Notez les films d'aujourd'hui

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Les Virtuoses de Mark Herman (1996)

Image

Au milieu des années 1990, dans le petit village de Grimley, dans le nord de l'Angleterre, des mineurs et leurs familles se battent contre la fermeture de leur mine dans le cadre du programme national de fermeture des houillères au Royaume-Uni. Parmi eux, un brass band qui manque d'espoir, conduit par Danny (Pete Postlethwaite). Ils sont partagés entre leur amour de la musique et leur espoir de participer à la finale du championnat national des brass bands, et la perspective de perdre leur travail et de voir leur communauté se disloquer.

Les Virtuoses s'inscrit avec The Full Monty dans ce courant de comédies douces-amères anglaise où un argument ludique et original permettait d'introduire un constat social fort quant au monde ouvrier anglais. Les deux films évoquent la situation alors sinistrée de deux industries anglaises sur le déclin -dont le cœur se situe au nord de l'Angleterre-, la métallurgie pour The Full Monty et minière dans Les Virtuoses. Le film est vindicatif envers la politique austère du Parti Conservateur pratiquée en Angleterre depuis l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 et poursuivie par John Major au moment de sa sortie en salle. Il se situe ainsi dans un ras de bol général qui contribuera à l'élection de Tony Blair en 1997. Le film s'inspire en partie de faits réels soit la vraie histoire du Grimethorpe Colliery Band, brass band de mineur au début des années 90 - et qui jouent d'ailleurs sur les séquences musicales du film.

Le contexte de l'histoire illustre en quelque la suite une décennie plus tard des révoltes minières violentes de 1984 où les ouvriers au prix de grands sacrifices avaient réussis à préserver leur industrie. La mine de Grimley se trouve de nouveau menacée de fermeture et les protagonistes, désormais usés (financièrement comme physiquement) par les luttes passées hésitent entre accepter la généreuse (et temporaire) prime de licenciement ou poursuivre le combat. Seul éclaircie dans cet environnement sinistre, la fanfare de l'usine menée par le patriarche Danny (Pete Postlethwaite) et le rêve d'accéder à la final du championnat national des brass band se déroulant dans la prestigieuse salle du Royal Albert Hall. Le récit tisse un portrait vrai et attachant d'un groupe de personnage au bord du gouffre moralement, financièrement comme psychiquement. Stephen Tompkinson livre notamment une magnifique prestation en clown triste constamment au bord de la rupture, Pete Postlethwaite est tout aussi poignant en vieux roc agrippé au groupe en ultime objectif, et également Ewan McGregor en jeune aux abois. L'humour et l'habile répétition de situations (ce père de famille croisant tous les jours sa femme allant militer pour le maintien de l'usine quand lui n'en a plus la force) dessinent cet arrière-plan sinistre que seul les séquences musicales viennent enluminer. Celles-ci ne sont pas si nombreuses et pas toujours filmées avec inventivité par Mark Herman. Il réserve l'emphase de ces passages pour les moments clés et on retiendra la magnifique scène qui introduit Gloria (Tara Fitzgerald) à la trompette, moment prodigieux qui nous envoute par la magie du Concerto d'Aranjuez de Joaquin Rodrigo et la communion captée du brass band. L'autre grand moment tient plus à l'émotion de la scène lors du final où est joué le plus connu Guillaume Tell de Rossini.

Le film tient idéalement un équilibre fragile entre pessimisme profond lié au contexte qui ne déviera pas de sa trajectoire, et un optimisme représenté par la vigueur intacte des protagonistes, idéalisé dans la conclusion (l'intégrité de Gloria) mais surtout vibrant d'authenticité à l'image du discours final de Pete Postlewaite. Ce dernier porte le film à bout de bras, à la fois exalté et incroyablement crédible en mineur prématurément vieilli et usé (alors que l'acteur avait tout juste la cinquantaine). Toujours aussi actuel et touchant. 4,5/6

Franchement hypnotisé par ce passage

Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1601
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Mama Grande! »

Demolition (Jean-Marc Vallée, 2015)

