Edward Yang (1947-2007)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jack Carter
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Jack Carter »

Splendor films va sortir The Terrorizers le 14 decembre.

esperons qu'il sortira en province... :|
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Jack Carter
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Jack Carter »

The Terrorizers en dvd, novembre, chez Spectrum Films
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Jack Carter
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Jack Carter »

Jack Carter a écrit :The Terrorizers en dvd, novembre, chez Spectrum Films
longtemps repoussé, ça sort normalement ( :lol: ) le 18 septembre.

un autre Yang (un moyen metrage parmi d'autres sous le titre In our time) est prevu à la meme date

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-Kaonashi-
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par -Kaonashi- »

J'ai acheté le DVD de The Terrorizers ill y a quelques semaines, d'occasion.
Le disque est immpeccable (= pas de rayures), mais il y a un souci avec l'encodage du film : l'image a des saccades de lecture pendant tout le film.
J'ai copié le dvd en fichier mp4, au cas où ce soit un défaut de lecture pour ce disque sur mon lecteur BDR. Le défaut est bien sur le fichier.

Fait ch..., ça rend le visionnage assez désagréable. Du coup je ne l'ai pas encore regardé en entier. :|
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Spike »

Si ça peut vous consoler (... ou pas), Spectrum Films va ressortir The Terrorizers en combo BR/DVD.
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Flavia
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Flavia »

Le 13 février sur Ciné+ Club, soirée Edward Yang

A Brighter Summer Day / Taipei Story
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Profondo Rosso
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

Mahjong (1996)

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Marthe, une adolescente française, débarque à Taipei afin de retrouver un homme plus âgé avec qui elle a eu une relation à Londres. Sans argent, sans connaissance sur la ville, elle est rapidement prise en charge par un groupe de jeunes Taïwanais désœuvrés, qui comptent bien profiter d'elle.

Mahjong est une œuvre moins connue d'Edward Yang, coincée entre les monuments que sont A Bright Summer Day (1991) et Yi yi (2000). Le film brasse l'observation d'une jeunesse délinquante comme une des intrigues de A Bright Summer Day, mais aussi la capture de l'urbanité taïwanaise au cœur de The Terrorizers (1986). Mahjong ajoute à ces éléments le point de vue de protagonistes occidentaux, qui offrent un miroir à la fois candide et cynique de ce qu'est en train de devenir Taïwan et par extension la Chine à travers son expansion économique. Une des premières scènes qui réunit tous les personnages dans le cadre d'un bar observe un monde qui ne se définit que par un rapport de force sous-jacent. Du groupe de petites frappes menées par Red Fish (Tang Congsheng) aux nouveaux riches occidentaux Marcus (Nick Erickson) et Ginger (Diana Dupuis), toute une partie des personnages "dominants" naviguent entre différents business plus ou moins légaux qui visent à exploiter et manipuler leurs congénères. Le rapport à l'autre n'existe que dans la perspective de ce que l'on pourra en exploiter et les victimes potentielles s'exposent d'emblée dans cette même scène. La jeune française Marthe (Virginie Ledoyen) est venir poursuivre sa romance avec Marcus qui l'a abandonnée en Europe, ce dernier est en affaire avec Allison (Shin-hui Chen) dont il compte sur la participation dans ses affaires et celle-ci va se trouver la proie de Hongkong (Chang Chen) acolyte gigolo de Red Fish. La figure de l'étranger pose donc les deux versants de la logique qui agite cette jungle de Tapei, celle du dominant sans scrupule à travers Marcus et celle du dominé avec Marthe qui trouve dans la bande de Red Fish (mais aussi Ginger visant à la prostituer) des bienfaiteurs intéressés.

