Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
-Kaonashi-
Tata Yuyu
Messages : 11428
Inscription : 21 avr. 03, 16:18
Contact :

Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par -Kaonashi- »

Sous l'influence de Profondo Rosso dans le topic du ciné asiatique, j'ai découvert récemment deux films d'Obayashi, cinéaste japonais prolifique que je ne connaissais pas du tout.
Et donc ce serait peut-être bien de rassembler les divers avis dans un seul topic, non ?

Filmo longs métrages (source : IMDb)
2019 Labyrinth of Cinema
2017 Hanagatami
2014 No no nanananoka
2013 So Long! (Video)
2012 Kono sora no hana: Nagaoka hanabi monogatari
2008 Sono hi no mae ni
2007 Tenkôsei: Sayonara anata
2006 22 sai no wakare - Lycoris: Ha mizu hana mizu monogatari
2004 Riyû
2002 Nagoriyuki
2001 Kokubetsu (TV Movie)
1999 Yodogawa Nagaharu monogatari - Kôbe-hen: Sainara (TV Movie)
1999 Ano natsu no hi
1998 Kaze no uta ga kikitai
1998 Mikeneko Hômuzu no tasogare hoteru (TV Movie)
1998 Sada: Gesaku · Abe Sada no shôgai
1998 Manuke sensei (TV Movie) (chief director)
1997 Ôbayashi Nobuhiko seishun kaikoroku (Video)
1996 Mikeneko Hômuzu no suiri (TV Movie)
1995 Ashita
1994 Onna-zakari
1993 Mizu no tabibito: Samurai kizzu
1993 Haruka, nosutarujii
1992 Seishun dendekedekedeke
1991 Futari / Chizuko's Younger Sister
1990 Kanojo ga kekkon shinai riyû
1990 Making of Dreams: Kurosawa Akira and Ôbayashi Nobuhiko- Eiga no Taiwa (Video documentary)
1989 Pekin no suika / Beijing Watermelon
1988 Watashi no kokoro wa papa no mono
1988 Ijin-tachi to no natsu
1988 Nihon junjo-den okashina futari
1987 Hyôryu kyôshitsu
1986 Noyuki yamayuki umibe yuki / Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast
1986 Poisson d'avril
1986 Kare no ootobai, kanojo no shima / His Motorbike, Her Island
1985 Shimaizaka / Four Sisters
1985 Sabishinbô / Lonelyheart
1984 Shinjuro
1984 Tengoku ni ichiban chikai shima / The Island Closest to Heaven
1984 Shounen Keniya
1984 Haishi / The Deserted City
1983 Toki o kakeru shôjo / The Little Girl Who Conquered Time
1982 Kawaii Akuma (TV Movie)
1982 Tenkôksei / I Are You, You Am Me / Je suis toi, tu es moi
1981 Nerawareta gakuen
1979 Kindaichi Kosuke no boken
1978 Furimukeba ai
1977 Hitomi no naka no houmonsha
1977 Hausu
1968 Confession
Dernière modification par -Kaonashi- le 16 sept. 20, 14:51, modifié 3 fois.
Image
perso / senscritique.com/-Kaonashi- / Letterboxd
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
-Kaonashi-
Tata Yuyu
Messages : 11428
Inscription : 21 avr. 03, 16:18
Contact :

Re: Obayashi Nobuhiko (1938 - 2020)

Message par -Kaonashi- »

Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Profondo Rosso a écrit : 25 juin 19, 13:31 The Little Girl Who Conquered Time de Nobuhiko Obayashi (1983)

Image

Yoshiyama est une étudiante qui voit sa vie bousculée par d'étranges rêves prémonitoires suite à sa perte de connaissance dans le laboratoire de son lycée. Elle confie alors son secret à son ami Fukamachi…
Spoiler (cliquez pour afficher)
Nobuhiko Obayashi reste essentiellement connu (du moins pour le cinéphile occidental) pour House (1977), premier film furieux et inventif oscillant entre délire pop expérimental, conte gothique azimuté et troublant coming of age adolescent. Le réalisateur y déployait tout son passif dans le cinéma d’avant-garde dans un tout accessible et délirant à la fois. Par la suite Obayashi mènera une longue et intéressante carrière même si moins saluée que son coup d’éclat initial. Au Japon néanmoins Toki o Kakeru Shōjo est une œuvre au moins aussi populaire que House. Le film est l’adaptation d’un roman de Yasutaka Tsutsui, maître de la science-fiction japonaise et notamment connu pour le magistral Paprika (2007) que Satoshi Kon transposera d’un autre de ses ouvrages. Le film croise habilement la veine expérimentale d’Obayashi avec les thématiques SF autour du réel disloqué de Yasutaka Tsuitsui, les deux se rejoignant dans les questionnements adolescents du récit. Kazuko (Tomoyo Harada) est une lycéenne japonaise candide formant un triangle amoureux qui s’ignore entre l’attachant mais balourd Goro (Toshinori Omi) et le sensible Kazuo (Ryōichi Takayanagi). Les premières minutes nous donne quasiment les clés du mystère à venir avec cette scène poétique où Kazuko admire les étoiles en compagnie de Goro avant que Kazuo surgisse pour captiver l’attention de la jeune fille. Un Kazuo charmant de douceur qui s’éclipse pour aller cueillir des fleurs manquant de rater le train de retour d’expédition scolaire. Cette entrée en matière laisse croire que Obayashi n’a pas mis la pédale douce sur l’expérimentation formelle puis qu’en deux séquences on passe du noir et blanc à la couleur, du format 4/3 au 1.85, et que l’artificialité de ce ciel étoilé ainsi que les incrustation bariolée au fenêtre du train vont nous plonger dans un monde aussi délirant que House.

ImageImage

Il n’en sera rien, l’ensemble demeure assez sobre et l’étrange ne s’invite que progressivement après que Kazuko ait perdu connaissance en respirant un curieux parfum de lavande en salle de chimie où elle traquait un intrus. Le récit croise alors un quotidien dont la paisibilité s’altère peu à peu pur Kazuko. Des accélérations inattendues ou effets de montages cut viennent zébrer les instants de vie anodins, faisant perdre pied à Kazuko. Ces dérèglements imperceptibles pour son entourage finissent par avoir des conséquences qui vont faire doute l’adolescente de sa raison puisqu’elle semble vivre de façon prémonitoire deux fois les mêmes journées. Obayashi joue à la fois de la répétitivité (les scènes de réveil dans un effet qui annonce le Un Jour sans fin d’Harold Ramis (1993)) et de l’imperceptible avec le comportement volontairement ou pas décalé de Kazuko au fil de sa prise de conscience. Elle est constamment prise de cours qu’elle puisse anticiper ou pas les évènements à son avantage : sauver Goro d’un incident, mieux répondre à l’interro surprise d’un professeur mal négociée initialement. Ce trouble permanent repose sur l’argument fantastique du film, mais aussi sur celui plus sentimental. Le bourru Goro est typique d’un adolescent de son âge dans sa maladresse et son naturel quand à l’inverse Kazuo semble le petit ami idéal, prévenant et attentionné mais semblant pourtant maintenir un certain recul alors qu’on pourrait basculer dans la romance. La réalité déréglée de Kazuko se conjugue ainsi à ce trouble amoureux et occasionne de beaux moments de romance suspendue. Le fait que la gêne de notre héroïne soit moins manifeste lorsque les évènements se rejouent en compagnie de Kazuo est d’ailleurs une forme d’indice…

ImageImage

Obayashi tourne le film dans sa ville natale, baignant l’ensemble d’une atmosphère nostalgique et provinciale troublante autant due au réel qui échappe à Kazuko que d’éléments plus personnels et intimes pour le réalisateur. En effet, aux évènements anodins qui se rejouent pour Kazuko s’y ajoutent d’autres plus dramatiques autour de la solitude et du deuil à travers ce couple de vieillards seuls au monde ou ayant encore leur petit fils selon les niveaux de réalité. A l’apaisement concret avec un proche bien vivant succède alors un épilogue plus amer et mélancolique où le doux parfum des fleurs et les objets du disparu entretiennent la mémoire. C’est une forme d’apprentissage pour Kazuko qui à travers l’aventure dit un peu aussi adieu à son enfance pour devenir une jeune femme, le renoncement à un doux souvenir d’enfance jouant à la fois sur son cheminement intime et l’élément SF de l’histoire. Obayashi parvient à mener de front ces deux facettes qui culminent dans un étourdissant final où Kazuko remonte le temps pour revenir à l’incident initial. Le réalisateur use de photographies qu’il anime en stop-motion pour donner une dimension saccadée et mentale de ce voyage temporel enfin conscient où Kazuko revisite son enfance pour mieux la quitter.

ImageImage

Les incrustations et quelques éléments animés sont certes un peu kitsch mais distille la même magie que dans House, l’extravagance et l’excentricité cédant à une pure approche émotionnelle ici. La jeune Tomoyo Harada dans son premier rôle au cinéma est absolument remarquable d’innocence et de fragilité, notamment dans l’ultime renoncement final. Obayashi signe là une œuvre culte largement exploitée par la suite, d’abord dans un téléfilm adaptant le roman en 1985, un nouveau film cinéma en 1997 (où Tomoyo Harada est la narratrice) et 2010 et surtout la suite/remake brillantissime (qui égale voire dépasse l’original) qu’est le film d’animation La Traversée du temps (2006) qui mettra la carrière de Mamoru Hosoda sur orbite. 5/6

ImageImageImage



Profondo Rosso a écrit : 1 avr. 20, 01:44 I Are You, You Am Me de Nobuhiko Obayashi (1982)

Image

Kazuo se lie d’ami­tié avec Kazumi, la nou­velle de sa classe. Suite à une chute bru­tale, ils se ren­dent compte quand ils repren­nent cons­cience qu’ils ont échangé leur corps. Kazuo devient une fille aux maniè­res rus­tres et Kazumi un gar­çon timide...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Entre le récent et sublime Your name de Makoto Shinkai (2016) ou encore le célèbre et hilarant manga (ainsi que son adaptation en série animée) Ranma 1/2 de Rumiko Takahashi, le postulat d'un échange de corps ou d'une mue surnaturelle fille/garçon nourrit l'imaginaire japonais pour le meilleur. Cela se confirme avec ce I Are You, You Am Me sans doute inspiration des œuvres citées plus haut et un des meilleurs films de Nobuhiko Obayashi. Il adapte ici un roman de Hisashi Yamanaka dont l'intrigue voit donc les adolescents Kazuo (Toshinori Omi) et Kazumi (Satomi Kobayashi) suite à une chute près d'un temple être victimes d'un phénomène mystique qui leur fait échanger leur corps.

Obayashi se montre ici moins extravagant que dans son fameux House (1977) ou pour rester dans la romance adolescente surnaturelle The Little Girl Who Conquered Time (1982). C'est avant tout l'étude de caractère à travers le décalage social et physiologique que ressentent les deux personnages qui intéresse le réalisateur. Le début du film fige donc nos héros dans les attitudes associées à leur sexe respectifs, accentués par le contexte lycéen. Kazuo va donc épier avec ses camarades les filles faisant du sport au gymnase tout en infiltrant leurs vestiaires et tripoter leurs sous-vêtements, en bon ado aux hormones en ébullition. Lorsqu'il croise la route de Kazumi, nouvelle élève mais ancienne camarade d'enfance, celle-ci le taquine dans une espièglerie toute féminine. Même s'il semble l'apprécier, il la rabroue avec cette maladresse typiquement masculine et adolescente où l'on ne sait exprimer ses sentiments, jusqu'à l'incident de l'échange des corps. Obayahi dans les premières minutes adopte le noir et blanc pour figurer ce monde normé où chacun(e) est assigné(e) à la place que la société lui désigne, et la couleur est introduite après le switch pour traduire la transformation des personnages mais aussi des codes du monde qui les entoure.

