Notez les films Octobre 2012

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jericho
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Re: Notez les films Octobre 2012

Message par Jericho »

Je trouve aussi. J'ai été ému par The Fall, la relation entre la petite fille et le cascadeur est touchante.
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Thaddeus
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Re: Notez les films Octobre 2012

Message par Thaddeus »

Été précoce (Yasujiro Ozu, 1951)
A la vision d’un tel joyau, on se dit que c’est définitif : aucun cinéaste n’a mieux parlé de la famille qu’Ozu. Tout ici nous renvoie à notre expérience d’enfant, de parent ou d’époux, à tel point qu’on a l’impression, à la fin, d’emporter quelque chose de chacun des personnages. L’art du gag microscopique, le souci du bonheur des êtres que l’on aime, la peur un peu coupable de quitter le foyer dans lequel on a grandi, le dialogue entre les générations (sagesse discrète des anciens, désarroi des géniteurs, insouciance malicieuse des plus jeunes)... Ozu capte la vérité profonde de toutes ces choses, tout comme il capte, dans la pose d’une ultime photo, dans la dernière promenade de deux belles-sœurs complices sur la plage, l’écoulement du temps qui passe. Une œuvre particulièrement émouvante. 5/6

Lola, une femme allemande (Rainer Werner Fassbinder, 1981)
Lola, dans sa maîtrise des règles du jeu économique dont elle se sert pour son ascension sociale, est la sœur de Maria Braun – Fassbinder poursuit sa dissection de l’Allemagne des années 50. Les fondus enchaînés brutaux, les filtres de couleurs vives (vert, jaune, bleu, rose) pour mettre en contraste les humeurs des personnages accusent une recherche formelle poussée, en accord avec un propos de plus en plus désenchanté. Car si l’on flirte avec la comédie, si le portrait d’une société peuplée d’entrepreneurs frauduleux, de notables corrompus et de pacifistes idéalistes possède sa part de cocasserie satirique, la morale est sans concession : si l’on n’appartient pas à la cabale d’hypocrisie qu’est la classe dirigeante, on n’est qu’un paria, un marginal aveuglé par cette valeur factice et cosmétique qu’est l’amour – même les hommes vertueux ont leur point faible. 4/6

Moulin-rouge (John Huston, 1952)
Un an avant Renoir et son French Cancan, le cinéaste fait revivre la vie du Bohême parisien dans une biographie impressionniste de Toulouse-Lautrec qui, si elle séduit par son élégance et ses qualités d’exécution, n’évite pas toujours les écueils du lissage et de l’illustration stéréotypée – l’artiste y est ce romantique tourmenté par l’amour impossible que l’histoire aime à retenir. Mais la performance spectaculaire de Jose Ferrer en nabot génial vaut le détour, tout comme les recherches plastiques de Huston, qui utilise des filtres spéciaux pour retrouver les couleurs des tableaux du peintre, stimulent constamment la rétine. 4/6

Les visiteurs (Elia Kazan, 1972)
Budget minuscule, tournage en 16mm dans sa propre maison, sur un scénario de son fils : Kazan n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, et affiche une étonnante jeunesse. Dans son agencement scénographique, sa tension latente, son inexorable montée vers une décharge un peu trop attendue de brutalité, le film rappelle les Chiens de Paille de Peckinpah, sorti au même moment. Il préfigure surtout de plusieurs années la vague des témoignages amers sur le Viêt-Nam, à travers un huis-clos qui analyse froidement les mécanismes de la violence et les ravages d’une guerre ayant déréglé les curseurs de la morale et de la responsabilité chez ceux qui l’ont faite. 4/6

La marquise d’O… (Éric Rohmer, 1976)
Germanophile notoire, Rohmer adapte une nouvelle de Kleist sans la moderniser, en respecte scrupuleusement le verbe, et la restitue dans les conventions de son époque en s’inspirant de la peinture romantique (il y cite le Cauchemar de Füssli ou Le Gâteau des Rois de Greuze). Ce faisant il double la quête morale des précédents Contes d’un débat sur la transparence et les artifices de la représentation. Sa capacité à joindre le plaisir intellectuel et la vérité des cœurs défie l’analyse, car ce superbe portrait de femme est aussi une célébration de la probité et du lien familial. Lorsque la mère pleure de joie en prenant conscience de l’innocence de la marquise et implore son pardon, lorsque le père étreint cette dernière après s’être réconcilié avec elle, rien n’existe plus que l’émotion qui jaillit. 5/6

