Revu, (place gratuite, j'étais tenté
).
Rétrospectivement, le film a pas mal de qualités et évite certains pièges intelligemment (ça a déjà en partie été très bien expliqué par beaucoup sur le topic)
En fait j'ai trouvé que le film propose une dialectique intéressante entre le rapport distancié à son personnage et le choix de ton. Le film refuse l'empathie, en ne montrant le personnage que sous l'œil de son journal de bord, ce qui ne correspond en réalité qu'à l'image narcissique qu'il veut renvoyer de lui au spectateur, comme s'il se mentait ; à noter d'ailleurs que la caméra de Ridley Scott EST l'écran auquel parle Matt Damon ce qui renforce l'idée de mise en abyme. Il n'y a d'ailleurs pas un seul plan de Matt Damon dans son abris sans un écran dans le cadre. Le travail assez froid sur l'image du film grâce à une photo grisâtre (celle de wolski, un gars assez fade je trouve) renforce une distance par rapport au personnage en épurant beaucoup trop l'atmosphère (ce n'est pas un film intimiste quoi ). Ce qui est intéressant c'est que malgré tout, un lien se crée avec le personnage (on le ressent sincèrement au moment où il frôle la mort). Et ce lien vient du choix de ton : un ton cynique qui se fout du sérieux et de la mort. Le film cherche à créer une sympathie plus qu'une empathie vis à vis du personnage, ce qui marche naturellement. Le cynisme du jeu de Matt Damon le rend tout de suite sympathique. Matt Damon est un personnage humain qui se met en scène, comme tout être humain cynique, ne cherchant plus un sens dans la vie mais simplement la survie et le côté magnifique de la découverte de l'inconnu. Ce qui est subtil dans le film, c'est que l'émotion est bien présente mais retenue. C'est assez nouveau je trouve dans le film de science fiction qui traite de sujets graves voire existentiels (pour le coup le sujet grave du film ici, c'est la survie). Le film passe au final par toutes les palettes d'émotions sans passer par le procédé de l'empathie, ce qui est un travail de cinéma intéressant je trouve. Malgré la distanciation, le réalisateur a un regard sur son personnage tout en faisant attendre la tension et en jouant avec quand elle arrive, tout en s'en moquant (très bien dit dans le premier message de
Colqhoun) en sachant la doser quand il le souhaite avec panache (scène finale dans l'espace). Dans ses intentions, le film est maitrisé et dosé au niveau de l'action scénaristique. Un film narratif classique capable de varier les registres. Seul sur Mars n'est pas un drame mais un blockbuster hollywoodien qui retourne le sérieux du genre contre lui-même sans le renier formellement (il simule le réalisme (validé par la communauté scientifique il me semble) et sait créer de l'émotion sérieuse quand il le faut), ce qui en soi renouvelle la science fiction sans la révolutionner. Le film peut se résumer dans la phrase de Matt Damon quand il dit "dans ta face Neil Armstrong" : il se moque de celui qui a dit : "un petit pas pour l'homme, un grand pour l'humanité" parce que tout ce qui intéresse Damon c'est sa survie égoïste décomplexée et sympa, pas la quête existentielle (très bien analysé par un article des inrocks). En clair ce n'est pas un film qui cherche la vérité de l'humanité ou la morale ni même la vertu, c'est un film explicitement et volontairement immoral et cynique qui rend le monde dérisoire en cherchant "Le Beau" au sens platonique : la beauté et le goût de l'inconnu.
Niveau mise en scène c'est assez fonctionnel (il a juste envie de déballer son récit sans chercher à travailler les symboliques des images et abandonne certains gimmicks très personnels) mais dans le fond, techniquement très bien troussé finalement. Filmer Mars relevait du défi (on ne sait toujours pas à quoi ressemble réellement la planète en soi) et il s'en est très bien sorti je trouve. Filmer des panoramas terrestres est de base assez dur, et en plus les adapter pour en faire le paysage d'une autre planète n'est pas facile. Il a ici décidé de filmer un désert terrestre plutôt en hauteur, mais en gardant une certaine mesure dans ses plans larges, (pour le coup pas dans ses plongées totales, en plans aériens, magnifiques). Grâce au effets numériques, (dans ses plans larges) un travail sur les proportions des rochers les rendent énormes et grâce un usage très intelligent des très larges focales, Scott arrive très bien à mettre le personnage en rapport avec l'environnement avec lequel il va devoir composer. Les images sonnent très justes, la reconstitution de la planète est assez bluffante, elle renvoie vraiment l'image d'un paysage terrestre jamais vu, d'autant que l'usage de filtres n'est pas excessif, ce qui confère au tout un vrai réalisme. Il y a aussi un usage très expert du son et des effets sonores au moment des scènes de tension (une spécialité de Scott depuis toujours), notamment celle où Damon rencontre des problèmes avec la pression de son abris. Le son de la pression devient à ce moment un personnage en soi, assaillant et menaçant le personnage autant que le spectateur. Usage intelligent aussi de la lumière et des décors au moments de certaines scènes, aidés par un montage dynamique (effectué surement par Scott lui même devant ses tas d'écran de ses tas de caméras présentes sur le plateau) conférant une efficacité visuelle à ses séquences. Une 3D immersive bien foutue et maitrisée aussi (le film n'a pas bénéficié d'un traitement post-3D).
Au final, un bon divertissement maitrisé, techniquement bien troussé, sans vrai défaut formel (l’absence de suspens est un choix assumé, comme expliqué par
Colqhoun), de la science fiction originale mais un Ridley Scott moyen (absence de thèmes et réflexions fétiches notamment la peur du futur, et abandon de ses ambitions visuelles et philosophiques démesurées, qui malgré ses derniers films un peu bancals lui allait plutôt bien je trouve).