David Lynch

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Thaddeus
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Re: David Lynch

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Eraserhead
Le premier long-métrage de Lynch, produit en dehors de tous les circuits ordinaires, est aussi le plus radical. Entre Buñuel et Ionesco, Kafka et le body-art, il agit telle une plongée brutale dans les eaux troubles d’un esprit tourmenté qui se débat avec ses différentes phobies (la famille, la mort, la femme, la paternité). Le fruit de ses amours ressemble à un moignon à tête d’insecte gluant, monstrueux et vagissant, qui cristallise à lui seul la terreur domestique dont le film se veut l’expression cauchemardesque et hallucinée. Le plus gênant réside moins dans la laideur obstinée de ce cours de psychanalyse que dans son refus imperturbable d’y accueillir tout ce qui ne nourrit pas sa noirceur glauquissime. Car il est difficile d’adhérer à une œuvre ne suscitant guère plus qu’un vague mais persistant sentiment de dégoût. 4/6

Elephant man
Avec ce pendant classique et linéaire du film précédent, dont il reprend les motifs, les angoisses et le noir et blanc expressif sur un mode narratif, juste troué d’échappées oniriques, l’auteur témoigne d’un goût prononcé pour le mélodrame. Il fait de John Merrick la part inconsciente, refoulée, souterraine d’une société victorienne reconstituée, dans sa dimension industrielle, avec une formidable richesse plastique (fumées, brume, charbon). Il développe surtout un propos humaniste d’une très émouvante universalité sur l’exclusion, la différence, la monstruosité (physique ou cachée), et s’attache sans jamais verser dans le sentimentalisme à révéler la sensibilité et l’intelligence de son héros. Il touche ainsi violemment nos perceptions de spectateur, en interpellant les fondements même de notre humanité. 5/6
Top 10 Année 1980

Dune
Adapter la cosmogonie complexe de la "somme" de Frank Herbert, bardée d’implications allégoriques et politiques, n’était pas chose aisée ; sans grande surprise, Lynch y laisse pas mal de plumes. Totalement écrasé par le gigantisme disproportionné de la production, le cinéaste tente de ne pas noyer les intentions sous les décors et le propos sous la masse des figurants, mais peine à assurer une cohérence globale au projet. Entre des séquences à grand spectacle d’une étrangeté inachevée, des passages surréels à l’imaginaire bridé et une respiration narrative hasardeuse, le film a du mal à formaliser son ésotérisme messianique et proto-psychédélique complexe. Mais il conserve des qualités : certaines beautés picturales, des éclats poétiques, un univers visuel original entre futurisme et archaïsme… 3/6

Blue velvet
Souvent considérée comme la plus archétypique des œuvres du cinéaste, voire la plus parfaite et achevée, cette relecture baroque du thriller hitchcockien entraîne son jeune héros le long d’une dangereuse initiation. Elle puise son efficacité poétique sur des oppositions nettes et tranchées entre l’obscurité et la lumière, l’appel des ténèbres et le chant de l’amour, l’attrait malsain pour les différentes formes du mal et l’aspiration naturelle à l’innocence. Le film se tient d’un bout à l’autre sur la ligne de crête qui sépare le lyrisme sincère de l’ironie cinglante, et si l’épaisseur organique des images et l’inventivité formelle souvent saisissante qui s’y déploie garantissent une réelle fascination, celle-ci contraste avec le simplisme d’un propos un peu court sur la fragilité de l’apparence rassurante des choses. 4/6

Sailor et Lula
Aux rideaux bleus ondulants succèdent les flammes chaotiques de l’enfer : à elle seule, la comparaison des génériques indique l’évolution suivie par cette équipée sauvage, maelstrom d’effets de souffle outranciers que rythment des accords criards de guitare électrique. On y suit la fuite éperdue de deux innocents au sein d’un monde sans lois ni repères, deux grands gamins qui refusent de grandir en se réfugiant dans un univers peuplé de chansons démodées, de fétiches idiots et d’histoire enfantines (Le Magicien d’Oz). Au règne du senti et de l’intuitif se substitue celui de l’insistance, des surgissements et jaillissements réduits à des figures de style systématisées à l’extrême, faisant de ce road-movie englué dans l’asphalte du Deep South un work-in-excess qui irrite sans toutefois laisser indifférent. 4/6

