A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Dr David Menard
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Dr David Menard »

El Dadal a écrit :
Dr David Menard a écrit : Tiens, rêvons un peu: imaginons un peu un Cronenberg qui aurait continué sur la lancée de Naked Lunch dans un fantastique à la fois cérébral et gore, non dénué d'humour malgré la noirceur du sujet, et bénéficiant de la maîtrise parfaite, de la classe absolue dont il témoigne dans la mise en scène de ses derniers films...
Ce film s'appelle Crash.
Oui, oui, pas faux du tout... j'adore Crash (3eme chef-d'oeuvre, pour moi, après Videodrome et Dead Ringers) mais ce n'est pas tout à fait à ça que je pensais, même si je comprends ce que tu veux dire.
Enfin, de tous ses films de la période plus "respectable", c'est quand même celui qui échappe le plus au danger d'une salle de cinéma remplies d'instits à la retraite avec Télérama sous le bras (qui peuvent être fort sympathiques par ailleurs), car c'est quand même un sacré concentré d"obsessions typiquement Cronenberguiennes... J'ai d'ailleurs fait l'expérience de passer pour un cinglé auprès d'une collègue de travail en disant que j'aimais ce film (obligé d'expliquer avec pédagogie que ce n'est pas parce qu'on est fasciné par un film traitant de comportements déviants qu'on adhère forcément à tout ce qui - bla-bla-bla... pffff... :roll: )
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Demi-Lune
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Demi-Lune »

Dr David Menard a écrit :je reste perplexe devant la recherche de "respectabilité" qui semble émaner de ces films un peu donneurs de leçon, quand le "moraliste" risque de tomber dans le piège du "moralisateur" et caresse soudain dans le sens du poil le critique établi avide de "fables sociales qui jettent un regard sans complaisances sur la violence de notre société", le même qui autrefois hurlait au fou, au scandale à l'outrage aux bonnes mœurs devant The Brood, Scanners ou Videodrome. Et s'il est vrai, que même dans ces films-là, Cronenberg avait déjà la tentation de nous sermonner sur tel ou tel danger du monde moderne, il le faisait avec des armes étranges et hybrides à la croisée du film d'horreur de série B et du drame psychologique d'"auteur" à la Bergman-Antonioni, bien plus sympathiques que les contours plus lisses (peut-être en apparence seulement) de ses derniers films où la méthode semble quand même bien moins dangereuse qu'autrefois...
A te lire, j'ai l'impression que ce que tu regrettes en fait, c'est le délaissement du genre fantastique par Cronenberg. :) Au fond de moi, je le regrette un peu aussi (c'est triste de se dire que cette époque semble bel et bien révolue), même si c'est normal qu'un réalisateur ait envie d'explorer de nouveaux univers. D'autant que quand on observe sa filmo depuis le départ, et même quand il donnait dans le cinéma de genre, on s'aperçoit que Cronenberg a toujours pris soin de se renouveler.

Certes les registres maintenant abordés sont sans doute plus conventionnels, en tout cas moins atypiques que sa période organique, mais ses derniers films, par de nombreux aspects, restent quand même assez dérangeants, non ? :) Alors que le cinéma US actuel n'hésite pas à dédramatiser la violence, celle des récents films du Canadien reste par exemple choquante et malaisante, foncièrement premier degré. Je trouve que l'horreur graphique demeure aussi viscérale dans un A History of violence ou dans un Eastern Promises (bien que je la trouve limite complaisante ici) que lorsque Cronenberg faisait ses films fantastiques.
Bon, dans Les Promesses de l'ombre le cinéaste ne semblait guère en forme, c'est vrai. Mais n'empêche, je reste pour l'instant sceptique à propos de l'interprétation, que l'on retrouve souvent chez les admirateurs de la première heure, que Cronenberg (un peu comme Scorsese) aurait fait une sorte de pacte faustien avec la respectabilité critique. J'ai l'impression que Cronenberg a, plutôt, habilement renégocié son parcours artistique en le faisant passer pour un espèce d'assagissement et que ce sont les critiques qui lui mangent plus ou moins dans la main. On peut peut-être se demander si Cronenberg ne joue pas comme Scorsese au contrebandier finaud et refourgue mine de rien, sous le couvert de schémas plus conventionnels, des obsessions thématiques tout aussi percutantes que lorsqu'il était conchié par la critique. La fable Dead Zone, en son temps, était par exemple probablement plus "accessible" que les derniers CroCro et ça ne l'empêchait pas pourtant d'être une œuvre intense et cohérente, au sein de ce qui est pour moi un véritable puzzle filmique, chaque nouveau film apportant sa nouvelle pierre d'un édifice en construction et mutation permanentes. :wink:
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Dr David Menard »

