- 1970 : Le Petit Bougnat de Bernard Toublanc-Michel - Rose
1972 : Faustine et le Bel Été de Nina Companéez - Camille
1974 : Espace zéro de Pierre-Jean de San Bartholomé - film inédit -
1974 : La Gifle de Claude Pinoteau - Isabelle Doulean
1975 : L'Histoire d'Adèle H. de François Truffaut - Adèle Hugo
1976 : Barocco d’André Téchiné - Laure
1976 : Le Locataire de Roman Polanski - Stella
1977 : Violette et François de Jacques Rouffio - Violette Clot
1978 : Driver de Walter Hill - La joueuse
1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog - Lucy Harker
1979 : Les Sœurs Brontë d’André Téchiné - Emily Brontë
1981 : Clara et les Chics Types de Jacques Monnet - Clara
1981 : Quartet de James Ivory - Marya Zelli
1981 : Possession d’Andrzej Zulawski - Anna / Helen
1981 : L'Année prochaine... si tout va bien de Jean-Loup Hubert - Isabelle Maréchal
1982 : Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau - Pauline Valance
1982 : Antonieta de Carlos Saura - Antonieta Rivas Mercado
1982 : apparition non créditée dans Les Frénétiques (The Last Horror Film) de David Winters - elle-même
1983 : Mortelle Randonnée de Claude Miller - Catherine Leiris / Lucie Brentano, « Marie »
1983 : L'Été meurtrier de Jean Becker - Eliane Wieck
1985 : Subway de Luc Besson - Helena
1986 : T'as de beaux escaliers, tu sais d’Agnès Varda - court métrage
1987 : Ishtar d’Elaine May - Shirra Assel
1988 : Camille Claudel de Bruno Nuytten - Camille Claudel
1989 : L'Après-Octobre de Merzak Allouache - documentaire
1990 : Lung Ta : les Cavaliers du vent de Marie-Jaoul de Poncheville - narratrice
1993 : Toxic Affair de Philomène Esposito - Pénélope
1994 : La Reine Margot de Patrice Chéreau - Marguerite de Valois dite Margot
1996 : Diabolique de Jeremiah S. Chechik - Mia Baran
1998 : Paparazzi d’Alain Berbérian - dans son propre rôle
2002 : La Repentie de Laetitia Masson - Charlotte
2002 : Adolphe de Benoît Jacquot - Ellénore
2003 : Bon Voyage de Jean-Paul Rappeneau - Viviane Denvers
2003 : Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran de François Dupeyron - La star
2009 : La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld - Sonia Bergerac
2010 : Mammuth de Benoît Delépine et Gustave de Kervern - L'amour perdu
2010 : Guibert cinéma d'Anthony Doncque - Narration - documentaire
2010 : Raiponce de Nathan Greno et Byron Howard - voix française de Mère Gothel
2011 : De force de Frank Henry - Clara Damico
2012 : David et Madame Hansen d'Alexandre Astier - Madame Hansen Bergmann
2013 : Ishkq in Paris de Prem Soni - La mère de l'héroïne
2014 : Sous les jupes des filles d'Audrey Dana - Lili
Elle s'est fait prier pour témoigner mais, à l'évidence, il ne s'agit pas seulement de sa légendaire tendance à l'esquive. Lorsqu'elle raconte, cet automne, sa rencontre avec François Truffaut et le tournage de L'Histoire d'Adèle H., Isabelle Adjani semble parfois au bord des larmes. Moins par nostalgie qu'en raison d'un constat troublant : ce film et ce cinéaste lisaient dans son avenir d'actrice, dans son avenir tout court. Truffaut a posé devant elle « toutes les cartes », lui a jeté comme « un sort ». Elle n'a rien vu alors, bien sûr : elle avait 19 ans quand on l'a embarquée pour ce chef-d'œuvre ténébreux.
C'était en 1974, le cinéaste sortait du succès international de La Nuit américaine. Parmi plusieurs projets, il choisit de tourner l'adaptation d'un fragment du Journal d'Adèle Hugo. Ou comment la deuxième fille du grand écrivain s'est laissé submerger, en 1863, par une passion amoureuse, non réciproque, pour un officier anglais. Comment elle s'est retrouvée, sous un faux nom, à Halifax, en Nouvelle-Ecosse, afin de rester près de lui, qui la repoussait toujours plus. Comment elle a échoué aux Antilles, pour le suivre encore, et y a perdu la raison – elle passa ensuite près de trente ans à l'asile.
Désir impérieux
François Truffaut découvre Isabelle Adjani dans une captation télé de L'Ecole des femmes, qu'elle vient de jouer à la Comédie-Française. Aussitôt, il décide de rajeunir le personnage d'Adèle, qui avait la trentaine au moment des faits relatés. Fidèle à son habitude, il commence par envoyer une lettre à la jeune comédienne. Lui témoigne de son « désir impérieux » de fixer son visage sur pellicule « tout de suite, toutes affaires cessantes ». Lui écrit sa conviction qu'elle devrait être filmée « tous les jours, même le dimanche ». Et se présente à la première de La Gifle, sur les Champs-Elysées, en 1974.
