Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Profondo Rosso »

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La vie et l'œuvre musicale d'Elvis Presley à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux manager, le colonel Tom Parker. Le film explorera leurs relations sur une vingtaine d'années, de l'ascension du chanteur à son statut de star inégalé, sur fond de bouleversements culturels et de la découverte par l'Amérique de la fin de l'innocence.

Elvis est un biopic exalté qui offre une sorte d’aboutissement définitif de la vision de Baz Luhrmann sur le monde du spectacle. Dans sa « Trilogie du Rideau Rouge » constituée de Ballroom Dancing (1992), Roméo + Juliette (1996) et Moulin Rouge (2001), le réalisateur faisait du monde du spectacle un sanctuaire exalté propre à surmonter toutes les injustices et souffrances du réel dans un romanesque flamboyant. Avec Gatsby le magnifique (2013), Luhrmann faisait du héros de F. Scott Fitzgerald un double de lui-même, un protagoniste pensant déjouer son destin et sa condition sociale en faisant de son existence un spectacle. Son univers d’artifice se heurtait alors à l’injustice du réel, laissant ce Gatsby rêveur démuni.Elvis vient confronter l’idéal de ce monde du spectacle avec son envers le plus monstrueux. Cela passe par la magnificence que représente l’entertainer ultime qu'est Elvis Presley (Austin Butler) constituant le revers d’une même pièce avec son âme damnée, l’imprésario faustien qu’est le Colonel Parker (Tom Hanks). Les deux s’enchevêtrent tout au long du récit pour montrer l’alliance brillante et oppressante qu’incarnent le réel et la magie derrière le rideau rouge.

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Baz Luhrmann nous introduit Elvis Presley comme un pur produit de cette réalité cruelle des Etats-Unis ségrégationniste d’alors, condition qu’il va transcender en se l’appropriant dans sa persona artistique. L’introduction d’Elvis nous l’exprime de façon brillante. Durant les premières minutes du film avant la première scène de concert, Elvis n’est qu’une voix, un murmure lointain qui fascine déjà, une silhouette chétive, tremblante et sans visage avant de se produire devant un public. La narration de bonimenteur du Colonel Parker s’entremêle alors à une construction mythologique d’Elvis basée sur l’artifice ET le réel. On observe Elvis enfant du sud blanc élevé parmi les noirs qui se découvre cette fascination pour la musique de ses derniers en les observant exprimer leurs pulsions primaires dans le blues fiévreux, surmonter leurs maux et exprimer leur foi dans les gospels déchaînés. Le cadre de ce Sud halluciné ancre Elvis dans la vérité du monde qui l’entoure et qu’il aime, tandis que les effets les plus tapageurs (une pure entrée en matière frénétique à la Luhrmann) comme les pages de comic-book dont il s’imagine le héros annoncent déjà la créature hors-sol qu’il va devenir. Le lien entre les deux reposes sur le Colonel Parker et ce n’est qu’après avoir établi cela que Luhrmann nous montre enfin Elvis de front dans cette première scène de concert, être protéiforme entre deux mondes, qui va littéralement enflammer la salle par ses déhanchés de « nègre » et son visage de beau gosse blanc.

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Tout le film est donc un combat entre ses racines qu’Elvis veut préserver pour son équilibre (magnifique séquence où las de tout il retourne à Beale Street se ressourcer parmi ses amis noirs), et le firmament auquel il aspire mais qui lui fera perdre pied. Le premier point est maintenu tant que demeure le garde-fou bienveillant qu’est sa mère (Helen Thompson) tandis que le second s’incarne dans le mauvais génie carnassier et tentateur qu’est le Colonel Parker - dès le départ plus intéressé par "l'attraction" Elvis plutôt que le chanteur. Luhrmann fait d’Elvis la victime consentante ou soumise de ce dernier au fil de son ascension et de sa chute, mais notre héros n’est jamais aussi grand que lorsqu’il reprend ponctuellement son destin en main. C’est le sentiment de superficialité qui domine lors des ellipses bariolées de sa carrière hollywoodienne, ou de pathétique durant les dernières heures sombres à Las Vegas. Dès que la narration se raccroche au présent, à la musique, à cette alliance entre Elvis le performer et son public ainsi que la réalité qui l’entoure, Luhrmann atteint des sommets. Le concert de bienfaisance où il sème le chaos, le Christmas Special ou encore la première date de résidence à Las Vegas sont des instants où Elvis corseté retrouve la sauvagerie et l’emphase de son identité de rocker, avec une maîtrise de plus en plus grande. Durant le Christmas Special, l’entertainer et l’homme du peuple parviennent enfin à ne former plus qu’une seule et même personne après l’assassinat de Bob Kennedy. Comme le soulignera un dialogue, ce qu’il ne peut dire en temps que citoyen sur le chaos régnant dans son pays, il le chantera avec passion sur un If I can dream épique.

