sans relation avec le cinéma. En 1952, pour des raisons politiques et économiques, il s'installa au Venezuela, où il travailla comme technicien pour une compagnie américaine de commerce maritime, puis comme responsable des programmes d'une importante société en électronique.

Vicente Aranda retourna en Espagne en 1959, à 33 ans, avec la ferme intention de devenir réalisateur de cinéma. Il tenta d'entrer à l'École de cinéma de Madrid, mais en vain, n'ayant jamais étudié au lycée. Il dirigea donc son premier film en auto-didacte, aidé par Roman Gubern. En 1965 sortirent Fata Morgana et Brillante porvenir, marqués par leur esthétique propre à l'École de Barcelone. Puis suivirent des films plus commerciaux, fantastiques et caractérisés par un érotisme quasi-omniprésent : Les cruelles (1969), La novia ensangrentada (1972), Clara es el precio (1974).

Aranda traita de la transidentité dans Cambio de sexo (Changement de sexe, 1977), avant d'entamer un cycle d'adaptations de romans contemporains dans les années 1980. La fille à la culotte d'or (La muchacha de las bragas de oro, 1980) et Si te dicen que cai (1989) sont adaptés des romans de Juan Marsé. Asesinato en el Comité central (1982), tiré du roman de Manuel Vázquez Montalbán est un film policier teinté d'engagement politique. À coups de crosse (Fanny "Pelopaja", 1983), avec Fanny Cottençon et Bruno Cremer, raconte l'histoire sans concession de la vengeance de Fanny, jeune voleuse de banlieue, arrêtée et abusée sexuellement par un inspecteur de police corrompu et pervers.

En 2001, Aranda permet à Pilar López de Ayala d'obtenir un Goya de la Meilleure interprétation féminine pour son rôle dans Juana la Loca.

Vicente Aranda prit pour seconde épouse Teresa Font, monteuse de ses films depuis le milieu des années 1980. Ils ont deux filles.

Victoria Abril apparaît dans une dizaine de films d'Aranda.

Vicente Aranda meurt le 26 mai 2015 à Madrid.
Dernière modification par cinéfile le 26 nov. 22, 14:30, modifié 1 fois.
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Echange entre Manuma et moi :
manuma a écrit : 20 févr. 22, 19:30
cinéfile a écrit : 20 févr. 22, 18:21 En parlant d'Aranda, je me demande vraiment pourquoi il est quasi absent de l'édition DVD en France. A l'exception notable de La novia ensangrentada et probablement de son film avec Bruno Cremer et Fanny Cottençon (A coups de crosse).

Multiprimés aux Goyas, pigmalion de Victoria Abril (super connue en France), a tourné des coprods et affiche des thèmes de prédilections "vendeurs" :uhuh: (passion, érotisme et destruction)...

Récemment j'ai découvert le giallesque Las Crueles (sympa) et le drame/thriller Intruso (moyen). L'intrigue de ce dernier semble proche de Celos et La Pasión Turca (tous deux présents dans la liste).
Ce déficit de popularité / reconnaissance chez nous peut en effet surprendre, car il me semble aussi qu'il s'agit d'un cinéaste facilement "exportable", en tout cas dans l'hexagone. Curieux par exemple qu'un titre comme Libertarias - mon préféré de lui, à ce jour - n'ait pas bénéficié d'une distribution en salles chez nous. Victoria Abril sortait juste de Gazon maudit, le Land and freedom de Loach avait fait de la guerre d'Espagne un sujet dans le vent...

Parmi ses rares travaux un temps visibles chez nous, citons également sa mini-série Les Cavaliers de l'aube, toujours avec Abril...
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Textes postés par Profondo Rosso :
Profondo Rosso a écrit : 26 avr. 22, 00:32 Amants de Vicente Aranda (1991)

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Madrid, années 1950. Paco, un jeune provincial qui vient d'achever son service militaire, cherche du travail afin d'assurer un avenir au couple qu'il compte former avec sa fiancée, Trini. Il loue une chambre chez Luisa, avec laquelle il découvre la passion physique. Partagé entre les deux femmes, Paco perd pied. L'issue de ce triangle amoureux sera tragique et sordide.

