Shinji Somai (1948-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Helward
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Helward »

bruce randylan a écrit :Mont Gassan (2000)

Un téléfilm produit pour mettre en valeur les classiques de la littérature japonaise. On y voit l'acteur Akira Emoto lire durant 50 minutes la nouvelle Gassan écrit par Atsushi Mori.
50 minutes non-stop de sous-titres très littéraires, voilà qui n'est vraiment pas aisé à suivre. Comme j'étais en plus assis trop proche de l'écran, il était presque impossible de lire les sous-titres ET regarder l'écran en même temps... J'ai donc décroché très rapidement à vouloir "lire" l'histoire qui n'a de toute façon pas évoqué grand chose pour moi.
J'ai préféré profiter des images où l'on retrouve sans peine le style de Somai : des plan-séquences avec travellings, mouvements de grue, zooms et flous. Même si la photo télévisuelle n'est pas très belle (le master vidéo n'arrange rien), il y a de très jolis plans en extérieur. On peut donc seulement se laisser porter par le rythme de la voix et de la caméra même si 50 minutes, c'est un poil long aussi.

Voilà, on dira que c'est avant tout une curiosité (très rare).

Dans cette collection, j'avais vu un épisode réalisé par Kiyoshi Kurosawa : Matasaburo, le vent qui provoquait le même sentiment : images fascinantes et hypnotiques mais l'histoire est tout bonnement impossible à suivre. Je pense qu'il faut vraiment comprendre le japonais pour apprécier la chose. Celà dit l'épisode de Kurosawa est tout de même supérieur à celui de Somai avec une mise en scène plus soignée qui donnai une atmosphère bien plus "narrative" (tout en étant parfaitement abstraite pourtant) là où Somai ne s'attarde presque que sur le lecteur de la nouvelle.
Çà doit être un exercice cinématographique typiquement japonais. Vu également deux essais du même style avec To the alley : the films Kenji Nakagami left out et Jésus dans les décombres tout deux de Shinji Aoyama, sous-titrés anglais en plus. Dire que j'ai galéré tient de l'euphémisme...
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par bruce randylan »

locktal a écrit : Tu as de la chance d'être sur Paris, quand même ! Etant déjà rentré à Dijon, cela sera donc le seul film de Somai découvert à la Cinémathèque... Sniff :( !
Une chance pour la cinéphilie... un calvaire pour la vie sociale :mrgreen:
Helward a écrit : Çà doit être un exercice cinématographique typiquement japonais. Vu également deux essais du même style avec To the alley : the films Kenji Nakagami left out et Jésus dans les décombres tout deux de Shinji Aoyama, sous-titrés anglais en plus. Dire que j'ai galéré tient de l'euphémisme...
C'est peut-être issue de la même série TV ? Enfin, j'espère pour eux :|


Bon on continue :D

Luminous Woman (1987)

Un homme d'Hokkaido, rustre et naïf, se rend à Tokyo pour retrouver sa fiancée. Il se fait embaucher dans un étrange club pour y faire des matchs de lutte où se produisent en même temps acrobates, pianiste et chanteuse d'opéra.

L'un des films les plus libre de Somai. Si ce n'est son plus libre. Autant dire qu'il n'est pas facile d'en parler tant Somai mélange les tonalités, les registres, les humeurs.
Le décalé, la farce, la candeur fusionnent avec la mélancolie, le drame ou le lyrisme... le tout baignant dans un léger surréalisme permanent sans jamais forcer le trait ni tomber dans la démonstration d'une virtuosité narrative. C'est un patchwork hétéroclite mais toujours fluide, cohérent dans son univers. Un univers qu'on adopte par ailleurs assez facilement (pour moi en tout cas, ça ne doit pas fonctionner pour tout le monde)
Le film à son propre rythme, ses propre codes, une atmosphère assez unique qui ne ressemble à pas grand chose.
Autant dire que tout repose sur la mise en scène de Shinji Somai qui se lance dans un numéro d'équilibriste délicat qu'on pourrait prendre pour du suicide commerciale si le résultat n'était pas à ce point réussi et singulier.
Il faut dire que le film à une réelle unité, grâce principalement aux très beaux airs d'opéra qui permet de "lisser" les variations de registres.
Les séquences mémorables ne manquent ainsi pas dans Luminous woman : la rencontre dans la décharge, les combats dans l’arène de la boite de nuit, la scène d'amour dans la piscine suivi de l'incendie du bus, le héros demandant une inconnue en mariage qu'il poursuit dans un tunnel, la relation avec un vieux chanteur d'opéra malade qui tient un petit restaurant, la chanteuse paniquant dans une maison où le vent s'engouffre, l'affrontement à la fin avec le chef...
Les mouvements de caméra de Somai sont dans l'ensemble moins "bricolée" que dans d'autres films d'où une facture plus posée et sensible. On trouve cela dit un ahurissant plan-séquence dand la maison en proie au courant d'air avec une caméra qui est proprement portée par le vent (elle traverse une fenêtre et oscille dans la maison comme si elle était perchée sur une balançoire qui changerait régulièrement de direction - vraiment impressionnant).