« Il m'a dit que j'étais la première à l'avoir fait pleurer sur un écran de télé… Je trouvais sa ferveur exagérée. J'ai essayé, un temps, de le convaincre que je n'étais pas la bonne actrice pour le rôle. Je suis très forte pour ça ! Je lui soufflais même des noms, comme Glenda Jackson. Il me regardait, abasourdi. Pour lui, c'était sans appel. » Filmer au plus vite ce visage d'adolescente encore auréolé d'enfance, tourner de suite ce film conçu comme « un morceau de musique pour un seul instrument »… Dans son impatience, Truffaut missionne son avocat pour soustraire Isabelle Adjani à ses engagements à la Comédie-Française, au grand dam de l'administrateur, Pierre Dux. Une rupture définitive : « C'était le contraire d'aujourd'hui, où tous les aménagements sont possibles pour permettre aux acteurs du Français de devenir des stars de cinéma. »
A partir du 3 janvier 1975, l'équipe de tournage s'installe pour deux mois (c'est beaucoup, car le film doit être joué en français et en anglais) sur l'île de Guernesey, dans un isolement propice à des liens intenses, tumultueux. Suzanne Schiffman, fidèle collaboratrice du réalisateur, raconte à la jeune actrice la liaison fiévreuse de Truffaut avec l'une de ses interprètes pendant le tournage, également coupé du monde, des Deux Anglaises et le Continent, quelques années auparavant. Et s'empresse d'attribuer à Isabelle Adjani la chambre d'hôtel voisine de celle du cinéaste. « Il y avait là quelque chose d'inavoué et d'inavouable… Moi, j'étais une jeune fille frondeuse, mais pas délurée. » Il glisse souvent des mots sous sa porte. La réponse, même tacite, reste négative. « A mon retour, ma mère a fouillé dans mon sac et elle a trouvé ces lettres, dont elle a jeté les trois quarts car, pour elle, ça ne se faisait pas ! »
Une héroïne du muet
L'Histoire d'Adèle H. est le film de toutes les passions impossibles. Celle de l'héroïne pour son officier anglais. Celle du metteur en scène pour son actrice, qu'il parvient à sublimer en devenant pygmalion, professeur, mentor. Isabelle Adjani est la première destinataire du ciné-club que Truffaut improvise à l'hôtel, pour les soirées ou les week-ends, faisant livrer sur l'île les copies de La Splendeur des Amberson, d'Orson Welles, ou de ses Hitchcock préférés : « Ces auteurs étaient comme sa propriété privée. » La leçon de cinéphilie continue pendant les prises : sur telle scène, il demande – et apprend – à la jeune comédienne des battements de cils à la Bette Davis. Le plus souvent, il la veut en héroïne du muet, héritière de Lillian Gish dans Le Vent, de Victor Sjöström. Un an plus tard, comme dans un rêve, Adjani recevra, à New York, des mains de Lillian Gish, un des quatre prix du Film Critics Circle décernés au film : « Il en tira une fierté infinie. »
Truffaut apprend aussi le relatif à une Adjani en quête d'absolu. Venue du théâtre, éprise de Racine, elle se désespère chaque jour du peu qu'on lui demande. « Je ne voulais pas que ce soit facile, je voulais donner davantage, donner tout, me consumer, comme Adèle, pour justifier la confiance qu'on me faisait. J'ignorais qu'avec un grand cinéaste le travail est parfois simple, indolore, agréable. Il me l'apprit. » Un de leurs échanges sur ce thème est resté dans les écrits de François Truffaut. Lui, pour l'aider : « Notre vie est un mur, et chaque film est une brique. » Elle, concentrée sur l'obstacle : « Pour moi, chaque film est le mur. »
Même s'il fait tout pour la rassurer, Truffaut est lui-même en proie au doute et à la mélancolie. « Il m'est arrivé de frapper à sa porte et de le trouver prostré, dans une angoisse indescriptible, se demandant pourquoi il faisait ce film. Contre ses migraines, il avalait de l'aspirine avec du champagne, comme Marlene Dietrich, disait-il. » L'obsession amoureuse d'Adèle renvoie le cinéaste aux impasses de son désir, mais surtout à une passion dévastatrice qu'il a vécue quelques années auparavant, et qui l'a conduit au bord du suicide. Certaines scènes, certains détails du film en sont directement inspirés, comme ces petits papiers qu'Adèle Hugo glisse à son insu dans les poches de l'officier anglais. Six ans plus tard, un autre film capital de Truffaut reprendra les termes de cette équation insoluble, La Femme d'à côté.
Une prémonition
Pour Isabelle Adjani, le poison est plus lent. « Je n'avais rien vécu à l'époque de ce tournage, je vivais toujours chez mes parents. Paradoxalement, j'ai commencé à souffrir à la place d'Adèle, ou plutôt comme elle, quelques saisons après le film. Aujourd'hui, je le vois comme une prémonition, un avertissement. Il m'indiquait ce qui serait mon tropisme fatal, ma vocation malheureuse. » A l'écran, au bout de vingt minutes, il y a cette scène, brève et intense, où Adèle croit reconnaître le lieutenant qui l'obsède, et se retrouve, interdite, face à un militaire joué par… François Truffaut.
C'est lui qui se détourne, s'éloigne. L'image invite à bien des lectures, au-delà du récit : elle dit le malentendu, la méprise, l'aveuglement d'une fille, le renoncement d'un homme… « Sur ce tournage, lui et moi nous raccrochions à la solidité du scénario, mais il y avait, malgré nous, quelque chose de sans fond. Ses abîmes à lui, qu'il ne connaissait que trop. Et les miens, que j'ignorais encore, qu'il avait pressentis et qu'il me révélait dans un geste de cinéma sublime, un magnifique cadeau de consolation. »
- Spoiler (cliquez pour afficher)