Un sujet intéressant et une approche originale qui font que j'aurais aimé apprécier ce film. Malheureusement, les audaces du montage finissent par prendre le pas sur le fond. Et le dénouement laisse une impression d'inachevé, de banalité qui se marie mal avec l'ensemble. Reste un sympathique duo d'acteurs: Jake Gyllenhaal et Naomi Watts, que l'on a toujours plaisir à retrouver.
Avatar de l’utilisateur
Zelda Zonk
Amnésique antérograde
Messages : 14748
Inscription : 30 mai 03, 10:55
Localisation : Au 7e ciel du 7e art

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Zelda Zonk »

Coming Home [Yimou Zhang- 2014] : 8/10


Découvert hier soir sur Arte. Remarquable en tous points, notamment dans les idées de scénario (la scène du piano, celle de la lecture des lettres) et la sensibilité à fleur de peau qui se dégage de chaque scène et des deux acteurs principaux. Et quel superbe plan final !
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

The Celluloid Closet de Rob Epstein et Jeffrey Friedman (1995)

Image

L'homosexualité vue a travers cent ans de cinéma hollywoodien. Pour les auteurs "The Celluloid Closet" montre comment notre attitude envers l'homosexualité et notre perception des rôles des deux sexes ont évolue au cours de ce siècle.

En 1981 l'historien du cinéma et militant LGBT Victor Russo publie The Celluloid Closet, livre somme sur l'évolution de la représentation de la communauté gay au cinéma. Disparu prématurément en 1990 du sida, Russo voit pourtant son ouvrage connaître une seconde vie à travers un documentaire éponyme produit par HBO. Le film à l'avantage d'illustrer les thématiques du livre à travers de nombreux extraits de films, agrémentés d'intervenants actifs durant l'âge d'or hollywoodien et alors encore vivants pour témoigner du contexte social et créatif d'alors. L'autre apport (même si limité en découvrant le film aujourd'hui) et d'étendre la réflexion à l'aune de productions contemporaines marquantes comme l'emblématique Philadelphia de Jonathan Demme (1993).

Dès les premiers pas du cinéma une certaine caricature du gay s'impose à l'écran à travers des attitudes maniérées exacerbées, source de moquerie ou de honte pour les figures masculines auxquelles on l'associe malgré elles (avec un extrait parlant d'un Charlot ou embrassant une femme déguisé en homme, il est pris pour un homo). Le contexte hollywoodien permissif des années 20 et début des années 30 permettait une exposition, même caricaturale qui n'aura plus cours avec l'instauration du Code Hays. La figure gay est alors délestée de sa dimension sexuelle trop explicite mais est aisément repérable à travers les différents clichés en faisant un benêt asexué (Edward Everett Horton souvent associé à cela présent dans une séquence) ou un précieux associé aux tâches "féminines" notamment dans le monde de la mode. La bêtise des censeurs autorise pourtant de grandes audaces en se montrant suffisamment fin pour les créateurs les passages et personnages explicite se retrouve dans des séquences audacieuses, la Mrs Danvers de Rebecca (1940) en tête.

Sans que le mot tabou ne soit prononcé, les années 50 constituent une décennie schizophrène où les protagonistes gay sont plus explicitement identifiables tout en se heurtant au modèle macho outrancier d'alors. C'est notamment le cas dans le portrait d'une jeunesse torturée dans La Fureur de vivre (1955) avec Sal Mineo, ou encore du héros de Thé et sympathie de Vincente Minnelli (1956). On s'amuse même de moment purement ubuesques lorsque dans Confidences sur l'oreiller (1959), Rock Hudson (dont on connaîtra l'homosexualité bien plus tard) joue un hétéro mimant des attitudes gay pour séduire Doris Day réticente à ses attitudes viriles. Les années 60 osent enfin nommer les choses mais avant tout pour faire des homo des figures tragiques punies pour leur honteux penchants. C'est donc La Rumeur de William Wyler (1961), Le Détective de Gordon Douglas (1968) ou du côté anglais Victim (1961) de Basil Dearden qui noient l'audace de leur nature explicite dans des conclusions dramatiques où l'homosexualité reste une tare dont on va payer le prix.