Comme PP Rider mais à un stade bien moins absurde et refermée sur sa propre logique, voilà une oeuvre essentielle, très riche et dense qui ne s'appréhende certainement pas un seul visionnage. Ce n'est pas l'émotion qu'on peut ressentir sur ses films les plus "directs" mais un film personnel entêtant qui possède une vision qui n'appartient qu'à lui.
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Helward »

bruce randylan a écrit :
Helward a écrit : Çà doit être un exercice cinématographique typiquement japonais. Vu également deux essais du même style avec To the alley : the films Kenji Nakagami left out et Jésus dans les décombres tout deux de Shinji Aoyama, sous-titrés anglais en plus. Dire que j'ai galéré tient de l'euphémisme...
C'est peut-être issue de la même série TV ? Enfin, j'espère pour eux :|
Pas trouvé d'info sur le net, les deux courts d'Aoyama datant de 2000...
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Luminous Woman (1987)

Un homme d'Hokkaido, rustre et naïf, se rend à Tokyo pour retrouver sa fiancée. Il se fait embaucher dans un étrange club pour y faire des matchs de lutte où se produisent en même temps acrobates, pianiste et chanteuse d'opéra.

L'un des films les plus libre de Somai. Si ce n'est son plus libre. Autant dire qu'il n'est pas facile d'en parler tant Somai mélange les tonalités, les registres, les humeurs.
Le décalé, la farce, la candeur fusionnent avec la mélancolie, le drame ou le lyrisme... le tout baignant dans un léger surréalisme permanent sans jamais forcer le trait ni tomber dans la démonstration d'une virtuosité narrative. C'est un patchwork hétéroclite mais toujours fluide, cohérent dans son univers. Un univers qu'on adopte par ailleurs assez facilement (pour moi en tout cas, ça ne doit pas fonctionner pour tout le monde)
Le film à son propre rythme, ses propre codes, une atmosphère assez unique qui ne ressemble à pas grand chose.
Autant dire que tout repose sur la mise en scène de Shinji Somai qui se lance dans un numéro d'équilibriste délicat qu'on pourrait prendre pour du suicide commerciale si le résultat n'était pas à ce point réussi et singulier.
Il faut dire que le film à une réelle unité, grâce principalement aux très beaux airs d'opéra qui permet de "lisser" les variations de registres.
Les séquences mémorables ne manquent ainsi pas dans Luminous woman : la rencontre dans la décharge, les combats dans l’arène de la boite de nuit, la scène d'amour dans la piscine suivi de l'incendie du bus, le héros demandant une inconnue en mariage qu'il poursuit dans un tunnel, la relation avec un vieux chanteur d'opéra malade qui tient un petit restaurant, la chanteuse paniquant dans une maison où le vent s'engouffre, l'affrontement à la fin avec le chef...
Les mouvements de caméra de Somai sont dans l'ensemble moins "bricolée" que dans d'autres films d'où une facture plus posée et sensible. On trouve cela dit un ahurissant plan-séquence dand la maison en proie au courant d'air avec une caméra qui est proprement portée par le vent (elle traverse une fenêtre et oscille dans la maison comme si elle était perchée sur une balançoire qui changerait régulièrement de direction - vraiment impressionnant).

Comme PP Rider mais à un stade bien moins absurde et refermée sur sa propre logique, voilà une oeuvre essentielle, très riche et dense qui ne s'appréhende certainement pas un seul visionnage. Ce n'est pas l'émotion qu'on peut ressentir sur ses films les plus "directs" mais un film personnel entêtant qui possède une vision qui n'appartient qu'à lui.
:D mon film du mois de novembre dernier.
Tu décris exactement mon ressenti.
J'appuierais également la présence massive de l'acteur principal, Keiji Mutô, figure spontanée et faussement naïve lâchée dans un univers urbain dont il ne comprend pas les codes (le plan où il se retrouve au milieu de la foule tokyoïte grignotant sa pomme en costard flashouille et barbe rétive est assez cocasse :mrgreen: )
Et puis ce dernier plan pastoral qui égrène sa douce morale clôt magnifiquement cette oeuvre totalement libre.
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par bruce randylan »

Helward a écrit : Pas trouvé d'info sur le net, les deux courts d'Aoyama datant de 2000...
La même année que le Somai et le Kurosawa. C'est peut-être donc bien la même série :wink:

Helward a écrit : Tu décris exactement mon ressenti.
J'appuierais également la présence massive de l'acteur principal, Keiji Mutô, figure spontanée et faussement naïve lâchée dans un univers urbain dont il ne comprend pas les codes (le plan où il se retrouve au milieu de la foule tokyoïte grignotant sa pomme en costard flashouille et barbe rétive est assez cocasse :mrgreen: )
Et puis ce dernier plan pastoral qui égrène sa douce morale clôt magnifiquement cette oeuvre totalement libre.
Copain ! :D
En effet, je n'ai pas parlé de l'acteur. C'est injuste car sa bonhomie est pour beaucoup dans la qualité du film. Son physique contamine énormément la perception du spectateur.

Wait and see (1998)

Vivant son fils, sa femme et sa belle belle-mère, un employé de banque voit débarquer un jour un homme âgé qui se présente comme son père... alors qu'on lui avait dit que celui-ci était décédé depuis des décennies.

Un des films les plus chaleureux de Somai : une histoire simple, des personnages simples et des émotions simples. Simples mais réelles et palpables.
Conscient de ça, on dirait que Somai se met en recul avec une mise en scène beaucoup plus dépouillée qu'à son habitude. Les plan-séquences sont dans l'ensemble moins longs et moins techniques. Un peu plus de classicisme maisjamais de l'académisme car certains moments ne sont pas dénués d'un lyrisme discret (très belle scène sur le toit de l’hôpital avec un soleil couchant) et une longueur de prises de vues qui permet aux sentiments de s'exprimer sans tricher comme ceux où le vieux père se retrouve face à son ancienne femme et qu'elle lui livre un secret.