Demi-Lune a écrit : A te lire, j'ai l'impression que ce que tu regrettes en fait, c'est le délaissement du genre fantastique par Cronenberg. :)
Oui, bon, j'avoue... C'est un peu ça. Tu as deviné que je suis un indécrottable nostalgique de l'"Age d'or" du fantastique des années 80...
Au fond de moi, je le regrette un peu aussi (c'est triste de se dire que cette époque semble bel et bien révolue), même si c'est normal qu'un réalisateur ait envie d'explorer de nouveaux univers. D'autant que quand on observe sa filmo depuis le départ, et même quand il donnait dans le cinéma de genre, on s'aperçoit que Cronenberg a toujours pris soin de se renouveler (...)
OK pour admettre que l'évolution et le parcours de Cronenberg sont passionnants, mais surtout jusqu'à Crash, pour moi. Après, je trouve que ça "coince" un peu, que ça vire, malgré un talent fou d'écriture, de mise en scène, de direction d'acteur etc., au commentaire social trop affirmé avec des grilles de lecture bien nettes pour critiques un peu paresseux.
(Cela dit, j'ai tendance à trop juger les films par rapport à la relation que certains cinéastes, même involontairement, semblent entretenir avec la critique, ou vice-versa, ce qui serait plus juste. Il me faut parfois prendre un peu de recul par rapport au discours critique qui accompagne un film à sa sortie pour vraiment juger l'oeuvre de manière sereine et j'ai souvent réévalué certains films que j'avais un peu négligés ou méprisés parce qu'ils avaient soulevé une quasi-unanimité critique à leur sortie (vieux reste de rebel-attitude à 2 balles que j'avais aussi avec les groupes de rock - "pouah, c'est du commercial, maintenant !" :wink: mais c'est une autre histoire) )

Je suis en tout cas complétement d'accord avec toi pour dire que son parcours récent est bien plus digne d'intérêt que celui de Scorsese et sa nouvelle tendance "Attention, Leonardo, derrière toi !" :wink: dans laquelle je ne reconnais pas l'auteur de Raging Bull et que dans une carrière comme celle de Cronenberg qui, déjà, autrefois, passait de Videodrome à Dead Zone, de The Fly à Dead Ringers, tout n'est pas forcément linéaire. Il y a toujours eu de subtiles variations dans son oeuvre et des allées et venues entre différents degrés de violence physique et/ou psychique... Le "c'était mieux avant", fait des ravages chez les cinéphiles nostalgiques comme moi, j'en ai conscience. :mrgreen:
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Demi-Lune »

Dr David Menard a écrit :Tu as deviné que je suis un indécrottable nostalgique de l'"Age d'or" du fantastique des années 80...
Comme je te comprends. :wink: On n'a jamais fait mieux.
Dr David Menard a écrit :Je suis en tout cas complétement d'accord avec toi pour dire que son parcours récent est bien plus digne d'intérêt que celui de Scorsese et sa nouvelle tendance "Attention, Leonardo, derrière toi !" :wink: dans laquelle je ne reconnais pas l'auteur de Raging Bull
Ah ben non, justement, je n'ai pas sous-entendu cela ! :mrgreen: Les films des années 2000 de Scorsese n'ont certes plus la fièvre de ceux qu'il a faits dans le passé, mais contrairement aux fans déçus qui ne comprennent plus ce que le réalisateur est en train de faire (voire de devenir), je trouve tous ses films passionnants et les plus récents sont tout à fait dignes d'intérêt. C'est la raison pour laquelle je dressais justement un parallèle avec la trajectoire récente de Cronenberg : cinéaste prétendument domestiqué, ça n'a plus le même goût qu'avant, cinéma commercial, tout ça. Un film comme Shutter Island, par exemple, a beaucoup de choses à offrir pour qui veut s'y attarder et est un vrai film de contrebandier, totalement en phase avec les thématiques chères à Scorsese (qui dans les années 2000, quand on y regarde bien, se sont obscurcies d'un regard très pessimiste). Pour moi Scorsese négocie plus que jamais sa place chèrement acquise dans Hollywood en jouant le jeu des studios mais en glissant ni vu ni connu j't'embrouille tout ce qui fait sa singularité d'auteur. Et je crois honnêtement que Cronenberg a fait le même pari.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Dr David Menard »