Les années 70 font passer le gay de victime sacrificielle à figure du mal avec là encore des extraits gratinés (Vanishing Point (1971) et ses auto-stoppeurs agresseurs, on peut ajouter même si pas dans le doc le Scorpio d'Inspecteur Harry (1971) ou les tueurs à gage du James Bond Les Diamants sont éternels (1971)) qui autorisent donc la destruction rassurante de image négative notamment dans une scène stupéfiante du polar Les Anges Gardiens (1974). Le documentaire est succinct pour évoquer les années 80 même si chaque extrait est parlant pour montrer la disparition progressive de la culpabilité pour une approche plus aimante et frontale dans Les Prédateurs (1983) de Tony Scott ou le méconnu Making Love (1982) de Arthur Hiller. Elément intéressant, le film montre bien l'acceptation de plus grande de vision explicite de l'amour lesbien que de l'homosexualité masculine. L'imagerie lesbienne titille le fantasme hétéro masculin et peut être excitante en plus d'un "naturel" plus évocateur pour des femmes dans l'abandon. Au contraire cela s'avère dérangeant ces situations semble ôter leur virilité aux protagonistes masculin, la vision même de leurs ébats perturbant le public (la description de la réaction d'une salle aux scènes d'amour de Making Love). Les témoignages des différents artistes (du monde du cinéma et de l'art en général) sont très complémentaires, soulignant leur difficulté à se reconnaître mais aussi la soif de se voir représenté même de façon péjorative pour avoir le sentiment d'exister dans la société. Très intéressant donc même si on s'étonnera de l'absence d'œuvre emblématiques comme le très queer Sylvia Scarlett de George Cukor (1935) ou encore le décomplexé Faut-il tuer Sister George ? de Robert Aldrich. Une version révisée à l'aune des deux dernières décennies serait intéressante à faire. 5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Columbus de Kogonada (2017)

Image

Alors que son père est dans le coma, Jin se retrouve coincé dans une curieuse ville du Midwest renommée pour ses immeubles disparates et modernes. Bien qu’il ne s’intéresse pas particulièrement à l’architecture, Jin se prend d’amitié pour Casey, une jeune femme pleine de vie travaillant à la bibliothèque municipale et férue d’architecture, qui lui montre les merveilles de la ville. Avec une intimité curieuse, Jin et Casey explorent tour à tour la ville et leurs émotions conflictuelles...

Columbus est un beau premier film qui travaille l'idée de l'écho entre notre environnement et nos sentiments (et inversement) à travers l'architecture. L'histoire se déroule dans la ville américaine de Columbus, réputée justement pour sa tradition d'architecture singulière entre vestiges passés et modernité. C'est à que vont se rencontrer la jeune Casey (Haley Lu Richardson) et Jin (Cho). Elle vit à Columbus quand lui y est de passage pour rester au chevet de son père hospitalisé et dans le coma. Leur rapport à l'architecture servira de révélateur à leur maux intime. Jin s'y désintéresse, cela reflétant les rapports conflictuels avec son père éminence universitaire en la matière. A l'inverse cette passion pour l'architecture est née chez Casey d'un moment de sa vie difficile vis à vis de sa mère avec laquelle elle entretient une relation fusionnelle. Ces informations se révèleront par le dialogue quand les deux protagonistes se connaîtront mieux mais Kogonada le laisse deviner bien avant par sa mise en scène, par le rapport à l'espace des personnages.

Les plans fixes sur le corridor de la maison de Casey montre le lien étroit, étouffant avec sa mère, celle-ci n'ayant de cesse d'échapper à cet espace commun ou de s'y introduire seulement quand sa fille en est absente. Jin loge dans la chambre d'hôtel vacante de son père et semble étouffé par la personnalité de l'absent qui baigne les lieux, et Kogonada le fait plusieurs fois légèrement sortir du cadre pour laisser s'exprimer sa personnalité (comme lorsqu'il passera un coup de fil professionnel et que l'on ne verra que ses jambes). Ce rapport à l'espace (et donc aux parents) évoluent lorsque Casey et Jin se lient d'amitié et qu'elle lui fait découvrir ses bâtiments préférés de la ville. Dès la première scène de ce type, c'est le lien émotionnel à la bâtisse qui s'impose. Casey débute un speech érudit façon guide touristique mais Jin l'interrompt, lui demandant de lui dire ce qui la touche personnellement dans ce lieu. La scène prend alors un tour plus abstrait, une musique planante et un plan fixe sur Casey exprimant son intérêt suffisant grâce à ses expressions pour faire comprendre ce qui l'émeut, ou en tout cas le fait qu'elle soit émue par ce qu'elle voit. Chaque nouvel immeuble, cathédrale ou autre école sera donc l'occasion de confessions de plus en plus intimes, parfois de confits mais au final d'ouverture et de prise de conscience de chacun au niveau de sa vie.