Amants est le film le plus célèbre de Vicente Aranda, dans la continuité de sa filmographie des années 80. Après des débuts plus commerciaux où il s'oriente vers le cinéma fantastique au début des 70's, Vicente Aranda se fait connaître par ses brûlots politiques et sociaux où il aborde des sujets audacieux comme la transidentité dans Cambio de sexo (1977). Dans les années 80, il va développer cette approche engagée signant des adaptations prestigieuses de romans espagnols contemporain comme La muchacha de las bragas de oro (1980) et Si te dicen que cai (1989) d'après Juan Marsé, Asesinato en el Comité central (1982) d’après Manuel Vázquez Montalbán ou encore Tiempo de silencio adapté de Luis Martín Santos. Amants s'inscrit dans ce sillage puisque même si pas adapté d'un roman, il se situe dans la période Franquiste et transpose un fait divers de 1948 resté fameux en Espagne et appelé "El crimen de la canal".

Au premier abord malgré le contexte socio-historique semble seulement constituer un arrière-plan sans influer sur le destin des protagonistes. Paco (Jorge Sanz) jeune homme venant de finir son service militaire est fiancée à la belle Trini (Maribel Verdu) et se met en quête d'un emploi afin d'assurer leur futur ménage. Trini est domestique chez l'ancien commandant (Enrique Cerro) de Paco tandis que ce dernier en attendant de trouver un emploi va louer une chambre chez Luisa (Victoria Abril actrice fétiche de Vicente Aranda)) une jolie veuve. Dès le départ, les injonctions de vie s’imposent à Paco et Trini. Le commandant ayant obtenu son grade grâce au prestige de sa famille enjoint ainsi Paco à se plier aux vertus du travail afin d'être un homme, un vrai. Paco et Trini ne peuvent vivre ensemble à la fois pour cette notion patriarcale d'homme devant subvenir aux besoins de sa famille (alors que Trini dispose d'importantes économies qui pourraient leur permettre de démarrer leur ménage) mais aussi religieuse avec le poids du catholicisme les obligeant à attendre le mariage. Leur relation en reste à une tendresse presque adolescente mais dès que Paco se montre un semblant plus entreprenant, il est repoussé par une Trini effarouchée. Paco ne parvient pas à s'inscrire dans ce conformisme qui s'impose à lui et perd rapidement tous les laborieux emplois où il est engagé, et se dérober ainsi à la contrainte d'un métier non désiré retarde également les responsabilités d'un mariage pour lequel il n'est pas prêt. La liberté, il va la trouva dans les bras de sa logeuse Luisa qui ne l'entretient et ne lui demande rien si ce n'est de l'aimer fougueusement dans la promiscuité de l'appartement. Cette liaison constitue ainsi une libération morale, sociale et sensuelle (et une autre opposition entre la travailleuse Trini et Luisa vivant dans l'illégalité) que Vicente Aranda filme avec un érotisme torride.

Il parvient parfaitement à retranscrire le sentiment de libération, de lâché prise au propre comme au figuré qui se ressent dans les jeux amoureux des amants. Le drame va naître des carcans sociaux dépeint plus haut, qui empêchent tout choix définitif au sein de ce triangle amoureux. Paco déchiré entre l'affection, la respectabilité que représente sa relation avec Trini et les voluptés de sa liaison avec Luisa, ne se décidera jamais vraiment pour l'une ou l'autre. Trini voit en Paco son premier et seul amour et le poursuivra de façon quasi obsessionnelle malgré son infidélité évidente, au point de finalement se donner prématurément à lui (initiée par sa patronne bourgeoise pour souligner l'hypocrisie des apparences respectables) mais sans l'extase et l'expérience que propose Luisa - Aranda travaille d'ailleurs un mimétisme formel contrarié lorsque Paco passe d'un lit à l'autre entre les deux. Cette dernière apparaît faussement détachée mais cache difficilement son affliction dès que son jeune amant s'éloigne un tant soit peu d'elle, et le "puni" en l'entraînant dans de nouvelles étreintes frénétiques.