Demi-Lune a écrit : Ah ben non, justement, je n'ai pas sous-entendu cela ! :mrgreen: (...)
OK. J'avais lu un peu vite. L'origine de mon problème avec les derniers films de Scorsese (en fait, ses deux derniers) c'est son recours persistant, incompréhensible en ce qui me concerne, aux mécanismes du simple thriller, du suspense, du mystère etc. de l'intrigue, du bon plot bien ficelé et "efficace", avec méchant à coffrer, poursuite, énigme à résoudre, grosse révélation finale. Je sais qu'il y a des choses intéressantes derrière tout ce tintamarre, et tu l'expliques très bien, d'ailleurs, et je sais que le film noir classique, les westerns et autres genres bien codés, aux boulons bien serrés ont joué un grand rôle dans sa cinéphilie mais je regrette le Scorsese qui semblait préférer la "chronique" au récit à suspense...
Bon, on est horriblement HS, je crois... :mrgreen: :oops:
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Major Tom »

Désolé, je voudrais parler du film si possible. :mrgreen:

A DANGEROUS METHOD (2011) David Cronenberg
Décevant, comme le dit Colqhoun, oui c'est le mot. On peut reconnaître la patte de Cronenberg au début, quand il filme la folie plutôt bien interprétée par Keira Kgnithley, dans un plan qui a beau être fixe sa patte transparaît, mais sinon Cronenberg s'efface derrière un sujet pas franchement intéressant. Qu'est-ce qui l'intéressait le plus là-dedans, la confrontation de personnalités (Jung-Freud-Speilrein et Otto Gross)? Il n'a pas su rendre ça très intéressant. Les Promesses de l'ombre était un polar télévisuel manquant d'idées et de conclusion, mais une scène violente dans un hammam ranimait n'importe quel spectateur comateux. Ici, ce ne sont pas quelques coups de ceinturons sur les fesses ou une balafre sur une joue (qui disparaît grâce à la magie du cinéma) qui nous secoueront ni nous rappelleront qui se trouve derrière la caméra. Ça parle beaucoup. Ce qu'ils se racontent n'est jamais complètement inintéressant mais c'est souvent un peu trop naïf disons, comme lorsque Jung parle de son rêve prémonitoire évoquant la futur guerre mondiale. Très décevant.
Dernière modification par Major Tom le 19 nov. 11, 18:45, modifié 1 fois.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Demi-Lune »

Major Tom a écrit :Qu'est-ce qui l'intéressait le plus là-dedans, la confrontation de personnalités (Jung-Freud-Speilrein et Otto Gross)?
Je m'avance sans doute (je n'ai évidemment pas encore vu le film), mais pour un cinéaste obsédé par les dérèglements psychiques et souvent, incidemment, par les manifestations corporelles de ces mêmes dérèglements, aborder de front la thématique psychanalytique (avec ici un cas d'hystérie) paraît à un moment ou à un autre assez immanquable, en tout cas fort cohérent avec ce qu'il a pu faire dans le passé. La psychanalyse, l'affrontement théorique entre Jung et Freud, pour moi c'est un rendez-vous logique avec Cronenberg, et je comprends dès lors qu'il se soit intéressé à ce sujet de fond.
Avec sa psychosomatique thérapeutique, Chromosome III allait déjà assez dans ce sens je trouve. Une femme patiente et déséquilibrée qui est la cobaye d'un illustre médecin ayant développé une théorie médicale révolutionnaire, ma foi, sur le papier ça ressemble quand même pas mal au postulat d'A Dangerous Method.

