The Master (Paul Thomas Anderson - 2012)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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El Dadal
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par El Dadal »

C'est surtout un film hypnotique, basé sur le contrepoint (comme souvent chez PTA d'ailleurs, ce type a un sens du rythme d'une précision remarquable), beaucoup plus subtil qu'une dénonciation ou qu'un simple rapport de force.

La relation d'interdépendance entre les 2 personnages
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(trois, si l'on compte que la femme dans l'ombre tire comme souvent les ficelles)
amène à la fois tension, humour, trivialité, dépassement de soi etc... Freddie n'est pas à la botte de Lancaster Dodd, il est en rémission comme un patient qui nécessite l'aide d'un docteur, jusqu'au moment où le patient atteint de lui-même un nouveau palier. Je sais pertinemment que tout est à double sens et que l'état psychique dans lequel finissent (commencent?, comme on commence une nouvelle vie?) les personnages peut faire froid dans le dos et amener à la réflexion, et pourtant j'y ai vu beaucoup d'espoir. Simplement parce que bien que déséquilibré, Freddie est quelqu'un pourvu d'une certaine forme d'intelligence, qui finit toujours par s'adapter. Son adoption, tout ou partie, des théories du culte, quand bien même basées sur de multiples fumisteries, rend Freddie en un sens plus apte à évoluer dans la vie
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(et c'est aussi en ce sens que le film appuie sur la dangerosité de la méthode de détournement de la pensée, parce qu'il ne s'agit pas que de mysticisme placardé de psychiatrie pour les incrédules de la première heure, il s'agit juste de voir juste dans les yeux de la personne qu'on a en face -superbe séquence, superbe Amy Adams au passage)
. Un peu comme s'il avait su, sans pouvoir l'expliquer, faire le tri des enseignements de son "maître", enivré de sa liberté retrouvée.

Un film que je trouve donc tout sauf froid et désincarné, loin de toute démonstration. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai même eu l'impression de ne pas voir ni un spectacle, ni même un film. Une œuvre qui ravive la flamme et qui, par delà un classicisme (j'utilise le terme sans connotation) de façade, cherche une nouvelle forme de langage.
Dernière modification par El Dadal le 10 janv. 13, 01:23, modifié 2 fois.
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-Kaonashi-
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par -Kaonashi- »

Demi-Lune a écrit :
AtCloseRange a écrit : Punch-Drunk Love?
Ça se défend, mais je trouve qu'il évoque le côté un peu absurde et imprévisible d'un After Hours, avec l'aspect routinier qui est dynamité par une succession de rencontres bizarres. Autant je vénère le Scorsese, autant le PTA m'a totalement laissé sur la touche.
Mouais je trouve ton rapprochement peu convaincant. Boogie Night rappelait certes Scorsese (et c'est en partie la raison pour laquelle j'avais peu aimé ce film), et on peut voir un lien avec Altman dans Magnolia. Cependant je ne vois pas vraiment de lien aussi clair et évident pour Punch-Drunk Love et There Will Be Blood.
J'ai vraiment hâte de voir The Master (sûrement en DVD :( ) pour me faire mon opinion.
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El Dadal
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par El Dadal »

AtCloseRange a écrit :
Demi-Lune a écrit : La filiation mérite pourtant d'être questionnée. Dans les deux films, tu as un personnage gauche et renfermé dans son monde routinier, soumis à l'emprise castratrice de femmes (les sœurs pour Sandler, les blondes inaccessibles pour Dunne). L'élément déclencheur dans les deux cas est absurde : un instrument de musique abandonné et un billet de 20 dollars envolé. Cet élément déclencheur fait lentement dérailler le conformisme de l'existence du personnage en introduisant dans sa vie solitaire des gens, des rencontres au gré desquelles il va alors devoir crever son cocon, dans une course aux accents surréalistes. L'objet de la quête est différent - conquérir une femme chez PTA, sortir du merdier chez Scorsese - mais les parentés entre les deux univers me paraissent assez sensibles, ne serait-ce que dans le style.
Non, vraiment, je trouve ça complètement tiré par les cheveux. Avec ta démonstration, on pourrait faire le lien avec mille films différents.
Ouais, Demi-Lune est dingue. Cette grille de lecture pourrait aussi bien s'appliquer à Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme (que PTA vénère au même titre que les Scorsese, Ophuls ou Altman) qu'à des centaines d'autres titres.
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G.T.O
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par G.T.O »