ImageImage

Dès lors le scénario exploite brillamment toutes les situations possibles et imaginables qui mettront Kazuo et Kazumi dans l'embarras. Tout est frontal, que ce soit dans l'exploitation humoristique ou dramatique de la situation. Les dialogues sont crus et l'on appelle un chat un chat (Kazumi dérangé par les variations de taille de son sexe masculin quand elle va aux toilettes, Kazuo découvrant l'indisposition et les douleurs des règles féminines), mais les plus grands obstacles sont finalement sociaux. Kazuo si désinvolte en tant que garçon découvre la réserve que l'on attend d'une jeune fille, que ce soit dans sa manière de s'asseoir, de manger ou même de défendre sa vertu puisqu'on lui reprochera la correction infligée au malotru qui avait soulevé sa jupe. A l'inverse Kazumi en garçon ne sait se plier à la masculinité toxique répandue auprès de ses camarades et se voit rapidement mis au banc pour sa vulnérabilité et ses attitudes maniérées. Les deux acteurs sont excellents, en particulier Satomi Kobayashi dont la métamorphose est jubilatoire, le phrasé vulgaire, l'attitude nonchalante et tout le langage corporel créant un décalage aussi hilarant que crédible. C'est un poil moins heureux pour Toshinori Omi, mais à cause de l'écriture plutôt que sa prestation.

ImageImage

Le film laisse en effet un sentiment étrange quant à son message. Les relents de sa masculinité sont certes gênants pour Kazuo dans ce corps de fille dont l'horizon social est déjà bouché (être jolie, gentille et trouver un bon mari selon les attentes de la mère (Wakaba Irie)), mais lui servent grandement face au machisme ambiant où il/elle se rebiffe plus qu'à son tour. Par contre la féminité de Kazumi est un fardeau constant dont elle ne tirera jamais avantage (hormis avoir de bonnes notes, autre cliché les filles ça travaille mieux à l'école que les garçons) dans ce corps masculin (Kazuo encore garçon se défend d'ailleurs de ne pas être homo en début de film) et sera au contraire source de brimades. Il y a une part de cliché mais il est vrai que la société de ce début 80's, et japonaise de surcroît où c'est d'autant plus marqué encore aujourd'hui, ce clivage fille/garçon était très présent. Ce cliché est d'ailleurs altéré de façon extra diégétique en faisant jouer à Satomi Kobyashi une héroïne aussi libre et extravagante, alors que le cinéma japonais réservait plutôt ce traitement à la mauvaise graine des sukeban, les délinquantes japonaise.

ImageImage

Obayashi filme au sein de sa ville natale d’Onomichi (dans la préfecture de Hiroshima) dont il offre des vues intimistes et somptueuses. Il trouve un équilibre idéal entre la langueur estivale de ce cadre portuaire et traditionnel et l'urgence des émois adolescents auxquels se heurtent les personnages. On oscille entre le contemplatif et les franches accélérations comiques avec une tenue plus assumée que le surréalisme de House. Le succès du film fera d'ailleurs d’Onomichi une véritable destination touristique et un lieu de pèlerinage tant Obayashi a su la mettre en valeur. Tout cela contribue sous les rires à une mélancolie suspendue qui culmine dans les 20 dernières minutes poignantes où la romance transcende les corps et sexes opposés avec une émotion à fleur de peau, en ne passant quasiment que par l'image. D'ailleurs la dernière scène où tout est revenu à sa place (et le noir et blanc retrouvé) montre bien à travers l'attitude, les regards et les dialogues complices que quelque chose est resté de l'expérience, que Kazuo et Kazumi se poseront désormais différemment face à ces cases que le monde leur impose. Obayashi allait faire encore mieux dans le spleen adolescent fantastique avec The Little Girl Who Conquered Time, et signerait en 2007 un remake de I Are You, You Am Me (dont la comparaison serait très intéressante pour voir le curseur de certain clichés désormais). 4,5/6

Profondo Rosso a écrit : 9 avr. 20, 04:10 Chizuko's Younger Sister de Nobuhiko Obayashi (1991)

Image

Mika est une jeune fille de dix-sept ans timide et réservée, qui depuis sa plus tendre enfance a toujours vécu dans l’ombre de sa grande sœur, la talentueuse Chizuko, aimée de tous. Si Mika aime sa sœur plus que tout au monde, elle ne peut s’empêcher de se trouver inférieure en tout, y compris aux yeux de ses parents... Un jour, Chizuko est victime d’un terrible accident, laissant Mika seule face à son destin... seule ?...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Futari est une nouvelle belle et poignante incursion de Nobuhiko Obayashi dans le monde adolescent, ce sillon s'incarnant souvent dans le cadre de sa ville natale d'Onomashi. L'argument surnaturel sert souvent de révélateur pour les jeunes héros d'Obayashi à travers un quotidien qui bascule par la magie d'un lieu dans House (1977), le voyage dans le temps pour The Girl Who Leapt Through Time (1983) ou un échange de corps avec I are you, You am me (1982). L'élément fantastique transforme ce quotidien qui ne retrouvera l'équilibre qu'à travers la maturité des personnages acquise dans l'aventure. Futari change légèrement la donne puisque c'est un drame bien réel qui change la vie de la Mika (Hikari Ishida) et duquel va découler un surnaturel à la nature incertaine. Mika entretient une relation fusionnelle avec sa grande sœur Chizuko (Tomoko Nakajima) depuis toujours, avant que celle-ci ne disparaisse tragiquement dans un accident. Ce dernier ne se révèle que plus tard en flashback, le présent nous montrant plutôt le vide laissé par l'absente au sein de la famille. Mika hante l'ancienne chambre de Chizuko, tandis que cette dernière hante les pensées de leur mère (Junko Fuji) fragilisée psychologiquement (cette place et ce bol réservée à l'absente lors du petit déjeuner) et que le père (est dans un déni qui lui fait fuir le foyer (Ittoku Kishibe). Si les adultes n'ont que la vulnérabilité ou le silence pour affronter leur maux, Mika a la candeur et/ou l'imagination en éveil qui lui permet d'être en contact avec le fantôme de sa sœur.

ImageImage

Cette présence spectrale est à la fois une béquille (mentale ou d'outre-tombe) et un fardeau dans la vie de Mika. Toutes les nouvelles expériences, rencontres et aléas lycéens sont vus par les autres et notamment ses parents à travers le prisme du parcours passé de Chizuko. Celle-ci est donc une aide, mais avant tout pour marcher sur ses traces, que ce soit un concert de piano, une course d'endurance scolaire ou même la rencontre d'un ancien amoureux. La mise en scène d'Obayashi appuie cela en exprimant toute son emphase et excentricité pour relier le cheminement de Mika à celui de Chizuko. Lors du concert de piano, les contrechamps se multiplient entre Mika, Chizuko et Kaminaga (Toshinori Omi acteur fétiche d'Obayashi) et les panoramiques s'emballent pour signifier les encouragements de Chizuko envers sa cadette qui s'enhardit sur ses touches. La scène de course scolaire fonctionne de la même manière, la dimension mentale s'illustrant par la bascule des plans d'ensemble réalistes de la ville provinciale à un cadre plus resserré et à l'imagerie fantaisiste où une nouvelle fois Chizuko pousse Mika à se dépasser. Dans les deux cas malgré le franchissement de l'obstacle Mika reste dans l'ombre de sa sœur, et dans l'impossibilité de dominer une absente idéalisée par son entourage.

ImageImageImage

L'intérêt vient de la manière dont interviendront les failles, dans une approche tout en retenue où la rêverie n'a plus court. L'absence de Chizuko est-elle la cause où le révélateur de l'adversité multiple que va rencontrer Mika. Le scénario laisse longtemps supposer la première solution en faisant hériter notre héroïne des inimitiés et jalousies envers sa sœur avec notamment sa camarade Mariko (Yuri Nakae) qui la persécute secrètement. C'est cependant une manière pour Obayashi de montrer un autre pendant du vécu d'un drame familial pour Mariko, tandis qu'on en verra un versant lumineux (et donc un exemple à suivre) avec la meilleure amie Mako dans une scène aussi simple que bouleversante où elle révèle la mort subite de son père. Tous ces éléments développent un regard nouveau chez Mika qui découvre les difficultés que sa si parfaite sœur lui avait cachées (un amoureux que ses parents lui avait interdit de voir) et surtout le fossé affectif entre ses parents. Chaque aspect négatif s'avère donc une conséquence en filigrane plutôt que le résultat du deuil, subtilement amené par Obayashi qui ne perd jamais de vue l'éveil de son héroïne. Quand les épreuves s'avèrent moins superficielles, Chizuko est absente ou inactive face aux évènements que doit affronter Mika, et déleste donc ses passages de la fantaisie initiale. La découverte cruelle de l'adultère dans le couple que forme ses parents passe par un long plan fixe dialogué, celle de la malveillance d'une camarade fonctionne quant à elle en deux plans, celui de la réaction vindicative de Mika puis ensuite de son départ des lieux.

ImageImage

Chacune de ces scènes place Mika en observatrice distanciée des faits, annoncés par le passage où elle renonce au rôle principal de la pièce scolaire pour s'occuper des effets de scène en coulisse. Mika ne recherche pas la perfection et l'admiration de celle qui aime à être regardée comme Chizuko, mais la réserve de celle qui regarde et retranscrit de manière imagée le spectacle des autres. Dans cette idée (et comme le soulignera un dialogue) la fameuse ville d'Onomashi revêt un aspect plus labyrinthique, plus claustrophobique et oppressant que dans d'autres films d'Obayashi où la rêverie domine, le temps de décloisonner la psyché de son héroïne. Alors que durant tout le film Mika emprunte des chemins détournés pour aller à l'école ou rentrer chez elle, la dernière scène la voit enfin réemprunter le chemin fatal où elle perdit sa sœur. Obayashi use d'un des effets horrifiques les plus mémorables de House (un personnage regardant le reflet d'un autre dans un miroir) pour offrir une magnifique scène d'adieu et un Sayonara chuchoté bouleversant. Cette réconciliation avec elle-même signe son passage à l'âge adulte pour Mika, l'ange-gardien comme le cocon parental ne sont plus nécessaires, ces doux sentiments passeront par son talent d'écrivain en devenir. Une vraie belle fresque intime (les 2h30 filent à toute vitesse) porté par un mémorable score mélancolique de Joe Hisaishi (la chanson et le thème principal rappellant beaucoup son travail chez Miyazaki). 5/6
Dernière modification par -Kaonashi- le 16 sept. 20, 14:37, modifié 1 fois.
Image
perso / senscritique.com/-Kaonashi- / Letterboxd
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
Jack Griffin
Goinfrard
Messages : 12389
Inscription : 17 févr. 05, 19:45

Re: Obayashi Nobuhiko (1938 - 2020)

Message par Jack Griffin »

Avatar de l’utilisateur
-Kaonashi-
Tata Yuyu
Messages : 11428
Inscription : 21 avr. 03, 16:18
Contact :

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par -Kaonashi- »

En effet, j'allais l'ajouter. Merci !
Profondo Rosso a écrit : 12 avr. 20, 02:43 The Deserted City de Nobuhiko Obayashi (1984)

Image

On associe souvent l'univers de Nobuhiko Obayashi aux expérimentations formelles de ses films les plus fou (House (1977) en tête) ou à son talent pour capturer l'adolescence au féminin dans de brillants films fantastiques (The Girl Who Leapt Through Time (1983), I are you, You am me (1982)). Avec ce magnifique The Deserted City il se montre tout aussi capable d'émouvoir dans une veine sobre et introspective avec cette adaptation du roman Bōkyaku no kawa (« Le fleuve des souvenirs perdus ») de Takehiko Fukunaga.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Dès les premières minutes, la beauté des images est contrebalancée par le voile funeste d'une révélation. On observe le jeune héros Eguchi sortir d'une gare provinciale pour arriver au sein de la cité de fluviale de Yanagawa, surnommée la Venise japonaise. La voix-off d'Eguchi nous révèle pourtant que ce que nous voyons n'est qu'un souvenir de sa venue en ces lieux 10 ans plus tôt, ce long flashback étant ravivé par la terrible nouvelle de la destruction de la ville dans un incendie. Ainsi les premiers pas d'Eguchi sont marqués de cette fatalité par le travail chromatique d'Obayashi qui fait de Yanagawa une ville fantôme dans des compositions de plan où le noir et blanc vient strier des décors en couleurs et inversement - dans un vrai travail de peintre mais aussi d'artiste plastique dans le travail sur les collages et les caches. Un sentiment chaleureux de vie voit ainsi comme des spectres blafards venir le troubler, ou à l'inverse la désolation d'une ruelle est ravivée par le passage d'Eguchi souriant qui amène la couleur avec lui. Venu s'isoler pour finir sa thèse, notre héros va loger dans une auberge traditionnelle où il est accueilli par la jeune Yasuko (Satomi Kobayashi) qui tient les lieux. Le mélange de pulsion morbide et de vie éclatante s'exprime aussi dans ce cadre, le sourire et l'allant de Yasuko étant contrebalancé par le vide de l'auberge dont Eguchi est le seul client, mais aussi le poids d'un passé dont on ne peut se défaire. La rencontre et la cérémonie de thé avec la grand-mère montre cette dernière sénile, confondant les personnes et les époques.