L'intrigue confronte ainsi les personnages à leur contradiction avec comme fil rouge les créanciers du père de Red Fish cherchant à le retrouver en filant le fils. Red Fish élevé par un père absent, coureur et joueur invétéré, inculque les mêmes notions cyniques à son groupe d'amis mais dans un dimension glacial où tout hédonisme. Ainsi lorsque Hongkong arrive à ses fins avec Allison, elle perd tout intérêt à ses yeux, il atteint le point sensible où il peut la manipuler et jeter en pâture à ses amis voulant aussi coucher avec elle. Le personnage de Luen-Luen (Lawrence Ko) est fondamental dans ce cadre. Sa maîtrise de l'anglais en fait le traducteur du groupe d'amis, mais le fait de débuter aussi dans ce monde d'arnaque en fait une figure intermédiaire, dont les larcins mineurs (une arnaque à la voiture endommagée) en font un observateur plus qu'un acteur. Tout en suivant ses acolytes, il a ainsi un certain recul et des scrupules notamment par le lien amical (et amoureux sous-jacent) qu'il noue avec l'étrangère Marthe. Edward Yang travaille formellement cette notion de dominant/dominé par la gestion de l'espace. Le personnage dominé évolue dans l'espace au gré de la volonté du ou des dominants, à la manière d'Allison balloté dans l'appartement après sa nuit avec Hongkong. Son amant l'abandonne à ses amis qui l'intimident, avancent vers elle et l'entravent symboliquement dans les recoins refermés de la pièce. Yang use d'ailleurs du motif de l'encadrement de porte pour signifier la cage où se trouvent les dominés. C'est explicite avec Allison, et sous-entendus pour Marthe qui se retrouve prisonnière selon une même composition de plan dans cet encadrement de porte, mais sans le savoir puisqu'elle voit Red Fish et sa bande comme ses bienfaiteurs. Ce dispositif s'étend dans d'autres espaces, notamment celui d'un salon de coiffure où Red Fish épie de loin Angela (Carrie Ng) l'ancienne maîtresse qu'il soupçonne d'avoir ruiné son père. Les rapports plus troubles et conflictuels bousculent ces certitudes visuelles comme lorsque Red Fish, retrouve son père (Kuo-Chu Chang) qui se trouve longtemps hors champ durant leur conversation. Sa déchéance de dominant le montre affalé au sol, sans pour autant l'enfermer comme un dominé tandis que son fils s'agite face à lui.

Edward Yang évite cependant de se montrer froidement schématique et nous fait progressivement comprendre que cette position ne dépend que de nous, et que l'on peut s'affranchir de ce modèle de société carnassier. Amoureuse éperdue, Marthe semble prête à s'avilir en connaissance de cause juste pour faire souffrir que Marcus, avant que Luen-Luen ne lui fasse entendre raison. C'est son amour pour elle qui l'empêche de céder à la froideur de ses acolytes, quand c'est au contraire une passion maladie qui pourrait faire sombrer Marthe. Edward Yang fait d'ailleurs basculer l'usage de ce leitmotiv de l'encadrement de porte à travers leur couple en construction, le plan revenant lorsque Luen-Luen prisonnier (dans le sens positif du terme cette fois) de son amour pour Marthe vient lui apporter des vivres dans sa chambre et qu'un plan fixe le capture dans cet effet portail. Le travail sur la couleur joue aussi sur la teneur des émotions, le bleu travaillant une forme de confiance, sincérité et au final amour (Marthe qui revient en arrière rejoindre Luen-Luen, les retrouvailles finales) tandis que le rouge teinte la jungle ambiance et sa folie (les éclairages criards du bar de début de film, la crise de folie de Red Fish sous les lueurs rouge des éclairages extérieurs de la pièce). Cette idéologie dominant/dominé ne s'applique donc, que l'on soit victime ou bourreau, qu'à ceux qui veulent bien y céder. Edward Yang s'affranchit de la simplicité d'une lecture machiste en montrant Hongkong jusque-là si désinvolte avec la gent féminine être à son tour le jouet sexuel d'un groupe de femmes, non pas dans une notion de genre mais de statut social. Elles s'amusent et se jouent de lui sans que Yang use des effets de cadrage précédemment évoqués, ces artifices ne s'appliquent qu'aux pauvres qui veulent s'élever et masquer leur manipulation. Là c'est dans un plan d'ensemble que Hongkong est écrasé, humilié et dominé par un groupe de femmes d'affaires hilares. Red Fish comme Hongkong sont de faux dominants dont les circonstances vont faire perdre les repères jusqu'à perdre la raison.

La magnifique conclusion romantique réunit donc enfin les deux protagonistes qui auront résistés aux tentations d'un système pour se rapprocher. La dernière scène est une merveille de candeur après toute la noirceur qui a précédé et conclut le film dans un baiser maladroit et longtemps attendu, dans un fondu au noir sur fond du brouhaha urbain de Tapei. 5,5/6

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Profondo Rosso
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

Taipei Story (1985)

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Lung et Chin se connaissent depuis de nombreuses années. Lui est un ancien joueur de base-ball sans véritable ambition professionnelle ; elle a un poste de secrétaire au sein d’un grand cabinet d’architectes. Le sentiment qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est un mélange d’amour et d’affection profonde, aux contours flous. Mais le licenciement brutal de Chin va bientôt fissurer leur couple et compromettre leur projet de vie commune…

Tapei Story est le second film d’Edward Yang, qui s’inscrit parfaitement dans l’énergie et la ferveur créatrice de la Nouvelle Vague taïwanaise émergeante. Le mouvement trouve notamment son moteur à travers la collaboration entre Edward Yang et Hou Hsiao-Hsien qui coécrivent leurs films respectifs, partagent collaborateurs techniques et parfois jouent l’un chez l’autre (Hou Hsiao-Hsien dans ce Tapei Story, Edward Yang dans Un été chez grand-père (1984)). Cependant quand le contexte politique et social de Taïwan s’inscrit en pointillé dans les premiers films de Hou Hsiao-Hsien (plutôt autobiographiques et inscrits dans un passé nostalgique), il est au cœur de tout le cinéma d’Edward Yang et ce dès le début.

