Johnnie To

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Johnnie To

Message par bruce randylan »

Judo / Throwdown (2004)

Image


Dans mes films du mois de mars, ce titre a obtenu le prix de la mise en scène amplement mérité. On était alors dans la période faste du cinéaste et on voit ici un plaisir permanent dans la réalisation. C'est un terrain d'inventivité incroyablement ludique qui dégage une assurance jamais prétentieuse tout en étant incroyablement formaliste avec une photographie superbe et des enjeux constamment décrit par la caméra et non les dialogues. Le scénario n'est d'ailleurs qu'un prétexte, pratiquement abstrait, qui se veut un hommage à Akira Kurosawa et qui ne repose essentiellement que la forme et l'alchimie des comédiens. Mais quand on essaye de décrire le scénario, ça ne veut pas dire grand chose et c'est bourré d’invraisemblances qui sont constamment détourné par un humour à froid des plus réjouissant.

Ca fait partie des titres à priori mineur du cinéaste et qui s'avère pourtant parmi ses plus personnels. Il y a déjà l'hommage à Kurosawa mais on retrouve aussi ses thèmes de prédilections : le goût du jeu, la complémentarité de l'amitié-rivalité et la valorisation de l'échec. Et il y a donc cette réalisation que j'ai trouvé euphorisante qui enchaîne les morceaux de bravoures avec nonchalance, décontraction et, disons-le, plénitude fusionnant l'aisance et la rigueur comme peu de cinéaste l'ont réussi. La présentation des 3 personnages est un pure régal, comme leur rencontre qui lance alors un pur festival de scènes irrésistibles : la séquence dans les toilettes, l'étourdissant dialogue dans la boîte de nuit, la course poursuite nocturne avec l'argent volé, le combat dans la boîte de nuit sous le regard imperturbable de Tony Leung Ka-fai, Louis Koo retrouvant le plaisir du Judo, les différents affrontements aux chorégraphies plus dansantes que jamais et le final dans les herbes qui renvoie directement au film japonais d'origine.
A part quelques petits relâchement avant la dernière ligne droite, c'est du pur cinéma aussi iconique que grisant. C'est bourré d'idées géniales et originales que ce soit dans la caractérisation des personnages, les ellipses, l'éclairage ou les touches décalés. J'avais un sourire béat du début à la fin. :D


Le DVD Asian Star est correct mais c'est vraiment le genre de film qui mériterait un blu-ray (qui existe d'ailleurs à HK). Par contre, niveau bonus, c'est bien rempli : une interview de la comédienne (ravissante), deux ITWs de Johnnie To (presque 1 heure cumulée) et un making-of de 10 minutes !

J'avoue préféré ce Judo à PTU que j'avais découvert il y a quelques mois avec et avec qui il partage beaucoup de points communs avec des déambulations nocturnes qui recoupent des décors identiques (comme la salle d'arcades). Mais PTU est pour le coup trop poseur et conscient de son formalisme écrasant qui finit par tourner à vide même si la direction artistique et son fabuleux travail sonore sont sensationnels.

Pour rester sur PTU, j'ai jeter un coup d’œil sur une des suites produites, mais non-réalisées, par Johnnie To : Tactical Unit - Comrades in Arms (Law Wing Cheong - 2008). Je ne le savais pas quand j'ai lancé le blu-ray mais il s'agit du dernier de la série et le premier à avoir droit à une nouvelle sortie en salle après 4 épisodes tournés pour la télévision.
On retrouve le même casting (Simon Yam, Lam Suet ou encore Maggie Siu) qui abandonne le Hong-Kong nocturne pour les montagnes boisées inhabitées de la frontière chinoise où les officiers traquent des pilleurs de banque en cavale. Sauf que notre escouade est en compétition avec une autre équipe et qu'ils ne se sont pas de cadeaux.
Image

Visuellement, on est a des kilomètres de la beauté du film de Johnnie To. La photo est plate, la réalisation possède beaucoup moins d'originalité et de personnalité. En revanche, on retrouve à plusieurs moment la patte du producteur dans plusieurs situations avec son sens de l'humour flegmatique, à la limite de l'absurde, basé sur l'attente et l'observation (le double contrôle d'identité du début ; les péripéties autour du pneu crevé ; les joueurs de paintball). Et le final offre un gunfight assez réjouissant dans son concept avec une nouvelle démonstration éclante de l'importance de l'espace pour une occupation très mathématiques des positions de tirs. Cependant, là encore, la mise en scène ne possède pas la puissance que To aurait pu y injecter s'il l'avait tourné lui-même.
A part ça, le scénario est très inégal, on croise autant de moments sympathiques que d'autres lourdingues car trop redondant et donc lassant (la paranoïa sur la foret hantée ; le voleur de portefeuille ; Lam Suet en Gaston Lagaffe...). Par contre, ca fait plaisir de découvrir des paysages hong-kongais très peu utilisés.
A condition de ne pas le comparer à son illustre prédécesseur, c'est un petit policier qui s'adresse aux fans mais qui reste bancal.
Par contre, il parait que les téléfilms Partners et No Way out sont bien meilleurs.


