Menus SPOILERS, tout ça...
Comme beaucoup ici j'appréhendais
Prometheus avec crainte. Les récents revival des classiques des 80's se sont tous soldés par des échecs cuisants et la volonté de donner à la saga
Alien une genèse relevait a priori plus de l'hérésie que du high-concept bandant. Etait-il réellement souhaitable d'explorer les questions restées en suspense dans le premier
Alien ? Etait-il pertinent d'attenter au mystère fascinant qui enveloppait le film ? Autant d'interrogations que tout fan biberonné aux Nostromo, USS Sulaco et autres « Ne la touche pas, sale pute ! » a dû se poser plus d'une fois et que les scénaristes ne pouvaient décemment pas éviter. L'association au projet de Ridley Scott, capable du pire comme du meilleur depuis longtemps, n'aidait d'ailleurs pas forcément à ce qu'il soit pleinement rassuré ; tout au plus pouvait-il espérer que le père du mythe ne défigurerait pas trop sa créature en revenant après plus de 30 ans sur les terres qui firent son succès. Verdict :
Prometheus est un film de SF de qualité, je suis persuadé que globalement la majorité s'accordera dessus. Cela fait une petite dizaine d'années que le cinéma ne nous avait pas offert un tel film futuriste qui a de la gueule et qui aborde sérieusement ses enjeux, et le nier me semblerait personnellement très hardi. Mais c'est dans le même temps un film qui suscitera sans doute un certain sentiment de perplexité. En effet, pour dire très simplement les choses, le film me semble écartelé entre différentes exigences et ces écartèlements donnent à la fois de bonnes choses et d'autres, sinon moins bonnes (à vrai dire je n'ai pas encore de certitudes bien assises pour le film qui nous occupe) du moins plus sujettes à caution.
La première exigence, en tant que prequel, c'est celle de respecter l'univers
Alien. Codes visuels, personnages, équipement, tout ça. C'est sur ce terrain-là que le retour de Scott était a priori le plus pertinent. La direction artistique, qui est l'un des points forts, s'emploie donc à raccorder esthétiquement et spirituellement les décors à ceux du premier
Alien et quelques éléments plus marginaux du second (pour le matériel, les véhicules). Ridley Scott retrouve à ce titre son sens du formalisme un peu évaporé ces dernières années et réinvestit ces atmosphères visuelles qui faisaient d'
Alien un film formellement bluffant, avec tout ce soin accordé aux détails, aux balais des lumières, au design qui devient un personnage à part entière. Dans le même temps il ne s'agit pas d'une photocopie. Pour reprendre ce que j'avais dit une fois, c'est un peu
Alien sans
Alien. Le fan est en terrain connu, le design convoque toute une palette de formes et de lignes « amicales »... mais un ami perdu de vue depuis des années et qu'il ne serait pas sûr de reconnaître. Curieuse impression, en effet, qui guide la découverte de
Prometheus, d'un univers familier qui aurait cependant effectué sa mue. Cela donne un résultat tantôt fascinant (la manière dont les œufs, la civilisation extraterrestre au sens du décorum ont été repensés), tantôt incohérent (les technologies beaucoup plus perfectionnées que dans les films suivants).
On se retrouve ici au croisement de la seconde exigence, qui est celle de se démarquer de l'univers
Alien. Ça peut paraître un peu contradictoire mais pas tellement en réalité. En effet, les ambitions de Scott ne sont manifestement pas celles d'un simple gardien du temple qui se replongerait avec bonheur dans son domaine de prédilection. Par conséquent il y a deux espérances à qui il faut à mon avis tordre le cou. Ceux qui attendent de
Prometheus qu'il soit de l'étoffe visionnaire d'
Alien peuvent, je crois, ranger leurs espérances au placard : le film de 1979 était trop parfait en son genre et lançait sa propre mythologie, à la différence de ce
Prometheus qui explore, de manière fatalement moins innovante, certains fondements spirituels de la saga. De même, ceux qui espèrent de
Prometheus qu'il soit un
Alien pur et dur, bien étiqueté comme tel, à ranger bien au chaud dans le coffret à la suite du navet de Jeunet, seront surpris de constater que le film ne se laisse pas si facilement apprivoiser... Et ça, en soit, c'est déjà appréciable : le film étonne, décontenance, impressionne,
propose. Scott veut tenter autre chose. Bien que le canevas narratif suive globalement les mêmes découpages du premier
Alien (sortie d'hypersommeil, atterrissage, exploration, élément perturbateur, chienlit...), le film suit sa propre route dans une logique différente, puisque l'enjeu n'est plus d'échapper à un monstre tueur... de fait
Prometheus s'apparente à un opus
connecté, mais suffisamment singulier dans son approche pour rappeler les meilleures heures de la saga, lorsque Cameron et Fincher apportaient leurs pierres à l'édifice sans trahir l'esprit. On pourra, bien sûr, toujours gloser sur la nécessité de cette préquelle dont l'objet est de déflorer un des mystères les plus envoûtants du cinéma. Mais en ce qui me concerne, force est de reconnaître que d'une démarche bien casse-gueule, suicidaire, Scott parvient à tirer un film de SF à la fois respectueux de ses aïeuls (à moins que ce ne soit l'inverse, on finit par s'y paumer) et raisonnablement autonome pour offrir son propre spectacle, censé rassembler les purs et durs de la première heure et les néophytes. Il me semble donc important d'aller voir le film en étant
ouvert, en faisant fi de la tentation d'évaluer
Prometheus sous le prisme de son – pardonnez le néologisme - « alienité ». On pourra toujours trouver, légitimement, que l'ensemble est loin du niveau du chef-d’œuvre de 1979. Mais c'est appliquer une grille de lecture un peu réductrice en l'occurrence, car si
Prometheus fait le maximum pour s'inscrire dans un héritage élargi, il dessine dans le même temps sa propre singularité. Ce qui ne le mettra certes pas à l'abri de faiblesses, j'y reviendrai.