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Tapei Story dépeint donc la lente désagrégation d’un couple, avec en toile de fond la mutation sociale et urbaine de cette ville de Tapei. Dès la scène d’ouverture, cette distance dans le couple se ressent. Chin (Tsai Chin) s’installe visite son futur appartement au côté de son compagnon Lung (Hou Hsiao-Hsien). On peut déjà se demander pourquoi, alors qu’ils semblent pleinement entrés dans l’âge adulte, ils ne s’y installent pas ensemble. Edward Yang dans son découpage et ses cadrages les séparent déjà dans cet espace, Lung semble toujours hors-champs ou en retrait d’une Chin réfléchissant à la future disposition de l’appartement dans une optique « à deux ». De plus, au moment où Chin entame cette étape, Lung se rétracte symboliquement puisqu’il s’apprête à partir en voyage. Le retour sera chargé de doutes de son côté à lui (une escale au Japon où il revoit une ancienne petite amie) comme d’elle (une liaison entamée avec son collègue Ko (Ke I-cheng)). La scission du couple s’inscrit dans une dimension à la fois intime mais aussi sociétale dans ce cadre taïwanais. L’île prend le chemin d’une modernité dans laquelle se fond Chin, assistante d’une femme de pouvoir et naviguant dans les sphères du monde d’affaire. Lung, ancien joue de base-ball dirige lui une plus modeste entreprise de tissus.

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Sans véritable ambition, il poursuit indirectement une sorte de modèle patriarcal qui n’a plus lieu d’être. Cela s’illustre dans son couple où il perpétue une sorte de froideur masculine « à l’ancienne » où toute manifestation d’affection doit venir de Chin, même quand il est en tort (la dispute concernant l’ex petite amie exilée au Japon). Il ne cherche pas à casser les codes machistes en vigueur notamment lors d’une scène de repas chez son beau-père où Chin est en retrait, devant « laisser » parler les hommes. Signe de ce mépris archaïque, ce moment où le père de Chin laisse tomber sa cuillère au sol et, ne la trouvant pas, prend machinalement celle de Chin plutôt que de ramasser la sienne. En plus positif mais tout aussi archétypal, Lung se sent investit en tant qu’homme d’un sorte de sacerdoce d’entraide envers son entourage, tel son ami taxi vivant dans la misère. Cependant la présence terne, le visage impassible de Lung traduit ces actes comme une obligation, un devoir à accomplir sans enthousiasme.

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Edward Yang met en constant parallèle la solitude urbaine et intime, les deux s’entrecroisant dans un questionnement existentiel constant. Le dépit et les attentes déçues se jouent à travers les longs gros plans scrutant les espérances de Chin, et/ou l’absence de réaction de Lung. Les nombreux plans en plongées filmant la circulation de Tapei, ou arpentant son horizon changeant où poussent les buildings, expriment cette disparition de l’individu à l’aune de la modernité. Le réconfort de l’aimé pourrait être un refuge à cela, mais le couple ne semble jamais plus éloigné que lorsqu’il se trouve en tête à tête. L’échange sincère se refuse à travers des dialogues fonctionnels, les personnages se trouvent toujours à des angles opposés quand ils sont dans une même pièce, quand ce n’est pas un simple objet ou meuble qui les séparent physiquement. C’est d’ailleurs un constat que Yang prolonge au-delà du couple principal (l’architecte Ko, l’ami taxi) et où l’ailleurs géographique donne l’illusion d’un renouveau. C’est le cas pour Lung et Chin qui envisage de s’installer aux Etats-Unis, ou de la jeunesse taïwanaise rêvant du Japon et de son idéal pop. Les univers respectifs de Lung et Chin s’opposeront avec de plus en plus de force (Lung réagissant violemment lors d’une soirée avec les amis nouveaux riches de Chin), ce schisme sociologique répondant constamment à celui plus existentiel de leur couple. A force de refuser d’avancer, Lung va s’arrêter définitivement tandis que Chin se délestera de sa sentimentalité pour embrasser la modernité capitaliste et froide lors de la conclusion. Une œuvre passionnante dans son croisement de surplace gris et d’avancée opaque. 4,5/6
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

The Terrorizers (1986)

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À Taipei, trois couples interagissent de façon involontaire. Un photographe et sa petite amie ; une délinquante et son complice ; une romancière et son mari - qui travaille dans un hôpital.