ImageImage

Cette dichotomie se fait plus subtile ensuite, adoptant le regard émerveillé d'Eguchi sur Yanagawa que le réalisateur baigne d'une radieuse imagerie pastorale. Nous sommes comme dans un rêve éveillé lors d’une longue séquence de ballade en barque à la lenteur hypnotique, où l'imagerie se fait élégiaque pour magnifier cet espace d'eau et d'arbre tout en façonnant un écrin intime entre Yasuko et Eguchi au sein de l'embarcation. Il faut pourtant se souvenir que dans House, certes avec plus d'artifices, Obayashi débutait dans le shojo acidulé et insouciant avant de faire basculer le tout dans le cauchemar. Le même changement opère ici mais de façon plus retenue et feutrée. Alors qu'Eguchi s'extasie sur ce qu'il voit et dit qu'il rêverait de réellement vivre là, Yasuko le rappelle à l'ordre. Ce qui le charme, c'est justement ce qui tue à petit feu la ville et ces habitants. Ce clapotis incessant de l'eau du fleuve signifie aussi la monotonie de leur existence, que l'on refuse en partant et laissant le village dépérir, ou que l'on accepte en étant condamné avec lui. Le temps de ce dialogue les personnages se trouve d'ailleurs dans la pénombre d'un sous-bois face au fleuve, et la musique envoûtante d'Obayashi (qui a décidément tous les talents) s'estompe pour laisser les bruits de cette campagne envahir la bande-son. Le charme s'évapore pour laisser place à un sentiment plus inquiétant et mélancolique.

ImageImageImage

Cette sensation reste diffuse mais Obayashi a semé les graines qui la rendront plus concrète, que ce soit les pleurs qu'entend Eguchi à l'extérieur lors de sa première nuit, ou l'insaisissable Ikuyo (Toshie Negishi) sœur effacée et torturée de Yazuko dont l'évocation ou les furtives apparitions distille un malaise certain. On pense vraiment souvent à un House à l'échelle d'une ville et sans l'excentricité ni la présence maléfique concrète. Le village de Yanagawa agit pourtant comme la demeure hanté du film de 1977, exacerbant et figeant les traits de caractères de ses habitants non par un sortilège, mais par une torpeur qui les empêche de se rebeller, d'empêcher la fatalité dans la tournure de leur relation réciproque. Eguchi est spectateur du phénomène à travers les non-dits tragiques entre Yazuko, Ikuyo et son époux Naoyuki (Tôru Minegishi), mais également victime en enfouissant en lui ses sentiments naissant pour Yazuko.

ImageImageImage

Les vérités ne se devinent ou n'éclatent que dans cet élan de pulsion de mort lors des deux cérémonies mortuaires en début et fin de film. Les élans amoureux sont donc comme engourdis dans ce malaise ambiant qui s'ignore, mais se ressentent par des images furtives comme ce magnifique plan (photo somptueuse de Yoshitaka Sakamoto) capturant la lumière d'une fin d'après-midi estivale où Eguchi réconforte Yazuko. Obayashi place d'ailleurs judicieusement ce plan à la fin en flashback et pas au moment du déroulement de la scène, comme si la prise de conscience de ce sentiment ne pouvait toujous se faire qu'à rebours - le leitmotiv de la montre en retard renforce cet aspect. L'élément révélateur est le plus omniprésent mais paradoxalement aussi le plus discret et silencieux du récit, avec le conducteur de barque Saburoh (l'acteur fétiche Toshinori Omi) qui d'une rive à l'autre observe les dilemmes et déchirements de chacun et devine leurs pensées secrètes (l'échange final à la gare avec Eguchi). Le gothique et survolté House montrait la jeunesse surmonter l'emprise d'un environnement et le poids du passé (celui de la guerre qui hante l'œuvre d'Obayashi), le paisible The Deserted City l'incapacité à y échapper, concrètement (pour les habitants) ou en pensée pour Eguchi qui restera hanté par cette été, par cette Ville Morte comme l'exprime en français le titre original.. 5/6

Profondo Rosso a écrit : 15 avr. 20, 14:09 His Motorbike, Her Island de Nobuhiko Obayashi (1986)

Image

His Motorbike, Her island est une charmante romance où toute la fantaisie dont est capable Nobuhiko Obayashi se déploie dans le regard de l’autre. Reste cependant à trouver, voire ne serait-ce qu’avoir l’intérêt de le chercher cet autre. C’est la problématique du désinvolte Ko (Riki Takeuchi) livreur à moto qui s’évade de la moindre contrariété en chevauchant son engin. Il vient d’ailleurs de rompre avec Fuyumi (Noriko Watanabe), charmante jeune fille dans une relation où symboliquement il était le pilote. Le rapprochement se fait quand elle le sollicite pour apprendre la moto, mais ce qu’elle cherche surtout c’est s’accrocher amoureusement à Ko pour qu’il l’emmène où bon lui semble. Elle hésite mais cède à la moindre fantaisie (l’amusante scène des motards nus) et même la première étreinte sera une concession plutôt qu’un désir réel. Obayashi ne fustige pas le comportement de Ko, tout comme il ne victimise pas Fuyumi qui représente une forme classique de jeune fille japonaise romantique. C’est manifeste lors de la belle scène de rupture dans leur bar fétiche, où l’attitude abrupte de Ko est une manière de ne pas rendre les choses plus difficile, alors que Fuyumi expose toute sa vulnérabilité dans un numéro de chant (sur un morceau écrit pour elle par Ko) filmé avec une infinie délicatesse par Obayashi.
Spoiler (cliquez pour afficher)
ImageImageImage

Le film précédent d’Obayashi, Lonely Heart (1985) voyait une jeune fille imaginaire surgir dans le quotidien solitaire d’un adolescent. C’est la même idée ici sauf que notre héros n’attend explicitement rien et se satisfait de sa condition, ce qui n’empêchera pas une nymphe ravissante de surgir dans son quotidien en la personne de Miyako (Kiwako Harada). L’attirance se construit à travers un objet et un espace, Miyako étant fascinée par la moto de Ko négligemment garée au bord d’une falaise où il se repose. Une photo fige donc la machine et son pilote mais la jeune fille n’insiste pas et Ko malgré un certain intérêt, reprend la route. La thématique de Lonely Heart est inversée puisqu’il s’agit cette fois insérer l’obsession pour une jeune fille dans un cœur désinvolte. Miyako ne poursuit donc pas Ko de ses assiduités, mais ressurgit, l’intrigue et le trouble dans ses pérégrinations, comme un sentiment amoureux qui s’imprègne. Obayashi intègre cela par l’attitude décomplexée et joyeuse de Miyako (sa nudité exposée dans le onsen), qui s’oppose à la mélancolie de Fuyumi. Miyako ne cherche pas à suivre docilement Ko, mais en l’accompagnant en partageant sa passion pour la moto.

ImageImage

Si les sentiments de Miyako naissent à travers un objet et son propriétaire, pour Ko ce sera par un lieu et son habitante en l’occurrence l’île de Shikoku dont est originaire Miyako et où il va la rejoindre. Notre héros s’épanouit enfin en mentor d’une élève si passionnée, son individualisme cédant sous l’influence de cette ancienne île de pèlerin et de ses traditions bienveillantes comme cette danse aux disparus. Obayashi use d’une imagerie 50’s avec ce culte de la moto, par l’ivresse de la vitesse, l’évasion et du risque mais aussi sa célébration virile lors d’une époustouflante scène de duel filmée avec une tension virtuose. On reste dans une tradition machiste où l’homme s’affirme par sa dextérité mais cela est bousculé par l’introduction de Miyako, tout autant en quête d’adrénaline. Le film n’invente pas la figure de la motarde juvénile (célébrée dans les films sukeban - délinquantes japonaises - des années 70) mais ne l’associe plus à la mauvaise graine pour en faire un équivalent aventureux des hommes.

ImageImage

Obayashi conjugue constamment cette nature féminine émancipée à la romance, cette liberté séduisant et échappant à Ko. Le cadre du bar est un révélateur essentiel pour l’éveil amoureux de Ko, celui y comprend ce qui le charme en Miyako plutôt que Fuyumi (l’interprétation enhardie et lumineuse de la même chanson précédemment chantée par Fuyumi), c’est là qu’il se montre ardent et actif dans la romance lorsqu’il verra qu’elle a passé son permis pour rouler à ses côtés. Sillonner les routes donne donc lieu à des séquences radieuses où Obayashi traduit magnifiquement dans le béton et la verdure des routes rurales japonaises le ressenti tant associé aux grands espaces américains de « tailler la route » dans une connexion amoureuse où les vrombissements des moteurs se conjugue à la caresse du vent (« Je voudrai que nous soyons le vent » ne cesse de dire Ko à sa dulcinée). En s’éveillant à l’amour, Ko se confronte aussi à ses tourments avec une subtile scène de jalousie ou Miyako va essayer la moto d’un autre homme et où la métaphore sexuelle est manifeste (« Si tu n’es pas satisfaite, refait un tour avec. »). Dès lors ce sera bien à Ko de devenir le poursuivant, de rejoindre Miyako sur son île pour faire montre de son engagement. La superbe conclusion les voit donc rouler l’esprit libéré, confiant et amoureux, le jeu sur les paysages qui les unit, la route qui les sépare par intermittence mais qui toujours les fait se rejoindre symbolisant leur lien désormais inaltérable. C'est signifié par le motif final de la photo en couple face à la moto, répondant celle identique mais solitaire aperçue plus tôt.