The Master, on le sait, c’est l’histoire du rapport du maître et de l’esclave, située au lendemain de la 2ème guerre-mondiale. Durant cette période tourmentée, où la psyché américaine est encore secouée par les traumas de la guerre, la société américaine fait des efforts considérables pour réhabiliter et réintégrer ces vétérans - perturbés - à la vie civile. Parmi eux, Freddie, obsédé sexuel violent et alcoolique , atteint d’une hémiplégie partielle, fait montre d’une certaine résistance aux thérapies conventionnelles. Multipliant les boulots et emmerdes, Freddie ( Joaquim - Over the top -Phoenix) est conduit, ou disons, dérive jusqu’à faire la rencontre de Lancaster Dodd ( Philip Seymour Hoffman, lisse et complémentaire face à la surcharge de Phoenix), gourou multi-talents et père de famille.

C’est là que réside la beauté de ce film : dans cette manière si particulière de dynamiter la construction narrative en faisant dériver une scène d’après l’autre, sans causalité apparente -les scènes ont presque une autonomie narrative. Guidé par un mouvement mystérieux ( divagation mentale de Freddie ou processus thérapeutique ?), le film n’adopte aucun point de focalisation. Film aux contours flous dépourvu de toute catharsis, The Master n’est ni particulièrement divertissant ni intense. Monstre au ventre-creux, il glisse plus qu’il n’avance par étapes, faisant la part belle aux temps morts. The Master est un film difficile.

Ici, rien n’est ce qu’il parait être. Le gourou et son cobaye préféré font moins la guerre qu’ils ne se livrent à une espèce de jeu pervers, où, chacun est conscient du jeu servile auquel il se prête; parfois avec sérieux ( le jeu peut s’effacer et produire un effet), souvent avec distance ( le rire et la dissimulation comme mécanisme de défense). De ce récit minimaliste sur l’échec d’un conditionnement, Paul Thomas Anderson livre un film à entrées multiples, une comédie monstrueuse, chauffée à blanc. Par ses acteurs d’abord, véritable bêtes de foires auxquels sont réduits Phoenix et Hoffman. Leurs prestations énooooormissimes sont exténuantes. Je ne suis pas certain d’aimer ce genre de concours mais force est d’admettre qu’elles produisent, par contraste, avec les autres acteurs, des effets intéressants. Le "sur-jeu" des stars vient entrer en conflit direct avec un "sous-jeu", dispensé par les rôles secondaires.

Paul Thomas Anderson aime les contrastes. The Master nous le prouve. Il n’est ni réalisateur rationnel ni un métaphysicien. Mais, un batteur de génie, à la palette rythmique extrêmement large. The Master est une tentative de faire un film qui ne joue que sur ce différentiel. Pas certain qu’il y soit parvenu ici, mais cela ne saurait tarder.
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Watkinssien
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Watkinssien »

Voilà, je dirais que mon impression sur le film se situe entre l'avis de G.T.O et celui de El Dadal.

The Master est un film difficile, qui demande une exigence certaine pour pouvoir adopter et s'adapter à cette structure hiératique.

L'immersion se fait au prix d'une volonté du spectateur de se laisser guider séquence par séquence par ce drame complexe...

Il faut dire que la mise en scène d'Anderson est ample, d'une précision presque invisible, toujours magistralement contrôlée. Cela suffirait à mon bonheur. Mais il y a également des acteurs phénoménaux qui emportent totalement l'adhésion. Les personnages de Hoffman et Phoenix sont comme deux lignes énergétiques qui se croisent, se complètent et s'entrechoquent pour former une harmonie bizarroïde mais non dénuée de cohérence.

L'exercice est brillant, malgré quelques petites longueur guère préjudiciables, mais surtout courageux, ne brossant pas dans le sens du poil, se voulant volontairement déplaisant par moment.
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Blue
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Blue »

Mon avis à chaud en essayant d'apporter des éléments nouveaux par rapport à ce qui a déjà été dit plus haut :

En étant pragmatique et sans verser dans la méchanceté, on dira que "The Master" est un film qui ne fonctionne pas, mais que tout n'est pas à jeter.

