Youssef Chahine (1926-2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Phnom&Penh
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Phnom&Penh »

Et c'est une bien triste nouvelle même s'il a eu une vie intense.
Beaucoup de ses films sont très beaux, on en trouve d'ailleurs quelques uns en DVD zone 2. Voici d'ailleurs un interview de Chahine au sujet du quatrième film de la "série" Alexandrie. C'est un tantinet agressif sur les Etats-Unis mais ça devrait pas trop choquer, Chahine n'avait pas sa langue dans sa poche.
  • Youssef Chahine plus que jamais face à lui-même
    Avec Alexandrie. New York, Youssef Chahine évoque sa jeunesse, faisant un bilan sur la situation actuelle du monde. Avec une belle vitalité.
    Après sa trilogie délibérément autobiographique, Alexandrie pourquoi (1978), la Mémoire (1982) et Alexandrie encore et toujours (1989), Youssef Chahine revient sur ses origines alexandrines et son amour déçu pour son rêve américain, bravant, tel un funambule, les censures de tous bords. À soixante-dix-huit ans, le maître du cinéma égyptien évoque dans Alexandrie. New York, présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, sa jeunesse californienne, son désir fou de spectacle et de musique, ses amours et revisite une carrière de près de cinquante-cinq ans.

    Le fait d’être né dans les années vingt à Alexandrie, ville alors multiculturelle, vous a-t-il marqué pour la vie ?

    Youssef Chahine Alexandrie était une ville culturellement riche où je n’ai jamais entendu prononcer le mot " haine ". C’est une des raisons pour lesquelles j’ai tourné Alexandrie. New York. Je voulais rappeler le temps où j’aimais l’Amérique avec un film d’amour. Comme une déclaration d’amour à un pays où j’ai tant d’amis. Le 11 septembre 2001, j’ai souffert pour eux. Je ne peux pas extirper de mon corps l’amour que j’ai pu avoir pour des êtres que j’ai connus lorsque j’avais dix-sept ans, qui m’écrivent toujours et ne sont pas complètement dépolitisés comme la plupart des Américains. Bush a acheté sa place de président. C’est un tricheur, un menteur sans aucun charisme, qui emploie toujours les quinze mêmes mots. Il décide de qui est terroriste et qui ne l’est pas, tout comme Sharon, et se permettent ensemble de perpétrer n’importe quel crime. Mais moi, qu’est-ce que je représente face à cela ? Quand j’aime, c’est pour longtemps. À Alexandrie, il n’y avait pas de frontière. J’ai vécu entouré de gens de quatorze nationalités différentes. Si je rencontre une jolie fille, je lui fais la cour, c’est tout. Je ne lui demande pas sa nationalité. Mon père était originaire de cette région, aujourd’hui le Liban, qui était syrienne à l’époque. Ma grand-mère maternelle était grecque. Actuellement, lorsqu’on parle de sommet arabe, je me demande de quoi on parle : tous les chefs arabes sont des domestiques payés par les États-Unis. Je me sens " sandwiché " entre deux menteurs, deux profiteurs, le régime égyptien et l’administration américaine avec un imbécile à sa tête.

    Malgré la richesse d’Alexandrie, le rêve américain était incontournable

    Youssef Chahine Absolument inévitable. On avait ce désir de savoir ce qui se passait du côté de l’usine à rêves, bien que les Américains n’inscrivent jamais le nom de leurs metteurs en scène au générique. À part ceux des très grands qui avaient droit au montage. En fait, je n’avais pas vraiment envie de réaliser des films dans ce système.

    Ne dit-on pas du cinéma égyptien que c’est du cinéma américain parlant arabe ?

    Youssef Chahine Bien sûr, puisque lorsque j’ai demandé des extraits de comédies musicales aux compagnies américaines, l’image coûtait 20 000 dollars et le son 30 000. Pour les droits de la chanson de Sinatra, New York, New York, il fallait compter 2 millions de dollars. Alors j’ai écrit ma chanson, Alexandrie. New York, avec mon amour et ma tendresse. J’aimais New York, les grands " musicals " américains qui étaient d’une perfection absolue. Avec des chanteurs et des danseurs élégants. Aujourd’hui les Américains sont obèses. Les bonnes choses sont très chères et beaucoup de gens vivent sous le seuil de pauvreté. Les différences sociales augmentent chaque jour. Dans l’Amérique des années quarante, il y avait encore générosité et beauté. À Pasadena, une petite ville californienne où j’ai fait mes études d’art dramatique, il y avait des fêtes où l’on rencontrait des filles belles à mourir !