ImageImage

Un des éléments les plus intéressants est le travail sur la couleur où comme souvent chez Obayashi on passe souvent du noir et blanc à la couleur. C’est souvent dans une volonté d’atmosphère pour le réalisateur mais cette fois la fréquence du procédé accompagne les humeurs et émotions changeantes de Ko, celles dont il est conscient (il souligne dans un monologue ne rêver qu’en monochrome) et celles qu’il ignore encore mais dont nous constatons les sursauts illustrés par la somptueuse photo de Yoshitaka Sakamoto - tout comme le montage en urgence motorisée, nonchalance neutre ou grâce poétique. Le film qui vous donne envie d’aller rouler vite, loin et certainement pas seul. 5/6

ImageImage

Profondo Rosso a écrit : 17 avr. 20, 14:21 Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast de Nobuhiko Obayashi (1986)

Image

Nobuhiko Obayashi fut profondément marqué dans sa tendre enfance par l’expérience de la guerre, observant notamment de près les ravages d’Hiroshima car vivant dans la région. La guerre hante donc nombre de ses films, à commencer par l’inaugural House (1977) dont l’esprit maléfique est celui d’une femme n’ayant jamais vu son amour revenir du front. On retrouvera ce thème dans son avant-dernier film Hanagatami (2017) que préfigure grandement ce magnifique Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast.
Spoiler (cliquez pour afficher)
L’histoire se déroule en 1937, dans une petite ville située au sein des îles de la mer intérieure du Japon. C’est précisément l’année où se déclare la guerre sino-japonaise et qui voit le pays basculer dans une folie militariste et nationaliste. Le cadre de l’île constitue ainsi un microcosme de ce contexte par le prisme d’un récit essentiellement à hauteur d’enfant. Le jeune et facétieux Sudo (Yasufumi Hayashi) va vivre une relation amour/haine avec le nouvel élève Sakae (Jun'ichirô Katagiri), intimidant car plus grand et plus âgé. L’astuce de Sudo s’oppose à l’agressivité de Sakae, notamment lorsque le premier va tomber amoureux de Oshi (Isako Washio) la sœur plus âgée du second. La violence des enfants va s’élever à l’échelle de l’école dans une sorte de Guerre des boutons à la japonaise, en métaphore de l’esprit guerrier fanatique des adultes puisqu’en arrière-plan les militaires rôdent et cherchent à enrôler les jeunes gens de l’île.

ImageImage

L’enjeu amoureux et affectueux du conflit tisse cependant la frontière entre les enfants guidés par des émotions pures qu’ils expriment encore maladroitement, et les adultes obéissant sans recul à une idéologie belliqueuse. La tonalité juvénile lorgne clairement sur Ozu par le côté potache des situations, de l’inventivité et du rythme des gags. Mais le personnage d’Oshi ramène la dimension féministe et romanesque chère à Obayashi, l’adolescente vivant une romance avec batelier pacifiste mais menacé par la conscription. Le rythme languissant accompagne donc ces deux facettes de l’innocence, enfantine et pas complètement entrée dans l’adolescence (Sudo/Sakae) et l’adolescence sur le point d’entrer dans l’âge adulte avec Oshi. La corruption de leurs aînés menace cet équilibre par ce contexte militaire, mais aussi par la démission des parents. Toute l’opposition de caractère de Sudo et Sakaé s’explique par cela, Sudo élevé par un père médecin et progressiste se montrant plus mesuré quand Sakaé fils de concubine livré à lui-même n’a trouvé que la force pour s’affirmer.

ImageImage

Obayashi lie donc ce monde de l’enfance à celui des adultes par la noirceur de ce dernier dont la violence va rattraper nos jeunes héros. La pression d’être « un homme » pousse ainsi le batelier à endosser l’uniforme, les enfants par leur batailles en culottes courtes offre un mimétisme aux adultes et Oshi s’apprête à perdre douloureusement son innocence en étant vendu par ses parents endettés à une maison close. Ces trois enjeux se rejoignent pour célébrer l’insoumission juvénile dans la dernière partie où les enfants s’unissent enfant dans un stratagème destiné à sauver Oshi du destin de geisha. Obayashi par un jeu de répétition rejoue la scène de poursuite de la guerre enfantine qui a précédée pour faire reprendre le même parcours au personnage dans leur sauvetage des malheureuse adolescentes. On a tout un côté « club des cinq » candide dans la campagne japonaise où le réalisateur multiplie les idées formelles ludiques.

ImageImage

Le film suit dans l’ensemble une forme de ligne claire toute à cette hauteur d’enfant où le côté expérimental d’Obayashi se restreint (si ce n’est une scène de tempête qui voit surgir un militaire à cheval) jusqu’à la bouleversante conclusion où intervient un noir et blanc saturé dans un chaos d’eau et de flamme pour un acte aussi sacrificiel que rétif à cette autorité psychotique. L’escalier du phare où iront se nicher Sudo et un élégant et malfaisant militaire est une sorte d’antichambre des âmes, puisque les barbelés qui mènent à son sommet laisseront l’enfant indemne quand ils larderont l’officier semblable à une créature vampirique – suçant la pureté des autres de son fanatisme. La dernière scène onirique et rageuse porte haut le sceau de l’insoumission pour ces êtres arrachés à l’enfance. Une fable pacifiste captivante et inventive, que l’on peut deviner être très personnelle pour Obayashi. Par ailleurs il existe une version du film totalement en noir et blanc mais ce n’est pas celle que j’ai vu. 5/6
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
perso / senscritique.com/-Kaonashi- / Letterboxd
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
-Kaonashi-
Tata Yuyu
Messages : 11428
Inscription : 21 avr. 03, 16:18
Contact :

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par -Kaonashi- »

Profondo Rosso a écrit : 22 avr. 20, 14:14 The Island Closest to Heaven de Nobuhiko Obayashi (1984)

Image

Dans les nombreux portraits d’adolescentes de la filmographie de Nobuhiko Obayashi, l’évolution et la maturité des héroïnes est souvent un voyage. Le voyage est avant tout intérieur bien sûr mais Obayashi le fait reposer sur un argument fantastique et/ou psychanalytique : le voyage dans le temps de The Little girl who conquered time (1983), l’échange de corps de I are you, You am me (1982), les compagnons rêvés ou fantômes de Lonely Heart (1985) et Chizuko’s Younger Sister (1991). The Island Closest to Heaven repose sur la même thématique sauf que cette fois le voyage sera intérieur et concret pour sa jeune fille, en l’occurrence en Nouvelle-Calédonie.
Spoiler (cliquez pour afficher)
ImageImage

Le film adapte le roman éponyme de Katsura Morimura qui séjourna en Nouvelle-Calédonie dans les années 70 et qui, tombée sous le charme d’Ouvéa y transposa le récit qu’elle était en train d’écrire. Le roman remporta un immense succès au Japon, au point de faire d’Ouvéa une des destinations privilégiées des jeunes mariés et touristes japonais. Cependant le livre ne faisait en fait que raviver un lien bien plus ancien entre le Japon et la Nouvelle-Calédonie puisque de 1892 à 1919, le Japon en plein expansion économique fournit pas moins de 5000 travailleurs aux compagnies minières et établit ainsi ses bases au sein de la colonie française. Obayashi se nourrit donc à la fois de cet attrait récent et factice ainsi que de l’histoire unissant les deux contrées pour développer son récit. Le film s’ouvre comme un conte de fée lorsque Mari (Tomoyo Harada parfaite de candeur) se voit raconter enfant par son père les merveilles que recèle la Nouvelle-Calédonie où il vécut. La photo adopte une teinte pastel lorgnant sur Le Magicien d’Oz, le cadre élargit l’horizon sur la voix-off du père décrivant « l’ile la plus proche du paradis » et ce lieu se teinte d’une aura mythologique dans les yeux émerveillés de la fillette. Quelques années plus tard, le père est décédé mais Mari a l’occasion de raviver son souvenir puisqu’elle doit aller en voyage scolaire en Nouvelle-Calédonie. L’expérience est d’abord décevante puisque reposant un parcours touristique superficiel où Mari ne retrouve pas la fantastique contrée qui a enchantée ses rêves d’enfants. Le regard d’Obayashi se montre fort acerbe envers ses compatriotes, touristes consommateurs bruyants et totalement désintéressés du cadre qui les entoure si ce n’est les aspects les plus criards.

ImageImageImage

Mari erre donc, livrée à elle-même, autant en quête de quelqu’un que de quelque chose. Cela se traduit plus précisément par une quête du père en se liant au beau parleur Fukaya (Tôru Minegishi) qui lui fait partiellement miroiter cet Ouvéa hypnotique (sublime scène de coucher de soleil) mais qui s’avère malgré tout attiré par le clinquant des salles de casino. Le voyage intérieur intervient donc en laissant Mari ne se reposer sur personne, oser aller vers l’inconnu et vivre ses expériences. Obayashi adopte un rythme lent, contemplatif et entièrement soumis au point de vue de Mari. Les premières images, même les plus belles, cédaient à une imagerie de carte postale mais lorsque le vrai voyage commence le contour devient plus flou. La forme adopte une texture plus organique, terrienne à travers une approche hallucinée (l’épisode de la blessure) et anthropologique dans le rapport de Mari aux locaux. C’est d’ailleurs amusant pour un spectateur français qui constate plus directement l’amateurisme des acteurs locaux (sans doute engagés pour l’occasion) lorsque les autochtones s’expriment dans la langue de Molière, et d’autant plus lorsque les japonais s’y essaient.

ImageImage

En découvrant l’autre Mari se connaît également mieux et peut entretenir un autre rapport au passé. Elle trouve en Taichi (Shigeru Izumiya) un jeune japonais fermier et descendant des fameux travailleurs du début du XXe siècle. Le fantasme de l’enfance laisse place à des racines réelles, un passage à l’âge adulte qui s’illustre par un charmant début de romance avec Taichi. Pour le spectateur occidental c’est aussi une manière de découvrir de façon plus authentique ce méconnu ancrage du Japon en Nouvelle-Calédonie. D’autres éléments liés à une fin comme une renaissance viendront alimenter le cheminement de Mari (le dernier deuil d’une veuve, le couple ressoudé de Fukaya) jusqu’à une poignant et intimiste conclusion qui scelle la dimension historique comme sentimentale du récit. La voix de Mari se confond à celle de son père pour réitérer la tirade d’ouverture, l’émerveillement exprimé n’exprimant plus un fantasme mais une belle expérience commune. Dépaysant, original et touchant, une jolie réussite pour Obayashi. 4,5/6

Profondo Rosso a écrit : 22 mai 20, 02:12 Lonelyheart de Nobuhiko Obayashi (1985)

Image

Hiroki est un lycéen plein de vie, qui aide ses parents au temple pendant son temps libre, et qui aimerait bien aussi se rapprocher d’une jeune fille, belle, mystérieuse et solitaire… mais qu’il n’a encore jamais osé aborder. Un jour, alors qu’il rangeait des vieilles affaires de famille devant l’un des autels du temple, un brusque coup de vent viendra emporter des photos… Rien de bien grave au demeurant. Et pourtant… très rapidement une drôle de jeune fille, au visage blanc et paraissant capable de passer un peu partout, va faire irruption dans sa vie : Sabishinbô (cœur solitaire).
Spoiler (cliquez pour afficher)
Lonelyheart est au sein de la filmographie de Nobuhiko Obayashi le dernier volet de la trilogie d'Onomichi. Cette série de films a pour spécificité de se dérouler au sein de la ville natale du réalisateur, Onomochi, et de croiser à un récit adolescent un postulat surnaturel métaphore/contribution à la maturité du personnage principal. Ce sont les aptitudes à voyager dans le temps de l'héroïne de The Little Girl Who Conquered Time (1983) ou l'échange de corps fille/garçon de I are you, You am me (1982). Les deux premiers films semblaient porter plus d'attention aux personnages féminins (même indirectement avec le garçon coincé dans un corps de fille de I are you, You am me alors qu'au premier abord, Lonelyheart semble plus focalisé sur le point de vue de son héros masculin Hiroki (l'acteur fétiche d'Obayashi, Toshinori Omi). C'est d'ailleurs littéralement sur ce point de vue que s'ouvre le film lorsque, du zoom de l'objectif de son appareil photo, il observe la ville depuis ses hauteurs. La thématique centrale du film s'y révèle à travers deux éléments à priori antinomiques. D'un côté l'objectif arpente la maison d'Hiroki où sa mère (Yumiko Fujita) s'affaire à des tâches ménagères, ce qui permet à l'adolescent de fustiger le côté terre à terre de celle-ci. De l'autre Hiroki zoome sur le lycée féminin voisin, et plus particulièrement sur cette élève qui vient s'exercer seule au piano après les cours. Cette jeune fille dont il tombe instantanément amoureux, il va la dénommer Sabishinbô (cœur solitaire). Obayashi déploie ainsi dans un même mouvement deux problématiques typiquement adolescentes, l'incompréhension du monde des adultes (et plus spécifiquement les parents), et le mélange d'euphorie et de désespoir provoqué par le premier amour. On peut trouver ces éléments plutôt opposés mais ils vont habilement se rejoindre, et Obayashi glisse un indice de ce lien avec le morceau qu'Hiroki "entend" Sabishinbô jouer, « Tristesse »de Frédéric Chopin qui est également le morceau préféré de sa mère.