Un des aspects captivant du film est que Aranda déleste, malgré le sujet s'y prêtant, le récit de toute envolée romantique, de toute imagerie romanesque. L'ensemble est froid, clinique notamment à travers la photo hivernale de José Luis Alcaine et l'obsédante ritournelle musicale de José Nieto. Les personnages luttent contre leurs sentiments, leur désir, mais avant tout face à leur peur de défier les codes du monde qui les entoure. Quand ils penseront y parvenir, ce sera pour courir vers une autodestruction tragique le temps d'un dernier quart d'heure assez suffocant de noirceur dont le faux "happy-end" est vite étouffé par un panneau nous indiquant l'issue réelle de ce fait divers. Une œuvre puissante qui sera largement célébrée avec les Goya du meilleur film et meilleur réalisateur pour Vicente Aranda, et l'Ours d'Argent de la meilleure actrice à Berlin pour Victoria Abril - mais ses deux partenaires sont tout aussi excellents. 5/6
Profondo Rosso a écrit : 25 oct. 22, 20:37 Libertarias de Vicente Aranda (1996)

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En 1936, le déclenchement de la guerre civile espagnole oblige Maria, une bonne soeur, à quitter son couvent. Elle trouve refuge dans un bordel, où elle fait connaissance avec un groupe de femmes anarchistes qui luttent contre le régime franquiste, mais aussi, plus généralement contre l'ordre établi.

Vicente Aranda signe une magnifique fresque sur la guerre civile espagnole sous un angle original, celui des femmes. Le récit s'ouvre sur les prémices agités et nourris d'espoir du conflit où plusieurs destins vont se croiser. En cette ère de remise en question de toutes les institutions ayant directement ou implicitement contribué à l'oppression des démunis, l'église est une des cibles privilégiées. Maria (Ariadna Gil), jeune nonne n'ayant connu que le couvent est contrainte à la fuite et évite le pire en échouant dans une maison close dont elle est sauvée par un groupe de femmes anarchistes. Elle va se lier d'amitié avec les meneuses Pilar (Ana Belén) et Floren (Victoria Abril) qui vont élargir son horizon. Aranda évoque là le Mujeres Libres, organisation féministe libertaire créée dans par les premières figures féministes espagnoles et qui prit une part active dans la Guerre civile contre Franco. Tout au long du film, le groupe incarne un idéal social et paritaire qui va se confronter dans leur camp comme dans celui de l'adversaire franquiste aux écueils machistes du supposé "ancien monde".

On se familiarise à cette idéologie, à ces protagonistes à travers le regard innocent de Maria. La jeune femme est la fois brusquée par le mépris fait de la religion qui fut toute sa vie, mais aussi intriguée et éveillée par la liberté qui s'offre à elle. Aranda montre sans jugement sa crispation face à la destruction des icônes religieuses, expose crûment la violence "nécessaire" du mouvement avec les exécutions sommaires de prêtres, illustrant une violence primaire et revancharde toute masculine au sein de cette révolution. A l'inverse la sororité, l'entraide et l'utopie socio-politique règne dans le groupe notamment par la caractérisation attachante et fantasque des meneuses. Ana Belen, Victoria Abril et Laura Mañá forment un trio charismatique et touchant qui amène leur vision du monde sur un terrain humaniste bienveillant autant que politique. Un des grands moments du film intervient dès le début lors du sauvetage de Maria dans la maison close, lorsque Aura déclame une tirade pleine d'emphase aux prostituées pour leur expliquer que cette société où est exploité le corps des femmes n'a plus lieu d'être. La scène prend initialement un tour comique avec les prostituées ne comprenant pas ce charabia militant, avant qu’Aura prenne une métaphore crue qui leur parle et leur fait endosser la cause.

La cohabitation et la relation homme/femme sur un pied d'égalité occupe également une longue séquence de siège dans les tranchées où le quotidien tout comme la réalité du front concerne tout le monde sans exception. C'est dans ces moments de vie ordinaires que Aranda fait exister, s'incarner le message par des protagonistes plutôt que le discours. Maria a ainsi assimilé les ouvrages politiques qu'on lui a soumis mais c'est réellement cette vie commune qui va affiner sa vision. Cela occasionne d'ailleurs une scène comique où les belligérants s'invectivent par mégaphone interposés et lorsque Maria s'empare du micro pour naïvement lancer une harangue politique se fait copieusement insulter. Le spectateur sait pourtant bien malheureusement l'issue du conflit et la nature éphémère de cette communauté, et l'ombre de la tyrannie franquiste à venir plane sur le récit, notamment une scène comico-mystique annonçant les heures sombres à venir. Une des audaces du film est d'écarter toute velléité romantique à laquelle on soumet trop systématiquement les femmes. La bagatelle pour le simple plaisir charnel vaut autant pour elles que pour les hommes, et Maria malgré un certain éveil amoureux ne quittera jamais ses compagnes pour cela. La tournure du conflit s'annonce presque lorsque les réflexes machistes rattrapent le camp du bien, ramenant une rigueur militaire qui exclut les femmes du front pour les réduire aux tâches domestiques. La conclusion est incroyablement cruelle et brutale en contrepoint de la parenthèse enchantée à laquelle on a assisté, faisant du film une forme de paradis perdu. 5/6