Le fils du désert (John Ford, 1948)
Les premières couleurs du cinéaste se nourrissent du ciel turquoise, des dunes blanches du désert, des arabesques cinétiques de la tempête. Robert, William et Peter (ou plutôt Gaspard, Balthazar et Melchior) recueillent l’enfant de l’Étoile du Berger, se démènent avec les premières langes, le premier biberon, s’y dévouent jusqu’à la grandeur du sacrifice. La tendresse, l’optimisme enchantés de cette parabole biblique nous emportent, lorque le père d’adoption montre le nourrisson à l’assemblée émerveillée du saloon de la Nouvelle Jerusalem, le soir de Noël, et que le pianiste entame Silent Night, ou lorsque toute la communauté chante son adieu final à cet ancien brigand transfiguré, qui a confié le bébé à son ami le shérif. Comment ne pas chavirer devant tant de générosité, d’humanité, de transparence ? 5/6

Rendez-vous (Ernst Lubitsch, 1940)
A comparer avec les précédents du cinéaste, il y a une pincée de sel en moins, des bulles de champagne en plus : on ne perd pas au change. Peut-être parce qu’il retourne dans son pays (sur le plan de la fiction, s’entend), Lubitsch rentre les griffes et pose sur sa petite maroquinerie hongroise un regard trempé de bienveillance et d’affection. Le spectre du chômage hante l’extérieur, la solitude et la détresse affleurent parfois, mais c’est bien l’homogénéité absolue dont il témoigne entre la drôlerie et les sentiments qui confère à cet exquis marivaudage la douceur rassénérante d’un baume. Employés et patron s’entendent dans une heureuse harmonie, la vérité du cœur trouve son chemin à travers les désaccords passagers, la vie est belle. 5/6

Tristana (Luis Buñuel, 1970)
Buñuel disait avoir mis beaucoup de lui-même en Don Lope, libéral attaché à la supériorité de la passion sur la sagesse. Malgré la sympathie qu’on l’on peut éprouver à son encontre, ce personnage impose pourtant ses désirs à un être démuni et docile, en confondant leurs libertés respectives. C’est à nouveau le surgissement de la pulsion refoulée que l’artiste explore, le travail souterrain d’un inconscient dicté par la frustration, les interdits sociaux, le fétichisme sexuel – infirmité et prothèse y sont des stimulateurs érotiques. Mais la perversité des êtres est mystérieuse, car tandis que le cœur de l’héroïne s’assèche et que le vieil anticlérical reçoit les curés autour du café, s’inversent les rapports de domination et d’humiliation, la place du bourreau innocent et de la victime consentante. 5/6

Avanti ! (Billy Wilder, 1972)
Direction le soleil napolitain pour une comédie vaudevillesque et romantique qui franchit un pas supplémentaire dans l’incitation à l’abandon. S’il ne renie pas son goût de la satire, ses perspectives morales et sa lucidité désabusée (argent et cadavres sont mis sur la même plan, on y négocie leurs déplacements à coup de chantages ou de combines), Wilder accorde une complicité accrue, par le rire même, aux passions et à la sociabilité. De cette inclination au bonheur malgré tout, de cette philosophie sereine, naissent le charme lumineux d’un hymne à la dolce vita et aux justes accords du cœur, qui se développe à un rythme apaisé, presque indolent, et qui suit l’éducation sentimentale d’un business pressé prenant conscience de sa vérité intime. 4/6

L’œuf du serpent (Ingmar Bergman, 1977)
A ceux qui ne l’auraient pas encore intégré, même après la vision de L’Heure du Loup, Ingmar vient rappeler qu’il n’a rien à envier aux maîtres de l’épouvante. On trouve ici un savant fou rappelant le docteur Mabuse, des expériences terrifiantes pratiquées sur des cobayes humains, une ambiance putride qui exsude la maladie, la pourriture et la mort, un homme en proie à d’horribles hallucinations, des rues croupissantes et des cabarets miteux où planent le spectre de l’antisémitisme et l’ombre d’un mal sans visage. Vision étouffante d’un monde en décomposition, celle du Berlin ravagé de la République de Weimar, accablé par l’inflation, la famine et la misère, et dont le désespoir populaire forment le lit d’une dictature en devenir. 4/6