Le film semble dans un premier temps bien plus potache et moins mélancolique que les précédents films de la trilogie, multipliant les facéties loufoques d'Hiroki et ses amis sources de nombreux gags. Le surnaturel s'invite cependant à nouveau dans le cadre d'un temple bouddhiste (le père d'Hiroki étant prêtre) comme dans I are you, You am me, lorsque Hiroki disperse de vieilles photos familiales alors qu'il range les lieux. A partir de cet instant va ponctuellement surgir dans sa vie une facétieuse jeune fille au masque de cire également surnommée Sabishinbô. D'abord seulement visible par notre héros, elle apparait progressivement à tous, semant la zizanie dans son entourage et semblant omnisciente quant aux petits secrets de chacun. Si un Hiroki ahuri mettra le temps avant de comprendre son identité, le spectateur aura vite compris que la magie du temple a matérialisé sa mère telle qu'elle était adolescente sur une des photos perdues. L'importance n'est pas dans cette révélation mais plutôt sur le lien qui unit le premier amour vivace d'Hiroki et cette apparition du passé, puisque les deux Sabishinbô ont les mêmes traits (ceux de l'actrice Yasuko Tomita). Obayashi travaille ainsi les émotions en écho, les dépits amoureux d'hier et d'aujourd'hui partageant le même visage, et leurs douleurs se rythmant aux notes de Chopin. La réconciliation du présent et de l'ancien qui nous hante annonce le traitement mythologique et introspectif du magnifique The Deserted City (1984) à venir. Cependant le côté filial le rapproche aussi grandement du superbe Chizuko's Younger Sister (1991), quatrième itération qu'Obayashi donnera à son cycle d'Onomochi et où il sera question de deuil fraternel. L'aspect humoristique initial s'estompe ainsi progressivement au fil des révélations qui rapprochent les deux axes du film. Hormis les purs éléments narratifs, ce lien passé/présent se dessine à travers la très belle relation mère/fils. La complicité taquine des deux fonctionne à merveille, la mère faussement sévère mais sensible à la veine artistique du fils (les photographies de femmes nues de celui-ci qu'elle regarde avec lui sans sourciller) et ce dernier plus amusé que réellement agacé des remontrances. Dès lors la compréhension plus intime qui s'amorce peu à peu offre des moments poignants comme quand Hiroki jouera la fameuse mélodie de Chopin au piano devant sa mère. Deux émotions se rejoignent là, celle de l'amour perdu dont la douleur est vivace, et celle dont ne demeure qu'un souvenir tendrement entretenu. La mère console le fils et inversement dans un sentiment implicite qu'Obayashi parvient merveilleusement à faire passer, bien aidé par l'interprétation habitée de Yumiko Fujita (formidable)) et Toshinori Omi.

Formellement Obayashi parvient à donner une fois de plus un visage inédit à cette ville d'Onomichi qu'il a tant filmé (c'est d'ailleurs amusant d'avoir des réminiscences des autres films dans certains lieux bien identifiables où l'on a vu d'autres évènements). Le cadre insulaire donne pour l'essentiel une dimension ensoleillée reflétant l'aspect juvénile et bondissant initial, mais l'histoire se déroule pourtant bien à l'automne. La photo de Yoshitaka Sakamoto traduit donc bien cette entre-deux, à la fois lumineux et estival, mais aussi mélancolique et automnal dans le travail sur la couleur (tout cela annonçant le fabuleux travail chromatique de The Deserted City). L'immédiateté comique (toutes les pochades lycéennes, les apparitions improbables de Sabishinbô) alterne avec un romantisme qui endosse la fulgurance (le premier échange de regard à vélo) et la pure rêverie contemplative lors de l'hypnotique scène du retour en ferry au crépuscule. Un joli film en apparence plus léger que le reste de la trilogie mais tout aussi profond. 4,5/6

Profondo Rosso a écrit : 22 juin 20, 01:42 Four Sisters de Nobuhiko Obayashi (1985)

Image

Nobuhiko Obayashi adapte avec Four Sister un manga shojo (soit une cible éditoriale ciblant un lectorat féminin) à succès de Kazuo Oyama. Sous les postulats fantastiques inventifs, la mélancolie adolescente et les couleurs pop, on pouvait deviner chez Obayashi un goût prononcé pour le mélodrame que l'on avait pu réellement voir s'exprimer dans le magnifique et introspectif The Deserted City (1984). La source shojo lui permet d'embrasser le genre dans le lyrisme le plus prononcé, ainsi qu'un classicisme dans lequel se fondent ses idées formelles plus expérimentales.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

Anzu (Yasuko Sawaguchi), Akane (Atsuko Asano) et Ai (Yasuko Tomita) sont trois sœurs élevées par leur aînée Aya (Misako Konno) depuis la mort de leur parents. Anzu, jolie lycéenne très courtisée voit deux camarades, Togo (Togo Yuzuki) et Oba (Toshinori Omi) lui déclarer simultanément leur flamme. Togo plus entreprenant remporte le duel amoureux mais, issu d'une famille bourgeoise qui le promettait à une cousine, voit sa mère enquêter sur Anzu et lui révéler un terrible secret. Anzu, Akane et Ai ne sont pas sœur biologiques et ont été adoptées, et seul Aya est la fille naturelle de leur parents adoptifs défunt. La nouvelle va ébranler la fratrie, d'autant que l'aîné et la cadette Akane connaissait le secret. Dès lors cette découverte va distendre l'harmonie et l'innocence de leur existence insouciante, accélérant la volonté d'indépendance de chacune et le passage à l'âge adulte. Obayashi endosse l'emphase mélodramatique du shojo tant dans certains rebondissements que dans sa mise en scène. Tout comme The Deserted City le film semble à la fois épuré dans sa ligne claire narrative (et divisée en trois chapitres) mais également stylisé, sans pourtant donner dans les effets plus tapageurs de ses récits adolescents. On a plutôt l'impression que ce sont les moments suspendus de ces derniers qui se prolongent ici sur la longueur du récit. L'annonce remet en question la vision des quatre sœurs avec ce lien plus ténu entre elle. Anzu retrouvée par sa vraie mère décide de prendre son destin en main, de renoncer à son amour pour Togo et la compagnie de ses sœurs pour devenir institutrice et s'occuper à son tour d'enfants esseulés. Aya voit son statut "maternel" déchu et repense désormais aux sacrifices personnels qu'elle a fait pour élever ses sœurs, dont un mariage avec un fiancé médecin. La benjamine et sage Ai cède quant à elle à l'autodestruction et au désespoir. Akane est la figure centrale qui va les réunir à nouveau.

Image

Condamnée par la maladie, Akane recherche donc à la fois un accomplissement intime, mais aussi l'émancipation comme l'épanouissement de ses sœurs. Obayashi exprime les heurts émotionnels par un travail impressionnant au montage, les transitions et les raccords fluides prenant une veine purement sensorielle dans les basculements d'espaces, le passage d'un décor à l'autre pour les personnages, les apparitions inattendues. Cet effet accentue le sentiment de protagonistes débordés par la tragédie des évènements tout comme par leurs émotions. C'est la figure bienveillante et sacrificielle d'Akane qui amène toute la mélancolie contemplative du récit. Elle est observatrice résignée des évènements lorsqu’Obayashi filme sa silhouette puis son visage aux yeux embués de larmes lors du déchirant départ d'Anzu. Elle est la cause de la fébrilité des autres quand Oba son amour secret et éphémère observe le flux d'une rivière alors qu'elle accouche de leur enfant, dans une magnifique composition de plan. Akane est surtout actrice et maîtresse de son destin lorsqu'elle décide d'affronter son mal et de laisser à ses sœurs ce qui ravivera leurs liens avec ce bébé. Obayashi lui réserve ses plus beaux moments de lyrisme, notamment dans l'usage de la rétroprojection pour les deux voyages à la mer avec Oba. L'artificialité assumée du procédé, tout comme les scènes de studio qu'on devine aisément, façonnent un écrin intime qui symbolise le souvenir qu'Akane veut emporter. Son métier de photographe justifie ainsi la texture de polaroid marquée de l'image, chaque moment précieux étant comme figé dans les cadrages chargés de poésie et de nostalgie d'Obayashi. Le travail sur la couleur est subtil (et lorgne une nouvelle fois les tentatives de The Deserted City), le noir et blanc s'invitant discrètement dans l'image couleur et inversement (tel cette feuille d'automne seul élément coloré d'une image noir et blanc et dont le détachement nous annonce une mort imminente).

Image

A quelques exceptions près (une scène de boite de nuit, une tentative de suite), Obayashi ménage ses effets qu'il met au service du grand mélodrame qui serait plus proche d'une version contemporaine d'un Mizoguchi que des écarts bariolés de House (1977). Plus le film avance plus l'émotion repose sur les tableaux minutieusement mis en scène (au vu du rythme de tournage d'Obayashi - cela doit bien être son 2e ou 3e film pour cette seule année 1985 - cette méticulosité sans faille est assez stupéfiante), l'apaisement des personnages passant par cette approche après les ruptures de ton de la première partie où la discorde s'installait. Les quatre actrices sont excellentes même si ce sont Yasuko Sawaguchi et surtout Atsuko Asano (toutes deux fameuses Idol à la ville) qui emportent le cœur du spectateur par leur sensibilité à fleur de peau. Obayashi réussi sur les deux tableaux, la description touchante d'une fratrie, la tragédie d'une romance, mais aussi la croyance en un renouveau. L'histoire se répète ainsi (dans un mimétisme des images de l'arrivée des filles fraîchement adoptée, et du bébé devenu petit garçon) pour rejouer l'accueil et l'affection donnée à un orphelin, tandis que le souvenir de la disparue s'incarne par sa voix enregistrée et se fige dans une photo. Grande réussite où Obayashi capture l'essence même du shojo. 5,5/6

ImageImageImage

Profondo Rosso a écrit : 6 août 20, 02:40 Beijing Watermelon de Nobuhiko Obayashi (1989)

Image

Le film est basé sur de vrais événements. Il se concentre sur Shunzo, un marchand de légumes populaire qui vit dans une ville près de Tokyo. Sa vie, et celle de sa femme, Michi et de leurs deux enfants, subit un changement dramatique lorsqu'il rencontre Li, un pauvre étudiant chinois.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Sorti de ses œuvres plus psychédéliques et tapageuses comme House (1977) ou de ses nombreux récits adolescents (I are you, you am me (1982), The Little girl who conquered time (1983), Lonely Heart (1985), Chizuko’s Younger Sister (1991)), on trouve dans la filmographie un vraie veine humaniste et pacifiste. Cela s'explique par la douleur précoce de l'expérience de la Deuxième Guerre Mondiale et il prônera alors l'échappée par l'enfance, la rêverie où le spectre du souvenir face à ces maux dans Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast (1986) ou dans le cycle pacifiste de ses derniers films comme Casting Blossoms to the Sky (2012), Seven Weeks (2014) et Hanagatami (2017). On retrouve cela dans le méconnu Beijing Watermelon qui s'il ne se déroule pas et n'évoque pas directement la guerre, propose un message de fraternité entre deux pays qui s'y sont farouchement livrés l'un contre l'autre, le Japon et la Chine.