J'avais trouvé le blu-ray de Tactical Unit - Comrades in Arms (et de The Code) pour 5-10 euros à Hong-Kong (zone all, VOSTA, rien à redire techniquement). Ils ont l'air de se faire rares mais ils sont encore sur buyoyo à priori.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Johnnie To

Message par Profondo Rosso »

Drug War (2012)

Image

Lors d’une enquête, le capitaine de la brigade anti-drogue de Tianjin met sous les verrous un homme accusé d’être à la tête d’une importante fabrique de stupéfiants. Afin d’éviter la peine de mort, ce dernier apporte son aide à la police pour éradiquer le trafic et faire tomber le chef du réseau. Mais alors qu’un raid est lancé, le capitaine et sa brigade se retrouvent pris dans une spirale de violence que rien ne semble pouvoir arrêter...

Avec Drug War Johnnie To délaisse le terrain de jeu favori de ses polars, la tentaculaire Hong Kong laissant place à la Chine. Le postulat du film vient d'une recrudescence de la criminalité constatée en Chine et en particulier le trafic de drogue. Les conséquences sont à la fois sociales avec des provinciaux désœuvrées servant de mules mais aussi sanglantes avec une violence galopantes à travers une circulation des armes à feu accrue. Johnnie To et son acolyte Wai Ka-Fai vont se nourrir de tout cela pour leur scénario, somme de différents récits criminels recueillis auprès de la police des territoires chinoise. Johnnie To brode ainsi une classique histoire de gendarmes et voleurs à travers les problématiques et spécificités de ce cadre qui sans être inédit n'a pas forcément donné de polars mémorables - la censure chinoise tatillonne n'y étant pas pour rien.

Le thème du double et de la duplicité parcoure l'ensemble du film. Il repose tout d'abord sur les deux antagonistes du film, le capitaine Zhang Lei (Sun Honglei) et le trafiquant de drogue Timmy Choi (Louis Koo). Le second est sous la coupe du premier afin d'échapper à la peine de mort et va l'aider à remonter une filière. La détermination froide et la présence intimidante de Zhang Lei s'oppose ainsi à l'agitation de Timmy. La duplicité joue donc à des niveau différents pour chacun, le sang-froid du policier témoignant de sa ténacité et le mettant en valeur dans les moments de tension (ce moment où infiltré à doit consommer de la cocaïne pour donner le change) alors que Timmy semble toujours dans le calcul, ménageant la chèvre et le chou entre ses complices qu'il trahit et la police qui le contraint. Cette duplicité s'entrecroise ainsi dans l'interaction des personnages dans le doute mutuel constant mais aussi dans leur mission, le scénario réservant son lot d'instants de pure tension psychologique.

Le film démarre pied au plancher pour ne jamais relâcher la pression. Nous observons des professionnels au travail dont les traits de caractère s'esquissent dans les différentes actions parallèles (la filature d'un camion chargé de stupéfiant, les rencontres et les deals avec des barons de la drogue) que Johnnie To zèbre d'éclairs de violence saisissant. L'attaque d'un entrepôt sera l'occasion d'un mémorable morceau de bravoure mais c'est surtout la scène finale qui scotche par sa virtuosité. Johnnie To use de son art à confiner les antagonistes dans un lieu restreint avec ici une ruelle avoisinant une école primaire où toutes les forces en présence font se confronter. La gestion de l'espace est magistrale, la graduation du suspense tout autant pour aboutir sur un gunfight dantesque et sanglant où les masques tombent. Louis Koo est particulièrement épatant dans son personnage égoïste dont la veulerie atteint là des sommets (jusqu'à une ironique scène finale). Une belle réussite pour un Johnnie To jamais aussi à l'aise que dans le polar.
5/6
Avatar de l’utilisateur
Vic Vega
Roi du BITE
Messages : 3706
Inscription : 15 avr. 03, 10:20
Localisation : South Bay