La vallée de la peur (Raoul Walsh, 1947)
Un ranch désert perdu au sommet des montagnes, ayant abrité une sombre tragédie ; des souvenirs douloureux qui remontent en même temps que les éclairs zèbrent le ciel ; un drame originel enfoui qui ne cesse d’affleurer. Walsh s’inscrit dans la vulgarisation hollywoodienne de la psychanalyse, mais ce western freudien évite tout symbolisme réducteur en ne reculant jamais devant l’image qui obsède, la complexité des relations faites d’amour trompé et de désir de vengeance, la démesure de l’homme prêt à tout pour assumer sa quête et découvrir le mystère de ses origines. Histoire d’un cheminement intérieur, patient mais tourmenté, d’une recherche de libération qui passe par la découverte du passé, et dont la structure remémorée donne forme à l’amnésie et au poids du traumatisme à exorciser. 5/6

Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1954)
Aujourd’hui, on découvre le film comme un exemple archétypal de ces séries noires imprégnées de folklore, dont la dimension pittoresque joue constamment avec sa propre caricature – un chouïa de distanciation en plus et on se retrouve dans Les Tontons flingueurs. Avec ces caves au langage fleuri, ses petites pépées qu’on serre à la douce (on mettra le côté bien miso sur le dos de l’époque), ses rillettes aux biscottes qu’on s’enfile sur le pouce entre vieux potes, ses sulfateuses qu’on sort des caisses de champagne, la description du milieu, de son code d’honneur, de son culte de l’amitié virile s’exonère de toute tension et assume son rythme détendu. Si l’on n’est pas allergique au genre, on y prend un réel plaisir. 4/6

Va savoir (Jacques Rivette, 2001)
Échafaudage fluide et sophistiqué, nourri par par une matière feuilletonnesque et vaporeuse que Rivette s’amuse à entrelacer autour de lieux magiques, propices à son enchantement – le théâtre, les bibliothèques, nouveaux labyrinthes. Les profs de philo y engagent de catastrophiques stratégies de séduction, les metteurs en scène italiens y recherchent des manuscrits perdus, les rivales en amour, devenues complices, se liguent dans l’élaboration d’un plan subtil. Sous l’égide du Carrosse d’or de Renoir et des emboîtements à rallonge de Pirandello, le cinéaste change de jeu à tout instant, élabore une comédie de l’échappatoire à la douce folie, jouant avec délice des partitions complémentaires de ses acteurs, et délivrant un charme et une cocasserie aussi légers qu’une plume. 5/6

Miracle à Milan (Vittorio De Sica, 1951)
De Sica poursuit son aventure aux côtés des réprouvés et des traîne-misère mais change complètement de creuset : fuyant la recherche naturaliste, il saute à pieds joints dans un onirisme clochardisé, extrayant mille gags désopilants d’un bidonville réenchanté. A condition de ranger son cynisme au placard, il y a de bonnes raisons de se réjouir face à ce conte fantastique au style très particulier, où l’on voit un nouveau Jésus prècher la bien et la bonté absolues, et les gueux d’une cour des miracles assister à un coucher de soleil comme au plus convoité des spectacles, ou s’envoler dans les cieux sur des balais magiques. Le néoréalisme est un esprit ; en recourant au burlesque le plus débridé, en souscrivant à une féérie qui bat la chamade jusqu’à friser l’absurde, le cinéaste en dévoile ici la dimension le plus candide. 4/6

L’insoumise (William Wyler, 1938)
Un an avant que Scarlett O’Hara ne déferle sur les écrans, Bette Davis développait sa propre version de la fière et indépendante jeune fille southern, décidée à reconquérir l’amour de sa vie – elle y est prodigieuse. La scission du pays se profile, la fièvre jeune s’étend à la Nouvelle Orléans, mais c’est au milieu des crinolines et des rites mondains que se joue cette machination sentimentale. D’une grande scène de bal où son fiancé lui fait publiquement payer le prix de son inconséquence à l’ambigüité de sa rédemption finale, qui la voir rejoindre la cohorte des morts en sursis pour veiller sur son homme, Wyler, loin du glamour et du romantisme, fait de son héroïne une singulière figure de l’égocentrisme dément, à mi chemin entre la garce et l’amoureuse aveugle. 5/6

In another country (Hong Sang-soo, 2012)
Le recours à une star française donne un nouveau relief à la méthode du cinéaste sans altérer ses préoccupations, identiques à celles développées dans les films précédents. Plus ludique que jamais, HSS s’amuse à triturer les variations de son récit, griffonne une virtualité pour en redémarrer une autre, agence une série de possibilités autour d’un même motif pour essayer de capter l’essence d’un état d’esprit, d’une disposition – celle de la vacance, de l’envie de rencontrer quelqu’un, d’être charmé, de tomber amoureux. Mettre de telles humeurs en images nécessite un certain doigté, pile dans les cordes de ce cinéma infrasensible et antidramatisé. 4/6

