Miss Nobody a écrit :Mais bon dieu, l'affiche est d'une laideur...
Je pense que c'est un hommage à Andy Wahrol:
Mais bon, on n'est pas obligé d'aimer l'affiche pour ça
Attention, sans spoileriser vraiment le film, j'évoque pas mal de scènes clés!
Los Abrazos rotos
Pedro Almodovar a la chance d’être un des grands cinéastes mondiaux auxquels les succès passés ont permis de toujours parfaire leur style et approfondir leur monde de création. Almodovar a toujours su se questionner et prendre le temps de laisser mûrir ses projets avant de les aborder quand il s’y sent près. C’est ainsi que le projet de
Volver (2006) était déjà subtilement annoncé dans
La Fleur de mon secret (1995). Il réalise une œuvre toute personnelle mais ne se fige jamais. Ainsi, ce cinéaste qui n’a rien d’un réalisateur politique, mais qui, en revanche, sait très finement observer l’évolution de son pays et de ses concitoyens, trouve toujours l’inspiration dans son pays, l’Espagne, mais sait aussi évoluer au gré de l’évolution de son pays.
Après le grand succès de
Tout sur ma Mère (1999), qu’on peut voir comme un accomplissement de tout le chemin parcouru depuis ses débuts, Pedro Almodovar avait, petit à petit, adopté des thèmes plus sobres, recherché la perfection de la mise en scène avec
Parle avec elle (2002), était revenu sur un cinéma plus baroque mais aussi plus intime avec
La Mauvaise Education (2004) et avait finalement lié tout cela avec
Volver (2006).
Volver était un film intime dans lequel il évoquait la Mancha, sa province d’origine, présentait des personnages de femmes, certes hauts en couleurs, mais des femmes comme on peut en croiser tous les jours…Sans jamais aborder le thème frontalement, il revenait aussi sur son enfance et le franquisme par le thème symbolique de l’inceste. Dans
Volver, Almodovar donnait l’impression de chercher ce qui, dans la conscience de ses compatriotes, restait de cette époque pas encore si lointaine, mais évaporée par l’évolution économique considérable que le pays avait vécu durant les vingt-cinq dernières années.
Il restait un passé enfouie mais aussi la famille, les liens de filiation et les liens d’amitié, qui permettaient au pays de faire corps, d’oublier le passé et de trouver l’énergie d’affronter le futur, dans un contexte qui devenait chaque année plus dur. C’est en 2004 que les espagnols ont commencé à s’interroger sur le futur alors que la croissance économique commençait à s’enrayer, que l’endettement privé augmentait, que les salaires, encore bas, stagnaient. On parlait aussi de la situation des femmes, dans ce pays où le machisme est encore souvent la norme dans le monde du travail, tandis que les statistiques concernant le nombre de femmes battues montraient que le problème était récurrent et national.
Volver restait un beau film d’espoir, un grand film féminin qui conservait l’énergie de vouloir s’en sortir.
La crise économique a véritablement touché l’Espagne à la fin de 2007 et
Etreintes brisées est contemporain de la remise en question qui en a été consécutive. Le film se déroule à notre époque, en 2008, tout en revenant par de longs flash-backs, d’abord en 1988, puis sur le tournage d’un film, en 1994. Ce n’est pas un hasard si, avec Ernesto Martel (José Luis Gomez), Almodovar campe, à l’époque de leur triomphe dans les années 90, l’un de ces "hombres de negocios", souvent issus de la classe des petits industriels du franquisme, propriétaires de sociétés familiales, à qui l’ouverture économique de leur pays a permis de devenir de véritables tycoons, notamment dans le secteur de l’immobilier, alors que le film se passe en 2008, époque à laquelle ce secteur s’est effondré et plombe le pays.
En 1988, Ernesto Martel, symbole de cette classe prend le marché de la construction du métro de Caracas, travaille en haut d’une belle tour de verre, est au sommet de la réussite et manipule sa secrétaire pour en faire sa maîtresse. Lena (Pénélope Cruz), à la fois fantôme et femme fatale, n’est pas une innocente et, sous le prénom de la Séverine de Belle de Jour, se prostitue occasionnellement. Mais le personnage de Bunuel était motivée par des raisons ambigües tandis que Lena l'est par le besoin d'argent. Lena se vend finalement à Ernesto Martel pour soigner son père et y gagne une ascension sociale fulgurante. Son histoire sera celle d’une femme qui s’est vendue à un homme d’affaire en croyant conserver sa liberté de fuir, notamment par le cinéma.
Etreintes brisées est un film noir mais, par la façon dont il introduit son personnage principal, Mateo Blanco / Harry Caine (Lluis Homar), Pedro Almodovar montre que la vie, c’est d’abord le plaisir et l’espoir. Mateo Blanco, réalisateur promptement déchu est devenu le scénariste aveugle Harry Caine. C’est par une joyeuse et gratuite scène de sexe entre deux partenaires qui ne se reverront pas que Pedro Almodovar nous montre que son univers est encore présent et que Mateo Blanco n’est pas un mort en sursis mais bien un homme blessé qui a choisi de vivre et de profiter de la vie jusqu’au bout.