Inspirée d’une histoire vraie, le film suit Shunzo (Bengaru), truculent marchand de légumes dans la banlieue tokyoïte. Son quotidien monotone, fait de réveil aux aurores, d'achat rudement négociés au marché et de vente dans son magasin, lui pèse mais il coule des jours heureux avec son épouse Michi (Masako Motai) et leurs deux enfants. Un beau jour un jeune étudiant chinois démuni déambule timidement devant sa boutique et tente de négocier des légumes au rabais. A la fois amusé et agacé par l'insistance de l'intrus, Shunzo joue la ristourne au "pierre-ciseau-feuille" et perd. Problème le jeune chinois Li revient à la charge le lendemain et tente de refaire le coup mais se heurte au refus de Shunzo. Au détour d'une livraison Shunzo recroise la route de Li quelques jours plus tard, au bord de la syncope pour malnutrition. Notre commerçant va alors prendre le migrant chinois sous son aile le temps de la guérison. Touché, Li en informe ces compatriotes chinois étudiants qui vont désormais solliciter Shunzo à leur tour tant pour ses légumes au rabais que pour des services divers et variés. Contre toute attente, Shunzo se prend au jeu et devient le bienfaiteur de la jeune diaspora chinoise au Japon, au grand dam de son entourage.

Le fossé entre la lassitude initiale de Shunzo et son entrain à aider ses protégés de toutes les manières possibles exprime finalement comment se consacrer aux autres peut soudainement donner un sens à notre vie. Obayashi se déleste de tout son style sophistiqué et expérimental pour traduire ce rapprochement dans une forme de quotidien. C'est l'accumulation des bienfaits plus que leur échelle qui traduit l'importance que prend Shunzo pour les chinois, et c'est le plaisir amusé qu'il prend à leur faire qui exprime cette fraternité naissante. Cela passe par un montage percutant qui façonne une musicalité rieuse, travaillant le comique de situation lorsque Shunzo (pancarte en idéogrammes chinois mal écrits à la clé) doit aller chercher la fiancée d'un étudiant à l'aéroport, où la pure énergie burlesque chaleureuse quand Shunzo traverse Tokyo en camionnette pour qu'un chinois étudiant en architecture puisse étudier toutes les constructions de la ville. Cette énergie fonctionne aussi sur le style à la Robert Altman que développe Obayashi sur le film. Dans Beijing Watermelon, les personnages ont le choix entre être seuls, égoïstes et silencieux ou entourés, nombreux et bruyants. L'intégration et la fraternité n'existe que par ce sentiment de trop-plein et d'anarchie, où le nouveau venu se sent alors pleinement acceptés. Dans un premier temps le dispositif fonctionne avec un chinois frêle et sans le sou que Shunzo invite à manger dans sa famille, à fêter le nouvel an avec ces amis. Cela s'inverse ensuite avec Shunzo considéré comme un père et d'ailleurs appelé ainsi (le "otōsan" japonais a d'ailleurs un sens plus fort, en Asie comme en Afrique d'ailleurs l'emploi de ce titre pour un bienfaiteur aillant une portée intime très forte) par la communauté chinoise qui l'accueille avec entrain en son sein. Dès lors Obayashi construit des moments à la MASH où seule l'ambiance et la connexion des présents compte, dans de longs plans fixes (dans le magasin où tous les jeunes chinois viennent désormais, dans des scènes de bars) où ils laissent volontairement la confusion régner dans le grouillement de personnes, dans la cacophonie des dialogues. Et le miracle de tout cela, c'est qu'il parvient par là à idéalement caractériser toutes cette communauté, que ce soit le groupe de chinois ou le voisinage d'amis japonais qui auront chacun leur petit moment qui nous laissera un souvenir à la fin du film.

Tout cela n'ira pas sans heurts, entre la méfiance d'un entourage parfois jaloux, égoïste et/ou raciste, mais aussi à l'excès de générosité de Shunzo qui délaisse sa famille et son affaire. Finalement mis à mal financièrement et au niveau de sa santé, Shunzo va pourtant trouver une formidable récompense à sa prodigalité. Bengaru est excellent de bonhomie bourrue et de truculence en bon samaritain qui s'ignore et est formidablement accompagné par Masako Motai, pour montrer l'empathie fragile à laquelle tient cette générosité. Obayashi parvient à montrer la rudesse de ce quotidien prolo (la scène où Michi fond en larmes en voyant que Shunzo a offert son pendentif - qu'elle n'a jamais eu le temps de mettre pour se faire belle car submergée de travail - à une migrante chinoise) et la valeur de cette dévotion aux autres. Mais réussite totale du film tient à son épilogue. Obayashi avait prévu de tourner la dernière partie du film à Pékin pour montrer les retrouvailles entre Shunzo invité par ses anciens protégés qui avaient réussis dans leur pays. Les tragiques évènements de Tiananmen obligent le réalisateur à tourner ce final émouvant en studio au Japon. Pourtant au lieu de chercher à donner l'illusion d'un tournage en Chine, le film se déleste de son ton réaliste et révèle totalement l'artifice tant visuellement (décors studios et équipe de tournage bien visibles) que narrativement avec un Shunzo qui brise le quatrième mur en nous expliquant que tout cela a été tourné au Japon. Obayashi met son style expérimental au service du récit et du contexte politique qui s'avère explicite sans être évoqué nommément. L'émotion s'en trouve décuplée, notamment l'ellipse touchante sur la réminiscence d'un dialogue où Shunzo et un jeune chinois se disputaient sur la pastèque ayant le meilleur gout, la japonaise ou la chinoise - la réponse nous en est donc donnée. Un vrai petit bijou qui appelle l'individu à toujours surmonter le clivage des nations (détail amusant au vu du gouvernement japonais actuel dans le déni de son passé belliqueux, Shunzo pour obtenir un logement à ses amis chinois raillera le propriétaire en lui disant qu'il a à se faire pardonner car son grand-père à probablement tué beaucoup de chinois durant la guerre). 5,5/6
Image
perso / senscritique.com/-Kaonashi- / Letterboxd
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
Messages : 25906
Inscription : 15 avr. 03, 14:22
Localisation : Forêt d'Orléans

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Ouf Je Respire »

Merci pour ce topic, car il me fait découvrir un cinéaste que je ne connaissais ni d'Adam, ni d'Eve. Ca, c'est l'esprit Classik! 8)
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

Oui bonne idée de réunir tout ici, c'était éclaté sur le topic ciné asiatique, après je ne pensais pas au départ en regarder autant d'un seul coup :shock: :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

The Aimed School (1981)

Image

Yuka, une lycéenne qui mène une vie paisible avec son ami Koji se découvre un pouvoir. Son existence et celles de ses camarades se voit alors bouleversée par l'arrivée d'une nouvelle élève, Takasawa. Après les élections des délégués de classe, cette dernière décide de changer les mœurs...


Avec House (1977), Nobuhiko Obayashi avait brillamment intégré les expérimentations de ses premiers travaux (courts-métrages, films publicitaires) à un tout inclassable où s'entremêlaient le film de maison hanté, la comédie nonsensique et le shojo adolescent. Nourri de ses essais précédents au format court, House fonctionnait à la fois selon la logique du rêve en fonctionnant sur une suite de "moments" extravagants qui trouvaient néanmoins une cohérence thématique qui seraient plus lisible dans les travaux suivants du réalisateur. The Aimed School se situe à mi-chemin des écarts de House et des grands récits fantastiques féminins à venir comme le cycle Onomoshi (I are you, You am me (1982), The Little Girl Who Conquered Time (1983), Lonelyheart (1985) et Chizuko's Younger Sister (1991)). L'histoire nous plonge dans un lycée comme tant d'autres, partagé entre l'exigence des résultats et la volonté de laisser s'épanouir. La jeune Yuka (Hiroko Yakushimaru), brillante et sociale élève représente ces deux extrêmes avec son ami Kohji (Ryôichi Takayanagi) sportif adepte du kendo mais plus laborieux dans ses résultats scolaires. Obayashi s'amuse de ces deux facettes, nous plongeant avec délices dans toutes les spécificités lycéennes japonaises comme les clubs (superbe scène de rentrée où tous se donnent en spectacle), se jouant de toutes les facéties des élèves comme débarquer en cours en roller. En toile de fond règne cependant une certaine angoisse à la fois universelle mais aussi spécifique au contexte scolaire japonais (et asiatique si l'on étend). La même tension règne dans le corps enseignant entre le professeur de sport soucieux du bien-être des élèves et le directeur soucieux d'améliorer la côte de son établissement. C'est donc un va et vient où sous les rires la pression parentale (plus attachée à la comparaison aux résultats de l'élève du voisin que de la vraie réussite de l'enfant) s'exerce notamment pour Kohji, mais que l'insouciance et l'amorce de romance avec Yuka estompe tel ce moment où elle lui donne des cours en subterfuge pour aller à ses entraînements de kendo.

Le surnaturel intervient pour manifester de façon dramatique cette dualité, notamment lorsque Yuka se découvre des pouvoirs télékinésiquess. Un mystérieux individu extraterrestre va alors l'aborder pour qu'elle se range à ses côtés et use de son don pour dominer les autres. C'est une manière symbolique pour l'héroïne de se ranger du côté de la norme du dominant, se singulariser et sortir du rang étant une manière d'être mis à la marge dans la société japonaise. Devant le refus de Yuka, une nouvelle élève, Takasawa (Masami Hasegawa) va endosser le rôle et ôter toute joie futile au quotidien des élèves pour en faire des automates soumis. Le film est adapté du roman de l'auteur de science-fiction japonais Taku Mayumura (qui sera adapté une seconde fois en 1998 et en série d'animation en 2012 avec Psychic School Wars) et ce socle narratif solide rend le film plus simple à suivre que House tout en déployant la même furie visuelle. Tout cela reste cependant toujours parfaitement cohérent dramatiquement, notamment le jeu sur la gamme chromatique où le noir et blanc s'insère dans la couleur et inversement selon qu'on se situe dans le monde intérieur de Yuka ou la réalité, ou lorsque l'on bascule du quotidien lycéen radieux au totalitarisme scolaire. Les effets de collages et de matte-painting déploient un arrière-plan inquiétant qui s'impose à l'environnement lycéen et urbain pour adopter le pont de vue anxieux des lycéens, la fameuse crainte de sortir du rang et être jugés par les autres s'exprime par la manifestation des pouvoirs d'une Takazawa à la présence glaciale. Obayashi use d'effet à la fois enfantin et angoissant avec ces éclats de lumière dans le regard, cette aura qui en émane et vous écrase pour ôter tout libre-arbitre. A l'inverse les pouvoirs de Yuka ne se révèlent bien souvent que malgré elle, poussée dans ses retranchements et désireuse d'aider l'autre, jamais dans une logique d'assujettir l'autre. La charismatique Hiroko Yakushimaru dégage ainsi un sentiment de douceur et de bienveillance innée sans jamais tomber dans la niaiserie, confirmant le talent exprimé dans ses rôles chez Shiji Somai comme Sailor Suit and Machine Gun (1981) et Tonda Couple (1980).