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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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La chronique du site sur Cambio de Sexo rédigée par Profondo Rosso :
Jeremy Fox a écrit : 23 nov. 22, 06:32 Karmafilms sort en salle cette semaine Cambio de sexo de Vicente Aranda, un film rare et inédit en France.
La chronique est signée Justin Kwedi
A laquelle, j'ajoute celle que j'ai faite pour Cinespagne.com :
http://www.cinespagne.com/films/3484-ca ... -une-femme
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Retours rapides sur mes 3 découvertes du mois :

La Mariée Ensanglantée (1972) :
Un film un peu le cul entre deux chaises - film de genre à la mode vs film d'auteur - qui s'inscrit dans l'un des âges d'or du fantastique espagnol ou fantaterror, genre prisé par des cinéastes importants de l'époque (dont Aranda) pour contourner la censure d'état et continuer à tourner. La mise en place autour de thèmes chers au cinéaste (ambiguïté des rapports entre les deux mariés, violence latente, questionnement sur le désir et sa satisfaction) est intrigante et prometteuse mais la seconde partie - qui bascule dans un érotico-fanstastique lorgnant clairement vers les films de la Hammer - m'a paru longuette et poussive. (6/10)


Clara es el precio (1974) :
Dans ce dernier film réalisé sous le franquisme, qui fait la partie belle à l'expérimentation de ses touts premiers films (un générique bien psychédélique), Aranda abandonne le genre et y va plus franco (pardonnez ce jeu de mots !). Une jeune femme vierge - insatisfaite par un mari impuissant et très occupé par son travail - se transforme en actrice porno tous les après-midis mais sans renoncer à sa virginité et se fait gentiment éconduire par les hommes qu'elles rencontrent. Ironiquement, Aranda choisit la magnifique Amparo Muñoz (miss Univers 1974) pour jouer le rôle de Clara. Il égratigne aussi la bourgeoisie catalane et la fièvre entrepreunariale où les hippies d'hier (gourou grotesque) s'associent aux entrepreneurs aux dents longues. Le récit assez foutraque, aux transitions abruptes, produit un film inabouti mais pas foncièrement inintéressant. Son film suivant, Cambio de sexo, constitue un saut qualitatif d'autant plus impressionnant. (5/10)


La Mirada del otro (1998) :
Le film que le réalisateur considérait à la fois comme son meilleur film et comme son œuvre maudite ("mi película prohibida") : démolie dès sa sortie par le public et la critique espagnole (projection catastrophique à Berlin où le producteur s'esquiva en douce pendant la séance) qui traitèrent Aranda dans le meilleur des cas d'épate-bourgeois, dans le pire de pornographe. Certes, ce portrait de femme "hors normes" et à la recherche d'elle-même (thème cher au cinéaste catalan) ne s’embarrasse d'aucune pudeur. Le rôle - imaginé inévitablement pour V. Abril mais qui échoit à la ravissante Laura Morante - requérait sans aucun doute une confiance totalement de l'actrice envers le film et son metteur en scène. Derrière ses images et scènes provocatrices, j'y ai vu un portrait foisonnant, magnifique et puissant, parfois bouleversant même. (7,5/10) Dispo sur FlixOlé avec ST anglais.
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Et pour finir, j'aimerais mentionner José Nieto, compositeur quasi attitré d'Aranda (15 films ensemble) et un des meilleurs en Espagne au côté d'Alberto Iglesia. Mais comme - à la différence du second - il n'a jamais travaillé avec Almodóvar, il reste quasiment inconnu à l'étranger :
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par manuma »

Excellent souvenir de sa version 2003 de Carmen, avec Paz Vega. Version épicée, comme il se doit de la part d'Aranda, dans lequel on retrouve pleinement son goût du romanesque et de la provocation, saupoudré ici d'un grain de folie et nuage de fantastique. Bref, un film avec de la chair et du tempérament.

Son Tirante el blanco, ambitieuse épopée romanesque, m'avait en revanche un peu déçu. Un budget pas toujours à la hauteur, un récit plus routinier, voire laborieux dans sa première partie.

