Je comprends ce que
Demi-Lune veut dire, et j'adhère en partie
)
Mais dans le fond, je trouve que Spielberg s'en sort pas mal et utilise le classicisme du sujet très intelligemment. Il arrive à le mettre à sa main et prouve un savoir-faire qui s'exprime timidement mais qui en même temps fonctionne bien. Le pont des espions est une œuvre noble et élégante, oscillant entre simplicité et virtuosité. Sans en faire trop dans la grandiloquence, ni même dans la virtuosité technique, le dernier Spielberg mise sur un atout subtile pour séduire : ses capacités d’attraction et de fascination. Le Pont des Espions ne succombe pas à la mode des thrillers hollywoodiens hystériques déballant des scénarios complexes aux enjeux émotionnels et sémantiques inexistants, c’est un film lent au rythme soutenu dans sa linéarité (ce qui pourra d’ailleurs décevoir certains) se focalisant principalement sur ses enjeux. Steven Spielberg se propose ici de mettre son récit en sommeil en interpellant l’intelligence du spectateur autrement que par les mécanique du récit. Son but est de progressivement nous faire adhérer à l’immersion qu’il nous propose à travers la progressive mise au pas des thématiques de son histoire. Dans ce cadre, Steven Spielberg décide de se transformer en « filmeur d’histoire » brillant, déployant tout son talent pour emballer son récit et permettre à son savoir-faire technique de se mettre au service des enjeux suggérés par les idées du scénario.
Dans ce cadre, Spielberg déploie tout son talent de technicien de l’image. Sa mise en scène oscille ici entre le fonctionnel et l’artistique. Les parti-pris de réalisation du réalisateur reposent dans cette perspective sur une intermittence. Le cinéaste américain décide dans un premier temps de déployer ses talents d’esthète de l’image pour chercher à atteindre un sens de la valorisation visuelle d'une vraie classe, léchée, aiguë. N’hésitant d'ailleurs pas à verser dans le symbolisme, ce qui sied à merveille à la mise en valeur des enjeux du film. Chaque image du métrage est composée d’une main de maître, laissant des lumières d’atmosphère symboliques envelopper chaque séquence de dialogue. Sachant dans un second temps bouger sa caméra lorsqu’il le faut, Spielberg gère avec panache au moment des scènes sous tension des plan-séquence à la steady-cam. Offrant alors des choix de mise en valeur différentes servies par une caméra volatile aux mouvements assurés. Choisissant parfois la voie du découpage excessif (en témoigne la séquence d’ouverture, assurément l’une des meilleures du film) le cinéaste américain confirme ici à jamais son éternel savoir-faire quasi-instinctif.
Sans en faire trop dans la virtuosité technique, sachant s’effacer lorsqu’il le faut derrière les scènes de dialogue, mise en place verbeuse du récit oblige (les Coen au script, encore une fois), Steven Spielberg prouve ici son sens du dosage et du panache. Ses parti-pris de mise en scène révèlent un auteur sachant où il va, dosant avec nuance son travail sur la caméra, permettant pleinement aux enjeux de son film de s’exprimer clairement, en symbiose avec une esthétique classe mais dans le fond assez discrète.
Thématiques assez chères à Spielberg, la recherche de l'humanité dans une puissance en crise, en proie à la radicalisation pour protéger ses supposées "valeurs". Le pont des espions est une déclaration d'amour à ce que le droit met trop souvent de côté : l'humanité. Paradoxalement, Spielberg nous montre ici que c'est la denrée garante de l'équilibre de cette institution. Message très sincère (que certains pourront moquer en lui reprochant un patriotisme naïf voire hypocrite). Reste aussi la fascination exercée sur le spectateur du pouvoir tentaculaire de ce vaste théâtre géopolitique sur les protagonistes emberlificotés malgré eux dans ce merdier.
Un film assurant un certain classicisme dans son récit (en témoigne certaine séquences d’intimités assez balisées entre le protagoniste et sa famille). Un classicisme qui s’avère en réalité l’atout majeur du film, cherchant la mise en valeur subtile d’enjeux intéressants plutôt qu’un rythme scénaristique effréné. Potentiellement film mineur. Mais, s’ils existent, les film mineurs révèlent souvent beaucoup plus le talent de leurs auteurs que leurs films monstres dits « majeurs ». Ici, celui d’un cinéaste qui flirte lorsqu’il le souhaite avec la virtuosité. Pour notre plus grand plaisir.