Dans cette période de repli sur soi, Almodovar réalise un grand film d’amour sur le cinéma, comme s’il se concentrait sur l’essence de son imaginaire pour y puiser les thèmes de son œuvre à venir, au milieu des références et des hommages au cinéma qu’il aime. Imprégné de sa culture cinématographique, il nous donne l’impression que chaque plan du film est une référence au cinéma de son passé. C’est un cinéaste en pleine maturité qui réalise
Etreintes brisées et Almodovar connaît les dangers de la référence trop appuyée et de l’auto-citation. Ainsi, s’il choisit que le film que Mateo Blanco réalise en flash-backs en 1994 soit un remake de
Femmes au bord de la crise de nerfs, il nous montre beaucoup plus le réalisateur au travail, au milieu de son équipe et de ses acteurs, que des scènes du film en question, même s’il se laisse quelquefois aller au plaisir de la parodie.
Si
Volver changeait de ses films précédents par les personnages qui y évoluent,
Etreintes brisées est un film audacieux en ce que Pedro Almodovar y change son esthétique. Avec des dominantes de blanc, de noir et de rouge carmin, il signe un film dur et tranchant qui ne s’atténuera que dans les paysages mélancoliques et sombres de l’île volcanique de Lanzarote. On y trouve aussi un très grand nombre de peintures, dont les revolvers warholiens de l’intérieur de la maison d’Ernesto Martel, qui sous-entendent que la fortune de ce dernier est basée sur le pouvoir et la violence. Nous retrouverons d'ailleurs les revolvers dans l'appartement de son fils, après la mort d'Ernesto, comme une partie de l'héritage.
Les rappels de différents films et cinéastes y sont nombreux, mais c’est l’évocation du couple statufié de la Pompéi de
Voyage en Italie de Roberto Rossellini qui revient par deux fois, de façon centrale.
La première évocation est terrible. Ernesto Martel sent qu’il perd Lena qui est tombé amoureuse du réalisateur Mateo Blanco. Il la force à partir en week-end avec lui à Ibiza. Ainsi que Lena le rapportera plus tard à Mateo, "ce monstre a passé quarante-huit heures sur moi". Nous voyons un plan sur deux personnes qui font violemment l’amour sous des draps blancs, sans savoir encore vraiment s’il s’agit de Lena et Ernesto (la scène précédente montrait Lena et Mateo faisant l’amour pour la première fois et le passage d’une séquence à l’autre est brutal). Les draps se tirent sur les visages des deux personnes, en faisant deux statues en mouvement. Puis Lena s’échappe du lit et court vers la salle de bain où elle vomit avec sécheresse son état de femme vendue, qu’elle ne supporte plus. Elle revient dans la chambre et Ernesto est figé, comme mort, dans une posture grotesque.
Elle s’assied, pensive, au bord du lit et allume une cigarette. S’imagine t-elle enfin libre ? Savoure t-elle un premier moment de liberté ou, au contraire, se dit-elle que c’est trop beau pour être vrai ? Son visage n’exprime rien. Puis Ernesto sort de sa léthargie et la saisit, comme un mort revenu à la vie et qui jamais ne partira. Il jouait et la testait, elle est toujours prisonnière et il ne la libérera pas.
La seconde évocation est toute en douceur. Après avoir été jetée dans un escalier, puis battue, Lena a fuit Ernesto et s’est réfugiée avec Mateo sur l’île de Lanzarote. Les deux amants regardent le film de Rossellini à la télévision, se pelotonnent l’un contre l’autre et photographient cet instant de bonheur figé. Ce n’est que plus tard que la violence brisera définitivement l’étreinte.
Les révélations, les secrets longtemps cachés sortiront peu à peu et ce film est d’une richesse thématique fabuleuse. Pedro Almodovar adore raconter des histoires, et, avec son héros scénariste, s’en donne à cœur joie. Il y a l’histoire du film, l’histoire du film réalisé en 1994 et les débuts d’histoires que Harry Caine / Mateo Blanco invente avec son assistant, Diego Garcia (Tamar Novas) : l’émouvante histoire de Daniel, le fils d’Arthur Miller et l’hilarante ré-invention de Twilight en version gore et porno.
Au début du film, nous apprenons la mort d’Ernesto Martel et c’est ainsi que l’intrigue commence. La violence de la fin de Lena, la monstrueuse façon dont Ernesto dénature le travail de Mateo, ce personnage tout simplement profondément odieux montre bien comment Pedro Almodovar s’interroge encore sur les fantômes du passé espagnol et la façon dont le pouvoir militaire s’est mué en pouvoir financier sans changer grand-chose de sa nature véritable.
Film d’une époque trouble,
Etreintes brisées est le constat d’une société qui se voulait réconciliée et qui se découvre trahie à nouveau. Le film est triste, nostalgique, mais plus moderne que les précédents, ainsi que le générique, très travaillé mais ne recherchant pas la beauté nous le montre au départ. A la fin d’
Etreintes brisées, Mateo Blanco monte le film de son passé et c’est l’art et le travail qui réconcilient les protagonistes. La vie continue à gagner dans le cinéma d’Almodovar.
Ce que le film perd un peu des audaces de personnages et de dialogues de l’univers classique d’Almodovar, il le gagne en audace de forme. J’ai en tout cas été profondément séduit et
Etreintes brisées est probablement devenu mon Almodovar favori avec
Tout sur ma Mère.