Parmi ce que je ne connais pas, j'aimerais beaucoup voir son diptyque criminel, El Lute.
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Belle initiative pour le topic, ça fait plaisir toute cette actu autour du réalisateur Cambio de sexo vraiment une grande découverte peut-être mon film du moi pour novembre. Hâte de voir A coup de crosse
cinéfile a écrit : 26 nov. 22, 15:38 La Mirada del otro (1998) :
Le film que le réalisateur considérait à la fois comme son meilleur film et comme son œuvre maudite ("mi pelicula prohibida") : démolie dès sa sortie par le public et la critique espagnole (projection catastrophique à Berlin où le producteur s'esquiva en douce pendant la séance) qui traitèrent Aranda dans le meilleur des cas d'épate-bourgeois, dans le pire de pornographe. Certes, ce portrait de femme "hors normes" et à la recherche d'elle-même (thème cher au cinéaste catalan) ne s’embarrasse d'aucune pudeur. Le rôle - imaginé inévitablement pour V. Abril mais qui échoit à la ravissante Laura Morante - requérait sans aucun doute une confiance totalement de l'actrice envers le film et son metteur en scène. Derrière ses images et scènes provocatrices, j'y ai vu un portrait foisonnant, magnifique et puissant, parfois bouleversant même. (7,5/10) Dispo sur FlixOlé avec ST anglais.
Et tu donne bien envie pour celui-là :)
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

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Profondo Rosso a écrit : 26 nov. 22, 19:31 Belle initiative pour le topic, ça fait plaisir toute cette actu autour du réalisateur Cambio de sexo vraiment une grande découverte peut-être mon film du moi pour novembre. Hâte de voir A coup de crosse
cinéfile a écrit : 26 nov. 22, 15:38 La Mirada del otro (1998) :
Le film que le réalisateur considérait à la fois comme son meilleur film et comme son œuvre maudite ("mi pelicula prohibida") : démolie dès sa sortie par le public et la critique espagnole (projection catastrophique à Berlin où le producteur s'esquiva en douce pendant la séance) qui traitèrent Aranda dans le meilleur des cas d'épate-bourgeois, dans le pire de pornographe. Certes, ce portrait de femme "hors normes" et à la recherche d'elle-même (thème cher au cinéaste catalan) ne s’embarrasse d'aucune pudeur. Le rôle - imaginé inévitablement pour V. Abril mais qui échoit à la ravissante Laura Morante - requérait sans aucun doute une confiance totalement de l'actrice envers le film et son metteur en scène. Derrière ses images et scènes provocatrices, j'y ai vu un portrait foisonnant, magnifique et puissant, parfois bouleversant même. (7,5/10) Dispo sur FlixOlé avec ST anglais.
Et tu donne bien envie pour celui-là :)
Après, c'est vraiment le genre de film où "ça passe ou ça casse". Mais en tout cas, sa réputation exécrable de l'autre côté des Pyrénées me semble extrêmement injuste..
manuma a écrit : 26 nov. 22, 18:26 Excellent souvenir de sa version 2003 de Carmen, avec Paz Vega. Version épicée, comme il se doit de la part d'Aranda, dans lequel on retrouve pleinement son goût du romanesque et de la provocation, saupoudré ici d'un grain de folie et nuage de fantastique. Bref, un film avec de la chair et du tempérament.

Son Tirante el blanco, ambitieuse épopée romanesque, m'avait en revanche un peu déçu. Un budget pas toujours à la hauteur, un récit plus routinier, voire laborieux dans sa première partie.

Parmi ce que je ne connais pas, j'aimerais beaucoup voir son diptyque criminel, El Lute.
En ce qui me concerne, je suis pas mal attiré par Tiempo de silencio (qui se place chronologiquement entre A coups de cross et le dyptique El Lute), tiré d'un roman jadis jugé "inadaptable" au cinéma (narration éclatée, non chronologique etc...), défi qu'Aranda aurait brillamment relevé avec son étiquette de "spécialiste des adaptations littéraires", surtout à cette époque (années 80).
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par Profondo Rosso »

cinéfile a écrit : 27 nov. 22, 12:31
Profondo Rosso a écrit : 26 nov. 22, 19:31 Belle initiative pour le topic, ça fait plaisir toute cette actu autour du réalisateur Cambio de sexo vraiment une grande découverte peut-être mon film du moi pour novembre. Hâte de voir A coup de crosse