Wait and see fonctionne ainsi par des petites touches, ces moments du quotidien - graves ou légèrs - qui font avancer les personnages. En évoquant les délaissés et SDF, Somai renoue d'ailleurs avec une veine sociale qu'il avait presque délaissé depuis The catch. Encore une fois, ces éléments sont toujours admirablement bien intégrés à un scénario intelligent qui font répondre l'histoire de famille avec les moments extérieurs ou anodins comme le parallèle avec les poussins. Ca conduit à une fin magnifique et très poétique où les larmes jaillissent sans qu'on s'y attende, en quelques secondes.
C'est l'une des qualité de film : de garder une force lumineuse et positive tout du long. Somai semble nous dire que la mort fait partie de l'apprentissage de la vie, qu'il faut l'accepter pour mieux se comprendre soi-même.

Les personnages sont ainsi immédiatement très attachants, très crédibles et "vivants", des premiers rôles jusqu'aux moindre figurants (dont Shinya Tsukamoto interprétant un médecin). C'est ainsi le cas par exemple avec la compagne du (grand)père qui n’apparaît ainsi que dans 2 scènes et dont la nature ne devrait pourtant pas attirer la sympathie.

Il sort du film une sérénité, un calme et une tendresse frémissante comme la surface d'un lac.
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par bruce randylan »

Et voilà ! L'ultime avis de cette rétrospective Shinji Somai :D

Sailor Suit and Machine gun

La jeune étudiante vient de perdre son père (après que sa mère soit déjà décédée). Ce qu'elle ne sait pas c'est que son père aurait dû prendre le contrôle d'un petit clan Yakuza. Elle hérite donc de ce poste.

Deuxième réalisation de Somai et pour voir qu'il date de la même année que The terrible couple, on sent le cinéaste autrement plus à l'aise dans ce film curieux et détonnant... mais son style est encore en gestation.
Il souffle le chaud et le froid avec presque toujours le même flegme détaché que les séquences soient décalées ou tragique. C'est un traitement assez original qui, comme souvent chez lui, échappe par miracle à l’exercice de style ou la prétention.
C'est à la fois touchant, décalé, inquiétant, torturé, drôle, poétique sans jamais que Somai cherche à appuyer un genre ou les effets. On peut ainsi passer d'une scène humoristique où un yakusa lave une table en trempant son torchon dans un aquarium pour enchaîner sur la mort d'un des personnage principaux avant de passer à des séquences assez sombre avec l'héroïne placée sur une mine anti-personnelle ou sur le point d'être violée.
Chaque scène possède ainsi un détail, un élément saugrenu, tenant presque à la parodie, mais intégré au récit avec une évidence logique. Le film est filmé avec la même candeur que le regard de l'adolescente, naïve et pleine de bonne volonté mais plongée dans un univers sans pitié. En même temps, on trouve beaucoup des conventions du genre mais détournées vers quelque chose d'inédits, au final bien plus audacieux que les relectures que Kitano fera quelques années plus tard (la démarche est presque l'inverse avec des yakuzas régressant vers l'enfance).

Ca peut donner des moments brillants : le coming-out hilarant d'un des yakuzas, des scènes de beuverie, une déclaration d'amour se terminant par une mort inattendue, le méchant amputé des deux jambes, l'intronisation chez les yakuzas (qui possède une voiture bien pourrie)...
Mais ce n'est pas sans créer un revers à la médaille : les seconds rôles et leurs motivations apparaissent ainsi régulièrement flous, désincarnés. Certains, comme les camarades de classe, sont tout simplement inexistants. Ce décalage et le traitement entre la pureté et la dureté joue plusieurs fois au détriment de l'émotion. Somai est bien plus à l'aise avec la figure principale, une adolescente sur le point de quitter avec violence les jours insouciants de sa jeunesse.
Et puis, on sent que Somai n'a pas le budget de ses ambitions et certains moments paraissent assez kitsch et fauché (les "scènes d'action" comme dans la salle d'opération). Il parvient de temps en temps à déjouer ça en jouant le second degré mais ça ne fonctionne pas toujours.

Malgré donc un talent évident, un ton toujours aussi unique, des fulgurances stupéfiantes, Sailor suit and machine gun est également un peu bancal, assez inégal dans son traitement, avec en plus quelques problème de longueurs.
Mais c'est une oeuvre importante, incontournable et majeur dans l'évolution du cinéma japonais, justement par cette d'innocence juvénile plongée dans le bruit et la fureur (une gamine avec des gros armes à feu quoi).
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Al Farfalle »

Bonjour à tous, j'ai pu voir un podcast de la cinémathèque française sur la rétrospective consacrée à Shinji Somai ; et vos retours ont achevé de me mettre l'eau à la bouche.
Pourtant j'ai beau chercher sur amazon, aucune de ses oeuvres n'est éditée. Est-ce que vous savez où je pourrais trouver l'intégrale du réalisateur ?

En vous remerciant
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Ikebukuro »

bruce randylan a écrit :Typhoon club (Taifu-kurabu - 1985)

Dans un collège de campagne, le quotidien de divers élèves évoluent alors qu'un violent ouragan se rapproche.

