Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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G.T.O
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par G.T.O »

Strum a écrit : Linklater n'est certes pas un vitaliste, et de ce point de vue, il y a du vrai dans ce que tu dis. Mais j'ai trouvé l'approche de Linklater tout à fait cohérente avec celle de ses autres films. Les personnages y sont plus spectateurs qu'acteurs de leur vie. Ils la contemplent ainsi que celles des autres et en discutent. A moins que leur manière d'être acteurs réside dans le monologue intérieur (car les dialogues sont souvent des échanges de monologues dans ces films) ou dans l'intériorisation des expériences de la vie par les personnages. Cette approche considère et accepte le temps comme une matière insaisissable, que l'on ne peut fixer, ni par l'expérience, ni par les images. Du coup, il y a un certain détachement des personnages vis-à-vis des choses, une certaine sagesse peut-être, comme celle de quelqu'un regardant couler une rivière dont il sait ne pouvoir arrêter le cours. La mise en scène de Boyhood parvient d'ailleurs, par la fluidité de son découpage, à refléter cette liquidité du temps - le film a beau durer 2h45, on ne voit pas passer le temps. Gounou a raison de dire que c'est une démarche inverse de celle de Tree of Life où le temps était restitué, retrouvé dans sa durée, pour redonner vie au frère perdu.
Je suis d'accord avec ce que tu dis à propos du statut des personnages chez Linklater : ils ne sont pas vraiment "acteurs" de ce qui se passe mais plutôt "spectateurs". D'où cette impression de détachement qui, pour moi, et ce malgré la cohérence, reste préjudiciable pour le projet que s'est donné Boyhood de saisir une vie et la fuite du temps. Après, je ne suis pas sûr que ce soit le propre de cette méthode de considérer le temps comme une matière insaisissable. C'est la qualité du temps lui-même.

En outre, je ne pense pas que la fluidité du découpage soit le fait d'un parti-pris consistant à essayer de traduire l'idée de "liquidité du temps". J'y vois plutôt une lacune relative, mais sans doute aux yeux de Linklater une qualité, au fait d'avoir la volonté de faire le film le plus exhaustif possible. D'ailleurs, de ce point de vue, c'est assez réussi puisque le film accumule les faits et détails, sans jamais s'y arrêter. La répétition ou similitude entre différentes situations ne produit rien. Les "faits" scénaristiques s'ajoutent les uns aux autres, sans aucune force ou fascination. Rien ne doit freiner la course du film. Or, faire le film le plus complet possible signifie possédant le maximum de situations et de détails. Cette manière de traiter "le passage du temps" sous l'angle de la quantité d'infos, de situations et de détails, lui confère un vernis d'objectivité qui peut donner la fausse impression de voir une vie défilée. Mais, cette vie tient compte que de "choses"; jamais d'une vision, de sentiments, d'émotions qui infléchissent la courbe du temps. Linklater refuse la dramatisation, libre à lui. Mais, ce refus de la dramatisation ne veut pas dire refus de synthèse. Cela ne le dispense pas d'être plus sélectif dans ce qu'il filme, d'avoir un angle d'attaque de son sujet, à quelque chose allant au delà du dispositif. Imagines toi : si, Linklater avait du faire un film traitant une vie entière, de la naissance jusqu'à la mort, vu qu'il traite cela en quantité d'infos, il nous aurait pondu un film de 13 heures... :mrgreen:

Strum a écrit : ...Le "regard" du film, c'est le sien...
C'est marrant comme nos avis divergent sur ce point car, je n'ai pas trouvé que le film possède un quelconque "regard". Et, encore moins celui de Mason. D'ailleurs, je trouve exagéré qu'on dise du film qu'il se focalise uniquement sur Mason. Le film s'attarde quand même beaucoup sur les autres membres de sa famille. Et, d'ailleurs, on les voit aussi vieillir, au même titre que Mason : de sa mère à son père, en passant par sa soeur.
Dernière modification par G.T.O le 29 juil. 14, 17:41, modifié 1 fois.
Strum
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par Strum »