Re: Johnnie To

Message par Vic Vega »

Profondo Rosso a écrit :- la censure chinoise tatillonne n'y étant pas pour rien.
Et d'ailleurs c'est ma seule réserve sur le film: sa fin qui sent à des kilomètres la concession à la censure chinoise. Pour le reste, largement d'accord avec l'avis de Profondo Rosso.
ImageImageImageImage
Avatar de l’utilisateur
shubby
Assistant opérateur
Messages : 2715
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Re: Johnnie To

Message par shubby »

Vic Vega a écrit :
Profondo Rosso a écrit :- la censure chinoise tatillonne n'y étant pas pour rien.
Et d'ailleurs c'est ma seule réserve sur le film: sa fin qui sent à des kilomètres la concession à la censure chinoise. Pour le reste, largement d'accord avec l'avis de Profondo Rosso.
J'ai appris à l'aimer, cette fin glaçante. J'y ai vu une question posée : quel camp choisir ? Tout du moins : où se positionner dans un tel monde ? Entre un arriviste sans scrupules et le rouleau compresseur chinois, j'ai choisi... les formidables sourds-muets ! D'ailleurs, si La scène de l'entrepôt est dantesque, le gunfight final m'a lui par contre un poil déçu : j'ai bcp repensé à celui de Expect the Unexpected à cet endroit.
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Johnnie To

Message par bruce randylan »

The royal scoundrel aka son of the beach (Johnnie To & Jonathan Chik Gei Yee - 1991)

Image

Deux policiers maladroits et pas toujours téméraires effectuent des mission en planque avec un succès mitigé. Les choses se compliquent encore plus quand leur supérieur est remplacé par un officier corrompu qui cherchent à les manipuler.

Une petite comédie romantico/policière tout à plaisante qui se suit avec un certain plaisir sans être non plus la plus marquante et inventive du genre. C'est juste qu'elle a un fort potentiel de sympathie avec ses acteurs attachants et un rythme pas si mal géré sans trop de temps morts.
Curieusement, on pourrait presque se dire que le film est sorti trop tôt et aurait pu (du ?) être avec Stephen Chow qui n'avait pas encore explosé. Sans doute car Tony Leung forme un duo avec Ng Man-tat et que son personnage s'inscrit assez bien dans sa filmographie avec ce héros un peu gauche, débrouillard et qui cache ses émotions derrière une certaine arrogance.
Et Tony Leung s'en sort pas mal du tout même s'il ne cherche pas à cabotiner ou à accentuer ses réactions. Il fait preuve en tout d'un bon timing et son duo avec Ng Man-tat fonctionne très bien comme les séquences avec Jacqueline Wu sont parfois touchantes.
Waise Lee fait une fois de plus le salaud de service, ici un policier véreux qui peut se montrer assez sadique dans ses méthodes. Son rôle est un peu sous-exploité cependant et la sous-intrigue policière n'est pas toujours bien intégré d'autant que les quelques rares scènes d'actions sont plutôt quelconques et filmées sans valeur ajoutée.
Le film est beaucoup plus réussi dans le registre de l'humour qui un peu moins non-sensique (et scato) que d'autres représentant de la même période. Sans être de francs éclats de rire, le film est souvent drôle surtout dans sa première moitié, avant que la dimension policière prenne le devant.
C'est d'ailleurs dans le début qu'on pourrait trouver la signature d'un Johnnie To (en appliquant peut-être un peu abusivement la politique des auteurs) avec tout un jeu sur l'observation, les regards et une réappropriation de l'espace scénique.



Découvert via un dvd fortune star zone all, non restauré, assez terne, dont le début fait très peur mais qui s'améliore par la suite.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Johnnie To

Message par bruce randylan »

Wu Yen (co-réalisé avec Wai Ka-fai – 2001)

Image

L'empereur Qi – célibataire – est obligé de se fiancer avec Wu Yen, une redoutable guerrière, qu'il considère comme repoussante à cause d'une tâche de naissance au visage. Affligée par cet handicap disgracieux, Wu Yen tente de trouver un moyen pour s'en débarrasser alors qu'un esprit amoureux d'elle se transforme en courtisane pour séduire Qi, espérant que ce dernier rompe ainsi les fiançailles.

Voilà bien un projet à part dans la carrière de Johnnie To, assez peu connu en dehors de Hong-Kong malgré un gros succès sur place, sans doute grâce au retour de Anita Mui sur les écran après 3-4 ans d'absence.

