Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25415
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par AtCloseRange »

Je crois que depuis les posts de Jordan White (ou dans un autre registre ceux de Superseb), je n'ai pas été autant dans un ocean d'incompréhension qu'avec les avis récents de Jeremy :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99608
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Pour ma part, comme Gounou, je suis certain avoir détesté et rejoins tout à fait ce qu'écrivait un journaliste de Première : "la cinéaste se cache derrière des artifices poseurs (...) pour masquer sa faiblesse, sa peur du réel, du naturalisme et son incapacité à s'aventurer dans une univers post-Pialat déjà dévoré par un monstre comme Kechiche. "
Jihl
Doublure lumière
Messages : 584
Inscription : 4 mars 06, 23:06
Localisation : Louis Restaurant

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Jihl »

Sans être un grand film, c'est peut être bien mon film français préféré de 2014. Le sujet est ambitieux et important (être une fille en banlieue) et j'ai globalement apprécié la direction d'acteur (même si certaines scènes ne marchent pas comme la scène du racket par exemple), la tension installée par la mise en scène, ou le recours aux ellipses narratives. Les choix esthétiques me paraissent justifiés (la scène "bleue"avec Diamonds par exemple) dans la mesure où ils sont cohérents avec l'univers graphique et esthétique des personnages principales et le travail sur la bande son m'a intrigué. J'ai aussi bien aimé le traitements des personnages du frère et de la mère et comme souvent chez Sciamma la quasi absence des adultes dans ses films.
Après comme souvent aussi avec le cinéma de Céline Sciamma, j'ai quelques réserves sur le scénario (tout ce qui concerne le personnage du dealer à la fin et notamment la scène sur la terrasse), qui m'empêchent d'adhérer plus au film.
Enfin je trouve qu'effectivement à 36 ans et pour un troisième film c'est quand même très encourageant. A cet âge là, ni Pialat et Kechiche n'avaient encore tourné de long-métrage pour répondre au "charmant" journaliste de Première cité plus haut... 5/10
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18525
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Profondo Rosso »

Céline Sciamma poursuit sa veine du récit d’apprentissage au féminin avec Bande de filles. Le film diffère cependant de Naissance des pieuvres (2007) et Tomboy (2010) du fait de ne pas relever de l’intime et du vécu de la réalisatrice. L’idée lui vient plutôt d’une observation, celle de jeunes filles noires et banlieusardes arpentant en bande les quartiers populaires comme Les Halles ou Gare du Nord, gouailleuses, rieuses et dansantes. Céline Sciamma ne va cependant pas réaliser un film sur la banlieue, mais une œuvre roman d’apprentissage inspirée de Jane Austen pour la littérature, ou Jane Campion versant cinéma, où les questionnements ordinaires de la jeune fille s’adaptent à ce contexte de banlieue.

La scène d’ouverture est un beau condensé de l’approche à venir du film. On découvre un groupe d’adolescentes s’adonnant au football américain (en hommage à la série Friday Nights Lights dont Sciamma est fan) avec fougue, férocité et en fait liberté, magnifiée par les ralentis et la bande-son électronique de Para One. Le match terminé, elles rentrent chez elles, dans leur cité. On passe du jour à la nuit, de l’immensité du stade au chemin étroit dominé par les barres d’immeubles et les guerrières sportives redeviennent des filles chétives épiées et interpellées par les garçons qui les encerclent. Cette vulnérabilité est amplifiée par leur séparation progressive jusqu’à ce qu’il ne reste plus que celle dont nous allons suivre l’histoire, Marieme (Karidja Touré). Plus l’on se rapproche du cadre quotidien, plus les figures féminines sont ramenées à leur condition et affaiblie. Dans son foyer, Mariem chuchote donc désormais en présence d’un grand frère (Cyril Mendy) tyrannique tandis qu’une mère absente subvient modestement au revenus de la famille. Cette notion d’espace d’abord vu collectivement en ouverture se poursuit également là, le frère libre de ses allées et venues restreignant ses sœurs à la seule chambre exiguë qu’elle partage. Ses lacunes lui empêchant l’émancipation par l’école, l’horizon de Mariem va se faire au contact de trois filles de son quartier, Lady (Assa Sylla), Adiatou (Lindsay Karamoh) et Fily (Mariétou Touré). Ces dernières semblent libres de tout entraves par leur allure, leur parole et actions. Leur look commun fait de piercing, maquillage et coiffure en tissage constitue une armure contre le regard des autres, que ce soit celui inquisiteur de leur milieu ou celui lesté de préjugé du monde extérieur. Céline Sciamma, loin des clichés d’imagerie naturaliste ou de caméra à l’épaule associés au contexte de la banlieue, choisit au contraire le format cinémascope et la photo stylisée de Crystel Fournier pour magnifier les déambulations de cette bande de filles. Les scènes contemplatives grandioses déploient ainsi une majesté certaine à la manière de ce mouvement de grue qui accompagne l’arrivée du quatuor au Forum des Halles. Le sommet de cette volonté est bien évidemment la scène où les filles entonnent en play-back le Diamonds de Rihanna, merveilleux moment d’hédonisme et de spontanéité ponctué par une danse endiablée.