La dernière partie est l'occasion de plonger de plain-pied dans la démesure pour Obayashi avec nombre de scènes folle. Un affrontement onirique dans les rêves, une traversée de miroir, duels télékinésiques grandiloquent. Les effets visuels usent de toute la palette d'incrustations, décors pop bariolés et maquillages inquiétants pour exprimer la bascule dans une autre dimension. Une nouvelle fois malgré le kitsch et la cacophonie visuelle, tout est parfaitement cohérent sur le fond et exprime un thème qui courre tout au long de la filmographie d'Obayashi, le combat entre le totalitarisme, la tyrannie, et l'innocence juvénile que l'on se doit de conserver. C'est un sujet tenant à cœur à Obayashi qui vécut dans sa petite enfance les horreurs de la guerre car vivant dans la région d'Hiroshima. Il n'est donc pas étonnant de voir les lycéens lobotomisés et formant désormais une milice de bon comportement arborer l'uniforme de l'armée impériale japonaise durant la Deuxième Guerre Mondiale, tandis que leurs visages zombifiés reprennent le folklore esthétique du fantôme nippon. Alors bien sûr il faut suivre ce déluge d'images et d'informations dans la frénésie du récit, mais tout cela sera présent sous une forme plus épurée et accessible dans les films suivants comme Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast (1986) et Bejin Wartemelon (1989) pour le message pacifiste et d'entraide, ou Chizuko's Younger Sister pour le questionnement adolescent. Là on savourera tout d'abord un spectacle aussi charmant que furieux dont la superbe conclusion (Yuka renonçant à son pouvoir et laissant le destin s'accomplir) est une belle leçon dans ce que cherche à nous dire Obayashi. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

The Discarnates (1988)

Image

Harada est un scénariste dont le travail rencontre un franc succès. Son meilleur ami lui d'annonce alors qu'il a l'intention de fréquenter son ex-épouse. Harada supporte mal cette annonce. Tandis qu'il est en repérage pour l'un de ses scénarios, il retourne dans sa ville natale. Il assiste à un spectacle et croise dans le public un homme qui ressemble trait pour trait à son père, décédé trente ans plus tôt dans un accident avec sa mère. Ce dernier l'invite chez lui. Une fois chez l'homme (son père), il y fait la connaissance de sa propre mère...

Sous sa forme la plus extravagante comme dans House (1977), la plus épurée et poignante pour The Deserted City (1984) ou le plus à fleur de peau avec Chizuko's Younger Sister (1991), les thèmes du poids du passé, de la nostalgie et des fantômes qui nous hantent sont au cœur de la filmographie de Nobuhiko Obayashi. Plus il avance dans son œuvre, plus les excès de l'inaugural House se distille avec davantage de finesse et de sensibilité à l'image de The Discarnates. Il s'agit d'une adaptation du roman Présences d'un été de Taichi Yamada (publié en France aux édition Picquier) où Obayashi, une fois n'est pas coutume durant cette période des 80's, a pour protagoniste un adulte quarantenaire. Il s'agit d'Harada (Morio Kazama) scénariste à succès mais homme peu avenant. Bourreau de travail, il s'est consacré à sa carrière au point d'être fraîchement divorcé de son fait et il vit désormais seul dans une résidence tokyoïte dont il est le seul locataire. L'isolement symbolique rejoint la solitude concrète et recherchée par Harada dont la nature antipathique nous apparaît d'autant plus quand il rejette la compagnie de Kei (Yûko Natori), sa jolie et manifestement dépressive voisine qui cherchait à nouer contact avec lui. Mais bien sûr cette misanthropie vient d’une douleur passée plus profonde à laquelle des évènements extraordinaires vont obliger le héros à se confronter.

ImageImage

En repérage dans le métro pour un futur scénario, Harada se perd et bascule dans le quartier d'Asakusa où il n'avait pas mis les pieds depuis ses douze. Son monologue en voix-off nous avertit aussi que c'est à cette période dont il se souvient avoir pleuré pour la dernière fois, affirmation d'une capacité d'émotion dont il est aujourd'hui incapable. Il va dans ce qui semble une temporalité parallèle recroiser son père jeune, qui va l'inviter dîner avec sa mère dans l'ancienne demeure familiale. Les séquences "réelles" et contemporaine arborent une imagerie grise, terne et impersonnelle à la manière froide dont Harada traverse sa vie quand la photo de Yoshitaka Sakamoto baigne dans des teintes chaleureuses et colorées à chaque fois qu'il retrouve ses parents dans ce monde parallèle. La promiscuité et la modestie de l'ancien appartement crée un cocon bienveillant où Harada se déride et s'émerveille de la présence de ses parents qu'on devine décédés en réalité. Obayashi se déleste de tout onirisme dans ces moments pour façonner des moments de vie où la bonhomie du père (Tsurutarô Kataoka) et la gentillesse de la mère (Kumiko Akiyoshi) sont palpable, comme une véritable recréation d'un passé heureux et oublié. A l'inverse le présent semble de plus en plus abstrait à travers la romance que va nouer Harada avec sa voisine, le vide de la résidence, les douloureux secrets que semble garder Kei et leurs rencontres et étreintes essentiellement nocturnes.

ImageImage

On devine peu à peu que Harada a trouvé une sorte d'interstice entre le monde des vivants et des morts, l'un qu'il accepte comme tel avec ses parents et un autre plus ambigu avec Kei mais qui de toutes les manières le rend plus heureux que ces interactions avec la réalité. Obayashi déploie une atmosphère envoûtante, tour à tour bienveillante ou inquiétante mais toujours au diapason des émotions de son héros. On a ainsi l'étrangeté du songe lors de moments surréalistes où Obayashi introduit puis désamorce une tension sexuelle quand la mère d'Harada le déshabille pour le mettre à l'aise par cette chaleur, la gêne d'Harada paraissant incongrue face à cette mère le traitant encore tel que le garçon de douze ans qu'elle a laissé. Cela amène dans le film de vraies discussions existentielles et une remise en question pour Harada face à des parents bien conscient de faire face à un adulte. Par extension ces réflexions se répercute sur le spectateur imaginant les échanges possibles avec des proches disparus s'il avait l'occasion de les retrouver momentanément. Harada imagine ainsi qu'il aurait pu devenir un homme meilleur que celui hautain et distant qu'il est désormais s'il n'avait pas perdu ses parents si jeunes. Toutes les scènes familiales se teintent d'ailleurs d'une candeur et innocence qu'il a perdue et cherche à retrouver.

ImageImage

Cependant ce bonheur à un prix et à chaque retour au réel, le visage d'Harada se fait plus spectral et putride quand il s'observe dans un miroir, comme si l'au-delà cherchait à l'aspirer définitivement. Le deuil qu'il a prématurément dû faire enfant, il devra donc l'accepter de le faire adulte ce qui nous occasionnera une scène d'adieu absolument bouleversante. Morio Kazama livre une performance bouleversante tandis qu'Obayashi filme dans un onirisme retenu et poétique les morts s'estomper délicatement de la perception d'Harada. Il fait face et surmonte là ses maux d'enfant, mais il lui reste également à se faire pardonner ses erreurs d'adultes avec le personnage de Kei. Là Obayashi exécute un pur récit de fantôme gothique dans un environnement urbain, sans la luxuriance et la fantaisie de House mais plutôt dans un élan baroque, étouffant et tourmenté. Harada désormais exsangue se doit de se relever et tout reconstruire, renouer les liens avec ses proches bien vivant dans un réel tangible. Tout en ayant un protagoniste adulte, le passif de celui-ci l'inscrit pleinement dans les récits d'apprentissage de ces œuvres adolescentes, mais avec la gravité et le sentiment du temps qui passe de ses films les plus matures d'alors comme le magnifique The Deserted City - l'union parfaite entre ces deux penchants viendra avec Chizuko's Younger Sister. The Discarnates est en tout cas un de ses films les plus touchants et habités, le crescendo émotionnel de la dernière demi-heure étant là pour en témoigner. 5/6

ImageImageImage
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

Sada (1998)

Image

Le film conte l'histoire de la geisha Sada Abe.

La figure d’Abe Sada et du faits divers passionnel qui l’impliqua est désormais inscrit dans l’inconscient collectif japonais, et en partie mondial par le succès du sulfureux L’Empire des sens de Nagisa Oshima (1976) qui popularisa le récit chez les occidentaux. La démarche du film d’Oshima était transgressive dans sa volonté de relater les faits en brisant des tabous socio-culturels japonais avec ces scènes de sexe non simulées, le filmage frontal des parties génitales des acteurs. Il s’agissait de prolonger par la démarche formelle la provocation même d’une Abe Sada allée au bout de son désir et d’un amour passionnel. Contemporain du film d’Oshima, La Véritable Histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka (1975) tout en s’inscrivant dans le genre commercial et racoleur du Roman Porno proposait une approche différente et tout aussi captivante. L’arrière-plan totalitaire du Japon des années 30 n’offrait comme refuge à Sada et son amant que cette passion amoureuse et sexuelle, dans un climat suffocant où planait une irrépressible pulsion de mort. Où aller après ces deux impressionnantes propositions ? Tout simplement remonter plus loin que le fait divers, à la femme Abe Sada et aux évènements qui l’ont conduit à cette destinée.

ImageImage

Un pan du cinéma japonais des années 90 semble comme entrer dans une démarche réflexive, référentielle et méta sur son patrimoine culturel mythes populaires. On le constate notamment dans la manière dont sont revisités les écrits d’Edogawa Ranpo au cinéma, n’adaptant pas simplement les romans mais en les fondants dans ensemble évocateur jouant davantage de la connaissance, de l’idée que s’en fait le spectateur afin de créer une connivence avec lui. Une approche qui déteint sur les expérimentations formelles, le mélange des genres et les niveaux de réalité des récits s’affirmant explicitement comme des relectures/réinterprétations dans des œuvres comme The Mystery of Rampo (1994) ou Murder on D Street (1998). Nobuhiko Obayashi semble creuser le même sillon dans Sada où nous sommes invités en ouverture par Takiguchi (Kyūsaku Shimada) brisant le quatrième mur et s’adressant au spectateur pour nous dire que nous allons assister à l’histoire d’un femme nommée Sada puis de se diriger vers une salle de cinéma où trône une affiche imaginaire du film dans le style esthétique de l’époque. L’histoire démarre alors, narrée par Sada (Hitomi Kuroki) elle-même. Cette volonté de réinvention s’exprime là d’emblée par la nature même de ce « Monsieur Loyal » Takiguchi. Il est en fait le pendant du bien moins sympathique Matasake, proche de la famille Sada qui sera son amant et intermédiaire entre les maisons de geisha où elle officiera, la plaçant sous son emprise en l’endettant. Obayashi suit de manière chronologique et fidèle les péripéties réelles de la vie de Sada, mais en changeant les noms des protagonistes, en en inventant certains et donnant une autre perspective à certains évènements par le prisme du « regard » de notre héroïne libre de nous conter « son » histoire. Que l’on ait une connaissance approfondie des faits (on recommande la lecture du livre de Stéphane du Mesnildot riche dans sa perspective biographique, sociale et historique) ou pas, l’esthétique tout en artifice d’Obayashi est là pour nous signifier sa nature de libre interprétation : passage du noir et blanc à la couleur constant, faux-raccords volontaires, matte-painting, théâtralité des décors essentiellement en studio.