The Terrorizers est le troisième long-métrage d'Edward Yang, où il poursuit son observation de cette mue de Taïwan vers la modernité et de ses conséquences sur les individus. On peut considérer que le film constitue une sorte de trilogie avec Tapei Story (1985) qui précède et Mahjong (1996) qui suivra où le réalisateur capture juste un moment précis de cette transformation de Taïwan. Tapei Story se situe dans un entre-deux vers cette modernité à travers les hésitations des personnages, The Terrorizers évoque les conséquences de cette transformation sur les individus tandis que Mahjong observe la possible échappée de cette aliénation dans une veine plus romanesque - amorcée avec A Brighter Summer day (1991). The Terrorizers prolonge l'approche austère de Tapei Story dans une intrigue tortueuse où Edward Yang scrute juste une population dont les perspectives ont changée par rapport au film précédent.

Dans Tapei Story la métamorphose de la ville se conjuguait à l'échec d'un couple l'homme restait patauger dans la tradition quand la femme endossait cette nouvelle réalité capitaliste, et parallèlement on voyait la jeunesse taïwanaise s'imprégner d'un hédonisme tout occidental. Cependant cela restait comme dit plus haut une situation d'entre-deux, les sentiments existaient encore (le contexte n'était qu'une conséquence supplémentaire à d'autres problèmes du couple toujours amoureux) et la scène de boite de nuit était une des plus rafraîchissante du film. Tout change dans The Terrorizers où l'égoïsme et l'ambition deviennent prégnant. L'aspirante romancière jouée par Cora Miao semble initialement souffrir d'un mal-être existentiel dans son mariage, sa carrière et un ancien amour (Shi-Jye Jin) avec lequel elle noue une liaison. Il suffira pourtant que de manière inattendue son roman rencontre le succès pour que tout semble résolut, la seule ambition de reconnaissance et de célébrité suffisant à son bonheur. Le jeune photographe (Shao-Chun Ma) parait aussi poursuivre une quête plus profonde dans sa fuite d'un service militaire imminent et de son obsession amoureuse pour la délinquante (Wang An) dont il conserve précieusement la photo d'elle qu'il a pris à la dérobée. Là encore au détour d'un dialogue où il évoque un ancien camarade devenu chanteur célèbre, les aspirations plus superficielles qu'artistiques du personnage éclatent au grand jour. De plus son existence gentiment bohème s'avère être une fumisterie quand à cours d'argent, il retourne à son environnement aisé dans la dernière partie du film (Edward Yang soulignant bien les signes voyant de richesse comme la piscine pour souligner la vacuité du personnage). Enfin la jeune mène une existence sans but, fait d'arnaque et de violence.

Edward Yang en fait des archétypes d'une certaine mentalité individualiste, notamment dans la scène d'ouverture où ils constituent une sorte de microcosme amené à se croiser furtivement au détour d'un quartier en pleine agitation. Il y malgré tout une tentative d'explication, des ouvertures pouvant aboutir à autre chose et parfois un semblant d'humanité offert aux personnages (Cora Miao frustrée de ne pas avoir d'enfant, la délinquante peut être perturbée par ses origines eurasienne et l'absence de père, son beau geste lorsqu'elle rend les appareils photos volés). Mais le jeu des hasards et coïncidences qui relie les protagonistes n'est là que pour souligner cet individualisme au bout du compte, le plus cynique étant Cora Miao qui s'en sert pour nourrir la matière de son roman et y faire figurer son entourage. Comme toujours ces problématiques s'illustrent dans le traitement de l'espace par Yang. On pense par exemple au travail sur le cadre et la profondeur de champ qui souligne la distance du couple lorsque le mari de Cora Miao (Lichun Lee) la rejoint timidement au bureau où elle écrit et reste figé sur le pas de la porte. Plus tard le semblant d'amorce romantique entre le photographe et la délinquante est freiné par l'espace qui se crée entre eux dans la pièce et, quand ils se rapprochent pour un baiser la photo se fait plus sombre pour masquer la duplicité du visage de la jeune femme avant sa trahison. Les environnements urbains ne soulignent plus seulement la modernité mais aussi la déshumanisation dans la manière notamment dont se fond la délinquante dans les galeries commerciales où elle aguiche ses victimes, les boites de nuit où elle les séduit et les chambres d'hôtel où elle les détrousse. Même chose pour Cora Miao qui après avoir quitté le foyer conjugal n'existe plus à l'image que par ce clinquant capitaliste, que ce soit l'entreprise au mobilier recherché au sein de laquelle elle travaille, ou les écrans de télévision démultiplié où elle apparait après le succès de son livre.

