
Driver, sans nom, mystérieux. De son intériorité on ne connaîtra rien d’autre que les actes qu’il va commettre. Par contre, d’entrée, on souligne ses aspects extérieurs, sans faille. En fait, ce n’est pas vraiment un homme : bien plus beau que la moyenne, dans la maîtrise absolue de ses nerfs, conducteur hors pair. Il semble appartenir à ces héros hollywoodiens sans ombre, venus pour terrasser le mal. Tout irait pour le mieux du monde sauf qu’ici sont suggérés quelques indices énigmatiques : le symbole du scorpion sur le blouson et puis son mutisme. Un mutisme, comme un retrait du monde, comme une attitude en distance, en observation, en analyse, cherchant la maîtrise des éléments que le personnage possède en façade. Et puis ce scorpion au symbole hautement puissant de violence rentrée. Comme si toute cette maîtrise apparente possédait déjà les signes de son propre anéantissement.
A l’image de son personnage à distance, Refn lui aussi en mode distanciation et la volonté de se confronter aux pulsions de violence et à leurs représentations filmiques. Afin d’éviter les pièges du voyeurisme de la violence, on utilise le personnage comme un archétype, d’où le fait qu’il ne possède pas de nom et qu’il soit silencieux. Ici, l’archétype du héros. On rajoute un symbole à l’archétype, un scorpion, qui annonce un chevalier blanc pas si blanc que ça. Peut-être un chevalier de lumière et d’ombre, humanisant ainsi l’archétype. Toujours pour éviter le voyeurisme de la violence, la stylisation puissante de la mise en scène, qui emprunte les caractéristiques du maniérisme, celui-là même utilisé par tous les cinéastes expressionnistes et post expressionnistes afin de sortir des processus d’identification à la réalité et d’assumer leur subjectivité de représentation. Le travail sur les éclairages confinent au songes et donc à l’expression des matières inconscientes et rêvées. Toujours pour éviter le voyeurisme de la violence, on utilise le procédé de la fable, celle qui se met à distance de la « réalité ». Ici la fable de la grenouille et du scorpion, suggérée dans une conversation téléphonique, indiquant par là toute la complexité de la nature humaine. Toujours pour éviter le voyeurisme de la violence, Refn reprend l’idée Hichtcockienne de filmer les scènes de meurtres comme des scènes d’amour, et les scènes d’amour comme des scènes de meurtres.
Rarement un cinéaste n’aura filmé les pulsions de destruction et d’amour avec autant de délicatesse, d’intelligence et d’authenticité. Chez Refn, l’amour est platonique et authentique. Chez Refn, l’archétype du héros s’humanise. Chez Refn, la violence pulsionnelle est à la fois réelle et analysée. Chez Refn, la violence psychologique est d’une crédibilité incroyable.
Oui, sans aucun doute, Drive est un film d’une immense richesse, sur le fond et sur la forme, les deux intimement liés, comme il se doit dans la représentation expressionniste.