Kogonada façonne des cadres minutieux jouant un constant va et vient entre gigantisme et intimiste, entre Histoire des lieux et histoire des personnages. On baigne dans une douceur contemplative et introspective où le travail sur les silences est essentiel. La ville de Columbus est magnifiquement mise en valeur, alternant l'imagerie traditionnelle à la Norman Rockwell et une imposante modernité où s'invite aussi une poésie plus naturaliste. La structure même de certains bâtiment sert la dramaturgie du récit (cette baie vitrée où Casey espionne sa mère et la voit éviter ses appels) où nourrit l'évolution et la réflexion des personnages comme la tirade de Jin sur la structure d'un hôpital psychiatrique. L'interprétation est au diapason avec John Cho tout en douleur contenue, et surtout une lumineuse Haley Lu Johnson qui fissure subtilement son allure première de jolie girl next door. Un très beau film qui rend vraiment curieux de a suite de la carrière de Kogonoda. 5/6
Avatar de l’utilisateur
Zelda Zonk
Amnésique antérograde
Messages : 14748
Inscription : 30 mai 03, 10:55
Localisation : Au 7e ciel du 7e art

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Zelda Zonk »

bronski a écrit :Image

A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014) De Chandor j'avais vu Margin Call, qui plaçait déjà la barre très haut, mais là le réalisateur pulvérise les records d'excellence. Comment ne pas penser au Parrain de Coppola, la même majesté dans le rythme et dans la construction filmique, la musique tout en retenue, la photographie en clair-obscur et en ombres cachées. Enfin les deux acteurs, Oscar Isaac et Jessica Chastain, sont éclatants et absolument maîtres de leur personnage. Tout est à la fois limpide et énigmatique, et on est toujours autant fasciné par cette qualité américaine appliquée dans tous les domaines et dans chaque détail. Épatant.
Je souscris à tous ces points. Ce qui est étonnant, en particulier, c'est que c'est un film quasiment exempt de scènes d'action (une rareté pour un film de mafia) et pourtant tendu comme un arc en termes de tension.
Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1601
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Mama Grande! »

La Vie scolaire, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir

Une très bonne surprise. Cette histoire de CPE de province débarquant en Seine Saint Denis dans un collège de ZEP était un réservoir à clichés de tout genre et, oh surprise, ça passe. Oui, on retrouve les deals de shit, le gamin perdu mais plein de capacités qui a besoin qu'on lui donne confiance en lui... mais tout sonne juste grâce au naturel de ses interprètes. Que ce soit les élèves ou le personnel éducatif, ils sont tous incroyablement naturels. Un bon film.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99625
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Jeremy Fox »

Mama Grande! a écrit :La Vie scolaire, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir

Une très bonne surprise. Cette histoire de CPE de province débarquant en Seine Saint Denis dans un collège de ZEP était un réservoir à clichés de tout genre et, oh surprise, ça passe. Oui, on retrouve les deals de shit, le gamin perdu mais plein de capacités qui a besoin qu'on lui donne confiance en lui... mais tout sonne juste grâce au naturel de ses interprètes. Que ce soit les élèves ou le personnel éducatif, ils sont tous incroyablement naturels. Un bon film.
Patients était déjà très bon ; si tu en as l'occasion.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Frances de Graeme Clifford (1982)

Image

Hollywood, les années 30. La vedette Frances Farmer scandalise par son anti-conformisme. Comédienne de talent, elle connaît la gloire. Hollywood va s'acharner à briser la carrière de l'actrice en l'enfermant dans des rôles de second plan.