Et tu donne bien envie pour celui-là :)
Après, c'est vraiment le genre de film où "ça passe ou ça casse". Mais en tout cas, sa réputation exécrable de l'autre côté des Pyrénées me semble extrêmement injuste..
Bon alors dans mon cas "ça casse" j'ai détesté :lol: Ca m'a rappelé un peu Les Vie de Lulu de Bigas Luna au thème voisin, mais autant je reproche le fond moraliste sous la provoc de Luna autant les excès sont dans un entre-deux fascinant et inconfortable. Là le Aranda pas accroché à l'héroïne antipathique pour moi et au traitement assez glacial, je n'ai jamais réussi à véritablement entrer dedans. Laura Morante ne démérite pas mais l'empathie aurait sans doute mieux fonctionné avec Victoria Abril, le rôle est vraiment taillé pour elle.
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par cinéfile »

Profondo Rosso a écrit : 28 déc. 22, 16:04 Bon alors dans mon cas "ça casse" j'ai détesté :lol:
[...]
Laura Morante ne démérite pas mais l'empathie aurait sans doute mieux fonctionné avec Victoria Abril, le rôle est vraiment taillé pour elle.
Ah j'avais prévenu :mrgreen:

Oui, je suis d'accord avec toi sur le côté "glacé" et relativement insondable du personnage principal mais c'est ce qui m'a vraiment plu justement ! Cela laisse le champ libre à pas mal d'interprétations. Et le film ne se dépare pas d'un certain mauvais goût, toujours sur le fil du rasoir.

Le rôle avait en effet été prévu pour Victoria Abril, qui avait dû finalement décliner (pour des raisons d'agenda il me semble).
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par cinéfile »

Image

L'actualité sortie autour d'Aranda se poursuit en 2023 8)

Son premier long-métrage en solo, emblème de la dite École de Barcelone, qui marqua l'arrivée d'une nouvelle génération de cinéastes venus de l'expérimental. On a comparé son impact à l'échelle du cinéma espagnol de l'époque à ce qu'avait été A Bout de Souffle en France quelques années plus tôt !
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par Jeremy Fox »

A coups de crosse par Justin Kwedi
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par Jeremy Fox »

Chronique de Justin sur Fata Morgana
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Re: Vicente Aranda (1926-2015)

Message par Profondo Rosso »

Juana la Loca (2001)

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En 1496, Jeanne de Castille, fille des rois catholiques, était destinée à être l'épouse de Philippe de Habsbourg, fils de l'empereur Maximilien d'Autriche. À leur première rencontre, le désir et l'attirance mutuelle sont immédiats. Une passion naît entre eux. A la mort des siens, Jeanne devient l'héritière de la couronne espagnole et reine de Castille. Voulant devenir une bonne épouse, une bonne mère et offrir tout son amour à son mari, Jeanne devient obsessionnelle et jalouse. En plus d'être infidèle, Philippe en fait la victime d'ambitions et de conspirations politiques.

Vicente Aranda signe avec Juana la Loca une fastueuse fresque historique où il remonte bien plus loin dans le temps que ses différents œuvres évoquant la Guerre Civile Espagnole. Il s'agit une fois de plus d'un fascinant portrait de femme avec l'évocation de Jeanne de Castille, dites "Jeanne la folle". Ephémère reine de Castille et d'Aragon qui manifestant des signes de troubles mentaux, fut exilée et forcée d'abandonner la régence à son père Ferdinand II avant l'accession au trône de son fils Charles Quint. On attribue la folie de Jeanne ou du moins ses prémices à l'amour passionné qu'elle vouait à son époux Philippe de Habsbourg et c'est bien cet angle romanesque et torturé qui va intéresser Vicente Aranda.