Un film très riche dont une seule vision ne suffit pas à appréhender. (désolé donc si ce texte parait brouillon ou décousu).
A noter qu'il s'agit du seul film de Shinji Somai distribué en France.
Ce superbe film a été distribué en France? Sous quel format (VHS, DVD...)?
Je me souviens l'avoir vu il y a presque 20 ans sur Arte lors d'un festival consacré au cinéma japonais avec d'autres pépites... j'en ai gardé longtemps un souvenir ému...
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Ikebukuro »

Pas de réponse?
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par bruce randylan »

Au début du topic je disais qu'aucun film n'existait en video en dehors du Japon. :idea:
La distribution concernait donc seulement une sortie salle.

Donc hormis les sites de fan sub (ou acheter les droits :uhuh: ), aucun moyen de voir les films de Shinji Somai.
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Profondo Rosso »

Typhoon Club de Shinji Somai (1985)

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Les élèves d'un lycée de la banlieue de Tokyo voient leur comportement influence par l'approche d'un typhon. Le danger naturel leur fait découvrir la "vraie" vie que les adultes oublient si souvent. Peu à peu l'approche du danger va les faire se découvrir, leur masque social va tomber.

Shinji Somai est un des cinéastes majeurs du cinéma japonais des années 80/90 – la prestigieuse revue japonaise Kinema Junpō le consacrera d’ailleurs meilleur réalisateur japonais des 80’s. Son œuvre demeure malheureusement méconnue en occident et notamment en France où la révélation de Takeshi Kitano a un peu occulté d’autres artistes aux yeux de la critique. Typhoon Club est une de ses rares œuvres à être sortie en salle en France et s’avère une des plus emblématiques de son œuvre où il explore souvent le thème de l’adolescence. On suit ici un groupe d’élèves d’un lycée de la banlieue de Tokyo dans les quelques jours puis heures précédant l’arrivée d’un typhon, puis leur expérience collective et individuelle durant son passage. La belle scène d’ouverture qui voit les adolescentes s’introduire de nuit dans la piscine du lycée traduit déjà le besoin associé d’évasion et de transgression de leur âge. Les rires et jeux d’eau puérils les place encore dans l’enfance mais une forme de sensualité ainsi que la manière dangereuse de tester leur limite (sans conséquence dans cette scène) les place déjà face aux maux de l’âge adulte et notamment le questionnement sur la mort qui hante le film. Chacun des personnages permet d’explorer le regard insouciant, anxieux et/ou mature qu’ils ont par rapport à leur quotidien et de quelle manière le passage du typhon va mettre tout cela à mal. Sous la légèreté, le malaise se propage de façon explicite et inattendue (cet élève blessant par possible dépit amoureux une camarade avec un produit chimique) ou alors contenue sous le sérieux à travers le caractère trop réfléchi de Mikami (Yuichi Mikami).

ImageImage

Shinji Somai sait donner un caractère mystérieux à ce mal-être (le long plan fixe sur cet élève entrant et sortant machinalement d’une pièce en tenue de base-ball) dans un rythme flottant où les révélations rompant la norme (l’attirance lesbienne de deux lycéennes) passent comme dans un rêve où seule la curiosité concupiscente des garçons amène un brin de légèreté. Les personnages ne semble vivre que pour le moment présent mais un possible futur frustrant s’invite par inadvertance dans leur salle de classe (avec la famille de la fiancée de leur professeur) et leur rappelle le peu d’horizon qu’offre leur campagne (le professeur s’amusant à les traitant de paysan et articulant ses problèmes de maths dans ce sens). Cela passe subtilement avec le grand frère étudiant de Mikami et plus violemment avec la réaction de Michiko (Yuka Onishi) demandant des comptes au professeur (Tomokazu Miura) pour l’esclandre. Le naturalisme de la mise en scène de Somai laisse flotter à la fois une angoisse latente mais aussi toute la radieuse innocence de cet âge des première fois. La première partie sert donc d’observation et d’attente autour d’émotion prête à exploser avec le passage du typhon.

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L’espace de l’école à disposition de quelques élèves coincés sert paradoxalement de libération tour à tour inquiétante (une agression sexuelle qui s’interrompt avant le drame, des penchants suicidaires) et euphorisante. La frustration s’exprime par le dialogue à travers l’échange téléphonique laconique entre Mikami et le professeur, les tabous s’estompent par la vivacité, la sensualité puis la nudité des corps (et dans cette dualité la nudité est d’abord forcée avec l’agression avortée) dans un mouvement instinctif où les conventions n’ont plus cours. Shinji Somai l’illustre par une des figures formelles majeures de son cinéma, le plan-séquence. Les deux principaux interviennent justement dans cette émancipation des corps et des êtres dont il scrute la progression, la contagion joyeuse parmi les élèves. Le réalisateur capture à la fois la candeur et la sensualité de ces silhouettes juvéniles en les filmant à distance dans un pur instantané collectif. Mikami filmé constamment à l'extérieur puis participant à cet élan représente le paradoxe insoluble d'une quête individualiste qui se refuse, et d'une jouissance commune qu'il ne se résout pas à rejoindre pleinement - ce que les cadrage, montage et composition de plan autour du personnage laissent parfaitement voir dans les choix de Shinji Somai. Parallèlement l’échappée se fait à Tokyo pour Rie (Yūki Kudō) où l’inquiétude, l’excitation et les mystères de la grande ville (magnifique rencontre fantomatique et poétique avec des duettistes joueur de flûte dans une galerie marchande) offre là aussi toute une gamme d’expériences inattendues.Shinji Somai offre un contraste captivant de ce que peut être ce moment de l’adolescence pour chacun dans un propos universel, et reposant sur la lumière et les ténèbres dans un final où la tragédie se dispute l’optimisme. 5/6

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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Profondo Rosso »

Sailor suit and Machine gun de Shinji Somai (1981)

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À la mort de son père, une jeune lycéenne voit sa vie bouleversée lorsqu'elle apprend qu'elle hérite de la direction d'un clan de Yakuza.