Twin Peaks : Fire walk with me
S’il est un film-charnière de toute la carrière de Lynch, c’est bien celui-ci. D’abord parce qu’il opère la jonction entre la peinture des dessous de l’american way of life et les dérives mentales à venir. Mais aussi parce que commence à s’y accuser le surmoi d’un auteur dont les effets de signature et d’intimidation plus ou moins éprouvants s’installent dans un rapport de conflit avec la portée émotionnelle du propos. En résulte un cérémonial illusionniste qui expulse le mystère davantage qu’il ne le suscite, une entreprise schizophrène à la fois brouillonne et constellée de fulgurances, partagée entre une forme ostentatoire, complaisamment saturée de signes et de chocs audiovisuels, et la sincérité poignante d’un portrait féminin scellé par la tragédie, auquel le cinéaste réserve la primeur de sa compassion. 4/6

Lost highway
Labyrinthe, distorsion du temps et de l’espace, sensation de déjà-vu et de déjà-vécu, angoisses récurrentes, crimes commis, rêvés, virtuels, maisons ennemies, femme brune, femme blonde, la même, une autre, musique qui déchire, route qui défile, cauchemar, réalité, identité assassinées… Avec cette expérience terminale, sans doute le sommet théorique accompli de sa carrière, le réalisateur se surpasse dans l’obscur, le glauque glacé, l’irrationnel du quotidien. Son film-cerveau est une machinerie impeccablement pensée, conçue, exécutée, un exercice de haute voltige formelle et narrative qui dresse l’inventaire de toutes ses marottes. C’est aussi une boîte verrouillée à triple tour, sans autre finalité que celle de la performance, si noire et si froide que la moindre émotion, la moindre vibration humaine en est exclue. 4/6

Une histoire vraie
Virage à 180 degrés, mais Lynch, loin de se renier, approfondit son expression, se débarrasse de ses scories et se rapproche sentimentalement de son sujet et de ses personnages. Ligne droite érigée en ligne de fuite infinie, beauté des champs, des cieux, de la voûte céleste, du soleil couchant, du vent, de l’orage… Cette épopée du cœur, intime, fordienne, apaisée, vibre d’un humanisme optimiste et généreux, creuse les questions du pardon, de la vieillesse, de l’amour familial. Le cinéaste offre ici une odyssée intérieure hantée par les visages du passé, la mort, le deuil et les survivants, mue par une volonté de réconciliation avec soi-même et avec l’autre qui trouve une respiration biblique, voire cosmique (à l’image d’un final qui s’achève dans les étoiles). Le long-métrage le plus sous-estimé de l’auteur. 5/6

Mulholland Drive
La formalisation inespérée de mon idéal de cinéma, le film qui a changé ma vie. À la fois munificent Capitole et roche Tarpéienne d'où sont précipitées les trop innocentes candidates au paradis en Technicolor, Hollywood y inspire la plus déchirante élégie aux rêves et aux illusions brisés. En une ode à son héroïne, un hymne à la femme et aux actrices, Lynch saisit avec une sensibilité sans égal l’essence de l’âme, la vérité du sentiment amoureux, touche au plus profond des émotions humaines. Ce mélodrame tissé de chagrin, de merveilleux et de ténèbres, qui dévaste par son lyrisme éperdu, sa poésie orphique, sa sentimentalité pure, est un conte sensuel et ensorcelant d'un romantisme désespéré, la plus magnifique histoire d’amour que je connaisse, l’expérience la plus intime et envoûtante que j’aie vécu devant un écran, illuminée par deux actrices sublimes devenues mes idoles – Naomi W. et Laura H., gracieuses, charnelles et bouleversantes, les lys brisés de notre temps. 6/6
Top 10 Année 2001