Masculin féminin (Jean-Luc Godard, 1966)
Se focalisant sur la réalité de son époque, celle du yé-yé, de la guerre du Viêtnam, de l’apparition des sondages et de la culture de masse, Godard fait pivoter son inclination poétique vers un goût prononcé de la politique et de l’analyse. C’est la jeunesse des années 60 qui l’intéresse ici, et c’est sur de nombreuses séquences de flirts inaboutis, d’entretiens mi amusés mi-farouches entre un garçon et une fille, qu’il développe son interrogation, avec un ton sarcastique qui n’exclut pas une certaine tendresse : il raconte le béguin non réciproque du fils naturel de Marx pour la fille adoptive de Coca-Cola. Jamais ennuyeux mais pas franchement exaltant, ce cinéma de pensée et de discours maintien un intérêt constant tout en ne suscitant à peu près aucune émotion. 3/6

Et la vie continue (Abbas Kiarostami, 1991)
Kiarostami revient sur les lieux du tournage d’Où est la maison de mon ami ?, en opérant toute une série de translations entre lui-même, son histoire, son expérience, et ce qu’il en advient dans la narration. Une fois de plus, il s’affirme en adepte d’une vérité jamais infléchie par un discours imposé de l’extérieur, rappelle la difficulté d’enregistrer le réel et la nécessité d’organiser la fiction pour en rendre compte. En interrogeant ainsi notre regard de spectateur, en s’imposant une forme nouvelle d’expression qui nourrirait le documentaire de sa représentation, le cinéaste tient le pathos à distance et ose croire, malgré la tragédie, en la possibilité de lendemains qui chantent. 4/6

Je rentre à la maison (Manoel de Oliveira, 2001)
Simple comme bonjour, souvent espiègle et malicieux mais emprunt d’une gravité qui ne se dévoile qu’à contretemps, le film est délesté de cette charge littéraire qui, à mes yeux, plombe certains opus du réalisateur. Reste le plaisir d’un homme qui, face au deuil et à la vieillesse, musarde en touriste, repense son échelle de valeurs, se passionne pour ses chaussures, n’a qu’indifférence pour la vie sociale et découvre l’art d’être grand-père. S’il fait éprouver, lors de la scène finale, l’épreuve épuisante du comédien, s’il ne détourne pas son regard de la mort à venir, comme elle prend ce roi qui se succombe sur scène, Oliveira ménage néanmoins une philosophie légère, lumineuse, joliment poétique. Ça n’a rien d’un film décisif, mais comparé au reste de l’œuvre c’est assez plaisant. 4/6

Derrière le miroir (Nicholas Ray, 1956)
Une banlieue pavillonnaire aux vies bien rangées, un professeur de collège heureux marié à une époque à croquer et père d’un charmant garçon : le rêve américain. Nicholas Ray le filme dans son bonheur lisse et propret, ses couleurs qui flamboient, la netteté de sa réussite, pour mieux le faire voler en éclats. Car la psychose qui s’empare de James Mason, son aliénation aux drogues médicamenteuses, ne font que dévoiler la folie contenue au sein d’un ordonnancement qui se lézarde, le lent écoulement d’un poison asphyxiant, les pulsions longtemps réprimées à l’intérieur d’un système social aux normes étouffantes. Il y a du Sirk dans ce remarquable psychodrame. 5/6

Mélo (Alain Resnais, 1986)
La route suivie par Resnais semble dès ce film s’aventurer sur l’éventuelle réconciliation du cinéma et de la théâtralité. Si l’orchestration demeure toujours aussi somptueuse, assumant pleinement les artifices de la représentation, il faut sans doute franchir une certaine résistance pour apprécier pleinement ce développement tragique à la prose travaillée, et s’approprier les émotions de personnages qui semblent sortis de quelque dimension éloignée. Jouant à nouveau avec les notions du libre arbitre, du hasard, du destin, le cinéaste fait fructifier la douleur intime du précédent film mais sur un registre plus distancié : son mélo captive et étonne par la beauté de ses intuitions formelles, mais il touche moins. 4/6