Même si To a déjà réalisé des comédies et des films plus légers, c'est peu dire qu'on ne l'attendait pas dans un registre aussi débridé que ce croisement entre le Mo Lei Tau et le film d'opéra pour accoucher d'une œuvre presque conceptuelle qu'il n'est pas évident de décrire. Il s'agit d'un détournement des codes de l'opéra traditionnel où les hommes interprétaient les personnages féminins (exploitant des physiques androgynes) en jouant à fond le jeu grotesque du travestissement et de la confusion des genres. Enfin l’interprétation malmène aussi les conventions scéniques en accentuant le maniérisme théâtrale. Les premières minutes donnent immédiatement le ton avec Anita Mui campant avec délectation la mauvaise foi de l'Empereur Qi, alors qu'il croise la route de Wu Yen et sa « défiguration ».
A ce niveau, j'ai envie de dire que c'est quitte ou double. Soit on rentre dans l'univers et son délire, soit on est consterné par les ressorts humoristiques. Pour ma part (et celle d'un pote), ce fut tout simplement irrésistible et hilarant avec Anita Mui qui n'a rien à envier à Stephen Chow au meilleur de sa forme entre timing, postures appuyées, modulations vocales et autres grimaces plutôt bien utilisés. En face d'elle, on trouve une fidèle de Johnnie To, Sammi Cheng qui alterne ici la comédie absurde et des moments plus touchants avec les nombreux rejets qu'elle subit, tout en se sachant de plus manipuler par l'Empereur qui se sert d'elle pour appuyer sa puissance. Il est cependant regrettable que Cécilia Cheung, dans le troisième rôle principal, ne soit pas au même niveau que ses 2 comparses. Même si elle avait fait ses début avec Stephen Chow dans King of comedy, elle semble assez perdu ici et manque autant d'assurance que de maturité pour une rôle qui aurait dû être plus dur et cynique.
Cette lacune est heureusement compensé par plusieurs seconds rôles plus à leur aise comme Lam Suet impayable.

De manière générale, le premier tiers est endiablé avant de connaître plusieurs baisses de régime, pour mieux repartir avec quelques scènes plus réussies (comme celle de la nuit de la noce), avant d'évoluer vers un dernier acte plus mélancolique, typique des associations To-Wai où l'échec, l'amertume et l'abnégation ne sont jamais loin. Le style est moins abouti et travaillé qu'à l'accoutumée, un peu contraint par une poignée limitée de décors, et laisse la part belle aux comédiennes, tout en assurant tout de même quelques jolies idées visuelles tel que les combats en marionnettes et ombres chinoises. Wu Yen est ainsi un peu coincé entre deux chaises, à la fois cohérent avec les thèmes du cinéaste tout en ayant l'impression d'être impersonnel par sa facture visuelle et une approche inhabituelle qui a tout pour rebuté le public non local.
Même si je suis conscient de ses limites et faiblesses, j'ai vraiment pris beaucoup de plaisir devant ce faux film mineur, plus riche qu'il n'y paraît. Et surtout régulièrement tordant il faut bien dire (pour qui est réceptif, faut-il préciser) avec un duo irrésistible.



Le blu-ray HK (zoné A) possède des sous-titres et une qualité d'image correcte mais loin d'être renversante, surtout vu sa direction artistique très coloré. Il y a juste en bonus un petit module promotionnel sur les 3 comédiennes (non sous-titré)
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18529
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Johnnie To

Message par Profondo Rosso »

The Odd One Dies (1997)

Image

Mo est un gangster criblé de dettes. Son seul moyen de s’en tirer est d’accepter un contrat pour un meurtre, qui entraînera sans doute sa propre mort. La veille du passage à l’acte, Mo gagne $200,000 au casino et décide de rompre son engagement. Son agent trouve Carmen, qui est prête à le remplacer pour moins cher. Mo tombe secrètement amoureux d’elle.

