Je souscris à l'avis de Demi-Lune sur l'originalité dans le cinéma français, sur l'exercice de style souvent brillant et ultra-référencé, sur le travail visuel qui vire par moments au cinéma expérimental, sur le gros travail de montage et la BO.
J'ai aussi des réserves : jeu (non-jeu) des acteurs, scénario pas assez construit (le Cinéma ce n'est pas que des images, c'est aussi une narration) et qui tourne en rond avec des personnages (l'écrivain) qui sont seulement des alibis aux flash-back, tendance à être trop explicatif là où l'ellipse ou le hors-champ auraient suffit (un exemple, la mort de Bernie Taupin filmé une première fois de façon onirique, puis une seconde avec un autre point de vue très trivial, mais qui tue à mon sens l'intention de départ). Je ne suis pas convaincu par le découpage en tranches horaires (ça casse le rythme).
Mais j'ai passé quand même un excellent moment de cinéma, avec de belles idées : le "déshabillage" à la mitraillette, les travellings avec raccords dans l'axe vers le gros plan à la place d'un habituel champ-contrechamp, le balancement onirique du hamac de Bernie et de ce dont il rêve, certains effets de montage, le générique en négatifs colonisés (si c'est bien ça).
Demi-Lune a écrit :Oui, j'ai trouvé ça franchement remarquable. C'est un nouvel exercice de style qui ne réconciliera en rien les détracteurs avec le duo Cattet & Forzani... mais bon sang, quel exercice de style ! Voir toutes ces notes de merde que le film est en train de se prendre me brise le cœur. Les gars, on a l'impression que vous avez vu un navet ! Le film n'a à ma connaissance aucun équivalent dans le paysage cinématographique français, même s'il porte indiscutablement la marque de ses deux auteurs et procède d'une cinéphilie fétichiste sur un spectre allant de Jean-Luc Godard aux polars avec Alain Delon en passant par Peckinpah (et évidemment le ciné de genre italien). C'est un peu une sublimation pulp de tout un imaginaire contre-nature sur le papier. Le film que j'ai secrètement rêvé de voir depuis des années, comme une excroissance prestige des romans de série noire bon marché. J'ai été sur un petit nuage pendant toute la séance, parce que c'est du Cinéma à l'état pur : le script tient sur un timbre-poste et les acteurs craignent, mais les deux cinéastes transcendent tout ça grâce à leur appétit visuel tout-puissant, leur mise en scène insatiable et virtuose, qui transpire l'amour et le plaisir de filmer ainsi qu'une connaissance encyclopédique, et cependant harmonieusement digérée. Le film ne raconte rien à proprement parler parce que chez ce duo, on travaille la forme de façon quintessentielle (loué soit le chef op' Manu Dacosse!), toujours à la lisière de l'expérimental. Sous les atours du roman de gare, on n'est finalement pas loin d'une installation artistique abstraite et la parenté explicite avec le travail de Nicki de Saint-Phalle dès l'entame fait office de quasi-programme. Il y a une confiance très premier degré dans le pouvoir iconique de l'image qui va au-delà de la simple régurgitation et relecture idéalisée d'un passé cinématographique : le maniérisme du duo est toujours doublé, comme une surcouche, d'une capacité d'invention souvent sidérante qui en font de véritables créateurs sensoriels, sans nuls autres pareils pour moi. Tout ce qui touche au montage (y compris son) dans ce film tient de la leçon ininterrompue, de même que la gestion de l'espace, qui permet à ce siège d'être toujours imprévisible et scotchant. Et toutes ces images oniriques en contre-jour sur fond de Morricone! C'est mémorable. On ne sait absolument pas ce que va nous réserver la suite, putain mais c'est grisant quoi. C'est grisant que le cinéma français puisse accoucher d'un truc pareil. Et on est tellement abreuvé de séquences d'action dénuées de sens dans le cinéma hollywoodien que c'est un véritable lavage des yeux que de voir une telle science de la viscéralité, du découpage, avec des impacts balistiques qui font vraiment trembler, frémir et souffrir. C'est un film d'action et d'attente hors des sentiers battus, je n'ai pas souvenir d'avoir été tendu comme ça sur mon siège depuis un moment.
Bref, je conçois sans mal qu'on n'y voie qu'un exercice de style stérile mais perso, j'ai pris un panard et ai eu tout du long le sentiment de vivre un classique instantané.