Les amants du capricorne (Alfred Hitchcock, 1949)
Après La Corde, Hitchcock recourt à nouveau au plan-séquence dans ce drame exotique paré des couleurs d’une Australie mordorée, au cœur du XIXè siècle. Lors de l’arrivée du héros au sein de la demeure où il est invité à souper, caméra déambulant entre les invités, ou pendant la confession incandescente (neuf minutes) d’Ingrid Bergman, nouvelle Perséphone, même constat ébloui d’une technique aussi sophistiquée que souverainement maîtrisée. L’ombre de Rebecca (servante abusive, secret enfoui, emprise du passé) plane sur l’intrigue, mais c’est le romantisme feutré de cette histoire de sacrifice, d’honneur et de faute confessée qui séduit, et la résurrection d’un couple sur lequel se transfert en cours de récit la sympathie du spectateur, qui touche avant tout. 5/6

Bonjour (Yasujiro Ozu, 1959)
Les gosses de Tokyo n’ont pas grandi, ils restent toujours aussi rétifs à l’autorité – et sont par ailleurs devenus experts en pétomanie. Ozu filme leur fronde passagère avec la même tendresse truculente qu’il dévoile les petits commérages de leurs parents, passant d’une cellule familiale à la voisine, d’un côté de la rue à l’autre, dans une harmonieuse fluidité. Nouvelle chronique amusée de ce quotidien chaleureux, où le cinéaste se laisse aller à un ton facétieux, parfois burlesque, tout en gardant un œil toujours aussi attentif sur les relations humaines. Car, de la même façon que le petit garçon répète ses I love you sans en connaître le sens, les futiles formules de politesse permettent aux gens de se parler, de se connaître, et peut-être même, comme le prof d’anglais et la tante, d’aller un peu plus loin ensemble. 5/6

Amour (Michael Haneke, 2012)
La deuxième Palme d’or du bonhomme confirme sa tendance nouvelle à l’affectivité, mais puisqu’on ne se refait pas l’amour du titre se manifeste dans une mise à distance absolue de tout sentimentalisme. Ça ne rigole pas dans ce huis-clos épuré, mais ça touche, parfois beaucoup : les derniers gestes de tendresse, les souvenirs complices remémorés dans les ultimes moments où le corps et l’esprit en délitement le permettent, offrent sans doute les plus belles scènes de la filmographie hanekienne. Sans détourner le regard, crûment mais avec une réelle empathie, le cinéaste offre un aperçu saisissant de notre devenir à tous, fixe l’inexorable sans jamais sombrer dans la complaisance, et puise chez ses deux admirables acteurs une humanité souffrante et digne. 5/6

Opening night (John Cassavetes, 1978)
Myrtle Gordon est une grande comédienne arrivée à la croisée des chemins, et doit accepter la douloureuse maturité constituant le sujet de la pièce dont elle tient le rôle principal. Son appartement, coupé en deux par un rideau rouge, est comme un décor ; sur scène se joue sa crise intime d’identité – véritable jeu pirandellien. Cassavetes organise une matière en fusion, montre la dépense nerveuse, le souffle de la dérive, l’épreuve prométhéenne de l’actrice, flirte avec le fantastique en convoquant l’effrayant fantôme de la jeunesse disparue, accompagne l’héroïne dans son abandon vital aux puissances du théâtre jusqu’à une séquence finale de représentation live où, ivre morte, elle puise au fond d’elle-même et du soutien de la troupe pour accomplir sa quête de vérité. Film splendide, parachevé par une interprétation au-delà de tout. 5/6

L’enfance nue (Maurice Pialat, 1969)
Écorché, maladroit, instable, tout en rage rentrée, François, neuf ans, est un petit frère d’Antoine Doinel. On ne s’étonnera donc pas que Truffaut ait produit ce premier film, mais c’est bel et bien Pialat que l’on reconnaît d’emblée ici, dans la dureté rude, la profonde sympathie pour ceux qu’il filme, l’admirable hauteur du regard. Sans développer aucune thèse, le cinéaste montre la difficulté des structures sociales et administratives à comprendre la psychologie des enfants qu’elle prend en charge, mais aussi l’insatiable affection offerte par un couple de retraités, le désarroi face aux blessures qui ne cicatrisent pas, la chaleur exhalée par un foyer provisoire (et par l’adorable mémère), l’irréductible solitude de l’orphelin malgré l’amour qu’il reçoit et celui qu’il voudrait offrir. Superbe film. 5/6