La seule exception est le mari, qui ne poursuit ses petites ambitions (devenir chef de service) que dans l'espoir de reconquérir sa femme. Cette quête futile dans l'environnement carnassier où il évolue en fait un faible toujours méprisé, et ce jusque dans la manière d'en finir dans la double conclusion. La première interprétation donne dans la quête vengeresse, égoïste et nihiliste mais finalement même de cela, le personnage trop doux en est incapable et ne s'en prendra qu'à lui-même. La fluidité de ce double épilogue rejoint le dialogue qui se fait par le montage, le travail sur le son, entre toutes les intrigues pour finalement saisir un zeitgeist plus global de Taïwan à ce moment de son histoire. 11 ans plus tard Mahjong (précédé de l'interlude rétro A Brighter Summer day situé dans les annéées 60) en poursuivant cette histoire contemporaine de Taïwan par la ville montrera le jusqu'au boutisme de cet arrivisme capitaliste, mais pour paradoxalement en proposer une sortie dans sa fougue romanesque juvénile. 5/6
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par MJ »

Profondo Rosso a écrit : 17 nov. 20, 01:3411 ans plus tard Mahjong (précédé de l'interlude rétro A Brighter Summer day situé dans les annéées 60) en poursuivant cette histoire contemporaine de Taïwan par la ville montrera le jusqu'au boutisme de cet arrivisme capitaliste, mais pour paradoxalement en proposer une sortie dans sa fougue romanesque juvénile. 5/6
Ne pas oublier A Confucian Confusion (avant Mahjong) qui traite également de cette perte de repères au sein du Taipei contemporain en développement à grande vitesse. Tout n'y est pas réussi, mais je crois que je suis un peu plus réceptif à Yang quand il hystérise la charge, et qu'il se lâche sur l'humour noir, tout en gardant la froideur formelle et l'opacité émotionnelle relative de Taipei Story ou The Terrorizers.

(A Brighter Summer Day c'est encore à part : l'évidence de tous les instants d'assister à un film en état de grâce complet, qui finit par remuer des choses très violentes, presque indicibles. Vraiment un chef-d'œuvre au sens le plus plein du terme.)
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

Ah pas encore vu A Confucian Confusion je me fais la totale là il suivra après A Brighter Summer Day (merci confinement qui permet de caser les 4h :mrgreen: )
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

A Brighter Summer Day (1991)

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Taïwan, début des années 1960. Le jeune Xiao Si'r entre au lycée aux cours du soir, au grand dam de son père qui espérait que son fils intègre un établissement plus prestigieux. Il se lie d'amitié avec Cat, Airplane et Tiger, avec qui il fait les quatre cents coups. Autour d'eux s'affrontent deux bandes, Mais Xiao Si'r se tient éloigné de leurs agissements, jusqu'au jour où il fait la connaissance de Ming, dont il tombe amoureux. Or celle-ci est la petite amie de Honey, leader d'un des deux gangs...

Après avoir observé les mues contemporaines de Taïwan dans Tapei Story (1985) et The Terrorizers (1986), Edward Yang recule dans le temps avec son quatrième film A Brighter Summer Day qui se déroule au début des années 60. C’est une période charnière à la fois de façon intime pour le réalisateur mais aussi dans l’histoire de Taïwan. En 1949, Tchang Kaï-chek, premier président de la « République de Chine » s’exile à Taïwan après la prise de pouvoir des communistes menés par Mao Zedong. Une diaspora de chinois prendra le même chemin dont la famille d’Edward Yang qui, né en 1947, est donc adolescent au moment où il situe ce récit en partie autobiographique. Le point d’ancrage du récit est un vrai fait divers survenu à cette époque qui vit un adolescent condamné à mort pour meurtre et qui était un camarade de classe d’Edward Yang. L’histoire dépeint ainsi le cheminement qui mène à ce drame tout en dressant une fresque romanesque scrutant le contexte socio-politique du Taïwan de l’époque. Nous suivons le jeune Xiao Sir (Chang Chen) venant d’entrer au lycée. Lui est sa famille sont le symbole des clivages qui agite alors Taïwan. Il est le fils de migrants chinois de deuxième génération, des fonctionnaires lettrés qui ont du mal à se faire à leurs nouvelles conditions de vie modeste. Les infrastructures limitées l’obligent à suivre des cours le soir, ce qui l’expose notamment aux mauvaises fréquentations que constituent les gangs. Les schismes sociaux règnent aussi dans cette guerre des gangs où le groupe des « 217 » représente les Chinois installés à Taïwan avant 1949 et les « Garçons du Petit Parc » ceux arrivés après la prise de pouvoir des communistes. L’histoire s’enclenche sur un évènement plus trivial, Xiao Sir lors d’une expédition punitive aperçoit une jeune fille des 217 flirtant avec un « Garçon du parc », ce qui qui réenclenche les hostilités. Par la suite il va faire connaissance avec Ming (Lisa Yang), petite amie de Honey, chef des « Garçon du parc » porté disparu.

