Demi-Lune a écrit :Puisque c'est là que ça continue...
En fait, il eût fallu ouvrir un topic consacré à Fincher en général - ici c'est le fuseau Millenium. Pas grave...
Eh bien, concernant ces deux thrillers, je les trouve rudement efficaces, fort divertissants. Ce qui est tout de même important et leur but premier.
The Game, sans mauvais jeu de mots, est ludique et toute considération théorique mise à part, il parvient à construire sur du vent une intrigue paranoïaque assez imaginative, je trouve. Ce n'est pas un grand film, il est trop long et excessif dans l'invraisemblable, et je comprends que sa conclusion - pourtant parfaitement cohérente - puisse agacer, mais personnellement je prends du plaisir devant à chaque fois. J'apprécie également le second,
Panic Room, pour les mêmes raisons : précision de l'intrigue, mécanique parfaitement huilée dans l'enchaînement des rebondissements, réalisation tape-à-l’œil mais plaisante... Là encore l'ambition n'est pas de réaliser une grande œuvre, juste un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique. Une nouvelle fois, je comprends que cela puisse agacer (combien ont décroché avec ce travelling passant dans une anse de tasse à café ?
), mais en tant que divertissement, ce qu'il est originellement me semble-t-il, je le trouve parfaitement efficace. Et après, ce qu'ils ont à offrir d'un point de vue thématique achève de les rendre très intéressants à mes yeux.
Mes souvenirs sur ces deux films sont très parcellaires, je ne les ai pas vu depuis plus de dix ans et ne peux me baser que sur les impressions mitigées qu'ils m'ont laissé. En attendant une seconde vision donc (pas demain la veille), je dirais que ce sont deux thrillers plus ou moins rondement menés (surtout le film de 1997) mais qui ne sont que tributaires de leur mécanique et du brio (très narcissique pour le film de 2002) de leur technique. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas, dans les limites de leurs intentions
relativement réussis, mais j'ai du mal à y percevoir autre chose - et toi non plus, me semble-t-il. Or, "
un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique", c'est bien gentil, mais est-ce que c'est ce qu'on est en droit d'attendre d'un réalisateur considéré comme l'un des plus grands du monde ? Au fond, je ne suis pas tellement en désaccord avec toi ; seulement j'essaie de pondérer la réputation d'un cinéaste qui, au moins au travers de quelques films, n'a guère fait plus que brasser (avec une virtuosité confinant à l'esbroufe) pas mal de vent.
Akrocine a écrit :tu es complètement à coté de la plaque au sujet de l'oeuvre de Fincher! C'est un des meilleurs cinéastes américain actuel de part ses nombreuses thématiques qui reviennent dans chacun de ses films, et part ca mise en scène qui sert à chaque fois le sujet et non le contraire. Le problème avec les oeuvres du cinéaste c'est qu'il est difficile pour beaucoup de monde d'adhérer au fait que la mise en scène de Fincher épouse le propos (Fight Club en est le meilleur exemple).
Ah.
Fight Club fait partie de mes "gros dossiers" ; j'en ai énormément parlé (ailleurs), je suis un peu las d'expliciter ma position sur ce film. Qu'est-ce que j'en retiens ?
Que Fincher se moque de ses personnages, de Durden et de son projet, des velléités immatures des protagonistes. Il est évident que le ton est à la satire, au démontage ironique de ces illusions. Cette perception distanciée des motivations des personnages est en effet fondamentale si l’on veut en avoir une approche crédible. Mais je n’aime pas les choix pris par Fincher par formaliser tout ça : j’y perçois une forme satisfaite de mépris hautain, drapé dans un humour trash puéril, qui m’irrite les nerfs. Du coup, le fait que je ne me reconnaisse en aucun moment dans les obsessions/angoisses puériles du héros est "aggravé" par le regard franchement antipathique que le réalisateur pose sur lui. Je me sens doublement rejeté par le film : sur ce qui meut les personnages d'une part, et sur la façon dont Fincher les perçoit d'autre part. D’autant plus que le film navigue dans un entre-deux-eaux qui ne le fait pas emprunter les rails francs de la farce dévastatrice (un exemple :
Starship Troopers, qui je trouve admirable dans son outrance même, notamment dans son traitement des personnages). Ici Fincher, au-delà du ton ironique, se raccroche toujours à des embryons d’affects, de sentiments (l’histoire d’amour avec Marla, que je trouve foirée) auxquels je ne crois pas une seconde, pour lesquels je ne peux m’intéresser, parce que Fincher lui-même ne s’y intéresse pas, obnubilé qu’il est par son traitement second degré satirico-trash visant à faire passer ses persos pour des cons (et il y arrive sans problème).