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La dualité du film réside finalement entre le pur Faust sans identité ni passé (ou du moins trouble) qu’est Parker, pure représentation de l’entertainement dans ce qu’il a de plus vil, intéressé et mercantile, et Elvis dont le passif en fait le trait d’union par l’art d’un pays déchiré. Elvis se fait malheureusement aspirer à ses dépend loin du réel, enfermé dans la définition ultime de l’artifice creux que symbolise Las Vegas. C’est très clairement avec Ballroom Dancing le film le plus accessible de Baz Luhrmann, un vrai biopic qu’il soumet à une furie tout autant au service de son protagoniste et que de ses thèmes de prédilections. Narration tourbillonnante, anachronismes assumés mais s’insérant avec plus de fluidité que d’habitude (le rap entendu lorsqu’il retourne à Beale Street), reconstitution maniaque et stylisée, on en prend plein les yeux de façon ininterrompue. Le cœur émotionnel passe par cette relation Parker/Presley dans une attirance/répulsion constante, et reposant sur une interprétation parfaite. Austin Butler est une révélation incroyable, habité, puissant, vulnérable, charismatique, il porte magnifiquement toutes les contradictions du King. Quant à Tom Hanks, il brille en Colonel Parker, jamais totalement aimable ni détestable, constamment ambigu – notamment dans une fabuleuse scène de trahison usant de Suspicious Mind. Leur destin son liés et l’ultime Unchained Melody à bout de force d’Elvis boursouflé se conjugue par l’ellipse et un fondu à la mort solitaire, plus tardive et pathétique du Colonel. Même diminué, Luhrmann nous laisse en revanche quitter Elvis en son royaume, la scène, où sa voix vibre encore. Grand film, un des meilleurs de Luhrmann qui devrait le réconcilier avec ses détracteurs les plus virulents. 5/6

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Alexandre Angel
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Re: Elvis (Baz luhrmann - 2022)

Message par Alexandre Angel »

Pas vu un seul Luhrman.
Ce sera mon premier.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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El Dadal
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par El Dadal »

Je ne m'attendais pas à lire ici un avis positif :o DvdClassik reste plein de surprises !

Bon, je risque de faire mon ACR et de critiquer sans voir le film, mais la tête du mec choisi pour jouer Elvis, ça me rebute un peu trop.
Et question ça passe ou ça casse à Profondo ou aux autres qui l'ont vu : niveau musique, quelle est la proportion d'œuvres pré-1969, voire même carrément jusqu'à 1956 (l'année où Elvis cesse d'être Elvis pour beaucoup de vieux de la vieille) ? Parce que si je dois me fader le Elvis 70s, encore moins sûr d'y aller... Merci d'avance, bien cordialement.
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AtCloseRange
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par AtCloseRange »

El Dadal a écrit : 23 juin 22, 12:12 Je ne m'attendais pas à lire ici un avis positif :o DvdClassik reste plein de surprises !

Bon, je risque de faire mon ACR et de critiquer sans voir le film, mais la tête du mec choisi pour jouer Elvis, ça me rebute un peu trop.
Merci de me précéder :mrgreen:
El Dadal a écrit : 23 juin 22, 12:12 Parce que si je dois me fader le Elvis 70s, encore moins sûr d'y aller... Merci d'avance, bien cordialement.
Et Suspicious minds, c'est du poulet?

EDIT: c'est 69 tu es pardonné mais n'empêche que le concert à Hawaii est une tuerie.