On a connu Paul Thomas Anderson meilleur conteur. "The Master", pris dans sa globalité, n'a pas la puissance d'un "There Will Be Blood", par exemple, car il s'agit d'un film dont l'effet naîtra avant tout d'oppositions très appuyées dans une structure s'éloignant de la dramaturgie classique, au risque de devenir excessif voire irritant pour le spectateur.
Cette démarche à double tranchant est trop évidente pour ne pas être voulue par PTA, et donne à "The Master" l'allure d'une oeuvre quasi-conceptuelle.

Pour en revenir aux oppositions évoquées précédemment, elles sont initiées en premier lieu par les nombreuses joutes verbales, et appuyées par une mise en scène alternant champs/contre-champs tendus sur les visages aux traits outrés, et plans-séquences élégants à l'ampleur aératrice.
PTA s'entoure pour l'occasion de deux des meilleurs acteurs de leur génération. Cependant, on a déjà vu Joachin Phoenix mieux employé chez James Gray.

Pour finir, le rôle peu valorisant tenu par les femmes dans "The Master" peut être vu comme une tare supplémentaire, à moins de considérer que le point de vue est celui du personnage joué par Phoenix (c'est par exemple évident dans la scène Buñuelienne où les femmes présentes se trouvent tout à coup dénudées ; une veine surréaliste qui n'étonne plus chez le cinéaste depuis la pluie de grenouilles de "Magnolia" ou l'apparition d'un harmonium dans "Punch Drunk Love").

Cela reste une déception par rapport au brillant "There Will Be Blood", mais Paul Thomas Anderson demeure plus que jamais un réalisateur à suivre. Et qui sait, peut être qu'un jour il sera considéré comme un "master".

5/10
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Gounou
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Gounou »

The Master est un film surprenant qui possède nombre de points de raccord avec le précédent film d'Anderson : grand sujet d'arrière-plan pour récit ramassé et intimiste, forme complexe et fuyante, étrangeté rampante qui pervertit régulièrement une certaine limpidité d'ensemble...

Ce qui m'a rendu le film captivant et m'a fait l'aimer d'une façon que j'oserais décrire comme "simple" sans que ce soit rabaissant, c'est que cette singularité de ton et de forme que travaille un peu plus le réalisateur à chaque film depuis Punch-Drunk Love, avec ses sautes d'humeur, ses interdits brisés, ses expérimentations de jeu en contrastes et dissonances, telles une répétition magique qu'on aurait enregistrée... bref, tout ce dispositif que d'aucuns accuseront de prétentieux, calculateur ou voué à détourner d'une éventuelle vacuité de propos, Paul Thomas Anderson l'harmonise ici, dédramatise, éclaircit sa palette et la met au service d'une "simple" histoire d'amour contrariée dans un cadre pour le moins "théâtrale" (La Cause).

Le récit à la première personne d'un paumé, électron libre dont la dérive sociale et affective le mènera par un enchaînement fait de hasards, de collusions puis d'intérêts individuels, à reprendre le contrôle sur l'autre et surtout sur lui-même. A devenir son propre maître.
Le film devient alors une sorte de fable tragi-comique évoquant un malheureux jeu d'emprise affectif et moral à deux faces qui se délite, se renverse pour finalement se tourner en dérision (la dernière séquence, équivoque, jouant avec l'image d'une initiation qui se perpetue...)

The Master est ainsi un film qui prend son titre au pied de la lettre en parlant moins de contrôle sur l'autre que sur soi-même, PAR l'autre (edit : l'appaisement par le souvenir de Freddie Quell, qui trouve d'ailleurs une belle ouverture juste avant son dernier face à face avec Lancaster Dodd).
La mise en scène du film est donc naturellement à rapprocher de son personnage pivot : imprévisible, un peu monstrueuse mais souveraine et définitivement singulière. Elle est l'expression permanente d'une liberté rare, inssaisissable, qui joue avec la folie, la chatouille et y puise une énergie créatrice, audacieuse et vivifiante.
Je n'omettrai pas la prestation habitée de Phoenix (ni celle, parfaite, de Hoffman) qui, selon moi, fait corps avec le film et sa beauté comme Adam Sandler et Daniel Day Lewis avant lui.
Dernière modification par Gounou le 13 janv. 13, 11:01, modifié 1 fois.
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Hieronim »

Un Anderson un peu plus bavard et direct au sujet de sa dernière oeuvre. Pas de spoilers mais étant donné que -selon moi- chez lui, envisager une clef de lecture=spoiler, à prendre en diagonale pour ceux qui ne veulent pas se gâcher le plaisir de sortir avec un "flou" sur leur première de The Master.

http://www.lepoint.fr/cinema/paul-thoma ... 902_35.php
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Flol
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Flol »

Gounou a écrit :The Master est un film surprenant qui possède nombre de points de raccord avec le précédent film d'Anderson : grand sujet d'arrière-plan pour récit ramassé et intimiste, forme complexe et fuyante, étrangeté rampante qui pervertit régulièrement une certaine limpidité d'ensemble...