    Comme Ginger Cox, l’Irlandaise, votre amour de jeunesse dans le film

    Youssef Chahine Mon histoire avec elle est terrible, c’est une rupture violente. En tout cas j’ai eu ce sentiment-là. Lorsque j’ai su qu’elle était devenue call-girl, cela m’a beaucoup gêné, je n’ai pas voulu la revoir. Je suis rentré et je me suis marié. Aujourd’hui, Ginger est morte mais j’ai appris par Bonnie, sa meilleure amie, qu’elle s’en était sortie. Je l’ai alors retrouvée quelques années après, quinze ans, trente ans après avec le même plaisir.

    Qu’en est-il de l’existence réelle de Yéhia, le fils de Ginger ?

    Youssef Chahine L’histoire de mon film est vraie à 80 %, les 20 % restant sont issus de mon imagination et mon fils en fait parti. J’ai toujours eu envie d’avoir un fils qui aurait été danseur dans un ballet. J’ai moi-même adoré la musique et je dansais très bien quand j’étais jeune. Mon fils est donc un prolongement de moi-même. Je pense que l’idée d’éternité n’est pas dans la construction de pyramides mais dans la transmission. C’est pourquoi j’ai enseigné pendant quarante ans, mes élèves étant mes gosses. J’aurais pu adopter un enfant mais en Égypte, le Coran l’interdit. Il y a d’ailleurs chaque jour plus d’interdits. C’est très dur de vivre toutes ces contradictions mais c’est encore heureux de pouvoir faire des films.

    Et c’est ce qui fait que votre histoire est très orientale

    Youssef Chahine Je suis né en Orient. Ahmed Yéhia, qui joue mon propre rôle, jeune et mon " fils ", est le premier danseur de l’Opéra du Caire. Quand je l’y ai découvert, il dansait " Zorba " et toutes les émotions lui venaient de l’âme. Je l’ai revu, je l’ai appelé, je voulais absolument tout savoir de lui : comment il avait aimé la première fois, comment il avait fait l’amour ? J’ai adoré le mettre en scène dans la séquence onirique de Carmen. Chaque plan se devait d’être parfait et les sentiments très forts. En onze minutes, je devais concentrer une demi-heure d’opéra.

    Est-ce qu’on peut dire que votre film est une " tragédie musicale " dans la mesure où votre histoire serait une métaphore de la rupture entre les États-Unis et les pays arabes ?

    Youssef Chahine L’histoire d’Alexandrie. New York s’incruste assez bien dans mon message de rupture brutale. Il va bien falloir un demi-siècle pour que les pays arabes se démocratisent. Tant que les gens assis à une table ne s’aiment pas, on construira des murs et ce sera la haine. Cette rupture personnelle de ma jeunesse que je transfigure est en complète double historicité avec l’histoire des pays arabes. Qui a raison ? Nous ou l’Amérique ? Même la France vit une sorte de rupture avec les États-Unis. Comment peut-il en être autrement avec cet être ignorant et rancunier qu’est Bush, qui veut que l’Irak paye pour la défaite de son père ? Y compris en tuant des Américains et au moins 20 000 Irakiens. Mon film est une métaphore de la situation et je l’ai voulue très délicate, sans haine. Mon fils, dans le film, a une réaction de jeune Américain typique, ne sachant pas où est l’Égypte. Ronald Reagan croyait que la Libye était en Amérique du Sud. L’analphabétisme est répandu à près de 80 % aux États-Unis, presque comme en Égypte, et pourtant il s’y trouve les meilleures universités du monde avec les meilleurs cerveaux du monde. Quand je pense à mon âge, le temps qu’il faudra pour qu’on se comprenne, j’ai l’impression que le monde est en pleine régression et le sentiment qu’il ne faut pas cesser de s’aimer.

    Entretien réalisé par Michèle Levieux
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Griffin Mill
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Griffin Mill »

Ah ça c'est triste...
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Marcus
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Marcus »

C'était malheureusement prévisible depuis qq semaines, mais c'est une bien triste nouvelle :cry: . Qui nous rappelle également que la cinématographie arabe reste trop peu visible sur nos écrans.
Elle était belle comme le jour, mais j'aimais les femmes belles comme la nuit.
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Alphonse Tram
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Message par Alphonse Tram »

:(

Outre Le destin, je me rappelle aussi son segment dans 11'09''01 (september 11)
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- « Il y aura toujours de la souffrance humaine… mais pour moi, il est impossible de continuer avec cette richesse et cette pauvreté ». - Louis ‘Studs’ Terkel (1912-2008) -
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par NotBillyTheKid »

J'avais pris une énorme claque avec "Le destin", film d'une intelligence rare? C'était un très très grand cinéaste. :cry:
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Mama Grande! »

...

J'apprends ça alors que je viens de voir à l'instant le très beau et très personnel Alexandrie...New York. Quelle "belle" coïncidence, j'ai envie de dire. Ce film sonne comme des dernières paroles.