Shinji Somai trouve dans la thématique de l’adolescence un vrai fil rouge au sein de sa filmographie puisqu’il creuse ce sillon dans sept de ses treize films. Pour le réalisateur le point culminant d’une perte d’innocence à cette période fragile passe souvent par évènement extraordinaire pour ces jeunes héros. Cela passe par une cohabitation inattendue des ados de The Terrible Couple (1980), le passage d’un typhon le temps d’une nuit dans le magnifique Typhoon Club (1985) ou encore le déménagement avec en toile de fond la séparation de ses parents pour la fillette de Déménagement (1993). Le postulat le plus fou de cette facette intervient cependant dans Sailor Suit and Machine Gun, adaptation d’un roman de Jirō Akagawa où la lycéenne Izumi Hoshi (Hiroko Yakushimaru) se retrouve bien malgré elle à la tête d’un clan yakuza.

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Somai se plaît à introduire ses adolescents dans la fleur de leur insouciance avant d’effectuer la bascule dans le déroulement du récit. Ainsi avant les nageuses délurées en ouverture de Typhoon Club, on découvre Izumi se contorsionnant la tête en bas. La trame policière (un chassé-croisé autour d’une cargaison d’héroïne) est moyennement prenante, l’intérêt réside dans la confrontation de la candeur d’Izumi face à l’impitoyable monde des yakuzas. Somai joue dans un premier temps du décalage (les membres du clan venant chercher Izumi au lycée) et de la parodie, la dévotion toujours extrême des subordonnés incitant Izumi à accepter l’embarrassant héritage sans quoi ils seraient partis en mission suicide. On découvre les différents codes yakuzas à travers le regard ingénu d’Izumi où se détache néanmoins un vrai esprit chevaleresque avec le personnage de Sakuma (Tsunehiko Watase), subtile et touchante incarnation des premiers émois amoureux de notre héroïne. Sous l’humour, le film participe néanmoins à la déconstruction de la figure du yakuza qu’on trouve dans des films plus « sérieux » comme Combat sans code d’honneur de Kinji Fukasaku. Ainsi la dimension attachante et le sens de l’honneur entrevu dans le clan d’Izumi est contrebalancé par les méthodes perverses et la violence bien réelle de leur adversaires avec l’appât du gain que suscite l’héroïne. Point de débordement trop féroce à la Fukasaku mais plusieurs situations cruelles et de morts tragiques viennent briser l’innocence d’Izumi.

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L’aspect le plus intéressant est la fonction de famille reconstituée ou dysfonctionnelle que constitue le clan yakuza. Un dialogue souligne dès le départ que les rôles s’étaient renversés entre Izumi et son père défunt pour lequel elle occupait une fonction presque maternelle. Les membres du clan sont des enfants égarés sollicitant une autorité, une affection filiale qu’ils n’ont pas eues dans leur enfance. C’est par ce biais qu’est désamorcée une scène potentiellement sordide où Izumi soigne un yakuza blessé et que la proximité incite ce dernier à lui avouer que son parfum lui rappelle celui de sa mère. Il finit par l’étreindre mais sans la moindre connotation sexuelle, ce que Izumi comprends aisément en lui rendant cette marque d’affection dans une pure gestuelle maternelle – le tout dans un superbe plan-séquence de Somai.

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A l’inverse de cette simplicité dans les relations et choix filmiques, Somai témoigne de plus d’extravagances chez les antagonistes. Le personnage de Mayumi (Yuki Kazamatsuri) est en quelque sorte le miroir inversé d’Izumi, fille de yakuza à la destinée tragique. La stylisation des environnements (cet antre de yakuza évoquant un temple démoniaque), la caractérisation pittoresque (un méchant en fauteuil roulant qui réserve des surprises) et les méthodes sadiques forment alors un tout négatif représentant cette tournure néfaste du monde yakuza. Izumi va donc irrémédiablement va donc se voir brutalement imposer la corruption des adultes et céder brièvement à ses bas-instincts dans une scène qui donne son titre au film. L’épilogue signe ce désenchantement, croisant les premières expériences adolescentes (le premier baiser final triste à souhait) à une vision plus adulte. La dernière scène l’exprime parfaitement par l’image avec Izumi déambulant dans les rues en uniforme de lycéenne en portant des talons hauts rouge de dame pour signifier cette dualité. Le film sera un immense succès au box-office japonais et son œuvre la plus populaire localement. L’actrice Hiroko Yakushimaru deviendra une vedette en tant qu’Idol (elle chante la chanson du générique de fin) et actrice tandis que le film connaîtra remake, déclinaison en série tv et diverses suites dans les années suivantes. 4,5/6

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Re: Shinji Somai (1948-2001)

Message par Profondo Rosso »

Lost Chapter of Snow : Passion (1985)

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Iori a été adoptée très jeune et placée dans une famille où elle ne s'épanouissait pas. Un voisin la prend en charge et quelques années plus tard quand elle devient adolescente, elle éprouve des sentiments pour celui-ci.