Frances est le biopic de Frances Farmer, actrice hollywoodienne montante des années 30 qui vit son destin brisé par le système à cause son anticonformisme. Le film suit très fidèlement et chronologiquement l'existence de France Farmer, malgré une narration très elliptique (on passe de l'adolescence à la starlette hollywoodienne et jeune mariée en 30 mn). Le fil rouge du récit est cependant bien visible, il s'agit de confronter la personnalité de Frances Farmer (Jessica Lange) à un interlocuteur, un environnement et tout simplement une époque qui se refuse à laisser une telle indépendance de pensée à une femme. Frances ne cherche jamais à ouvertement provoquer, mais chacune de ses initiatives va choquer son entourage et progressivement la mettre à la marge. Ainsi elle gagne adolescente un prix littéraire pour un texte où elle évoque la mort et l'indifférence de Dieu. Ce coup d'éclat attire déjà la lumière des médias et jettent un opprobre prématurée sur elle. Jeune actrice de théâtre elle accepte la récompense d'un concours d'interprétation qui consiste en un voyage à Moscou, ce qui la fait qualifier de communiste.

Le problème de Frances est que son charisme et sa beauté amènent les autres à projeter en elle une image, un rôle et un idéal que son caractère impétueux refuse d'endosser. Cela est manifeste lorsqu'elle intègre la Paramount des années 30 et par conséquent le très directif système studio d'alors. Joli bibelot que les studios pensent modeler à leur guise, Frances s'émancipe de la cage dorée que l'on veut lui forger. Néanmoins le jeu subtil de Jessica Lange laisse entrevoir la dimension presque maladive de l'insoumission de Frances. On le sait, pour peu que l'on joue un minimum du jeu médiatique et commercial des studios, après quelques succès au box-office des actrices comme Bette Davis ou Joan Crawford acquirent un pouvoir de décision immense sur leur carrière. Frances est incapable de cette compromission et va en payer le prix. Elle met sa confiance et son âme entre les mains du dramaturge Clifford Odet pour la création théâtrale Golden Boy, mais sous les grands discours l'artiste pragmatique la laissera tomber pour une vedette plus à même de permettre le financement de sa pièce. Cette modèle auquel on essaie de la plier concerne autant les personnalités bienveillantes pour elle comme Harry (Sam Shepard) qui souhaite l'épouser, que pour les psychiatres castrateurs devant lesquels elle doit montrer patte blanche. Mais quoiqu'il en coûte Frances refusera, car cette enfermement à une origine plus profonde. Sa mère (Kim Stanley) fut la première à fantasmer en Frances toute l'ambition et le destin extraordinaire dont elle rêvait pour elle-même. Cette mère abusive encourage les excès de Frances tant qu'ils attirent la lumière (cette première de film dans leur ville de Seattle où la mère parade et savoure le glamour plus que sa fille), mais dès que celle-ci recherchera l'anonymat, elle préfèrera l'interner plutôt que de la laisser devenir une nobody.

La dernière partie du film prend ainsi un tour totalement cauchemardesque où se multiplient les allers-retours en hôpitaux psychiatrique. L'esthétique oscille entre esthétique clinique pour traduire l'inhumanité de ces établissements et leurs méthodes sordides, et un aspect halluciné de cours des miracles quasi moyenâgeuse. Les pires séquences s'avèrent malheureusement avérées (Frances violée par le personnel hospitalier avide de "se faire" une star) et bénéficient de l'interprétation incandescente d'une Jessica Lange habitée. Elle émeut dans le registre écorché tout comme dans celui, éteint et brisé par les épreuves de la séquence finale. L'actrice réussira d'ailleurs l'exploit cette année-là d'être nommée deux fois à l'Oscar, celui de la meilleure actrice pour Frances et du meilleur second rôle pour Tootsie de Sydney Pollack - c'est ce dernier qui lui vaudra la récompense suprême. Un magnifique biopic portée par une prestation puissante pour un portrait de femme touchant. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

The Vast of Night de Andrew Patterson (2020)

Image

A la fin des années 1950, au Nouveau-Mexique. Une jeune demoiselle du téléphone, Fay et un animateur radio, Everett découvrent une étrange fréquence comportant des appels interrompus et anonymes et des signaux sonores conduisent Fay et Everett à résoudre l'énigme...