Edward Yang met en parallèle la pression de cet environnement pour les adolescents et les adultes. Taïwan vit alors sous le régime totalitaire de la « terreur blanche », soumettant les lycéens à une discipline rigoureuse et les adultes à une pression constante. Le défilé quotidien de tanks ou la présence d’un militaire gradé au lycée sont les signes les plus visibles mais toutes les actions des personnages sont déterminées par ce cadre. Le père de Xiao Sir (Zhang Guozhu), encore drapé dans sa droiture et fierté de fonctionnaire chinois, peine à faire les concessions et renoncements qui pourraient le faire monter quand sa mère (Elaine Jin) semble plus pragmatique. La fratrie de Xiao Sir cherche une respiration dans les aspirations futures pour sa sœur aînée (Wang Juan) voulant poursuivre ses études aux Etats-Unis, l’apaisement de la religion pour sa sœur cadette (Jiang Xiuqiong) ou flirter dangereusement avec les jeux d’argent pour son frère aîné (Han Chang).
Les espaces restreints dans lesquels évoluent les protagonistes (le lycée, le foyer, la salle de billard et les rues) témoignent de cet horizon limité mais l’attitude de chacun diffère pour l’étendre. Edward Yang fait cohabiter par la fluidité de sa mise en scène et de son montage une dizaine de personnage (qu’il sait rendre mémorable voir Honey débordant de charisme pour 10 minutes de présence) sans perdre le spectateur. Les situations se répondent (le père de Xiao Sir révolté contre l’administration par une punition injustifiée pour son fils, puis plus tard penaud quand celui-ci sera vraiment en faute) et tisse des lignes thématiques et narratives plus vaste et ambitieuses que ce que ce cadre modeste laissait supposer. Ainsi l’amitié/romance entre Xiao Sir et Ming sert à la fois cet arrière-plan de guerre des gangs, mais aussi la candeur de la romance adolescente avant qu’un final brutal en fasse le symbole de tout le mal-être latent de cette île de Taïwan. Le récit est si dense qu’il y a même des strates à ressortir pour certains personnages, comme la finalement énigmatique Ming. C’est la graine de discorde initiale, l’idéal romantique, mais aussi un symbole tragique et déjà cynique de l’instinct de survie nécessaire par ces temps troubles. Le dénuement matériel de Ming est donc plusieurs fois montré tandis que les moyens de s’en sortir discutables sont largement sous-entendus (se place sous la protection de Honey, la possible liaison avec le jeune médecin, l’hébergement par la famille de Ma) mais avec toujours cette zone d’ombre qui crée le mystère – et finalement la tragédie – autour de l’adolescente.

Tout le film se déploie autour du souffle romanesque lumineux des espoirs juvéniles, et de la réalité ténébreuse de Taïwan qui va bientôt rattraper chacun. Tout se joue finalement dès le début du film où Xiao Sir et un camarade, caché dans l’obscurité d’un grenier d’un studio de cinéma, observent le clinquant d’un tournage. Les rencontres entre Xiao Sir et Ming oscillent de la même manière entre l’éclat des premiers amours dont le frisson se ressent au grand jour (l’échappée au champ de tir), et les doute et rancœurs qui ressurgissent la nuit venue (la sortie d’école où rivaux amoureux et gangs ennemis les scrutent, le final). Une scène de vendetta longue et sauvage travaille cette notion de ténèbres profonde pour faire surgir la violence brute, tout comme l’abstraction et l’onirisme de la séquence d’interrogatoire du père de Xiao Sir où le monde extérieur s’estompe pour ne plus faire ressentir que la torture psychologique. Taïwan dont la population est alors soumise quotidiennement à des coupures de courant intempestives est véritablement la métaphore de cela. Xiao Sir navigue constamment entre cette lumière et ces ténèbres, dans son rapport aux autres et à l’institution, aspirant à un idéal qu’il ne peut trouver ni réaliser.

Rien n’est surligné et tout se déploie avec ampleur dans un rythme hypnotique dans ce film fleuve, un vrai film monde qui nous happe durant ses quatre heures. Edward Yang y fait cohabiter passé vif et douloureux des anciens (les reliques de l’occupation japonaise que sont les armes traînant dans les greniers) et le futur forcément idéalisé des jeunes avec l’invasion de la culture anglo-saxonne dont le rock’n’roll rythme les bals, et dont ce texte de la chanson Are you lonesome tonight d’Elvis Presley donne son titre international au film. Une œuvre magistrale, parmi les meilleures d’Edward Yang et qui marquera le début de sa reconnaissance internationale. 5/6
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

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A Confucian Confusion (1994)

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Le film se déroule dans la ville de Taipei à l'époque contemporaine. Le film suit un groupe d'hommes et de femmes de milieux aisés confrontés à la vie quotidienne frénétique de la mégalopole.