Inland Empire
Lynch commet alors la plus fatale des erreurs : tenter d'en faire toujours plus dans le crypté, l'abscons, l'indéchiffrable. Échec inévitable : ce film d’une désolante prévisibilité, qui se conforme exactement à ce qu’on attend de lui, traduit un repli asphyxié à des motifs que l’auteur recycle et gonfle jusqu’à la boursouflure vibrionnante. En pleine crise d’inspiration, celui-ci multiplie mises en abymes stériles, agressions visuelles (une DV hideuse hurlant un néo-expressionnisme outré à chaque plan) et poncifs lynchiens en un programme totalement exsangue et carbonisé. C’est une caricature grotesque de son cinéma, un squelette décharné, dénué de la moindre émotion, qui scelle son enfermement dans son système son impuissance à y échapper. Ainsi s’achève, sur le plus consternant des naufrages, sa carrière de cinéaste. 2/6


À mon corps défendant et en me bouchant le nez, j'ai également tenté la troisième saison de Twin Peaks. Abandonné dès le début du deuxième épisode, lorsque, dans un bourdonnement d'infra-basses (effet-signature ultra-pénible), un type révèle qu'il a déjà vécu en rêve ce qui lui arrive. Le mec tourne décidément en boucle...


Mon top :

1. Mulholland Drive (2001)
2. Une histoire vraie (1999)
3. Elephant man (1980)
4. Blue velvet (1986)
5. Lost highway (1997)

Expérience toute particulière que celle de mon rapport au long cours, désormais plus qu’ambivalent, avec David Lynch. Il demeura pendant longtemps l’un de mes cinéastes favoris, de ceux qui me parlaient intimement, et dont la sensibilité très sentimentale et romantique me semblait accorder la précellence à l’affect et aux mille émotions de l’expérience humaine. Je perçois aujourd’hui bien davantage la personnalité écrasante d’un auteur inféodé à ses procédés esthétiques, narratifs et formels, plus ou moins aspiré et paralysé par son propre folklore : sentiment accrédité par la nature de son dernier film, de toute évidence le plus synthétique, le plus libre, le plus "pur" de tous – or c’est un film que je ne suis pas loin de détester. A contrario, ce sont ses longs-métrage généralement considérés comme les moins personnels, les moins représentatifs de son cinéma, qui me touchent le plus (à commencer par Une Histoire vraie, presque systématiquement snobé par les admirateurs du cinéaste). Reste le cas Mulholland Drive, que j'aime pour des raisons très spécifiques, très personnelles, bien éloignées de la doxa lynchienne (j'en veux pour preuve ce constat assez frustrant : 95% des opinions favorables à son égard, y compris les plus dithyrambiques, me semblent sinon à côté de la plaque, du moins passer à côté de l'essentiel). J’en arrive logiquement à la conclusion que je ne suis pas un "Lynchophile", et qu’il m’a fallu un très long moment avant de prendre conscience de m’être fourvoyé dans mon appréciation à son égard.
Dernière modification par Thaddeus le 26 nov. 23, 18:43, modifié 40 fois.
Chrislynch
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Re: David Lynch

Message par Chrislynch »

Bref, à l'aise dans top 10 de tes cinéastes préférés car ne j'ose pas dire top 1. :P Maintenant, t'es encore tout chaud et en colère sur INLAND, mais à la lecture de tes notes, il s'agit pour moi d'une des plus belles déclarations d'amour que j'ai pu lire sur le cinéaste. Je suis très heureux de lire ça pour me faire un peu oublier tes tristes déclarations du top 30 :fiou:

