Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

MrDeeds a écrit :Vraiment sympa, ce topic que je découvre à l'instant.
Cher cinéphage, je serai bref : bravo pour ton éclectisme et chapeau pur la précision sacerdotale de tes chroniques !
Merci. :oops:

Le fait est qu'une bonne partie du plaisir que je tire de ma dvdthèque réside dans le fait de la parcourir (le temps manque souvent pour voir un film en entier, alors qu'une minute suffit pour que le regard se promène de film en film, d'univers en univers). Ma démarche est de partager certains de ces moments, parce que j'aime bien me surprendre, tombant un jour sur un Hitchcock connu, un autre sur tout autre chose.

Et j'ai constaté que ce petit exercice pousse à regarder les séquences avec un regard plus attentif, à les redécouvrir en tant que telles, détachées du corpus global qu'est le film. Cette reflexion sur une séquence isolée peut donner quelques unes des clés "discrètes" d'un film, et attirer l'attention sur des moments qu'on néglige parfois lors de la vision du film.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Jean Itard
Doublure lumière
Messages : 311
Inscription : 8 janv. 09, 20:13

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Jean Itard »

cinephage a écrit : Le fait est qu'une bonne partie du plaisir que je tire de ma dvdthèque réside dans le fait de la parcourir (le temps manque souvent pour voir un film en entier, alors qu'une minute suffit pour que le regard se promène de film en film, d'univers en univers, ).
Je comprends. Je pratique beaucoup comme cela concernant les comédies musicales, je repasse certaines séquences à satiété et au gré des envies...
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Mardi 31 mars, Le syndrôme de Stendhal, de Dario Argento (1996)

Extrait choisi : Le corps a disparu (Chapitre 11)

SPOILER - Je recommande fortement à ceux qui n'ont pas vu le film d'éviter le texte qui suit, qui révèle beaucoup de choses...

Il est sans doute inutile de présenter ici Dario Argento, grand formaliste et maître du cinéma fantastique, très apprécié des internautes cinéphiles. Pour ma part, je garde quelques forts souvenirs d'une rétrospective à la Cinémathèque, de séances télévisuelles sur feu la 5, et de diverses projection en festival... Ses films, à la mise en scène très recherchée, ne s'appréhendent pas facilement, mais se prêtent en revanche bien à l'analyse.

Dans le Syndrôme de Stendhal, Argento filme sa fille dans des situations souvent humiliante ou sensuelles. Pour le spectateur, connaître la relation entre celui qui filme et celle qui est filmée peut parfois ajouter au malaise. Mais le film dans son ensemble reste dérangeant, puisqu'il semble établir un lien entre l'art (les oeuvres de Florence et leur effet étourdissant) et la folie meurtrière, d'abord chez un étrange assassin fou amateur d'art, mais ensuite chez celle que sa passion aura "infectée", précisément parce qu'elle était extrêmement sensible à l'effet des tableaux et de l'art, et qu'il l'a vue, au début du film, tomber sous le coup du Syndrôme de stendhal (confronté à la magnificence démultipliée des oeuvres florentines, l'auteur du Rouge et le Noir raconta dans son journal s'être trouvé mal, d'où le nom donné à ce syndrôme,en réalité fort rare).

Dans l'extrait qui nous concerne, le tueur a été vaincu par sa victime, et on commence sur un plan large sur un espace vert qu'occupent plusieurs voitures de police. Manifestement, c'est une scène de crime. La caméra panote doucement sur Anna (Asia Argento), qui se regarde dans un petit miroir ovale : elle examine la cicatrice au visage que lui a laissé le monstre. Cela disparaitra avec le temps lui dit une femme à ses cotés. C'est fini, à présent...