The Vast of Night est un remarquable premier film dont le réalisateur revisite brillamment l'imaginaire SF américain classique. On craint lors du générique façon The Twilight Zone le film de petit malin trop référencé mais Andrew Patterson trouve l'équilibre idéal pour captiver le spectateur. La trame est connue mais l'écrin et le ton amènent une vraie fraîcheur au sujet. Nous suivons deux jeunes gens, Fay (Sierra McCormick) et Everett (Jake Horowitz), qui sont passionné de sons et d'innovations technologique de par leur activité d'opératrice téléphonique et animateur radio. Un soir où toute la ville désertée à l'occasion d'un match de basket, des sons mystérieux envahissent les ondes radios et téléphoniques et titillent ainsi la curiosité de nos deux héros. Les indices progressivement réunis indiquent qu'il s'agirait peut-être d'une présence extraterrestre...

La mise en scène de Patterson joue constamment sur plusieurs niveaux de lecture. Il y a quelques tics méta qui voient lors de certaines séquences un cadre 4/3 se substituer au format cinémascope pour figurer un écran de télévision et ainsi nous faire l'effet de justement regarder un programme à la Twilight Zone. A d'autres moments il convoque les racines de cet imaginaire SF lors de la brillante séquence où un auditeur vient narrer son expérience de ces bruits étranges à Everett. On retrouve à la fois le sensationnalisme à la Orson Welles dans la manière qu'a Everett de "teaser" son auditeur à l'antenne, mais aussi l'intimité de ces libre-antennes nocturnes où les confidences se font. Patterson isole totalement cet instant d'un fondu au noir où l'on entend plus que les voix des interlocuteurs, et cela crée un sentiment intermédiaire où le mystère grandit mais qui ramène également à l'expérience enfantine que l'on aurait potentiellement à l'époque en écoutant sous sa couette ce type d'émission sensationnaliste. Tout le film joue sur ce tableau, notamment quand Fay et Everett iront rencontrer une vieillarde solitaire qui semble en savoir long également. Là le mode narration, la manière d'évoquer les extraterrestres comme une entité indicible qui a toujours observé les humains lorgne sur Lovecraft notamment dans cette façon de créer un moment suspendu au récit d'un interlocuteur. Patterson là aussi amène une touche formelle qui rend fascinante une scène de dialogue par l'atmosphère étrange qui guide le monologue, la photo clair-obscur bleutée qui donne des contours inquiétant au visage de Gail Cronauer.

Les longs plans-séquences du début accompagnant les échanges enjoués entre Fay et Everett semblent initialement gratuit, mais dressent en fait la topographie des courtes proportions de la ville que nous arpenterons de long en large au fil des découvertes. C'est assez brillant et contribue une nouvelle fois à poser une ambiance très particulière qui dilate ou accélère le temps dans cette nuit étrange, notamment lorsqu'une attente de dix minutes est comblée par un mouvement de caméra entre le standard téléphonique et la station radio. Les deux personnages sont très attachants et sous l'urgence du récit révèlent leur attachement, et la façon dont ils cherchent à tromper l'ennui de cette vie provinciale (l'arrogance et le sensationnalisme radio d'Everett) ainsi que le déterminisme social (Fay dont on ressent toute l'intelligence et la curiosité mais qui n'envisage pas l'université faut de moyens). Après nous avoir ainsi envouté par la seule force de sa mise en scène malgré l'économie de moyen, Patterson ose enfin le grand moment de révélation lorgnant sur Rencontre du Troisième Type de Steven Spielberg (1977). Contrairement à la spectaculaire symphonie son et lumière de ce dernier, ce contact se fait dans une sidération silencieuse et poétique (le final du Monster (2010) de Gareth Edwards n'est pas loin non plus dans cette idée de gigantisme intimiste) où "l'autre" se révèle en fond de cadre avant de dominer de toute sa majesté ce décorum isolé. Une très belle réussite qui rend vraiment curieux des futurs travaux du réalisateur qui a financé seul son film en tournant des publicités. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1601
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Mama Grande! »

JOSEP, de Aurel
Une excellente surprise! Comme Ari Folman avant lui, Aurel utilise l'animation pour se confronter à l'Histoire. C'est cette fois une page de l'Histoire méconnue en France (l'accueil en camps d'internement de 500000 réfugiés espagnols fuyant le franquisme) qui est décrite ici, dans toute sa cruauté. Et comme chez Folman, la poésie de l'animation permet de faire passer la pilule. Sans détourner les yeux du tragique de l'Histoire, il veut nous interroger sur l'artiste, l'esthète, celui qui de ses crayons figure le réel. Et l'usage de l'animation, de ce type d'animation proche du crayonné, trouve ainsi sa cohérence. Le monologue final de Frida Kahlo est à ce titre sublime. Chaudement conseillé.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Petite Fille de Sébastien Lifshitz (2020)

Image

Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.