Sinon, je suis en phase avec ce que tu écris, sauf peut-être ceci pour "Eraserhead" : Le cinéaste s’impose en héritier du surréalisme. Je dirais plutôt expressionnisme, dans sa vision onirique aux formes décalées. Je le sens là beaucoup plus proche de "L'aurore" de Murnau que du "Chien andalou" de Bunuel. Pour ma part, je ne lis aucun surréalisme dans "Eraserhead" alors que c'est bien le cas pour "INLAND EMPIRE".
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Thaddeus
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Re: David Lynch

Message par Thaddeus »

Ah manifestement tu n'as pas digéré l'"affaire" sur le top 30 cinéastes. :lol:
Ce n'est pas tant de la "colère" qu'une énorme déception que j'ai ressenti à la vision de son dernier film, l'impression d'avoir été trahi : comme si toutes les attaques, tous les reproches que ses détracteurs adressaient à Lynch depuis longtemps, et contre lesquels je me suis toujours battu (cinéma arty, fumiste, intello-étriqué, nombriliste, etc) m'apparaissaient soudain totalement justifiés. Comme si je m'étais fait arnaqué pendant toutes ces longues années. Mais bon, depuis cinq ans, j'ai eu le temps de m'en remettre.

Eraserhead me semble personnellement relever de ce courant surréaliste, ne serait-ce que par ses associations d'images sans logique narrative, qui semblent émaner d'un niveau inconscient et agissent ainsi sur la réception du spectateur. Evidemment l'exacerbation des formes et des ressentis et sa traduction en termes plastiques et sonores (ce qu'on pourrait qualifier l'expressionnisme) traverse toute l'oeuvre de Lynch mais il me semble que les résidus de l'héritage surréaliste imprègnent quand même certains titres de sa filmo.
Pour moi c'est surtout un réalisateur romantique, porté par une sensibilité extrêmement sentimentale, et qui aurait troqué le dolorisme parfois un peu complaisant de cette inspiration contre un humanisme précieux. Je trouve également que, malgré la douleur, le chagrin que charrient souvent ses films, son oeuvre est parcourue d'un optimisme lumineux : il y a quelque chose de naïf, de fleur bleue chez ce réalisateur (les illuminuations adolescentes de Blue Velvet et de Twin Peaks, l'idylle keatsienne de Mulholland Drive...) , et c'est entre autres cette expression-là que j'adore chez lui, qui me bouleverse au plus profond.
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Re: David Lynch

Message par Chrislynch »

Stark a écrit :Ah manifestement tu n'as pas digéré l'"affaire" sur le top 30 cinéastes. :lol: .
Disons plutôt que je cherche à comprendre l'écart qui existe chez toi entre tes nombreuses notes très positives concernant les films du cinéaste et ta remarque extrêmement négative sur le top 30. Ce n'est pas du tout évident à comprendre. A force de t'interroger, tout devient plus clair, par exemple comme quand tu ressens une arnaque à postériori sur toute la filmo du cinéaste. Perso, "INLAND" ne remet nullement en question mon sentiment par rapport à ce qui précède. Mais je suis aussi beaucoup moins dur que toi sur INLAND quoi que très déçu.
Stark a écrit :Eraserhead me semble personnellement relever de ce courant surréaliste, ne serait-ce que par ses associations d'images sans logique narrative, qui semblent émaner d'un niveau inconscient et agissent ainsi sur la réception du spectateur. Evidemment l'exacerbation des formes et des ressentis et sa traduction en termes plastiques et sonores (ce qu'on pourrait qualifier l'expressionnisme) traverse toute l'oeuvre de Lynch mais il me semble que les résidus de l'héritage surréaliste imprègnent quand même certains titres de sa filmo.
Pour moi c'est surtout un réalisateur romantique, porté par une sensibilité extrêmement sentimentale, et qui aurait troqué le dolorisme parfois un peu complaisant de cette inspiration contre un humanisme précieux. Je trouve également que, malgré la douleur, le chagrin que charrient souvent ses films, son oeuvre est parcourue d'un optimisme lumineux : il y a quelque chose de naïf, de fleur bleue chez ce réalisateur (les illuminuations adolescentes de Blue Velvet et de Twin Peaks, l'idylle keatsienne de Mulholland Drive...) , et c'est entre autres cette expression-là que j'adore chez lui, qui me bouleverse au plus profond.
Je comprends donc ton point de vue surréaliste et l'on diffère parce que je lis chez Lynch un inconscient digéré qui se transforme en conscient lucide puis déformé volontairement à l'image. Aussi j'y vois une totale logique narrative
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Boubakar
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Re: David Lynch