Shinji Somai poursuit son exploration des maux de l'enfance avec ce Lost Chapter of Snow : Passion objet curieux qui, à la manière de Sailor suit and Machine gun mais dans un registre plus dramatique opère un surprenant mélange des genres. On y suit le destin de Iori (Yuki Saitō), jeune orpheline qui entre l'enfance et la fin d'adolescence se trouvera en plein questionnement dans sa raison d'être, ses sentiments. Le point le plus immédiatement frappant du film consiste en ses ruptures de ton, tant esthétiques que narrative. L'ouverture est ainsi un magistral plan-séquence de 13 minutes qui dépeint la rencontre de Iori, jeune orpheline minée par la solitude et le désespoir au sein d'une famille d'accueil lui menant la vie dure. Yuichi (Takaaki Enoki) la rencontre et s'attache à elle au point de l'accueillir et de l'élever lui-même. Le plan séquence abolit la notion d'espace et de temps pour nous plonger dans une atmosphère de conte hivernal à la Dickens où la neige fait figure d'élément pur propre à traduire la candeur de l'enfant et la bienveillance de Yuichi. Les mouvements de grue nous emmènent d'un décor à un autre, et les états d'âmes ainsi que les situations passent par la seule image dans un jeu sur les cadrages, composition de plan et travail sur le hors-champ. L'isolation d’Iori dans sa famille adoptive se ressent donc autant par le mal-être qu'exprime à voix haute la fillette que dans sa place toujours à part (à l'extérieur dans la scène introductive, dans une pièce séparée quand elle y reviendra avec Yuichi), tout un plan d'ensemble où elle se brosse les dents avec Yuichi souligne leur lien naissant. L'élément perturbateur viendra toujours d'une voix/présence souvent féminine qui l'expulse/l'isole du foyer, dans ce début de film avec la servante méprisant ses origines (et plus tard la fiancée de Yuichi venant l'inciter à partir) tandis que les éléments masculins font figure de protecteurs - Daisuke (Kiminori Sera) meilleur ami de Yuichi la ramenant au foyer après sa tentative de fugue (élément déjà présent dans Sailor suit and Machine gun où le mentor de l'héroïne était masculin. Cette entrée en matière est d'une telle force que l'on en oublie l'incroyable virtuosité du plan-séquence pour n'en retenir que la portée émotionnelle, superbement conclue par les larmes de rage et d'apaisement de la fillette.

La suite diffère totalement par son traitement plus réaliste, mais le fil rouge du sentiment d'insécurité de Iori, désormais adolescente, demeure. Malgré l'affection de Yuichi, son entourage ne cesse lui rappeler son statut précaire et à quel point elle est supposée être un poids et l'objet de sacrifice pour Yuichi. Shinji Somai n'égale pas son incroyable entrée en matière même si les moments de ruptures et/ou de rapprochement se construisent également à travers le plan-séquence. Le meurtre qui introduit une inattendue trame policière fonctionne ainsi avec des coupes habilement placées, il en va de même pour l'errance et les confidences sur son propre passé d'orphelin de Daisuke envers Iori sur une plage pluvieuse, mais aussi du dernier moment de bonheur commun dans un parc sous un cerisier en fleur. Ces bascules de ton et genre pourrait nous perturber si ce n'était la magnifique prestation à fleur de peau de Yuki Saito (idol pop emblématique au Japon à cette période), confirmant le talent de directeur de jeunes actrices de Shinji Somai. La joie, le désespoir, l'indécision entre la séduction naissante et la vulnérabilité enfantine, tout cela passe magnifiquement dans l'attitude corporelle (où la prostration se dispute à l'hyperactivité exutoire) et les moues changeantes de la jeune actrice que le réalisateur fige dans des situations ordinaires ou alors d'un onirisme inspiré - notamment dans le motif exutoire de l'eau que l'on retrouve dans Typhoon Club (1985) et le beau final de Moving (1993). La trame policière était sans doute de trop (mais peut-être mieux introduite dans le roman de Marumi Sasaki que Somai adapte ici) mais permet à travers la révélation finale d'élargir le spectre des conséquences d'une enfance meurtrie. La conclusion typique des grands écarts du "shojo" est d'ailleurs dans la lignée des revirements inattendus du film. Une œuvre passionnante donc malgré quelques errements et dont l'introduction justifie à elle seule le visionnage. 4,5/6
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

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Moving (1993)

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Renko, onze ans, rêve d'une famille unie et heureuse mais voit avec douleur ses parents se séparer. La petite fille se révolte d'abord intérieurement puis finit, traumatisée, par commettre des actes insensés prouvant combien son psychisme est perturbé. D'une surprenante maturité, elle refuse cependant d'accepter la situation et son attitude devient de plus en plus extrême et dangereuse pour elle-même et son entourage.