Bon sinon, c'est guère encourageant tout ça. J'ai quand même envie d'y croire parce que justement, le sujet est bien plus cronenbergien qu'Eastern Promises.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Major Tom »

Oui c'est bien ça qui l'intéressait, mais à vrai dire ses intentions, je m'en moque un peu. :) C'est le résultat que j'ai vu, et le résultat n'est pas génial. :?
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par riqueuniee »

Tout à fait d'accord. Si je crois encore (malgré les avis défavorables) à ce film, c'est parce que c'est Cronenberg qui est derrière la caméra, et que j'ai envie de voir comment il va traiter ce sujet, pas si éloigné en effet de certaines de ses thématiques . (réponse à demi-lune)
Dernière modification par riqueuniee le 19 nov. 11, 18:21, modifié 1 fois.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Demi-Lune »

Major Tom a écrit :Oui c'est bien ça qui l'intéressait, mais à vrai dire ses intentions, je m'en moque un peu. :) C'est le résultat que j'ai vu, et le résultat n'est pas génial. :?
Quid de la musique d'Howard Shore, au fait ?
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Major Tom »

Demi-Lune a écrit :
Major Tom a écrit :Oui c'est bien ça qui l'intéressait, mais à vrai dire ses intentions, je m'en moque un peu. :) C'est le résultat que j'ai vu, et le résultat n'est pas génial. :?
Quid de la musique d'Howard Shore, au fait ?
Pas mal, par contre. Je pense qu'elle te branchera. ;)
Voilà: achetez le disque, et des bouquins qui parlent du sujet, mais n'allez pas voir ce film. :mrgreen: :wink:
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Major Tom »

Là où j'ai été encore plus déçu, c'est que le film se termine sur... rien du tout. Un fond noir et des écrits en blancs. On a fait un séjour très rapide dans la clinique de Jung, on part sur sa rencontre avec la patiente devenue psy Sabina Speilrein, puis non on est témoin de 2, 3 rencontres entre Jung et Freud, avec également un rapide passage d'Otto Gross, bref des fiches wikipédia filmées comme disait Colqhoun, et on conclue sur... des cartons qui annoncent ce qu'il s'est passé ensuite ("Untel est mort tel date, etc."). Ça parle beaucoup et ça ne raconte pas grand-chose. Un manque d'inspiration très palpable.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Colqhoun »

Demi-Lune a écrit :La psychanalyse, l'affrontement théorique entre Jung et Freud, pour moi c'est un rendez-vous logique avec Cronenberg, et je comprends dès lors qu'il se soit intéressé à ce sujet de fond.
Ce sont plein d'intentions très honorables, passionnantes et tout à fait cohérentes pour ce cinéaste.
Mais le résultat en est à des kilomètres malheureusement.
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Anorya »

Ma chro' arrive sous peu mais comme j'ai le film bien frais encore depuis hier, je ne peux que rebondir sur certaines choses. :mrgreen:
Major Tom a écrit :mais sinon Cronenberg s'efface derrière un sujet pas franchement intéressant. Qu'est-ce qui l'intéressait le plus là-dedans, la confrontation de personnalités (Jung-Freud-Speilrein et Otto Gross)?
Mais pas que. J'y viens après. :wink:
Un après-midi à Paris a écrit :Ici, ce ne sont pas quelques coups de ceinturons sur les fesses
Travail sur le son parfaitement bien retranscrit. Ce sont les mêmes sons qu'on entend pour la cravache sur le vêtement que quand Jung choisit de donner des fessées à Spielrein en plus. Il y a un transfert ici mais pas psychanalytique, purement technique.
De Palma fan club a écrit :ou une balafre sur une joue (qui disparaît grâce à la magie du cinéma)
Qui disparaît en fait dans le temps. Entre cette balafre et la fin où ne subsiste plus qu'une cicatrice, 3 à 4 ans se sont écoulés depuis (le film se termine en 1913 alors qu'il a commencé en 1903 pour ensuite zigzaguer sur des périodes de temps).
Tout le film ne fait que focaliser sur des moments à l'intérieur de sautes de temps comme les chapitres d'un livre qui nous serait incomplet parce que trop vaste. :o
Polanski au pouvoir a écrit :qui nous secoueront ni nous rappelleront qui se trouve derrière la caméra.
Bah, la volonté de marquer ou secouer le spectateur n'est pas spécifiquement le but d'un tel film je dirais. Il ne faut pas marquer d'attentes spécifiques en ce sens même si le nom de Cronenberg signifie beaucoup.
Pouet pouet a écrit :mais c'est souvent un peu trop naïf disons, comme lorsque Jung parle de son rêve prémonitoire évoquant la futur guerre mondiale. Très décevant.
Pas plus naïf que quand la mère d'Hitler dans le comics de From Hell d'Alan Moore raconte son rêve d'une église juive qui va être submergée de sang au point que les portes vont s'ébranler. Durant tout le film on est resté dans le domaine du rêve parlé mais non montré (comme le cinéma pourrait le faire). C'est donc un rêve raconté qu'on a comme dans de nombreuses psychanalyses. La seule différence est qu'il n'y a pas d'interprétation. On peut tout aussi bien y voir la future guerre mondiale que l'oeuvre à venir de Jung, son livre monumental, l'emprise de la psychanalyse sur les corps et âmes des gens pour les décennies à venir ou tout aussi bien le destin de Jung lui-même qui sera plus tard accusé de collaboration avec les nazis... :wink:
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Re: A Dangerous Method (David Cronenberg - 2011)