Message par Boubakar »

A l'occasion des 25 ans des Inrocks, ces derniers ont interviewé David Lynch sur son actualité, ses projets, etc...

http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-a ... e-lynch-1/
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Thaddeus
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Re: David Lynch

Message par Thaddeus »

Après Kubrick, une vidéo-hommage de 20 minutes consacrée à Lynch, en quatre mouvements bien distincts et sur des musiques-phare de sa filmo. Pas mal du tout.

First Movement: Melancholy and Sadness – Questions In A World Of Blue
Second Movement: Action, Violence, and Sex – The Pink Room
Third Movement: Dreams and Nightmares – Into The Night
Fourth Movement: Love and Hope – Mysteries of Love


http://vimeo.com/33993633
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Re: David Lynch

Message par hansolo »

Stark a écrit : Mulholland Drive
La formalisation inespérée de mon idéal de cinéma, le film qui a changé ma vie : je l’ai reçu comme un miracle, qui m’habite chaque jour depuis près de dix ans maintenant. Élégie déchirante aux fantasmes et aux illusions brisés, enivrante rêverie hollywoodienne, ce mélodrame tissé de chagrin, de merveilleux et de ténèbres me dévaste par son lyrisme éperdu, sa sentimentalité pure, sa poésie orphique. En une ode à son héroïne, un hymne à la femme et aux actrices, Lynch saisit avec une sensibilité sans égal l’essence de l’âme, la vérité du sentiment amoureux, touche au plus profond des émotions humaines. C’est un conte sensuel et ensorcelant au romantisme désespéré, la plus magnifique histoire d’amour que je connaisse, l’expérience la plus intime et envoûtante que j’aie vécu devant un écran, illuminée par deux anges sublimes devenues mes idoles – Naomi W. et Laura H., gracieuses, charnelles et bouleversantes. En un mot comme en cent, c’est à mes yeux le plus beau film du monde. 6/6
Perso j'etais entraîné ... jusqu'au "twist" qui m'a totalement décramponné ...

Par contre je te trouve dur avec Dune qui merite mieux que la moyenne même s'il est bancal (rien que la musique de Toto et l'interprétation de Kyle MacLachlan meritent qu'on s'y attarde!!)
- What do you do if the envelope is too big for the slot?
- Well, if you fold 'em, they fire you. I usually throw 'em out.

Le grand saut - Joel & Ethan Coen (1994)
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Thaddeus
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Re: David Lynch

Message par Thaddeus »

Perso j'etais entraîné ... jusqu'au "twist" qui m'a totalement décramponné ...
:cry:
C'est pourtant ce "twist" (qui n'en est pas un néanmoins, à mon avis ce n'est pas le bon terme) qui confère son sens au film ; c'est lui qui fait naître cette émotion si particulière, tenant du regret, de la mélancolie, d'un bonheur rêvé ou disparu. La force de l'oeuvre réside dans la confrontation des deux segments narratifs, et dans la prise de conscience que celle-ci provoque dans la perception du spectateur. Ce que je veux dire, c'est que le film raconte une histoire, et que cette histoire se révèle précisément dans le pivotement et la remise en perspective opérée par la narration. Comme le disait justement Stéphane Delorme, "quelque chose de la première partie se dépose dans la seconde. La fiction raccorde avec le récit pour produire... une histoire. Mulholland Drive est finalement un grand mélodrame, la plus belle fiction sentimentale que nous connaissions aujourd'hui."
Par contre je te trouve dur avec Dune qui merite mieux que la moyenne même s'il est bancal (rien que la musique de Toto et l'interprétation de Kyle MacLachlan meritent qu'on s'y attarde!!)
Ce n'est certes pas le fiasco intégral raillé par beaucoup, mais comparé aux autres opus du cinéastes je trouve que c'est quand même très mineur (d'où ma note).
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Profondo Rosso
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Re: David Lynch