Edward Yang avait avec Taipei Story (1985) et The Terrorizers (1986) une Taipei en phase de transition, tant sociologiquement que dans son urbanité, entre la tradition de l''héritage chinois et la modernité occidentale et capitaliste. Après saut dans le passé de A Brighter Summer Day (1991), A Confucian Confusion renoue donc avec cette thématique et son cadre contemporain. Le film à travers son récit choral reprend les questionnements intimes et existentiels de Taipei Story et The Terrorizers tout en en changeant les perspectives. La mutation a eu lieu, on oscille plus entre cadre prolétaire et nanti, entre tradition et modernité, tous les personnages que l'on suit évoluent dans les hautes sphères des affaires et de la culture taïwanaise. Du coup le dilemme des personnages ne vient plus d'une hésitation à endosser cette modernité, mais plutôt d'y conserver ou totalement abandonner leur humanité. Comme pour endosser le rythme de vie plus alerte de ces jeunes gens pressés, Edward Yang abandonne l'approche austère et le rythme lent de Taipei Story et The Terrorizers, et s'éloigne aussi grandement de la sorte d'état de grâce contemplatif de A Brighter Summer Day. Les dialogues cinglants fusent, le rythme se fait trépidant et surtout les personnages individualistes et caractériels font monter en épingle nombre de situations hautes couleur. On a sentiment de cynisme constant où l'ambition détermine toutes les interactions entre les héros. Les fiançailles de Molly (Ni Suk Kwan) et Akeem (Wang Bosen) ne tiennent qu'au support financier du premier à l'entreprise de la seconde, l'auteur à succès narcissique Birdy (Wang Yeming) vise plus la notoriété que l'art... Les amitiés se font et se défont au rythme de ce que l'on peut obtenir de l'autre (Ming détestant sa belle-mère mais qui la soutient lorsqu'elle proposera un poste intéressant à sa fiancée).

Une certaine émotion finit malgré tout par émerger tant la froideur de chacun semble marquer une profonde solitude. Toute l'inconséquence des personnages repose sur cette détresse enfouie comme Molly séduit, invective ou ignore tous ceux ayant le malheur de croiser sa route au mauvais moment. Edward Yang témoigne aussi de la disparition de l'individu, que ce soit au service des autres pour Qiqi (Chen Shiang-chyi) ou d'une ascète intellectuelle pour l'autre figure d'écrivain mais sans succès. Ils se sont chacun éloignés de la course à la réussite à laquelle tout leur environnement les pousse et vont se rapprocher. On retrouve ce travail sur la lumière et le huis-clos pour illustrer un rapprochement, mais Yang privilégiera toujours le chaos, la confusion et le conflit dès que semble s'amorcer une veine plus sentimentale. Qiqui et l'écrivain se quitte après une séquence grotesque avec un taxi, Molly et Ming s'affrontent après une nuit d'amour (alors que là aussi une très belle scène filmée de loin dans la pénombre d'une ruelle amorce le contact). Cette impossibilité au bonheur, cette impasse semble une interprétation erronée des individus des préceptes de Confucius qui nous laisse sans perspective une fois atteint l'objectif de la réussite matérielle. Tout dans cette urgence urbaine, cette course à la réussite, interdit le moindre sentiment sincère même si les dernières scènes (cette amitié renouée au petit matin) entrouvrent la porte à autre chose. Ce tumulte constant (Woody Allen n'est pas loin dans les moments les plus drôle) ouvre une nouvelle voie dans l'approche d'Edward Yang mais n'est pas totalement aboutie malgré tout. On s'ennuie parfois et malgré une mise en place limpide où l’on n’est jamais perdu dans la multiplicité des personnages, l'intérêt pour chacun est très inégal. Cela fonctionnera mieux dans le suivant Mahjong (1996) où Yang reprendra cette frénésie urbaine et ces figures désabusées mais du côté des bas-fonds de Taipei dont il dépeindra la transformation aussi, avec un optimisme plus marqué. 4,5/6
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

Yi Yi (2000)

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'histoire se déroule à Taipei, Taiwan, et envisage sous trois perspectives la vie de la famille Jiang : NJ, un homme d'affaires dans la quarantaine, Yang Yang, son fils de 8 ans, et Ting Ting, sa fille.

Depuis Tapei Story (1985), Edward Yang s'est fait l'observateur à travers le cadre de la ville de Taipei des mues sociales et sociétales de Taïwan. Taipei Story et The Terrorizers étaient les films dépeignant la transition vers la modernité et les sacrifices qui en découlaient, l'introspectif A Brighter Summer Day (1991) en capturait lui les prémisses tandis que A Confucian Confusion (1994) et Mahjong (1996) en illustraient les conséquences chez les nantis comme dans les bas-fonds. Yi Yi est un film plus doux, moins tourmenté, où il s'agit désormais de faire le bilan de cet acquis de la modernité, savoir ce qu'on y a perdu et réfléchir à ce qui y est encore possible. Edward Yang parvient ici à une forme de plénitude et d'apaisement qui rend le propos plus universel, dépassant la seule radiographie de Taipei et Taïwan.