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Lohmann
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Re: Elvis (Baz luhrmann - 2022)

Message par Lohmann »

Alexandre Angel a écrit : 23 juin 22, 06:50 Pas vu un seul Luhrman.
Ce sera mon premier.
J’en ai vu 2 (Moulin Rouge et Roméo + Juliette), plus jamais je ne remet une pièce dans la machine Luhrmann.
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Flol »

El Dadal a écrit : 23 juin 22, 12:12 Bon, je risque de faire mon ACR et de critiquer sans voir le film, mais la tête du mec choisi pour jouer Elvis, ça me rebute un peu trop.
Moi aussi. Il est peut-être très bon, mais physiquement je ne sais pas, il y a un truc qui ne passe pas, je ne vois pas Elvis.
Alors que, pour l'avoir revu hier, je me dis qu'un Miles Teller aurait bien fait l'affaire (il est mûr pour faire soit Elvis, soit John Belushi).
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Alexandre Angel
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Alexandre Angel »

..et je verrais bien Denis Ménochet faire Fassbinder..
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Flol »

Il ferait plutôt un parfait Kubrick.
(on s'éloigne, non ?)
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AtCloseRange
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par AtCloseRange »

Du moment que Kate Beckinsale ne joue pas Ava Gardner...
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Profondo Rosso
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Profondo Rosso »

Pour l'acteur il est excellent et chante en partie pas mal de séquences musicales (la partie année 50) sans qu'on le remarque et l'histoire de ressemblance on oublie au bout de 5 minutes tellement il est bluffant. Sinon comme je disais dans le texte c'est largement digeste même pour les pires allergiques de Luhrmann, son tyle est bien là mais se fond bien dans les thèmes et la construction de biopic, avec Ballroom Dancing (Dirty Dancing en 10 fois mieux) c'est le meilleur pour commencer sa filmo. Après je suis très client de Luhrmann j'avais déjà dit ici le plus grand bien de Gatsby que je sais assez détesté viewtopic.php?f=3&t=34705&hilit=Baz+Luhrmann Et pour la musique toutes les périodes y passent et sont bien explorées sauf la carrière cinéma assez elliptique mais qui offre un séquence sympa façon Once upon a tme in Hollywood.
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Alibabass
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Alibabass »

Sérieuse question : Est-ce que chez Baz Luhrmann, l'hystérie esthétique et des récits remplace la modestie ? J'ai vu aucun film de lui, c'est pour ça que je pose la question.
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Supfiction
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Supfiction »

AtCloseRange a écrit : 23 juin 22, 12:13
El Dadal a écrit : 23 juin 22, 12:12 Parce que si je dois me fader le Elvis 70s, encore moins sûr d'y aller... Merci d'avance, bien cordialement.
Et Suspicious minds, c'est du poulet?

EDIT: c'est 69 tu es pardonné mais n'empêche que le concert à Hawaii est une tuerie.

Le concert à Hawaï c’est 73 et il est effectivement grandiose.
68-74 c’est effectivement la meilleure période (peut-être même pour le rock en général), et même la déchéance physique qui suit est fascinante.
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harry
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Re: Elvis (Baz luhrmann - 2022)

Message par harry »

Lohmann a écrit : 23 juin 22, 12:21
Alexandre Angel a écrit : 23 juin 22, 06:50 Pas vu un seul Luhrman.
Ce sera mon premier.
J’en ai vu 2 (Moulin Rouge et Roméo + Juliette), plus jamais je ne remet une pièce dans la machine Luhrmann.
C'est spécial comme style et vu qu'il dose souvent entre le beaucoup et le trop...

Un biopic Elvis, je me disais "OK", par lui apres je me suis dis "Ha...".

Je tenterais surement mais en me méfiant.
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mannhunter
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par mannhunter »

ça ne vaut pas:

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Paroju
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Re: Elvis (Baz Luhrmann - 2022)

Message par Paroju »

AtCloseRange a écrit : 23 juin 22, 12:13 Et Suspicious minds, c'est du poulet?

EDIT: c'est 69 tu es pardonné mais n'empêche que le concert à Hawaii est une tuerie.

Je viens de lancer la vidéo d'AtCloseRange, enfin plutôt d'Elvis et ma fille vient de me dire : "Ah mais c'est la musique de Carmen Sandiego"
Supfiction a écrit : 23 juin 22, 17:26 Le concert à Hawaï c’est 73 et il est effectivement grandiose.
68-74 c’est effectivement la meilleure période (peut-être même pour le rock en général), et même la déchéance physique qui suit est fascinante.
Tu peux prendre les balises que tu veux pour parler de l'âge d'or du rock mais tant qu'à commencer en 68, tu peux prendre 1967 :mrgreen: (Premier Doors, pas le meilleur mais pas loin, puis le second, premier Pink Floyd, pas le meilleur mais pas loin, et sa suite, premier velvet, les deux premiers Hendrix...) Pas dégueu...
Torrente a écrit : 29 mai 22, 22:08 Bon sinon, #pas_touche_à_Paroju!
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