The Odd One Dies est un des premiers films issus de Milkyway Image, la compagnie de production fondée par Johnnie To en 1996. Après une longue carrière de faiseur tour à tour génial ou impersonnel, To façonne là un espace créatif sur mesure qui va lui permettre de rénover le polar hongkongais tout en occupant une place centrale dans le cinéma local post-rétrocession dont les grands talents (Tsui Hark, Johnnie To, Ringo Lam, Kirk Wong) ont tenté l'aventure américaine. Johnnie To s'éloigne des formules à succès du genre pour le déconstruire dans sa mise en scène, le ton adopté, les atmosphères et ce dès les premières années d'activité de Milkyway Image avec des films comme Expect the unexpected (1998), A Hero never die (1998), The Longest Nite (1998) ou The Mission (1999) - le premier et le troisième bien que crédité à Patrick Yau étant officieusement réalisé par Johnnie To en bon producteur interventionniste. On peut même dire que la mue s'était amorcée en amont avec l'excellent Loving You (1995) où les codes du polar n'étaient qu'un arrière-plan, presque un prétexte à une forme de "comédie du remariage". On retrouve ce mélange de polar et de romance dans The Odd One Dies mais de façon différente. Le conflit amoureux de Loving You reposait sur l'équilibre difficile entre la fonction de policier et la vie de couple et dénotait même dans le sous-genre du polar romantique qui offrit quelques pépites juvéniles et fougueuses comme A Moment of Romance de Benny Chan (1990) ou As Tear go by de Wong Kar Wai (1988). C'est à cette veine que l'on pense dans un premier temps avec le casting glamour et photogénique de Takeshi Kaneshiro et Carmen Lee. Mais point d'envolée canto-pop, de bad boy en marcel ou veste en jean, de jeune fille énamourée et innocente ou de chevauchée à moto ici, Johnnie To creuse une autre voie.

Le scénario semble au départ être une sorte de cadavre exquis enchaînant les séquences indépendantes à l'image de l'existence sans but de son héros Mo (Takeshi Kaneshiro). Ce dernier enchaîne les provocations rocambolesques où il ne semble qu'espérer une mort dont il réchappe toujours miraculeusement. C'est précisément cet attrait inexpliqué pour l'autodestruction qui semble paradoxalement inciter ses victimes à l'épargner : saccage d'une table de jeu qui entraîne un tabassage en règle, agression d'un truand. Son dernier écart lui vaut d'être contraint à exécuter un contrat pour meurtre mais ses instincts kamikazes vont de nouveau se confronter à un destin bienveillant. Ce sera tout d'abord lors d'une incroyable scène de pari où son jusque boutisme va avoir raison de la malchance et lui faire gagner une énorme somme. Dès lors il peut "sous-traiter" son contrat meurtrier, mais va alors tomber sur plus désespérée que lui avec Carmen (Carman Lee), jeune femme fraîchement sortie de prison. Déjà très à contre-courant du polar, le récit avec leur rencontre effectue une longue fuite en avant qui va la voir se jauger, se poursuivre et s'aimer. Les séquences folles et facétieuses s'enchaînent, décousues et incohérentes en apparences mais servant de révélateur du profond dépit des deux protagonistes, véritables parias solitaires. Défis inattendus et pièges divers mis en place par Carmen permettent au contraire au duo de se reconnaître. On est presque dans une sorte de A bout de souffle dans le cadre du polar HK, où l'enjeu criminel importe moins que les multiples pas de côtés où se devine un passé douloureux.

Alors que pour Mo comme Carmen, l'acceptation du contrat relevait presque du suicide programmé et assumé, plus ils apprennent à se connaître, plus cette perspective ne semble difficile. Johnnie To multiplie les séquences introspectives, dans des lieux clos prolongeant le spleen et la romance à l'échelle de la ville (les multiples séquences de trajet en tramway) ou de lieux spécifiques comme le bar, la chambre d'hôtel - magnifiés par la photo de Cheng Siu-Keung. La scène où ils parviennent enfin à réserver une chambre dans un palace est une vraie mue formelle pour le film qui perd de son imagerie heurtée et étouffée, et pour les personnages enfin soucieux d'eux-mêmes qui quittent leur allure négligée (le côté crasseux de Carmen ayant été bien appuyé en amont) pour retrouver une belle prestance physique. Takeshi Kaneshiro prolonge son incarnation juvénile, paumée et romantique vue notamment chez Wong Kar Wai et Carman Lee confirme la vulnérabilité et les belles aptitudes dramatiques vu dans ses précédents rôles chez To (Loving You, Lifeline (1996)). Johnnie To ne cède jamais au romantisme suranné (même le temps d'une très tendre scène de sexe) et adopte constamment ce petit ton décalé qui rend l'ensemble prenant et original de bout en bout. Le morceau de bravoure du contrat apporte un rebondissement certes attendu mais magnifié par le brio narratif de Johnnie To qui sait nous conduire vers une belle émotion finale. Un "polar" qui ressemble à peu d'autres par son côté feutré et arty, et une belle réussite pour ces premiers pas de Milkyway Image. 5/6
Répondre