Message par Anorya »

A dangerous method (Cronenberg - 2011).

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Zurich, 1903. Carl Jung, jeune psychiatre, entame le début de sa carrière tout en partageant la vie de sa jeune épouse fortunée Emma. S'inspirant des travaux de Sigmund Freud, Jung tente un traitement expérimental connu sous le nom de psychanalyse sur Sabina Spielrein, âgée de 18 ans et diagnostiquée "hystérique" à son arrivée à la clinique. Le traitement et la relation entre Sabina et Jung comme celle de Jung avec Freud va alors prendre un tournant inattendu au fil du temps...


Je suis arrivé au ciné-club des Cahiers du cinéma pour l'avant-première sous une pluie glaçante hier soir. Dès l'ouverture un peu en retard, c'est un Stéphane Delorme fatigué (ils sont en pleine période de bouclage apparemment) qui évoque le film et explique pourquoi ils ont choisis de le défendre aux Cahiers (ça tombe rien, j'ai quasiment rien lu encore du dernier numéro des cahiers, ni de celui d'avant. C'est dire comment je suis à la ramasse en ce moment. Même mes chroniques ont dû vous manquer. Ou pas). Embrouillé, il peine à trouver ses mots et c'est le public qui l'aide à finir ses phrases à deux reprises. A juste titre, il révèle que le soit-disant académisme qu'on reproche à Cronenberg est assez trompeur du fait d'une vraie maîtrise --souvent resserrée-- de l'espace dans le film (exemples à l'appui).


Cette présentation était intéressante puisqu'elle m'a permis de suivre le film "les yeux grand ouverts" (et non refermés comme ceux d'un certain Bill Harford). L'un appréciant le récit et les circonvolutions émotionnelles perçues, l'autre la mise en scène qui est tout sauf reposée. Je le dis tout net, pour moi, A dangerous method n'est pas un film facile comme on pourrait le penser. Si on remarque bien, de nombreux travellings discrets, sobres et élégants (d'une grande beauté encore peu observée chez le Canadien) ponctuent régulièrement le film. Certains se repèrent plus aisément que d'autres. 3 sont par exemple donnés lors du passage d'un ferry, d'un voilier ou d'un glissement à même l'eau, plan à la limite du flottement presque onirique qui surgissait l'espace d'un instant dans un Profession Reporter. Quand Nicholson écarte les bras en "survolant" la mer (comme s'il volait), c'est moi qui m'envolait. Quand Maria Schneider se retourne dos au soleil dans la voiture pour contempler un passé inédit, je crois voir le monde avec elle, celui instable et mouvant que mes sens limités perçoivent. Quand la barque de Jung glisse, je flotte avec lui pour, presqu'au ralenti apercevoir la silhouette de Sabina penchant lentement la tête.