Enfin, la troisième exigence, plus commerciale qu'autre chose j'ai l'impression, c'est de ne pas trop en dire. Scott n'est pas con. Il sait sans doute qu'un succès placerait la possibilité d'une suite sous des auspices favorables. Aussi ne faut-il pas tarir le filon. Du point de vue scénaristique, cela se traduit par une histoire qui en dit à la fois beaucoup et pas assez. De sorte que les fans inquiets peuvent se rassurer sur ce point : le mystère est loin d'être éclairci. Le film balance des pistes, se ménage une porte de sortie, est clair à certains endroits et beaucoup moins à d'autres, s'exposant de fait à des incohérences qui feront ici, j'en suis sûr, la joie de débats enflammés (et sur lesquelles je reviendrai dans un autre post
). Ce qui fait qu'encore une fois, le film est coincé dans un paradoxe. Il appâte, souvent avec efficacité, satisfait à plusieurs reprises, et cependant frustre dans sa mécanique d'équilibriste qui souhaite en garder de côté pour la suite. Incidemment, le film pourra sans doute être critiqué pour attirer le chaland et ne pas avoir tellement fait avancer le schmilblick, si l'on se rapporte à son ambition de prequel-là-où-le-Mal-a-commencé.
Le film vit donc dans l'écartèlement permanent de ces trois exigences, et en essuie ponctuellement les plâtres. L'exigence commerciale ? Une 3D superflue, qui fait son effet à deux ou trois reprises, pas plus. L'exigence de fidélité ? Ben comme je disais, un canevas très attendu avec pratiquement les mêmes personnages d'
Alien, à ceci près qu'ils sont, David excepté (vieille figure scottienne que l'androïde tourmenté et plus faillible que les humains), tous torchés. Pour certains (je pense à celui de Charlize Theron), on se dit que c'est pour mieux préparer la suite, mais non en fait. Chez Scott, comme chez Cameron, la simplicité des personnages n'excluait pas leur impact. Ici ce n'est pas le cas. On a envie qu'ils y passent le plus possible. Enfin, l'exigence d'affranchissement ? C'est là que la question est la plus délicate... les tentatives du scénario pour se singulariser cliveront. A cause de la fan-attitude. A cause du traitement, aussi. Ainsi, je ne suis pas fan de la nouvelle apparence des créatures, d'autant que les CGI ne rivaliseront jamais avec les animatronics. Et aurélien86 a raison lorsqu'il pointe la laideur du visage de l'Ingénieur, évoquant une cinématique mal finie de Voldemort. Pareillement, le plan final est mal branlé, ce qui fait un peu mal étant donné sa nature. Le problème c'est qu'on est tellement habitué à la mythique créature de la saga, qu'il faudra probablement un certain de temps de "digestion" avant que le film dépasse les étonnements, voire les déceptions, et soit "accepté". Dans le meilleur des cas...
On pourrait finir par croire que j'ai plus de réserves que d'enthousiasmes. Si je pointe ces faiblesses, c'est parce qu'on ne peut les évacuer. Mais elles ne m'ont pas empêché de prendre plaisir à l'ensemble qui, je le répète, est un excellent film de SF, de ceux qu'on aimerait voir plus souvent. Peut-être que ça relancera l'intérêt d'Hollywood pour la chose, qui sait. En tout cas je ne peux pas souscrire aux propos de Wat' quand il parle d'insignifiance (tu dois confondre avec
Mission to Mars, là
). L'insignifiance, ça aurait été un produit formaté emballé vite fait. Or, Scott n'est jamais meilleur que lorsqu'il met en scène le futur.
Prometheus est un film très visuel comme on en voit plus des masses dans le ciné US. Un film qui se donne les moyens de son ambition formelle, ce qui a toujours été le credo artistique de Scott. C'est un film spectaculaire, rythmé et fantastique d'un point de vue esthétique. Reste à savoir comment il sera reçu et comment il fera son chemin aux côtés de la quadrilogie.