Dans le cycle de l’adolescence de Shinji Somai, chaque intrigue part d’un bouleversement pour les jeunes protagonistes. Celui-ci peut être symbolique (le typhon enfermant les personnages dans Typhoon Club (1985)) ou intime (le décès du père dans Sailor Suit and Machine Gun (1983)) mais constituera une maturité à travers l’épreuve des maux du monde des adultes. Pour la jeune Ren (Tomoko Tabata), ce bouleversement va concerner la séparation de ses parents qu’elle n’acceptera jamais vraiment. La scène d’ouverture scelle à la fois le dernier moment d’union familiale, révèle les non-dits qui amorcent la rupture et surtout l’impact que cela a déjà sur Ren. Cette scène de repas dans son découpage et la disposition des personnages séparent ainsi les parents, réunis au sein d’un même plan uniquement avec Ren au centre de l’image en tant que victime de la scission mais aussi seul lien qui rapproche encore le couple. L’intrigue montrera ce divorce comme une forme de soulagement pour les adultes. Pour le père (Kiichi Nakai) qui a quitté le foyer c’est une échappée libératoire face aux responsabilités qu’impose la société japonaise aux hommes quand la mère (Junko Sakurada) y voit également une émancipation à la soumission féminine attendue - un échange vindicatif évoquant les motifs de rancœurs et déception de chacun. Ces subtilités et surtout cette acceptation tranquille de ce bouleversement est insupportable pour Ren. Somai situe cette perte de repères face à l’extérieur où cette position d’enfant de parents divorcés suscite la malveillance des autres camarades de son âge pour lesquels ce modèle familial est encore peu répandu. C’est également un désordre intime où Ren se confronte à la solitude, à des responsabilités domestiques anticipées. La fillette en détresse répond à chaque situation par un excès aussi désespéré que buté.

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Ses caprices provoquent un rapprochement forcé des parents qui ravivent des plaies à vif, notamment la longue séquence où elle s’enferme à la salle de bain. L’appartement illustre tout ce qui sépare la famille désormais dans chacune de ses pièces. La promiscuité du couloir remets en avant les reproches passés, la composition de plan dans le salon unit le couple par l’image mais les éloigne dans le jeu de focales, et enfin un mur empêche toute communication entre Ren et ses parents – la vitre de la salle de bain brisée par la mère, le père prostré face à la chambre de Ren. Dès lors ce refus véhément de notre héroïne repose sur la fuite en avant, dans une course effrénée pour ne pas regarder en face un état qu’elle refuse, pour ne pas écouter des explications qu’elle ne veut pas entendre. Le traitement de Somai totalement à fleur de peau, propose une manière assez unique d’aborder ce thème du divorce. La dimension sociale est sous-jacente mais c’est clairement la douloureuse expérience morale et physique de cette séparation qui guide la mise en scène. Cela donnera l’atmosphère pastorale tour à tour apaisante puis hallucinée et éprouvante de la dernière partie. Ren apprend à isoler le souvenir auprès de ceux ayant perdu bien plus qu’elle, et les festivités du matsuri d’été donneront lieux à une expérience mystique poignante. Les rires et les larmes s’entremêlent face au souvenir, où Ren semble enfin prête à grandir. Tomoko Tabata livre une performance bouleversante pour son jeune âge, suscitant une émotion et empathie de tous les instants. Shinji Somai s’avère définitivement un maître pour filmer l’enfance dans cette œuvre s’offrant comme un pendant japonais de Luigi Comencini sur les même thématiques (L’Incompris (1966), Eugenio (1980)…). 5/6

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Re: Shinji Somai (1948-2001)

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The Friends (1994)

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Pendant les vacances d'été, trois garçons s'amusent à espionner, avec des idées macabres en tête, un vieillard excentrique qui vit seul dans une maison isolée. Petit à petit, ils se rapprochent et découvrent un homme hors du commun.

Shinji Somai signe ici un de ses plus beaux portraits d'enfance dans une de ses œuvres relativement méconnues. Nous suivons ici les trois jeunes garçons Kiyama (Naoki Sakata), Kawabe (Yasutaka Oh) et Yamashita (Ken'ichi Makino) le temps d'un été où comme souvent chez Somai il sera question de découverte pour des protagonistes juvéniles. Yamashita ayant perdu récemment sa grand-mère et Kawabe n'ayant jamais connu son père (dont il invente un passé et des métiers flamboyant dans une logorrhée mythomane) se découvrent une sorte d'obsession pour la mort. Celle-ci est restée abstraite par l'incinération de la grand-mère de Shinji et du père absent de Kawabe, et ils souhaitent en avoir une vision concrète. Ils vont donc entraîner Kiyama dans l'espionnage d'un vieil excentrique (Rentarô Mikuni) du quartier son grand âge le rapprochant certainement d'une mort qu'ils pourront observer. Le vieillard bien vivant vit pourtant une existence guère gratifiante dans sa demeure délabrée qu'il ne quitte que pour de rares courses. Une complicité s'installe pourtant entre lui et ses poursuivants en culottes courtes, qui vont éclairer son quotidien tout en débroussaillant son jardin.

D'habitude Shinji Somai orchestre un évènement extraordinaire (le typhon de Typhoon Club (1985), le divorce de Moving (1993)) pour marquer la bascule de ses jeunes héros. Rien de tout cela ici où l'ambiance est essentiellement bienveillante et chaleureuse, la progression du récit se soumettant à ce que l'on apprend des personnages. La curiosité, la recherche de modèle masculin et une vraie amitié entraînent l'attachement des garçons pour leur aîné, qui se déride et se confie à eux le temps d'une nuit pluvieuse. La mort superficiellement recherchée par les enfants s'invite à eux à travers le passé douloureux de leur ami et les fantômes du Japon guerrier de la Seconde Guerre Mondiale. La jolie pastille d'été s'orne d'une gravité et profondeur inattendue, mais où la tendresse et la bienveillance surmonte tout. Shinji Somai tisse un écrin chaleureux qui anticipe grandement les meilleurs opus d'un Kore-eda, notamment ceux qui captivent dans cette même approche sans conflit ni bascule dramatique comme Notre petite sœur (2015). L'onirisme cher au réalisateur s'estompe (même s'il peut s'inviter par intermittence comme lors de la belle dernière scène du puits, papillon et lucioles) pour quelque chose de plus concret, de plus ancré au sol, à la manière des fleurs que les enfants auront planté dans le jardin du vieillard qui à son tour a retrouvé recouvré les racines du cœur (et des souvenirs) de son aimée. Une œuvre délicate, poétique et lumineuse. 5/6
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Re: Shinji Somai (1948-2001)

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Love Hotel (1985)

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Un éditeur au bord de la faillite décide de mettre fin à ses jours. Avant de passer à l'acte, il s'offre une nuit torride avec une prostituée. Cette rencontre va bouleverser son existence.