Et d'autres plans sont plus discrets, jouant de la durée tel cette caméra qui suit presqu'en steadycam Jung quand il revient de son séjour militaire "pour examiner des queues toute la journée". Furtif. Brillant. Où bien celui où une confession de Sabina se transforme en long plan-séquence se rapprochant lentement et de plus en plus de son visage, éjectant Jung hors du cadre, transportant à la fois la performance hallucinée de Keira Knightley en dévoilement intime de sa psychée. Presque du Tarkovski ce plan, ce qui est étonnant de la part d'un Cronenberg.

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C'est que cette sobriété est faussement apaisée chez le canadien. D'une forme au repos, il parvint toujours à faire jaillir (éjaculer serait plus approprié au vu du cinéaste) des éclats. C'est parfois ce qui peut littéralement sauver un film de l'oubli qui le guette. Ce sont ces gorges tranchées et cette scène de la douche dans Les Promesses de l'ombre, la révélation brutale dans le van des policiers dans M.Butterfly (je dis ça mais j'aime beaucoup ce film. Il faudrait juste que je le revois car ça fait une éternité que ma VHS prend la poussière), dans Spider... Euh non. En fait on évitera de parler de Spider. :mrgreen:
Et pourtant, comment ne pas rattacher A dangerous method de Spider, M.Butterfly et Faux-semblants ? Spider était maniéré à l'extrême (voire chiant), M.Butterfly trouble, Faux-semblants glacial, A dangerous method apaisé, flottant, lumineux tout en restant paradoxalement tendu, propulsé par le jeu à la limite de la folie rampante des géniaux Knightley et Fassbender. Mortensen reste brillant attention, mais parfois éclipsé par ces deux là.


Je le reconnais ouvertement, je n'ai jamais vraiment apprécié Keira Knightley (je vois déjà des gens prêts à se lever pour me balancer des tomates, attendez quoi :o ). Pour moi c'était une actrice qui restait à fournir ses preuves. Ce n'est pas parce qu'on a un physique agréable qu'on peut se targuer d'être une actrice, c'est à dire l'incarnation d'une personnalité endossée, quitte à entre dévorée par le rôle comme Nina/Portman dans Black Swan. Avec Never let me go, le cas Knightley commençait à m'apparaître intéressant. Grimé en fille banale au milieu d'Andrew Garfield et Carey Mulligan, elle donnait dès lors plus à voir ses talents d'actrices dans un rôle pas si facile que ça. Avec A dangerous method, enlaidie (au début du moins), elle franchit enfin ce palier où l'on se donne entièrement corps et âme au personnage.

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Fassbender n'est pas en reste. Une nouvelle fois il donne toute la mesure de son talent en jouant un personnage tout en retenue à la frontière de la folie (ce qui lui permet de se rapprocher avec Sabina/Knightley), ne laissant échapper que des bribes de colère et de hargne qui ne font qu'assoir plus la tension déjà donnée par l'interprétation de Knightley. Il y a une scène où pendant un bref instant j'ai retenu mon souffle. Allait-il frapper sa "patiente" dans ce geste extrême de colère ? C'est dire comment j'y étais. Au passage je réponds à un cinéphile qui se reconnaîtra plus haut, je le redis, la balafre ne disparaît pas comme ça très rapidement, ce sont les années qui ont passé et qui montrent juste une petite blessure qui s'est résorbé.


Mortensen campe la sagesse mesurée et là encore ce n'est qu'apparence tant on s'aperçoit le personnage être au fond profondément paranoïaque. Avec le recul, je me demande si ce n'est pas lui qui écope du rôle le plus dur du film, car le moins évident, celui de porter en lui l'incarnation supposée (par le jeu actorial), du père de la psychanalyse. Ou du moins sa possible représentation. Vous l'aurez compris, chez Cronenberg on est pas dans le biopic pur jus, mais la représentation de figures, d'archétypes qu'on s'approprie et fait vivre. Mortensen est sur ce point, une fois de plus, brillant.


Cassel fait du Cassel mais il le fait bien. :mrgreen:
Disons que depuis Les promesses de l'ombre et Black swan, je commence à bien cerner l'acteur, son jeu et l'apprécier de plus en plus. Sa gouardise, son charisme animal et l'image presque libertine qu'il véhicule (quitte à reprendre un rôle similaire à celui du film d'Aronofsky pour une pub de parfum !) semblent avoir dépassé l'acteur même (on se rappelle -ou pas, plutôt-- son rôle de Pan pervers dans Sa majesté Minor :| ) s'inscrivant parfaitement ici dans le personnage d'Otto Gross en contrepoint du monogamisme de Jung.

