Excellent film, The Ghost Writer, qui raconte l'histoire d'un nègre (
ghost writer ou, dans le langage courant,
ghost en anglais) chargé de rédiger les mémoires d'un ancien premier ministre anglais, est entièrement résumé dans le plan ci-dessus : un homme lit seul à son bureau en sirotant un café. Est-il vraiment seul ? Non pas, suggère la composition du cadre, lequel est découpé en son milieu par une ligne verticale, qui divise l'espace entre un lieu privé et rassurant, à gauche, et une étendue apparemment déserte à droite, que révèle une grande baie vitrée, à ceci près qu'aucune vitre ne semble protéger l'homme de cette étendue. Comme si, même assis en train de lire, nous étions désarmés sous le regard du monde extérieur. Et celui-ci est d'autant plus dangereux, qu'il semble désert ou indifférent, alors qu'il pourrait bien être peuplé d'yeux sournois nous observant. C'est la vision du monde d'un paranoïaque qui, à l'image de ce plan, divise en deux l'univers, entre un for intérieur qu'il veut protéger et un monde extérieur qui l'observe, et dont l'oeil le poursuivra, croit-il, jusqu'à la tombe. Le reste du film est à l'avenant, qui multiplie les images de regards indiscrets dans les rétroviseurs de voiture, de violation de l'intimité d'une voiture par des manifestants, d'hélicoptère filmant l'intérieur d'une maison ou de regards interrogateurs ou ironiques tâchant de vous percer à jour ou semblant déjà tout savoir de vous.
The Ghost Writer s'incrit donc dans l'exploration par
Polanski, toujours renouvelée de film en film, d'un univers paranoïaque, et cette cohérence thématique pleinement assumée, sans fioriture ni hésitation, donne au film une cohérence formelle admirable, chaque plan semblant naturellement prendre sa place dans l'ensemble. L'absence de mouvement de caméra inutile et la confiance du réalisateur dans la force des plans fixes ou statiques reposent les yeux des mouvements de caméra intempestifs d'autres films, et par la fixité relative du cadre qui donne comme des semelles de plomb aux personnages, renforcent la dimension paranoïaque du monde du film.
Toutefois, par rapport à certains films précédents du réalisateur, la paranoïa du film s'exerce moins sur un plan individuel aux dépens d'autres personnages, que sur un plan géo-politique aux dépens des Etats-Unis, décrits comme un Etat malfaisant dans la lignée des théories du complot. Ce transvasement d'une paranoïa inviduelle vers une paranoïa politique n'est pas sans effet : Le Locataire, par exemple, parvenait à la fois à insister sur la paranoïa du personnage, en tant que pathologie propre, et à montrer néanmoins grâce à l'ambiguité de la mise en scène que cette paranoïa pouvait aussi se prévaloir de l'hostilité réelle de quelques personnages de l'immeuble. Au contraire, la mise en scène en
ligne claire de The Ghost Writer (je reprends l'expression de Ben qui décidément aura fait la fortune de ce topic) ne laisse guère planer de doutes quant à l'interprétation du film, qui épouse sans retour et en sollicitant l'assentiment du spectateur la thèse complotiste de la paranoïa globale et sa vision irrationnelle et simpliste de la géo-politique (les relations étroites entre les Etats Unis et le Royaume-Uni s'expliquant très facilement sur un plan culturel, historique et géo-politique sans devoir recourir à une explication tortueuse). Sans entacher outre mesure le plaisir du spectateur, en particulier parce que la construction du film et son scénario sont très habiles, révélant d'abord une explication absurde des agissements de l'ex-premier ministre, pour réserver dans un twist final une explication qui l'est un tout petit peu moins, cela marque la limite du film sur le plan des idées.
Enfin, The Ghost Writer est servi par une interprétation remarquable, et l'on retrouve dans le trio anglais de personnages principaux, joués par Ewan McGregor (parfait en épigone naïf et imprévoyant de Tintin (c'est vrai qu'il ressemble à Tintin dans le film; mais Tintin a toujours un coup d'avance là où il a toujours un coup de retard)), Pierce Brosnan (blasé et sincère à la fois, rendant crédible les décisions politiques de son personnage) et Olivia Williams (femme de l'ex-ministre, dont le jeu subtil est jusqu'au bout difficile à déchiffrer), le sens de l'
understatement et la politesse exquise qui font partie des charmes du peuple anglais. Ce sens de l'understatement ne contribue d'ailleurs pas peu à la sobriété du film, et se marie parfaitement avec le caractère posé de la mise en scène. De même, il contribue par le caractère évocateur de la langue anglaise, à donner au titre anglais du film, une élégance et un sens potentiellement polysémique
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- (à la lumière du sort du personnage principal, qui disparait hors champ, comme un fantôme)
que n'auraient pas eu une traduction française du titre et l'usage du déplorable équivalent français du terme.