RIP ya siid Chahine.
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Mama Grande!
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Re: Youssef Chahine

Message par Mama Grande! »

Alexandrie...New York

Etrange expérience que de découvrir ce film par hasard simultanément à la mort du cinéaste. Son avant-dernier film si je ne me trompe pas, et le dernier qu'il ait réalisé entièrement. Oeuvre quasi autobiographique, où Chahine revient sur son amour déçu pour les Etats Unis, avec une virulence vis à vis de ce pays et d'Israël qui pourra choquer en fonction du bord auquel on appartient. Mais comme pour fuir le chaos du monde, il trouve refuge dans l'univers révolu des studios. Et là, le film bouleverse. Cette Amérique reconstituée qui parle arabe, cette nostalgie de la jeunesse, cet érotisme à l'ancienne, le ballet que le jeune Chahine fait voir à la vendeuse de hot dogs...tout ceci contribue à produire un enchantement pour le spectateur comme seul le cinéma peut le faire. Quant à la scène finale, c'est une des plus émouvantes que j'ai pu voir récemment.
Même si le message politique pourra sembler lourd, il serait dommage de bouder ce film aux qualités cinématographiques indéniables, cette autobiographie semi-rêvée, qui est paradoxalement un hommage au grand Hollywood, et donc à tout un pan de la culture américaine.
L'implication personnelle du réalisateur est telle que je m'imaginais parfois en train de dialoguer avec lui... sans me douter qu'il n'était déjà plus de ce monde.
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Watkinssien »

RIP pour ce cinéaste courageux ! :(
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Cosmo Vitelli »

Alexandrie Pourquoi ? Le Moineau, Gare Centrale...

Un grand cinéaste méditerranéen nous quitte.
"De toutes les sciences humaines, la pipeaulogie - à ne pas confondre avec la pipe au logis - ou art de faire croire qu'on sait de quoi on parle, est sans conteste celle qui compte le plus de diplômés !" Cosmo (diplômé en pipeaulogie)
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Re: Youssef Chahine est mort

Message par Ender »

Cosmo Vitelli a écrit :Gare Centrale...
C'est le seul film de Chahine j'aie vu, superbe.

RIP.
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-Kaonashi-
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Re:

Message par -Kaonashi- »

Alphonse Tram a écrit : :(

Outre Le destin, je me rappelle aussi son segment dans 11'09''01 (september 11)
Segment qu'il vaut mieux oublié... tout comme sa participation à Chacun son cinéma.
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Martin Quatermass
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Re: Re:

Message par Martin Quatermass »

-Kaonashi Yupa- a écrit :
Alphonse Tram a écrit : :(

Outre Le destin, je me rappelle aussi son segment dans 11'09''01 (september 11)
Segment qu'il vaut mieux oublié... tout comme sa participation à Chacun son cinéma.
Oui, son sketch pour chacun son cinéma était un monument de nombrilisme quand même
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Re: Re:

Message par Sergius Karamzin II »

Martin Quatermass a écrit :
-Kaonashi Yupa- a écrit : Segment qu'il vaut mieux oublié... tout comme sa participation à Chacun son cinéma.
Oui, son sketch pour chacun son cinéma était un monument de nombrilisme quand même
Et celui dans 11'09'01 un pamphlet antisioniste nauséabond et hors sujet.
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Alphonse Tram
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Message par Alphonse Tram »

Sergius Karamzin II a écrit :Et celui dans 11'09'01 un pamphlet antisioniste nauséabond et hors sujet.
Je me rappelle effectivement qu'il était particulièrement virulent. ça m'avait un peu interpellé à l'époque, c'est pourquoi je m'en souviens. Je ne comprends toujours pas pourquoi il a procédé ainsi dans le cadre de ce film. Bon, on peut tous faire des erreurs ceci dit.
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Sergius Karamzin II
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Re:

Message par Sergius Karamzin II »

Alphonse Tram a écrit :
Sergius Karamzin II a écrit :Et celui dans 11'09'01 un pamphlet antisioniste nauséabond et hors sujet.
Je me rappelle effectivement qu'il était particulièrement virulent. ça m'avait un peu interpellé à l'époque, c'est pourquoi je m'en souviens. Je ne comprends toujours pas pourquoi il a procédé ainsi dans le cadre de ce film. Bon, on peut tous faire des erreurs ceci dit.
Bien sûr. Mais le problème avec ce qui reste écrit, ou filmé, c'est la trace. On peut dans 20 revoir ce film et il causera les mêmes effets. Alors qu'il est hors sujet et haineux. Vraiment à jeter à la poubelle. Il m'a fâché durablement avec Chahine dont je ne vois plus de film. J'y retournerai un jour sans doute car je sais quel cinéaste il a été.
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