Sébastien Lifshitz signe un très beau documentaire sur le thème de la dysphorie de genre, soit l’inadéquation entre le sexe de son corps biologique et l’identité sexuelle telle que ressentie par l’individu. Le réalisateur a suivi durant un an la jeune Sasha né garçon mais se sentant fille, ainsi que sa famille dans leur démarche pour « normaliser » le statut de l’enfant dans son contexte quotidien. Cela passe par une acceptation des institutions scolaire d’accueillir Sasha en tant que fille, mais aussi pour l’enfant de vivre son genre au grand jour sans crainte du regard des autres. Le film navigue donc entre confessions face caméra, démarches administrative et médicales régulière, et une observation très pudique et sensible de Sasha. Hormis une séquence en fin de documentaire, le ressenti de Sasha ne s’expose jamais à nu face à la caméra du réalisateur, mais toujours dans un contexte intime où elle échange avec sa mère ou sa psychologue. Il se noue dans ces moments-là un écrin très intime où se devine la détresse de l’enfant mais aussi sa conviction et détermination quant à son genre. La caméra fixe sur Sasha dont la retenue s’effrite et les yeux s’embuent de larmes au fil de la discussion avec la psychologue est un de ces beaux moments que Lifshitz capture à la dérobée, tout en plaçant l’enfant sous la bienveillance médicale et maternelle. Cette distance importe aussi sur les autres membres de la famille, la fratrie encore jeune qui accepte la nature de fille de Sasha mais doivent parfois en répondre face au monde extérieur. Là encore Lishfitz préfère les filmer dans la banalité de leur quotidien et jeu, n’autorisant l’échange direct qu’avec la sœur aînée adolescente et déjà affirmée (dans sa volonté de protéger Sasha), tandis qu’un frère plus jeune partagera son point de vue dans le cadre du cabinet de la psychologue.

On sent une bienveillance et la volonté de saisir une vérité tout en respectant profondément ce cocon familial. On devine les innombrables heures de rushes pour parvenir à cet équilibre et le vrai fil rouge repose sur la volonté et compréhension de cette mère prête à tout pour l’épanouissement de son enfant. C’est très touchant dans la culpabilité qu’elle ressent quant à la situation (elle a fortement désiré une fille durant sa grossesse), mais très inspirant dans son acceptation naturelle, tant dans son discours (désignant spontanément Sasha en tant que « elle ») que sa proximité constante avec Sasha. La forme reste très cinématographique avec une belle photo et des moments suspendus ne reposant que sur l’image qui sont tout autant révélateurs. Ainsi si avec l’évolution des mœurs la notion de genre est moins stéréotypée dans l’éducation actuelle, le genre tel qu’on le vit quand il nous est refusé se réfugie dans ces stéréotypes. C’est très intéressant de voir la mère dire à Sasha que « les filles portent du bleu aussi » quand celle-ci s’accroche à ce genre qu’on lui refuse en ne voulant porter que du rose, ou en ayant un pull marqué « je suis une fille ». A la fin du film, alors qu’une forme de décloisonnement a en partie eu lieu (Sasha autorisée à aller à l’école en fille) on ressent même une forme de subtile transformation physique. Durant tout le film Sasha a une forme de présence androgyne qui fait que (hormis lorsqu’elle porte une robe) on pourrait autant la prendre pour une fille qu’un garçon, la dernière partie où une partie du problème est réglé efface cette ambiguïté. L’extérieur l’accepte et Sasha épanouit endosse pleinement, même physiquement son genre féminin. Du chemin reste à faire comme le montre quelques anecdotes cruelles mais la mue (dont les tenants plus médicaux sont d’ailleurs très bien expliqués comme la possibilité de bloquer la puberté masculine) est en marche. Captivant et bienveillant de bout en bout. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18527
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Profondo Rosso a écrit : 28 nov. 20, 13:33 Petite Fille de Sébastien Lifshitz (2020)

Image
Spoiler (cliquez pour afficher)
Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.