Ce qui m'a rendu le film captivant et m'a fait l'aimer d'une façon que j'oserais décrire comme "simple" sans que ce soit rabaissant, c'est que cette singularité de ton et de forme que travaille un peu plus le réalisateur à chaque film depuis Punch-Drunk Love, avec ses sautes d'humeur, ses interdits brisés, ses expérimentations de jeu en contrastes et dissonances, telles une répétition magique qu'on aurait enregistrée... bref, tout ce dispositif que d'aucuns accuseront de prétentieux, calculateur ou voué à détourner d'une éventuelle vacuité de propos, Paul Thomas Anderson l'harmonise ici, dédramatise, éclaircit sa palette et la met au service d'une "simple" histoire d'amour contrariée dans un cadre pour le moins "théâtrale" (La Cause).

Le récit à la première personne d'un paumé, électron libre dont la dérive sociale et affective le mènera par un enchaînement fait de hasards, de collusions puis d'intérêts individuels, à reprendre le contrôle sur l'autre et surtout sur lui-même. A devenir son propre maître.
Le film devient alors une sorte de fable tragi-comique évoquant un malheureux jeu d'emprise affectif et moral à deux faces qui se délite, se renverse pour finalement se tourner en dérision (la dernière séquence, équivoque, jouant avec l'image d'une initiation qui se perpetue...)

The Master est ainsi un film qui prend son titre au pied de la lettre en parlant moins de contrôle sur l'autre que sur soi-même, PAR l'autre.
La mise en scène du film est donc naturellement à rapprocher de son personnage pivot : imprévisible, un peu monstrueuse mais souveraine et définitivement singulière. Elle est l'expression permanente d'une liberté rare, inssaisissable, qui joue avec la folie, la chatouille et y puise une énergie créatrice, audacieuse et vivifiante.
Je n'omettrai pas la prestation habitée de Phoenix (ni celle, parfaite, de Hoffman) qui, selon moi, fait corps avec le film et sa beauté comme Adam Sandler et Daniel Day Lewis avant lui.
Un bon gros +1.
Et mention spéciale à l'étonnante et magnifique musique de Jonny Greenwood (qui sonne comme du Debussy à certains moments).
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Boubakar
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Boubakar »

Ratatouille a écrit :Et mention spéciale à l'étonnante et magnifique musique de Jonny Greenwood (qui sonne comme du Debussy à certains moments).
Sans avoir vu les autres interprétations en lice, je n'ose imaginer que Joaquin Phoenix ne reparte pas avec un Oscar, car ce qu'il fait dans The master est fantastique.
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Borislehachoir »

Paul Thomas Anderson n'est pas un cinéaste. C'est un grand artiste.

Du coup, loin de ces banals réalisateurs qui se content d'essayer de produire du bon cinéma, Anderson lui produit de l'Art, avec un grand A. Quand on fait de l'Art, point n'est besoin qu'une scène soit dans la continuité de la précédente ; toute notion de continuité ou de cause-conséquence peut ainsi être évacuée, toutes les actions du personnage principal
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le tabassage du sceptique dans le bateau, celui de l'éditeur plus tard, sa brouille avec le fils de PSH
n'auront jamais d'emprise sur la structure du film qui nous promène d'une séquence d'hypnose à un passage en prison, d'une séquence d'hypnose à un flashback ou d'une séquence d'hypnose à... une autre séquence d'hypnose.
Il n'est quasiment pas une scène de The Master qui n'aurait pas pu être raccourcie de trente secondes au moins. PTA fait durer, produit de beaux plans-séquences aussi millimétrés qu'inutiles, revient en arrière, filme un personnage qui marche dans un couloir vingt secondes ou conduisant une moto durant deux minutes. Ce type de procédé s'est déjà vu - chez Monte Hellman ou Gus Van Sant par exemple -, généralement pour inscrire des personnages dans une sorte de quotidien trivial. Ici... ils font de la moto.