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Le film s'ouvre sur le départ d'Espagne de Jeanne (Pilar López de Ayala), forcée de quitter les siens pour un mariage d'alliance avec Philippe de Habsbourg. Jeanne nous apparaît comme une jeune fille fragile et apeurée, pas du tout préparée aux responsabilités qui l'attendent dans une cour étrangère. Sentant les peurs de sa fille, sa mère la reine Isabelle de Castille (Susi Sánchez) tente de la rassurer en lui expliquant qu’elles n’ont plus ne fit pas un mariage d'amour, mais finit par aimer son époux et qu'il en sera de même pour Jeanne. C'est un moment clé pour la suite des évènements, comme si la mère avait presque conditionné la passion amoureuse de Jeanne pour lui permettre de mieux appréhender son avenir. En effet l'arrivée de Jeanne à la cour est assez déroutante pour qui ne connaît pas avec précision les évènements historiques. Pressé de posséder Jeanne, Philippe (Daniele Liotti) précipite la cérémonie de mariage et la porte avec empressement jusqu'à la chambre nuptiale. Alors qu'on imagine l'inexpérimentée Jeanne dépassée et abusée, elle se montre pleine d'aisance et conquise par son homme, d'autant que l'acteur Daniele Liotti arbore les traits les plus avenants qui soit en latin lover ténébreux. Dès lors Vicente Aranda met en place une dynamique inattendue avec une Jeanne entre amour maladif et nymphomanie constamment en demande du cœur et surtout du corps de son époux, désemparée dès qu'elle n'est plus en sa présence. Cela décale dans un premier temps l'organisation de la cour pensée comme une séparation des sexes, les femmes voguant à leurs activités "superficielles" et les hommes à des divertissements virils tels que la chasse, les beuveries et éventuellement l'adultère. Jeanne par son désir insatiable bouscule cela et Aranda orchestre plusieurs scènes chocs mettant en scène les assauts de la souveraine ne laissant aucun répit à son époux. Cette libido effrénée tisse quelques fils rouges formels comme le fait que Jeanne apparaisse durant quasi la moitié du film enceinte, cette activité sexuelle entraînant de multiples grossesses - et une rocambolesque scène d'accouchement.

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La première partie du film se déroulant aux Pays-Bas dans la cour de Philippe, l'équilibre fait que ce dernier demeure le dominant malgré son envahissante épouse. Le jeu des morts et des successions faisant accéder Jeanne au trône de Castille, l'emprise psychique et corporelle de cette dernière devient une domination officielle sur son Philippe. Tout en mettant en lumière les excès de Jeanne, Aranda souligne l'anomalie que constitue à la cour d'Espagne cette inconséquence supposée spécifiquement féminine au pouvoir. L'incapacité de Jeanne à gouverner est mise en avant à cause de cet amour fou, quand on imagine moindre cette remise en question par un souverain masculin volage. Les intrigues de palais troubles alternent avec les disputes conjugales les plus terre à terre, la réconciliation se faisant par les appels ardents de Jeanne prête à tout pardonner pour une étreinte vigoureuse de plus par Philippe. Pilar López de Ayala livre une prestation sidérante, le visage initialement virginal et innocent étant peu à peu gagné par les spasmes d'émotions irrépressibles, entre désir, jalousie et amour incandescents. Elle désintègre à elle seule tout risque d'académisme dans le fond et la forme d'un film par ailleurs somptueux dans sa reconstitution, décors et costume. Mais la moindre esquisse de moment figé, de composition de plan soignée, de séquence d'inspiration picturale, implose en plein vol par l'obsession amoureuse et charnelle de Jeanne. Elle est une anomalie à la cour tout comme dans le contexte et les attentes d'un film historique.

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Cela s'avère impressionnant dans une des scènes les plus brillantes du film. Souhaitant rendre Philippe jaloux, Jeanne orchestre un moment d'intimité avec un officier dans l'espoir que Philippe les surprenne. Ce dernier les découvre effectivement mais prévenu, simule une colère de façade et Jeanne rassurée de l'amour de son homme arbore un énorme sourire alors qu'elle est supposée avoir été "démasquée". Le regard entre satisfaction et démence de Jeanne laisse passer un flux d'émotion absolument indescriptible. La scène d'ouverture amorçant une narration en flashback nous avait prévenu du sort final de Jeanne, mais pas des circonstances. Alors que sous la folie son autorité naturelle avait réussi à stopper le complot visant à sa destitution, c'est la mort tragique de Philippe qui scelle définitivement sa perte d'esprit et la victoire de ses ennemis. L'ultime scène entérine le décalage ayant eu cours tout le film. Jeanne vieillie et retirée au couvent depuis des décennies est montrée dans une composition de plan austère et pieuse par Aranda, avant que la voix-off dévoilant ses pensées toujours aussi impures et obnubilée par le corps de Philippe fasse voler en éclat la dignité de ce tableau. 4,5/6

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