Sébastien Lifshitz signe un très beau documentaire sur le thème de la dysphorie de genre, soit l’inadéquation entre le sexe de son corps biologique et l’identité sexuelle telle que ressentie par l’individu. Le réalisateur a suivi durant un an la jeune Sasha né garçon mais se sentant fille, ainsi que sa famille dans leur démarche pour « normaliser » le statut de l’enfant dans son contexte quotidien. Cela passe par une acceptation des institutions scolaire d’accueillir Sasha en tant que fille, mais aussi pour l’enfant de vivre son genre au grand jour sans crainte du regard des autres. Le film navigue donc entre confessions face caméra, démarches administrative et médicales régulière, et une observation très pudique et sensible de Sasha. Hormis une séquence en fin de documentaire, le ressenti de Sasha ne s’expose jamais à nu face à la caméra du réalisateur, mais toujours dans un contexte intime où elle échange avec sa mère ou sa psychologue. Il se noue dans ces moments-là un écrin très intime où se devine la détresse de l’enfant mais aussi sa conviction et détermination quant à son genre. La caméra fixe sur Sasha dont la retenue s’effrite et les yeux s’embuent de larmes au fil de la discussion avec la psychologue est un de ces beaux moments que Lifshitz capture à la dérobée, tout en plaçant l’enfant sous la bienveillance médicale et maternelle. Cette distance importe aussi sur les autres membres de la famille, la fratrie encore jeune qui accepte la nature de fille de Sasha mais doivent parfois en répondre face au monde extérieur. Là encore Lishfitz préfère les filmer dans la banalité de leur quotidien et jeu, n’autorisant l’échange direct qu’avec la sœur aînée adolescente et déjà affirmée (dans sa volonté de protéger Sasha), tandis qu’un frère plus jeune partagera son point de vue dans le cadre du cabinet de la psychologue.

On sent une bienveillance et la volonté de saisir une vérité tout en respectant profondément ce cocon familial. On devine les innombrables heures de rushes pour parvenir à cet équilibre et le vrai fil rouge repose sur la volonté et compréhension de cette mère prête à tout pour l’épanouissement de son enfant. C’est très touchant dans la culpabilité qu’elle ressent quant à la situation (elle a fortement désiré une fille durant sa grossesse), mais très inspirant dans son acceptation naturelle, tant dans son discours (désignant spontanément Sasha en tant que « elle ») que sa proximité constante avec Sasha. La forme reste très cinématographique avec une belle photo et des moments suspendus ne reposant que sur l’image qui sont tout autant révélateurs. Ainsi si avec l’évolution des mœurs la notion de genre est moins stéréotypée dans l’éducation actuelle, le genre tel qu’on le vit quand il nous est refusé se réfugie dans ces stéréotypes. C’est très intéressant de voir la mère dire à Sasha que « les filles portent du bleu aussi » quand celle-ci s’accroche à ce genre qu’on lui refuse en ne voulant porter que du rose, ou en ayant un pull marqué « je suis une fille ». A la fin du film, alors qu’une forme de décloisonnement a en partie eu lieu (Sasha autorisée à aller à l’école en fille) on ressent même une forme de subtile transformation physique. Durant tout le film Sasha a une forme de présence androgyne qui fait que (hormis lorsqu’elle porte une robe) on pourrait autant la prendre pour une fille qu’un garçon, la dernière partie où une partie du problème est réglé efface cette ambiguïté. L’extérieur l’accepte et Sasha épanouit endosse pleinement, même physiquement son genre féminin. Du chemin reste à faire comme le montre quelques anecdotes cruelles mais la mue (dont les tenants plus médicaux sont d’ailleurs très bien expliqués comme la possibilité de bloquer la puberté masculine) est en marche. Captivant et bienveillant de bout en bout. 4,5/6
Pour info c'est diffusé ce soir 20h55 sur Arte.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99625
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Jeremy Fox »

Merci pour le rappel ; je vais programmer de suite l'enregistrement :D
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2667
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Alibabass »

... et pas au cinéma, c'est bien dommage.
Répondre