Love Hotel avec ses sursauts d'érotisme apparait comme une sorte de retour aux sources pour Shinji Somai. Il débuta en effet au sein de la Nikkatsu au début des années 70 alors que le studio entamait par nécessité son virage vers le Roman Porno, et y fut notamment l'assistant de Chûsei Sone. Shinji Somai quitte la Nikkatsu en 1975, le temps de travailler avec Kazuhiko Hasegawa sur The Man Who Stole the Sun (1979) ou encore Shūji Terayama pour Cache-cache pastoral (1975). Fort de ces expériences il fera ses débuts en tant que réalisateur au début des 80's remportant notamment un immense succès commercial avec Sailor Suit and Machine Gun (1981). Le parallèle est d'ailleurs assez amusant puisque alors qu'il revient signer un Roman Porno dans le giron de la Nikkatsu il signe la même année le magistral Typhoon Club (les deux films sortent en aout 1985 au Japon), un des films qui lui vaudra d'être qualifié de grand portraitiste de l'adolescence.

Le scénario est écrit par Takashi Ishii, bénéficiant d'une aura sulfureuse pour sa carrière de mangaka et plus tard lors de son passage à la réalisation. Cependant hormis une ouverture bien corsée, Shinji Somai s'éloigne du cahier des charges du Roman Porno pour dresser un le portrait intimiste de deux solitudes. Muraki (Minori Terada) assiste impuissant au viol de sa femme par des yakuzas à qui il avait emprunté une forte somme d'argent. Désespéré et voulant se suicider, il commande une prostituée dans un love hotel et va sévèrement malmener Nami (Noriko Hayami) la jeune femme qui se présentera à lui. Ce comportement odieux représente l'ultime étape d'avilissement pour Muraki qui reprendra sa vie en main par la suite, mais aussi pour Nami qui décide d'avoir une carrière plus respectable. Deux ans plus tard le hasard les réunis à nouveau alors que Muraki est devenu taxi et Nami travaille dans une boutique de mode. Pourtant le souvenir de cette affreuse nuit plane encore sur eux, Muraki étant en quête de rachat suite à son attitude et Nami voyant ce passé lui coller à la peau, à la fois par la liaison entretenue avec son patron mais aussi le chantage qu'elle subit par ceux connaissant son ancienne "carrière".

Muraki et Nami qui ont donc touché le fond ensemble vont tenter de se reconstruire par des chemins sinueux. Shinji Somai capture une solitude urbaine où la "honte" d'eux-mêmes des personnages passe par des déambulations nocturnes ou en journée dans des lieux vides, où ils peuvent être scrutés et jugés. Le refuge se trouve dans les lieux clos, professionnels (le taxi de Muraki ou la boutique de Nami) ou intime dans leurs appartements respectifs où l'infamie passée finit toujours par les rattraper, de leur fait ou malgré eux. L'ancienne épouse de Muraki continue ainsi de le solliciter pour raviver un quotidien disparu ou le temps d'étreinte sans passion. Nami retrouve également son patron chez elle ou dans des chambre d'hôtel furtive, toujours instrument du désir d'un autre plus qu'actrice du sien. Les deux interprétations sont excellentes dans des registres très différents. Minori Terada exprime sa volonté de rédemption dans une attitude sobre, effacée et attentionnée aux antipodes de la brutalité à laquelle il a jadis cédé et qu'il se reproche. A l'inverse Noriko Hayami passe par une exubérance, une séduction agressive et une lascivité sexuelle outrancière où elle cède à l'image, au seul emploi dont elle s'estime digne. Son espoir de vrais sentiments, elle ne l'exprimera que dans le combiné d'une ligne de téléphone vide, à travers une joie forcée qui révèle d'autant plus son désespoir dans une des plus belles scènes du film.

Pour retrouver la sérénité peut-être faut-il reprendre tout à zéro là où tout a vrillé, dans cette même sinistre chambre de Love Hotel - seul endroit où la photo de Noboru Shinoda délaisse la neutralité urbaine pour les couleurs vives avec les éclairages kitschs par lesquels passent justement les émotions à vif positives comme négatives. A l'image de la chambre dont la décoration à changée depuis la dernière visite, tout peut à travers cette prise de conscience se dérouler différemment. La scène quasi SM d'ouverture laisse place à une étreinte charnelle et tendre entre deux être qui se souhaite désormais le meilleur, ensemble. Preuve de cette bascule en plus de la gestuelle plus douce, Nami demande à Muraki de l'appeler par ce prénom qui est le sien alors qu'elle avait adopté le pseudo Yumi lors de leur première rencontre. La conclusion douce-amère nous rappelle cependant que cet épanouissement est éphémère et que le couple verra toujours ce passé douloureux à travers l'autre, ce qui rend la séparation inéluctable. Vraiment un très beau film où Somai fait montre d'une sensibilité à fleur de peau qui sait tout autant observer les fêlures du monde des adultes. 5/6
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