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C'est donc un film d'idées, un film cérébral (et pourtant très drôle très souvent) mais qui, comme souvent chez Cronenberg, aborde le sexe, tout autant théorisé ici (et les dialogues sont tout à fait intelligents sans jamais tomber dans la vulgarisation de la psychanalyse. Quand je relis des passages de "Introduction à la psychanalyse" de Freud (petite bibliothèque Payot) et que je repense au film, j'y retrouve le même ton, la même parole presque retranscrite à la virgule près) que pratiqué aussi bien pour le plaisir que l'enfantement. Ce n'est pas pour rien que la situation conjugale de Jung est souvent replacée dans le contexte et avec elle, la notion de fidélité quasi-indéfectible que sa femme Emma lui donne (Sarah Gadon est magnifique et touchante au passage) à ne pas confondre avec la pure vanité de l'épouse bien pensante et soumise (ce serait un peu trop simple).


J'avais évoqué le rapprochement avec Faux-semblants et deux-trois autres Cronenberg plus cérébraux que charnels plus tôt, j'y reviens ici et A dangerous method n'échappe pas à une petite classification cinéphile, Cronenberg restant un auteur dont les thématiques se retrouvent ici aussi.
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Dans Faux-semblants comme ici, il y avait un trio amoureux. C'était la gémellité qui séparait pourtant deux individus différents dans leurs idées et sentiments vis à vis d'une même femme. A la fin l'union parfaite ne pouvait que se retrouver par une pièta dans la mort (on retrouve l'idée d'union parfaite dans La Mouche à la fin quand Brundle-fly suggère que "nous pourrions former la famille parfaite, toi, moi et le bébé"). Dans M.Butterfly, le trio était camouflé par le jeu des apparences et du travestissement. 3 personnages dont une femme qui cache un homme (et vice-versa plutôt), donc deux hommes et "une femme". Dans Crash, on retrouve une femme au centre de deux hommes qui se retrouvent en opposition et pourtant comme attirés l'un par l'autre. C'est largement moins visible dans Les promesses de l'ombre mais palpable aussi (si Naomi Watts n'était pas là, je me demande si Cassel n'aurait pas roulé une pelle en fin de film à Mortensen ! :lol: ). Ici, lutte des idées, des relations et influences des corps sur les autres. Là aussi, une femme, deux hommes, trois têtes pensantes qui vont chacune finir par s'élever chacune de leur côté (l'épilogue bien que concis est assez précis sur ce point). Si Sabina-Knightley avait été évacuée au milieu du film et que Cassel-Gross n'avait pas instillé suffisamment son poison, qui ne dit pas que Jung-Fassbender ne serait pas finalement retourné lentement auprès de Freud/Mortensen ?

Et puis le rapport au père qui ressurgit ici depuis déjà quelques films. Et tout aussi palpable que précédemment. Le père qui n'était qui n'en était pas vraiment un dans Spider. Le père qui se révèle différent dans A history of violence. Le père dangereux et rusé que représente Armin Mueller-Stahl dans Les promesses de l'ombre (là aussi les apparences sont mouvantes mais ce n'est plus le passé mais le présent qui rattrape ce père là). Le père symbolique ici à la fois d'un courant et d'une méthode comme celui, spirituel dont se réclame Jung. A chaque fois une nouvelle méthode pour "tuer le père", par la révélation, la violence, la dissimulation ou les relations de pouvoir.


Après tout ça, que dire de plus que ce qui est déjà visible dans le film, à savoir que la photographie et les cadrages sont sublimes et que la musique d'Howard Shore est très belle. Tout ici vise l'épure et réussit à finalement se tenir. Cronenberg n'en finit pas de m'étonner. Le film me trotte en tête depuis hier et si je ne vois ni Shame ni Mission : Impossible, protocole fantôme, ni le cheval de Turin d'ici là, il pourrait bien devenir mon film du mois, qui sait... :o


4,5/6, voire 5/6.
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