Message par Profondo Rosso »

Blue Velvet (1986)

Dans la belle petite ville américaine de Lumberton, en Caroline du Nord, M. Beaumont est victime d'une crise cardiaque en arrosant son gazon. Son fils Jeffrey, rentrant chez lui après une visite à son père malade, découvre une oreille humaine dans un champ. Cette oreille, en décomposition, est couverte d'insectes. Jeffrey amène immédiatement sa trouvaille à l’inspecteur Williams et fait ainsi la connaissance de sa fille, la jolie Sandy.
Poussé par la curiosité et un certain goût pour le mystère, Jeffrey va mener l'enquête avec elle pour découvrir à qui appartient cette oreille et ce que cache cette histoire macabre, derrière la façade apparemment innocente de Lumberton. Cette investigation va le plonger dans le monde étrange et sordide où évoluent, entre autres, Dorothy Vallens, une chanteuse de cabaret psychologiquement fragile, et Frank Booth, un dangereux psychopathe pervers.


Quatrième film de David Lynch, Blue Velvet est l'œuvre qui établit les canons de son style tel qu'on l'identifie aujourd'hui et surtout celle où le réalisateur se trouve enfin. Le cauchemardesque Eraserhead (1976) avait inauguré la veine étrange et surréaliste de Lynch, celle-ci s'estompant (sorti de quelques scènes et du physique de son héros) dans le plus classique Elephant Man. Cette belle ode humaniste semblait avoir noyé toute la bizarrerie de Lynch, les fans de la première heure et certains critiques hurlant à la trahison malgré l'accueil globalement positif et les nominations aux Oscars. Le malentendu se poursuivrait avec Dune (et son refus de diriger Le Retour du Jedi) avec un déséquilibre constant entre la fresque épique spatiale attendue et les aspérités surprenante qu'y apporterait le réalisateur et qui déconcerterait le public venu voir le nouveau Star Wars. Après cet échec retentissant, Lynch se recentre et surtout décide d'arrêter de choisir. La dichotomie entre expérimental (Eraserhead) et classicisme (Elephant Man) n'a plus lieu d'être, Lynch réalisant désormais des films schizophrènes croisant les constamment. Toutes les œuvres à suivre iraient ainsi par deux : tonalité trash et histoire d'amour naïve et tout en candeur (Sailor et Lula), différents niveau de réalité schizophrènes (Lost Highway) ou fantasmé (Mulholland Drive) dans une esthétique mêlant élégance et fulgurances inédites. Fort de cette maîtrise, il se montrerait bien plus convaincant en penchant ouvertement vers la simplicité (Une histoire vraie) que vers l'expérimentation pénible (Inland Empire de sinistre mémoire et son seul vrai mauvais film à ce jour).

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Tout cela prend racine avec Blue Velvet, projet voulu plus modeste et personnel par Lynch. Le film est produit par Dino de Laurentiis qui lui mena pourtant la vie dure sur Dune mais ce dernier toujours partant pour les tentatives aventureuses sera le seul à accepter de financer le script dont les excès effrayèrent tous les autres producteurs. Lynch instaure dès l'ouverture cette notion de dualité qui courra tout au long du film. La bande son lance le suave Blue Velvet de Bobby Vinton tandis que défilent des chromos d'une Amérique provinciale idéalisée, la photo immaculée de Frederick Elmes et l'usage du ralenti donnant une tonalité rêvée onirique mais aussi de spot publicitaire à l'ensemble. Un incident domestique va pourtant ternir ce beau tableau avec un Lynch quittant la réalité de la scène pour enfoncer sa caméra dans le sous-sol où fourmillent les insectes. Du scintillement de ce cadre trop parfait il visitera les profondeurs plus désagréables semble-t-il nous dire. C'est dans ce même sol que Jeffrey (Kyle MacLachlan) va trouver une oreille coupée qui, il ne le sait pas encore, sera sa porte d'entrée à un monde de cauchemar.