G.T.O a écrit :C'est marrant comme nos avis divergent sur ce point car, je n'ai pas trouvé que le film possède un quelconque "regard". Et, encore moins celui de Mason. D'ailleurs, je trouve exagéré qu'on dise du film qu'il se focalise uniquement sur Mason. Le film s'attarde quand même beaucoup sur les autres membres de sa famille. Et, d'ailleurs, on les voit aussi vieillir, au même titre que Mason : de sa mère à son père, en passant par sa soeur.[/justify]
Je pense que le regard de Mason (qui devient photographe) se confond avec celui du metteur en scène - si Mason devait raconter sa vie, il se souviendrait probablement d'une suite de discussions, telles que le montre le film. Quant au film de 13 heures, dont tu parles, cela ne me dérangerait pas que Boyhood ait une suite. :mrgreen:
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par wontolla »

Vu le film pour la troisième fois hier soir ! :oops:
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par Flol »

Linklater imagine la vie future de Mason...

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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par gnome »

Strum a écrit :cela ne me dérangerait pas que Boyhood ait une suite. :mrgreen:
Moi non plus pour le coup. Découvert le film hier soir et ai été franchement conquis.
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Jeremy Fox
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Film aussi fascinant qu'émouvant, d'autant plus attachant et bouleversant que Linklater n'a pas choisi de filmer des séquences forcément dramatiques mais des étapes assez banales de la vie quotidienne d'une famille éclatée. Et du coup, l'empathie avec les différents personnages est d'autant plus facile surtout qu'ils sont tous superbement interprétés que ce soit par les adultes que par les deux enfants (la fille du cinéaste est aussi inoubliable que le jeune garçon).

A postulat de départ unique, un film au contraire d'une simplicité confondante qui nous fait prendre conscience du temps qui passe et qui nous dit de profiter de l'instant présent. Linklater ne cherche jamais l'intellectualisation mais s'attarde sur la poésie du quotidien et c'était à mon avis le meilleur moyen de nous faire partager son expérience. Les dix dernières minutes (à partir du moment où Patricia Arquette se rend compte qu'elle va désormais être seule) m'ont fait venir les larmes aux yeux et la dernière séquence est sublime.

Après la trilogie Before, encore un coup de génie du réalisateur.
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Ballard73
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Re: Boyhood (Richard Linklater - 2014)

Message par Ballard73 »

Découverte des films de Linklater, avec ce Boyhood d'une humanité incroyable. Le scénario n'a à priori rien de transcendant (l'histoire d'une famille américaine sur une quinzaine d'années). Cependant, la façon d'imbriquer le passage des années les unes après les autres, de montrer les difficultés, somme toute banales (mère seule avec ses enfants, le père biologique qui veut garder un lien fort avec ses enfants malgré le divorce, puis remariage de la mère, difficultés financières, etc.) rencontrées par cette famille, sont complètement exaltées par le talent de Linklater. Les mouvements de caméra, la BO qui colle aux 90's, la façon de filmer jamais larmoyante ou excessive, tout concourt à rendre formidablement prenant le déroulement ordinaire d'une vie, ou plutôt d'une enfance, celle de Mason. L'émotion qui ressort de ce visionnage est une mélange de nostalgie (né au milieu des 80's, j'ai grandi avec cette bande son), d'espoir face aux périodes difficiles, une vision positive de la vie à condition de faire face aux choix que nous faisons et de rester en mouvement. En effet, c'est bien le mouvement qui caractérise ce film, avec un grand nombre de scènes qui se déroulent en voiture ou en balade à pied. En contrepoint de ce mouvement, il y a le personnage de Mason qui cherche sa place, au moyen de la photographie, qui n'est finalement autre chose qu'un moyen de fixer le déroulement incessant de notre vie (donc d'arrêter le mouvement).
En période de confinement, on pourrait penser que la vision de ce film est pénible puisque notre mobilité est contrainte. Au contraire, le film montre aussi que l'intensité de la vie passe d'abord par les relations avec l'autre, et notamment la famille proche, et par tous ces petits moments du quotidien de la vie familiale. Cela peut paraître un peu trivial, mais en cette période, le film peut aider à voir avec un autre œil notre quotidien qui n'est justement plus constitué que de ces moments là, moments qui recèlent, sans que l'on s'en rende compte au premier abord, une certaine tendresse/richesse. Une des qualités des grands films est de montrer avec talent les choses les plus universelles (l'amour, la haine, la solitude, le temps qui passe, etc), et de réussir à faire naître chez le spectateur des émotions à partir de ces éléments.
Contrat rempli pour Boyhood en ce qui me concerne. 9 / 10
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