Cette scène porte pourtant les germes de cette liberté fragile où tout est une nouvelle fois question d’espace à conquérir ou bien où se replier. Nos héroïnes ont en effet réservées une chambre d’hôtel pour boire, fumer et donc danser à l’abri de regards de leur quartier. Pour être elles-mêmes entre filles, ou vivre sans contraintes leurs amours pour Mariem (qui entame une romance avec un ami de son grand frère, impensable) elles doivent s’isoler en vase-clos et/ou loin des codes de leur environnement. Sans cela, elles sont obligées de se plier à ses codes pour survivre. Ce sera notamment par un déni de féminité progressivement introduit dans le récit. Les filles se réunissent donc dans une sorte de ring à ciel ouvert du quartier pour régler leurs comptes avec des rivales et selon l’issue de la joute y gagnent ou perdent des parcelles de liberté. Comme un symbole et tel Samson, Lady perd sa coiffure en tissage après avoir subi la défaite et l’humiliation aux yeux de tous. A l’inverse, Mariem en sortant victorieuse et vengeant son amie gagne le « respect » de tous et notamment de son frère qui l’invite à une partie de jeu vidéo dans sa chambre (dont il l’a exclu pour un même loisir en début de film). L’expression affirmée de cette féminité est une faiblesse quand elle n’est pas cadrée par les codes du patriarcat, comme le soulignera un dialogue où le petit ami de Mariem lui suggère le mariage qui rendrait tout « plus simple ». Mais dès qu’elles manifestent la libre expression de cette identité féminine et notamment par le désir, l’étau oppressif se resserre par la « mauvaise réputation » et les réactions qu’elle suscite. Que Mariem ait couché et que cela c soit su est donc un déshonneur pour son frère.

La dimension romanesque fonctionne à plein puisque l’on pourrait raconter exactement le même récit dans d’autres contextes historiques contraints pour les femmes (ce que fera d’ailleurs Sciamma avec Portrait de la jeune fille en feu (2019)) et leurs aspirations à travers une domination masculine et des codes sociaux oppressifs. Du coup la réalisatrice s’abstient de tout constat sociétal ethnologique ou religieux, tandis que la bande-originale véhicule énergie et émotion sans se plier la facilité de placer du rap (le morceau de Rihanna est plus le symbole de ce qu’est être une jeune fille aujourd’hui plutôt qu’un marqueur social et géographique qu’aurait amené le rap). Du coup bien qu’éloigné du milieu où elles vivent, Céline Sciamma est tout à même de comprendre les difficultés universelles (avec certes des spécificités) que les héroïnes rencontrent. C’est un âge fragile où il est difficile de se situer, Mariem ivre de s’affirmer cédant momentanément à la brutalité de son frère pour sa cadette et les fantômes de Tomboy planent quand elle décide masquer la visibilité de sa féminité en quittant son quartier. Sous la complexité et la dureté de son sujet, on retiendra pourtant avant tout de Bande de filles ce qui lui donne son titre. Les joies, les rires, les petites disputes et réconciliations de ce microcosme féminins donnent lieu à de sublimes moments d’émotions. De l’amusement d’une partie de mini-golf à une réconciliation entre sœurs durant un trajet de RER, en passant par la révélation du vrai prénom d’une des protagonistes, c’est cette merveilleuse complicité magnifié par l’interprétation impeccable des comédiennes débutantes (clairement on s’étonnera de ne pas avoir plus revu Karidja Touré depuis). Juste, poignant et moderne. 5/6
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25415
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par AtCloseRange »