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L'intrigue de film noir est assez classique et attendue et seuls les archétypes hypertrophiés qui en surgissent qui font l'intérêt de l'ensemble. A nouveau tout es affaire de dualité. La jeune et blonde Sandy (Laura Dern) qui va aider Jeffrey dans son enquête et nouer une touchante et innocente romance avec lui, la chanteuse brune Dorothy (Isabella Rossellini) entouré d'un parfum de stupre et mêlée au crime qu'essaie d'élucider notre héros. Sandy reflète la part lumineuse de Jeffrey à travers la candeur dont se noue progressivement leur lien, Lynch touchant à la pure grâce à deux reprises lors d'un dialogue sur les rouge gorges puis plus tard lors d'une danse muette où à chaque fois se fait entendre la mélopée instrumentale puis chantée (par Julee Cruise) de Mysteries of Love sur le magnifique score d'Angelo Badalamenti (pour sa première collaboration avec Lynch). Dorothy réveille quant à elle les bas-instinct de Jeffrey qui prétextant son enquête révèle sa nature de voyeur, son attrait pour le sadomasochisme. Voguant ainsi entre l'envers et l'endroit, l'ombre et la lumière, Jeffrey descendu suffisamment loin dans les ténèbres va y croiser la route de vrais monstres.

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Dennis Hopper relançait sa carrière et créait un incroyable personnage de méchant avec Frank Booth. Toute la folie et cette fameuse dualité de Blue Velvet s'exprime à travers ses excès. Violemment dominateur mais en quête d'affection maternelle, d’une brutalité physique et verbale inouïe mais capable de révéler une étonnante fragilité (l'incroyable séquence où Dean Stockwell mime le In Dreams de Roy Orbison), la virilité exacerbée dissimulant une possible homosexualité (le rapport étrange à Dean Stockwell qu'il ne rudoie pas, la scène où il se met du rouge à lèvres) Frank traverse le film de manière imprévisible, à coups de poings et shoot d'oxygène.

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C'est lors de la cauchemardesque odyssée nocturne avec lui que Jeffrey comprendra que ce monde n'est pas pour lui. Si la résolution s'avère un poil décevante après tout ce qui a précédé, le résultat est là. Lynch a inventé un monde sans âge, contemporain et rétro (les voitures des années 50 côtoyant les modèles récents, la photo de Montgomery Clift dans la chambre de Laura Dern, les coiffures typiquement 50's des personnages féminins) où la fascination pour le passé s'accompagne de l'anxiété et la menace du présent dans un mélange unique. Il trouve ici la formule magique qu'il triturera jusqu'à l'aboutissement de Mulholland Drive en forme de quasi chant du cygne (?). 5,5/6


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Re: David Lynch

Message par Jack Griffin »

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Re: David Lynch

Message par Truffaut Chocolat »

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Re: David Lynch

Message par Profondo Rosso »

C'est d'ailleurs en entendant la belle reprise de Lana Del Rey que j'ai eu envie de revoir le film, tout est lié :mrgreen:
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Re: David Lynch

Message par Federico »

Après Woody Allen, c'est au tour de Lynch de passer à la moulinette philosophique de France Culture cette semaine du lundi au jeudi...
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
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Re: David Lynch

Message par Harkento »

Federico a écrit :Après Woody Allen, c'est au tour de Lynch de passer à la moulinette philosophique de France Culture cette semaine du lundi au jeudi...
Ohoh ! Un grand merci pour ce lien ! 8)
Akrocine
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Re: David Lynch

Message par Akrocine »

"Mad Max II c'est presque du Bela Tarr à l'aune des blockbusters actuels" Atclosetherange
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