Shock corridor (Samuel Fuller, 1963)
Bienvenue dans l’envers de l’Amérique telle que la conçoit Fuller : un asile d’aliénés où sont enfermés un atomiste rendu cinglé par ses découvertes, un ancien militant noir qui se prend pour un membre du KKK, un ex-GI au cerveau lavé, persuadé d’être un général de la guerre de Sécession après être passé par la case communiste. Le cinéaste tombe plus d’une fois dans l’excès démonstratif mais ses talents d’artificier baroque, sa vision sans compromis confèrent à sa plongée au cœur de la psychose une intensité souvent hallucinante. Tout en collisions et conflagrations, ruptures stridentes et trouées cauchemardesques qui rendent compte d’une réalité disloquée, fracturée, ce film-métaphore à la littéralité crue, construit sur un postulat bien pervers que n’aurait pas renié Fritz Lang, offre à son époque et à son pays le miroir à peine déformant de sa folie. 5/6

Le convoi des braves (John Ford, 1950)
Un convoi mormon, dirigé par un ombrageux pasteur, engage deux vendeurs de chevaux pour les guider vers l’Ouest : John Ford actualise le vieux thème du groupe en marche vers la Terre promise, en l’ancrant dans une réalité quotidienne qui insuffle plus de vérité et de souffle encore à sa dimension mythique – soixante ans plus tard, Kelly Reichardt en fera un quasi-remake minimaliste avec La Dernière Piste. Une nouvelle fois, c’est la valeur des rites familiaux, de la solidarité et de la générosité désintéressée qui intéresse l’artiste : on danse des quadrilles endiablées dans la nuit du désert, on recueille des saltimbanques perdus, on chante l’espérance au coin du feu de camp. Le tout filmé avec ce sens de l’épure, cette nonchalance tranquille qui sont l’apanage des maîtres imposant leur talent sans le forcer. 5/6

Point limite (Sidney Lumet, 1964)
L’année même où Kubrick sort son Docteur Folamour, Lumet livre sa propre vision de la guerre froide et de l’inéluctabilité funeste de la course aux armements. Pas la moindre trace de burlesque grinçant ici : la politique-fiction, ultra-réaliste, enregistre méthodiquement les faits et suit un crescendo dramatique proprement hallucinant. L’asservissement de l’homme à la technologie, les confrontations idéologiques, la mise en crise des comportements sont traduits dans un insoutenable suspense fait de voix tendues et de mains tremblantes, jusqu’à ce sacrifice d’Abraham que l’on accueille avec une résignation effarée. Lorsque l’épilogue survient, que la ligne narrative est coupée par le sifflement suraigu de la destruction, le spectateur éreinté n’a d’autre choix que de se mesurer à la responsabilité écrasante face à l’impensable. 6/6

La fille du désert (Raoul Walsh, 1949)
Remake westernien de La Grande Évasion. Au petit jeu du comparatif, on dira que Joel McCrea ne surpasse pas Bogart mais que Virginia Mayo, en métisse sauvage et sensuelle, offre un joli contre-point à la frêle Ida Lupino de l’original. Walsh accentue le rôle symbolique attribué à l’argent volé et épure également une ligne tragique qui associe la mort des héros à la renaissance d’une ville fantôme, sanctuaire indien perdu au milieu du désert. Mené sans fioritures, dispensant sa dose de péripéties incontournables (de l’attaque de la diligence à celle du train), le film inscrit la fatalité propre au film noir dans un cadre qui lui est généralement étranger, et en tire des effets d’oxymore assez originaux – à cet égard, le final a un petit goût de Bonnie et Clyde avant l’heure. 4/6

Safe (Todd Haynes, 1995)
La chic banlieue pavillonnaire de Los Angeles, un quotidien aseptisé au minutage implacable (comme une Jeanne Dielman déplacée dans la San Fernando Valley d’aujourd’hui), puis un malaise s’infiltrant insidieusement, une angoisse qui naît ici des produits chimiques utilisés chez la coiffeuse, là du rose écœurant tapissant les murs du centre d’aérobic, ailleurs encore des sourires rigides plaqués sur les visages des housewives. S’il perd un chouïa de son inquiétante étrangeté lors d’une seconde partie un peu plus explicative, où l’héroïne tombe sous l’emprise d’un groupe new age, le film dépeint la déréliction de l’épouse américaine avec un mélange de rigueur clinique et d’empathie distanciée qui à la fois touche et fait franchement flipper. 5/6


J'ai vu aussi :

Despues de Lucio (Michel Franco, 2012) - 4/6
Ted (Seth MacFarlane, 2012) - 4/6
Looper (Rian Johnson, 2012) - 4/6
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