Céline Sciamma revient sur sa filmographie et c'est gratiné.
https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cin ... iers-films
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2664
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Alibabass »

Elle s'adapte à une interview réalisé aux Etats-Unis, ou dans le cinéma, la morale est plus importante que l'esthétique et les gestes cinématographiques chez eux. Bandes de Filles à RIEN eu de scandaleux à sa sortie en 2007, c'est pas compliqué, peu de monde l'on vu, et il est passé inaperçu. Chez eux aussi, c'est des hypocrites. Première aussi, la belle poubelle que c'est devenu, pute à cliques. Mais oui, en effet, c'est bien gratiné.
Avatar de l’utilisateur
Mama Grande!
Accessoiriste
Messages : 1599
Inscription : 1 juin 07, 18:33
Localisation : Tokyo

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Mama Grande! »

Céline Sciamma a écrit :Pour moi, c'est vraiment simple. Si des gens que vous considérez comme des alliés politiques vous disent : 'Cela n'aide pas la révolution. Cela ralentit même la révolution', alors ils ont raison. C'est tout
Triste.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54794
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Flol »

AtCloseRange a écrit : 6 févr. 22, 11:27 Céline Sciamma revient sur sa filmographie et c'est gratiné.
https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cin ... iers-films
La tristesse de cet article. Soit elle s'est aplatie et a dit à la presse US exactement ce qu'elle attendait d'elle, soit son néo-militantisme est en train de lui faire perdre la raison.
Et ça me pousserait presque à remettre en question ce que je pense de ses films, alors que je les adore littéralement tous. Excepté son dernier, gros ratage qui, effectivement, ne froissera rien ni personne tant il est un sommet de niaiserie. Et comme par hasard : les critiques US ont adoré.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2664
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Alibabass »

Son dernier n'est pas un sommet de niaiserie, no way.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54794
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Flol »

Yes way.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
MJ
Conseiller conjugal
Messages : 12479
Inscription : 17 mai 05, 19:59
Localisation : Chez Carlotta

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par MJ »

Flol a écrit : 7 févr. 22, 17:55Excepté son dernier, gros ratage qui, effectivement, ne froissera rien ni personne tant il est un sommet de niaiserie.
Je crois que c'est son seul film que je défendrais.
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54794
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Flol »

Ok je vis dans la Twilight Zone.
Avatar de l’utilisateur
Alibabass
Assistant opérateur
Messages : 2664
Inscription : 24 nov. 17, 19:50

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Alibabass »

L'espace mental de son dernier film avait moyen d'être un bon Twilight Zone, en effet ^^.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54794
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par Flol »

J'aime bien la Twilight Zone, mais sans enfants qui jouent mal, alors.
Avatar de l’utilisateur
tchi-tcha
Cadreur
Messages : 4291
Inscription : 19 oct. 21, 01:46
Localisation : plus ou moins présent

Re: Bande de filles (Celine Sciamma - 2014)

Message par tchi-tcha »

Jusqu'à preuve du contraire, Céline Sciamma a le droit d'évoluer, de se dire qu'aujourd'hui elle ne filmerait plus la même scène de la même façon ou qu'elle aborderait certains thèmes sous un autre angle.
Après, on n'est pas obligé de la suivre non plus si elle se met à renier ses premiers films, qui seraient docilement soumis au patriarcat et qui ne feraient pas avancer La Cause, ni à laisser ses nouvelles amies révolutionnaires décerner les bons et mauvais points à travers leur grille de lecture militante... :?


Mais sans surprise, l'article du New Yorker est plus développé que le résumé recraché par Première :

https://www.newyorker.com/magazine/2022 ... -of-cinema

Fondamentalement, la version longue ne change pas grand chose (la formule sur Bande de filles est bien là), mais la discussion est largement plus intéressante et nuancée. Sauf que chez Première, ce n'est pas avec des nuances qu'on fait du clic, visiblement. On préfère balancer des "codes du cinéma classique" et des "diktats cinématographiques", ça sonne mieux.


Si vous avez le temps (et if you speak angliche, of course), lisez plutôt le papier du New Yorker (que chez Première on a rebaptisé New York Times, mais c'est un détail).
Répondre