On peut lire ici et là qu'il s'agit du film le plus sincère d'Anderson. J'espère que non et que le mépris qu'il affiche pour ses personnages n'est pas réel. La séquence avec le " sceptique ", inutile à l'histoire et présent uniquement pour nous convaincre encore plus de l'idiotie des scientologues, achève de transformer ceux-ci en pathétiques pantins lobotomisés incapables de faire preuve d'un minimum de tolérance. Comme dans Magnolia ou There Will Be Blood, un leader religieux est forcément un charlot et ses ouailles des gens blessés, intéressés et/ou à l'intelligence minimale. L'hystérie " actor's studio " de Phoenix achève de faire tomber le film dans le grotesque, au cas ou l'une des séquences les plus WTF depuis longtemps - la soirée avec toutes les femmes nues - n'aurait pas suffi.

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tenia
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par tenia »

Borislehachoir a écrit :La séquence avec le " sceptique ", inutile à l'histoire et présent uniquement pour nous convaincre encore plus de l'idiotie des scientologues, achève de transformer ceux-ci en pathétiques pantins lobotomisés incapables de faire preuve d'un minimum de tolérance.
Hoffmann est au contraire dépeint comme quelqu'un enfermé dans un schéma rationnel terre-à-terre obtus. Cette scène ne parle nullement d'un quelconque manque de tolérance, du moins pas directement, mais d'un enfermement dans un schéma de pensée tellement habituel qu'on perd tout instinct de curiosité pour ce qui en sort.
Autant c'est juste pour Cruise dans Magnolia, autant je ne me souviens absolument pas des ouailles blessées / intéressés / à l'intelligence minimale dans There Will Be Blood, autant ici, ça me parait plus ou moins hors sujet.
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Borislehachoir »

tenia a écrit :autant je ne me souviens absolument pas des ouailles blessées / intéressés / à l'intelligence minimale dans There Will Be Blood, autant ici, ça me parait plus ou moins hors sujet.
Le discours du prêcheur schizo devant sa famille ou personne ne semble réagir ni s'inquiéter de l'évidente folie du bonhomme.
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par G.T.O »

Gounou a écrit : Ce qui m'a rendu le film captivant et m'a fait l'aimer d'une façon que j'oserais décrire comme "simple" sans que ce soit rabaissant, c'est que cette singularité de ton et de forme que travaille un peu plus le réalisateur à chaque film depuis Punch-Drunk Love, avec ses sautes d'humeur, ses interdits brisés, ses expérimentations de jeu en contrastes et dissonances, telles une répétition magique qu'on aurait enregistrée... bref, tout ce dispositif que d'aucuns accuseront de prétentieux, calculateur ou voué à détourner d'une éventuelle vacuité de propos, Paul Thomas Anderson l'harmonise ici, dédramatise, éclaircit sa palette et la met au service d'une "simple" histoire d'amour contrariée dans un cadre pour le moins "théâtrale" (La Cause).
D'où le sentiment d'assister, en ce qui me concerne, à un film qui se joue à côté de son sujet, où les ruptures et autres dérèglements propres à la mise en scène andersonnienne ne sont jamais dictés par le récit ou les personnages. Tel un vêtement trop grand ou trop petit, bref mal ajusté au corps de son hôte, la mise en scène- maîtresse- reste trop indifférente à son récit. Je ne comprends pas sa nécessité.
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Re: The Master (P.T. Anderson - 2012)

Message par Gounou »

G.T.O a écrit :D'où le sentiment d'assister, en ce qui me concerne, à un film qui se joue à côté de son sujet, où les ruptures et autres dérèglements propres à la mise en scène andersonnienne ne sont jamais dictés par le récit ou les personnages. Tel un vêtement trop grand ou trop petit, bref mal ajusté au corps de son hôte, la mise en scène- maîtresse- reste trop indifférente à son récit. Je ne comprends pas sa nécessité.
Encore faut-il être d'accord sur notre perception des personnages et du sujet en question... Comme je l'ai dit, je trouve au contraire que le film dans sa forme fait corps avec le personnage marginal et en fuite perpétuelle de Freddie Quell, et que sa rencontre avec Dodd et son petit théâtre de la vie - la plateforme du bateau illuminée dans la nuit surgissant comme une scène coupée de tout - n'est qu'un heureux (ou malheureux, c'est selon) concours de circonstances qui trouvera chez Quell un impact intérieur imprévu et incontrôlé, et inversera la vapeur du rapport dominant/dominé.
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