ImageImage

Obayashi se montre déférent et compatissant au « mythe », tout en la fondant pleinement à son univers. Loin de l’austérité de la vision d’Oshima ou de la claustrophobie anxiogène de celle de Tanaka, on se surprendra presque à être emporté par la nature joyeuse et romanesque qu’amène Obayashi dans son traitement. Sada est dans un contexte passé plus oppressant le prolongement des adolescentes rêveuses en quête d’elle-même et d’amour de ses grands films des années 80 (I Are You, You Am Me (1982), The Little Girl Who Conquered Time (1983), Chizuko's Younger Sister (1991)…). Le réalisateur confronte les différentes images, subies, endossée puis assumée par Sada tout au long de son existence. Lors de la scène où elle est violée à 14 ans par un étudiant t, elle apparaît comme innocente et vulnérable tandis que son agresseur refuse de la croire vierge et relaie l’opinion des autres garçons à son sujet. C’est la fin de l’enfance et le saignement abondant qui suit ce traumatisme fait office de mue pour la jeune fille qui n’en perd pas pour autant ses espérances romantiques. Okada (Kippei Shiina), le garçon qui la soignera après le drame représente l’idéal amoureux par sa gentillesse et prévenance. Okada est l’incarnation inaccessible d’un amour pur, une sorte de matérialisation réelle ou imaginaire d’une peur de l’abandon et de la solitude de Sada, à ne pas être vraiment aimée après sa « souillure ». Obayashi joue sur deux tableaux, l’ambiguïté sur sa vraie existence dans le récit (dont il disparait car il doit s’exiler car souffrant de la lèpre) où sa présence semble factice, et celle de son existence dans la vie réelle de Sada puisque le personnage semble avoir été inventé pour le film.

ImageImage

Inapte aux amours classiques et subissant le désir des hommes, Sada décide donc d’assumer ce chemin en devenant geisha. Sada devient la tentatrice que son premier agresseur a cru voir en elle, et soumets ses nombreux clients à son expertise érotique, de manière détachée et sans jamais goûter au plaisir elle-même. Lors d’une des meilleurs séquences, Takiguchi caché dans un placard observe Sada mettre ses talents et sa sensualité au service de plusieurs client. Il devient spectateur et équivalent de toutes les projections fantasmatiques misogynes faites sur Sada après l’affaire, Obayashi faisant de son point de vue une image de pellicule qui saute tandis que Sada chevauche un client en extase. D’un autre côté, les amours idéalisées et abstraites imaginées par Sada avec Okada ne sont plus possibles. Sada adulte et femme a désormais besoin de l’étreinte d’un homme, et même lorsqu’un client bienfaiteur comme Tachibana (Bengaru) - pendant de fiction de Omiya, professeur d’âge mûr qui s’enticha de Sada - souhaite la sortir de l’ornière, ses piètres qualités d’amant sont un frein.

ImageImage

C’est en officiant en tant que servante dans un restaurant qu’elle trouvera en Tatsuzo (Tsurutarō Kataoka tout en bonhomie), patron des lieux, l’homme qui la comblera. Obayashi met soudain en œuvre un érotisme, une sensualité reposant sur l’attente. Tatsuzo observe, badine, flirte et frôle une Sada accoutumée à subir physiquement le désir des hommes et tombe là sur celui cherche d’abord à la séduire. Malgré les nombreuses scènes de sexe qui ont précédées, la véritable teneur charnelle du récit se manifeste à cet instant-là, quand les deux âmes sœurs se croisent enfin. L’espace se restreint progressivement aux quatre murs d’une auberge, l’extérieur s’estompe et les corps s’entrelacent jusqu’à l’épuisement. Les expériences douloureuses, la découverte des vraies vertus de l’amour physique avec un être que l’on aime ont rendu Sada addict et toutes brèves séparations est une torture. Les perspective économiques et sociales d’une vie à deux étant absentes, chaque étreinte doit être plus intense, une danse au bord du précipice. Obayashi saisit cette passion avec fièvre et emphase par la grâce de l’incandescente prestation de Hitomi Kuroki (déjà stupéfiante sur ce registre passionné l’année précédente dans Lost Paradise de Yoshimitsu Morita (1997)) et d’idées formelles constantes - magnifique plan d’ensemble en ombre chinoise derrière un paravent. Tsurutarō Kataoka n’est pas en reste et bouleverse sans un mot lorsqu’il consent à poursuivre les périlleux jeux érotiques dont il comprend qu’ils lui seront fatals. Leur romance n’a pas d’avenir, autant la consumer jusqu’au bout.

Par le cheminement entre fiction et biographie qu’il offre à sa Sada, par l’écrin luxuriant et rêveur qu’il lui conçoit, Nobuhiko Obayashi signe la version la plus touchante (et drôle par ces élans burlesques inattendus) de l’histoire. Il nous aura fait découvrir la femme Sada derrière l’amante, la geisha, l’accusée, et peut alors la laisser s’évaporer pour redevenir une projection imaginaire qui hante encore l’inconscient collectif japonais. 5,5/6

Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

Le petit up pour rappeler que House est sorti en salle en France depuis mercredi !
Avatar de l’utilisateur
Shin Cyberlapinou
Assistant opérateur
Messages : 2202
Inscription : 1 févr. 09, 09:51

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Shin Cyberlapinou »

Découvert en DVD Criterion il y a quelques années, revu il y a une semaine, c'est à faire ! Je me suis demandé si Sam Raimi avait vu le film dans sa jeunesse (plus pour l'énergie débridée que pour le style visuel) mais le redecouverte hors Japon ne s'est faite qu'il y a une dizaine d'années.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18522
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Obayashi Nobuhiko (1938-2020)

Message par Profondo Rosso »

Profondo Rosso a écrit : 12 août 22, 03:33 The Discarnates (1988)

Image
Spoiler (cliquez pour afficher)
Harada est un scénariste dont le travail rencontre un franc succès. Son meilleur ami lui d'annonce alors qu'il a l'intention de fréquenter son ex-épouse. Harada supporte mal cette annonce. Tandis qu'il est en repérage pour l'un de ses scénarios, il retourne dans sa ville natale. Il assiste à un spectacle et croise dans le public un homme qui ressemble trait pour trait à son père, décédé trente ans plus tôt dans un accident avec sa mère. Ce dernier l'invite chez lui. Une fois chez l'homme (son père), il y fait la connaissance de sa propre mère...

Sous sa forme la plus extravagante comme dans House (1977), la plus épurée et poignante pour The Deserted City (1984) ou le plus à fleur de peau avec Chizuko's Younger Sister (1991), les thèmes du poids du passé, de la nostalgie et des fantômes qui nous hantent sont au cœur de la filmographie de Nobuhiko Obayashi. Plus il avance dans son œuvre, plus les excès de l'inaugural House se distille avec davantage de finesse et de sensibilité à l'image de The Discarnates. Il s'agit d'une adaptation du roman Présences d'un été de Taichi Yamada (publié en France aux édition Picquier) où Obayashi, une fois n'est pas coutume durant cette période des 80's, a pour protagoniste un adulte quarantenaire. Il s'agit d'Harada (Morio Kazama) scénariste à succès mais homme peu avenant. Bourreau de travail, il s'est consacré à sa carrière au point d'être fraîchement divorcé de son fait et il vit désormais seul dans une résidence tokyoïte dont il est le seul locataire. L'isolement symbolique rejoint la solitude concrète et recherchée par Harada dont la nature antipathique nous apparaît d'autant plus quand il rejette la compagnie de Kei (Yûko Natori), sa jolie et manifestement dépressive voisine qui cherchait à nouer contact avec lui. Mais bien sûr cette misanthropie vient d’une douleur passée plus profonde à laquelle des évènements extraordinaires vont obliger le héros à se confronter.

ImageImage

En repérage dans le métro pour un futur scénario, Harada se perd et bascule dans le quartier d'Asakusa où il n'avait pas mis les pieds depuis ses douze. Son monologue en voix-off nous avertit aussi que c'est à cette période dont il se souvient avoir pleuré pour la dernière fois, affirmation d'une capacité d'émotion dont il est aujourd'hui incapable. Il va dans ce qui semble une temporalité parallèle recroiser son père jeune, qui va l'inviter dîner avec sa mère dans l'ancienne demeure familiale. Les séquences "réelles" et contemporaine arborent une imagerie grise, terne et impersonnelle à la manière froide dont Harada traverse sa vie quand la photo de Yoshitaka Sakamoto baigne dans des teintes chaleureuses et colorées à chaque fois qu'il retrouve ses parents dans ce monde parallèle. La promiscuité et la modestie de l'ancien appartement crée un cocon bienveillant où Harada se déride et s'émerveille de la présence de ses parents qu'on devine décédés en réalité. Obayashi se déleste de tout onirisme dans ces moments pour façonner des moments de vie où la bonhomie du père (Tsurutarô Kataoka) et la gentillesse de la mère (Kumiko Akiyoshi) sont palpable, comme une véritable recréation d'un passé heureux et oublié. A l'inverse le présent semble de plus en plus abstrait à travers la romance que va nouer Harada avec sa voisine, le vide de la résidence, les douloureux secrets que semble garder Kei et leurs rencontres et étreintes essentiellement nocturnes.

ImageImage

On devine peu à peu que Harada a trouvé une sorte d'interstice entre le monde des vivants et des morts, l'un qu'il accepte comme tel avec ses parents et un autre plus ambigu avec Kei mais qui de toutes les manières le rend plus heureux que ces interactions avec la réalité. Obayashi déploie une atmosphère envoûtante, tour à tour bienveillante ou inquiétante mais toujours au diapason des émotions de son héros. On a ainsi l'étrangeté du songe lors de moments surréalistes où Obayashi introduit puis désamorce une tension sexuelle quand la mère d'Harada le déshabille pour le mettre à l'aise par cette chaleur, la gêne d'Harada paraissant incongrue face à cette mère le traitant encore tel que le garçon de douze ans qu'elle a laissé. Cela amène dans le film de vraies discussions existentielles et une remise en question pour Harada face à des parents bien conscient de faire face à un adulte. Par extension ces réflexions se répercute sur le spectateur imaginant les échanges possibles avec des proches disparus s'il avait l'occasion de les retrouver momentanément. Harada imagine ainsi qu'il aurait pu devenir un homme meilleur que celui hautain et distant qu'il est désormais s'il n'avait pas perdu ses parents si jeunes. Toutes les scènes familiales se teintent d'ailleurs d'une candeur et innocence qu'il a perdue et cherche à retrouver.

ImageImage

Cependant ce bonheur à un prix et à chaque retour au réel, le visage d'Harada se fait plus spectral et putride quand il s'observe dans un miroir, comme si l'au-delà cherchait à l'aspirer définitivement. Le deuil qu'il a prématurément dû faire enfant, il devra donc l'accepter de le faire adulte ce qui nous occasionnera une scène d'adieu absolument bouleversante. Morio Kazama livre une performance bouleversante tandis qu'Obayashi filme dans un onirisme retenu et poétique les morts s'estomper délicatement de la perception d'Harada. Il fait face et surmonte là ses maux d'enfant, mais il lui reste également à se faire pardonner ses erreurs d'adultes avec le personnage de Kei. Là Obayashi exécute un pur récit de fantôme gothique dans un environnement urbain, sans la luxuriance et la fantaisie de House mais plutôt dans un élan baroque, étouffant et tourmenté. Harada désormais exsangue se doit de se relever et tout reconstruire, renouer les liens avec ses proches bien vivant dans un réel tangible. Tout en ayant un protagoniste adulte, le passif de celui-ci l'inscrit pleinement dans les récits d'apprentissage de ces œuvres adolescentes, mais avec la gravité et le sentiment du temps qui passe de ses films les plus matures d'alors comme le magnifique The Deserted City - l'union parfaite entre ces deux penchants viendra avec Chizuko's Younger Sister. The Discarnates est en tout cas un de ses films les plus touchants et habités, le crescendo émotionnel de la dernière demi-heure étant là pour en témoigner. 5/6

ImageImageImage
Pour un info le magnifique Sans jamais nous connaitre de Andrew Haigh en salle en ce moment est adapté du même bouquin (Présences d'un été" de Taichi Yamada) que le film d'Obayashi !
Répondre