Brad Pitt, désolé, mais je peux pas le blairer dans ce film. Je sais bien que son interprétation outrancière est synchrone avec le personnage, mais à mon avis il y a quand même une sacré erreur de dosage : je le trouve pire qu’antipathique, carrément ridicule, sans une once de charisme, il est à baffer. Si le propos de Fincher vise incontestablement à souligner en creux son inanité, je pense qu’il cherche aussi à en faire ressortir le côté magnétique, genre gourou grotesque-mais-qui-en-jette-quand-même. Chez moi, ça ne marche pas du tout. Sa misogynie crasse, sa vulgarité, sa misérable bassesse de vue... : franchement, j’hallucine quand je vois qu’un pan entier du public masculin a pu être séduit par ce personnage. D’ailleurs je pense, comme beaucoup, que le film a été complètement mal perçu par toute une partie de ses admirateurs. Et je ne me reconnais en rien dans le personnage du Narrateur (yuppie pleurnicheur qui se cherche des problèmes parce qu’il n’a pas réglé sa crise d’adolescence) ni dans celui de Durden (beurk).
Le personnage de Marla m’est, là encore, franchement antipathique, en punkette pseudo-trash qui n’aime rien tant que geindre et se faire plaindre. Pendant féminin du Narrateur, je ne vois en elle qu’une égocentrique cadenassée sur ses seuls problème de nombril. Et son traitement dans le film n’arrange rien. Juste un exemple : quand elle vient de se faire tringler par Durden, et que celui-ci propose au héros "de la finir" tandis qu’elle tombe du lit dans un râle, je trouve ça typique de la puérilité dont fait preuve Fincher dans le regard qu'il pose sur elle. On m’objectera que ce traitement bien miso ne fait que refléter le point de vue de Tyler, mais pour moi ça va au-delà : Fincher cherche la connivence avec le spectateur, il veut le faire rire, le rendre complice de ce point de vue (en gros : le faire jouir de son statut de femme-objet). Ca traduit une forme d’humour qui se veut incorrect mais qui, surtout, ne calcule pas sa portée. C’est un détail, mais symptomatique de tout le film, et il y a plein d’autres exemples comme ça... (le trip sur la cancéreuse en phase terminale qui sort sa panoplie de sex-toys, la remarque sur le dentier de la fillette encastrée dans le tableau de bord, qui ferait une bonne pub pour les assurances). Rires gras. Mais bon, peut-être suis-je trop "coincé" pour apprécier ce genre d’humour tout fier de sa subversion.
Pour ce qui est du traitement formel du film, je dirais simplement qu’il est bien trop conscient de sa propre nature pour être honnête – et que sa reconduction in extenso dans
Panic Room m’a confirmé qu’il tient bien davantage de la pose satisfaite que du procédé pensé en accord avec son sujet. Je trouve un peu facile de se conformer à une esthétique du toc et du tape-à-l’œil, à en récolter les fruits, tout en affichant pour l’intention un modèle de pensée qui prône l’inverse. En fait, je prend tout ça pour de la gaminerie caprice, au mieux, ou pour de l’hypocrisie cynique, au pire (et Fincher oscille entre l’un et l’autre d’un bout à l’autre, à mon avis). Après, c’est strictement une question de goût, on entre dans une sphère purement subjective : je trouve le traitement graphique de
Fight Club vulgaire et assez laid, bouffi dans une photo techno-chic qui me donne des boutons. Qu’on y soit sensible, pas de souci : je n’ai rien à redire.
Pour conclure, je ne peux donc pas rejoindre l’idée selon laquelle le film capture son époque, d'une part parce que je ne m’y reconnais pas du tout (ne serais-je donc pas de mon époque ?), et d’autre part parce que je ne peux me résoudre à croire que notre époque est, à l’image de ce film, plus narcissique ou nihiliste qu’une autre, comme se plaît à nous le faire croire Fincher en plongeant les deux pieds dans ce qu’il dénonce. C’est une posture que je trouve cynique. Par-dessus tout, et comme je l’ai déjà dit, c’est une sensibilité qui ne me touche pas car je ne la trouve régie par aucune sentimentalité, aucune attention à la traduction affective de l’humanité qu’elle met en scène.