Si le film s'ouvre sur une scène de mariage, c'est un évènement plus tragique qui sera l'élément déclencheur du récit avec la grand-mère de la famille Jiang qui suite à une attaque cardiaque va tomber dans le coma. Alitée au sein de la demeure familiale, elle renvoie chaque personnage à ses doutes, regrets et interrogations sur la vie. L'adolescente Ting Ting (Kelly Lee) ressent ainsi une forme de culpabilité, se reprochant l'attaque de sa grand-mère en descendant les poubelles qu'elle avait oublié de sortir. Le pardon de sa grand-mère est donc suspendu à son réveil pour l'adolescente. Min-Min (Elaine Jin) la mère de famille, constate le vide et la répétitivité de son existence dédiée au travail lorsqu'elle décide de raconter ses journées à sa mère pour maintenir le contact. NJ (Wu Nien-jen) après avoir croisé son amour de jeunesse le jour du mariage remet également en cause ses choix de vie, tandis que le benjamin de la famille Yang Yang (Jonathan Chang) ne sait comment réagir face à la situation et va finalement découvrir la notion de mort.

Edward Yang étire la temporalité de son récit pour plonger chaque protagoniste dans des situations, des perspectives qui pourront répondre à leurs doutes. La mère cède à une sorte de gourou bouddhiste et disparait de l'histoire pour n'y revenir qu'en conclusion. L'intime et le moderne se confrontent de manière passionnante pour NJ lancé sur une affaire par son entreprise qui sera la source d'une belle expérience humaine mais également d'un regard en arrière. Il se lie d'amitié avec Ota (Issei Ogata) un client japonais à la présence lumineuse qui sait laisser le temps au temps, privilégie la connexion intellectuelle et amicale pour collaborer, ce qui donne lieu à des moments intimistes et chaleureux inattendus (le concert improvisé dans le piano-bar). Le formel du business prend un tour plus profond qui importe à NJ malheureusement trahit par ses collaborateurs qui tourneront le dos au japonais. Les retrouvailles touchantes et tourmentées - que Yang met en écho avec le premier rendez-vous amoureux de Ting Ting comme pour en annoncer l'impasse aussi - avec l'ancienne fiancée Sherry (Su-Yun Ko) offrent une réminiscence de Taipei Story, comme si le couple de ce dernier se retrouvait des années plus tard. On le ressent dans l'amour toujours ardent de Sherry, qui a pourtant atteint la réussite matérielle à laquelle elle aspirait mais qui lui a fait perdre NJ. Toutes leurs scènes communes retrouvent le leitmotiv pudique d'Edward Yang dans son illustration de la dispute amoureuse. Lorsque la rancœur explose, il filme à distance comme la scène du parc japonais où l'une reproche à l'autre d'être parti sans un mot qui réplique que la pression sociale qu'elle lui imposait était trop grande. Quand la supplique amoureuse et l'espoir de tout recommencer s'amorce, Yang use du cadre dans le cadre et plonge la pièce dans la pénombre (motifs plusieurs fois utilisés dans Taipei Story, The Terrorizers et Mahjong (1996)) pour signifier l'éloignement intime et l'impossibilité d'un retour en arrière.

La poésie et le romanesque d'Edward Yang voguaient vers une forme de résignation jusqu'à A Brighter Summer Day, qui a sembler s'atténuer avec la belle conclusion romantique de Mahjong. Cela se confirme dans Yi Yi, qui scrute les premiers émois amoureux adolescents comme A Brighter Summer day (et les mêle à un fait divers comme ce dernier) mais une pure idée de récit d'apprentissage pour Ting Ting. Entremetteuse pour une amie mais finissant amoureuse du destinataire, on va voit l'adolescente grandir, prendre de l'assurance et devenir femme, qu'importe si la déception est au bout. Le petit Yang Yang est sans doute la figure la plus attachante du film, entre l'espièglerie enfantine (et là aussi les prémisses d'élans amoureux et érotiques) et une étonnante lucidité. Sa manie de photographier le dos et la nuque de ses modèles est une métaphore de la perspective que tous les insatisfaits du récit ne peuvent avoir, mais aussi pour lui de toucher du doigt cet espace inconnu que signifie la mort. L'épilogue est ainsi poignant avec une scène de rêve délivrant Ting Ting de sa culpabilité, et Yang Yang "parlant" enfin à sa grand-mère, lui promettant de la retrouver un jour dans ce lieu dont il a appris à mesurer l'existence. Yi Yi est une magnifique tranche de vie o Edward Yang montre enfin des personnages qui, certes toujours abîmés et fragiles, sont enfin en paix avec leur environnement malgré ses contradictions. Un vrai film-somme qui rendait la suite prometteuse et passionnante, le destin en a voulu autrement. 5,5/6
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Re: Edward Yang (1947 - 2007)

Message par Profondo Rosso »

Nouvelle vidéo Eastasia sur Edward Yang

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