
C'est lorsque, peu de temps après, Jongsoo et Haemi font l'amour dans la chambre vétuste et encombrée de la jeune femme que s'opère , de manière décisive un changement formel à peine perceptible et pourtant décisif quant à l'esthétique posée.
Le rapport sexuel, tout de naturalisme dévêtu, trouve soudainement à se décadrer, Jongsoo, filmé de face, en gros plan, se mettant à regarder devant lui quelque chose qu'un contrechamp nous révèle comme étant le mur qu'un mystérieux rayon de soleil irise (on aura appris plus tôt qu'une tour de Séoul réfléchit les rayons du soleil, à une certaine heure de la journée).
Cette irruption tranquille d'une très discrète fantasmagorie, qui ne nous quittera plus, paraphe le projet plastique de l'œuvre.
Et c'est la grande force du film que de laisser la douceur pénétrante d'un regard de cinéaste servir de mortier aux images les plus triviales d'un quotidien atterrant (le film ne nous laisse jamais à l'écart d'une certaine réalité économique).
Tout comme c'est le grand mérite du réalisateur que de nous captiver pendant 2h30 avec une myriade de riens qu'électrise une tension sourde portée par un blues minimaliste et percussif du compositeur Mowg.
La noirceur de l'œuvre, raccord avec l'air du temps reconnaissons-le, s'en trouve allégée sans pour autant nous être soustraite.
Je remercie Thaddeus d'avoir instillé en moi, dans sa synthétique mais précise notule sur Burning, l'idée de la contamination du réel par l'imaginaire (et l'imagination) de Jongsoo, qui est écrivain féru de William Faulkner (que Burning adapte en partie même si c'est Les Granges brûlées, de Murakami, que le générique annonce).
Ce jeune chômeur à l'air ahuri est en réalité un manieur de mots.
Il n'est donc pas interdit de ne pas tout prendre pour argent comptant dans ce qui survient même si un fort sentiment de réel nous arrime au récit.
La grande beauté du film provient de cette convergence délicate, presque en apesanteur, des entorses à la logique (où y a-t-il une grange brûlée? c'est quoi cette histoire de puits? Il est où le chat?) et d'une texture miroitante de l'image qui extrait du trivial des motifs exsudant le romanesque (un placard s'ouvrant sur une batterie de coutelas, un tiroir découvrant des bijoux)
C'est cette cohabitation entre âpreté et douceur lancinante de l'imaginaire qui confère à Burning son aura particulièrement hypnotique.
De l'imagination à la folie, il n'y a qu'un pas que Burning s'ingénie à nous faire franchir puisque l'envol tant espéré, l'épanouissement si caressé des êtres se heurte au règne de l'illusion et de l'escamotable, de la chimère et de l'irréconciliable.
Et c'est là, précisément, que Burning s'offre à nous en grand film politique.