On retrouve alors l'inspecteur de police, dans l'antre du tueur (aux murs garnis d'énormes graffitis), entouré de son équipe, tandis que la police scientifique s'affaire en arrière plan. Suivi d'un travelling avant, puis d'un travelling arrière, les deux de gauche à droite, puis, enfin, d'un dernier travelling de droite à gauche... Même sans les dialogues, la mise en scène nous indique que la police fait du sur-place (c'est pratiquement une faute de grammaire de passer d'un travelling gauche-droite à un travelling droite-gauche pour les mêmes personnages). Les dialogues nous l'expliquent bien : le corps du tueur disparu dans la rivière est introuvable : le fleuve se séparant en d'innombrables canaux, trouver celui dans lequel il est tombé relève de l'impossible.

Retour sur Anna, à présent à l'hopital. Elle parle à sa famille, ainsi qu'à l'inspecteur : "je sais qu'il est toujours vivant, qu'il me surveille." Et en effet, pendant toute cette brève séquence, un lion en pierre, à la fenêtre, semble regarder Anna. Mais l'inspecteur réitère que le criminel est mort : blessé par balle, poignardé, et noyé, il ne peut pas avoir survécu.

Nous retrouvons alors Anna à Rome, comme nous l'indique un carton, rentrant chez elle. Là, devant un miroir dans sa salle de bain, elle se coiffe d'une perruque blonde platine, qui la fait un peu ressembler à Veronika Lake. Elle semble fascinée par sa cicatrice. Ce bref moment est le seul de la séquence visionnée où l'on entend la musique du film en accompagnement. Le téléphone sonne : elle décroche, et l'inspecteur lui apprend qu'on a identifié l'assassin, et qu'on l'attend pour aller interroger sa femme.

Chez ce dernier, on retrouve Anna, son supérieur, et la femme du tueur. Dans l'échange qui suit, la caméra se reserre sur le visage de la dame, et en contrechamp cadre les visages en plein, cadrés à hauteur d'épaule, soit d'Anna, soit de son supérieur. Ils sont devant des tableaux et des tapisseries. Un petit cadre, visible au début de la séquence, puis en un bref insert, pour faire écho à un regard en biais d'Anna, montre le tueur avec sa femme et ses enfants, dans une photo assez classique. Mentionnons juste que le cadre est décoré d'éléments floraux. La femme semble furieuse d'être confrontée à celle qui obsédait son mari, et refuse de répondre en sa présence, malgré l'assurance du commissaire qu'elle est un excellent policier. Anna sort alors de la pièce, et, tandis que l'interrogatoire peut commencer, longe le terre-plein devant la maison pour entrer par une autre porte dans une antichambre.

Accueillie par un garçon avec un panier de fruit du Caravage, dans un petit cadre en face de l'entrée, parmi diverses oeuvres d'art, elle découvre un grand tirage du Narcisse du même Caravage. Sur ce dernier, un post-it : "macabre et dérangeant, je me demande ce qu'en penserait Anna". Elle examine la toile, puis observe sur une étagère une photo du tueur, cette fois-ci seul, ainsi qu'une boule en verre avec une statue grecque. Elle prend cette dernière et l'agite, pour remuer la "neige" à l'intérieur.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Nous retrouvons Anna chez le psychiatre, d'abord de dos, racontant qu'elle se sent en pleine transformation, que sa copine Mary la croit folle, qu'elle a récemment rêvé qu'elle s'appelait Louise. Elle se retourne alors face au psychiatre, l'interrogeant du regard et rappelant qu'il ne dit jamais rien. Elle lui raconte alors une histoire qu'elle a entendu, concernant un juge qui laisse un passant lui emprunter une barque. Lorsque le passant se noie, et qu'on demande au juge pourquoi il n'a pas prévenu le passant du trou dans son bateau, celui-ci répond qu'à aucun moment la condition de la barque n'a été évoquée dans la discussion. Le docteur réagit alors en lui demandant comment elle va : celle-ci répond qu'elle sait que le tueur la regarde. Le docteur répond alors qu'il est mort, elle évacue sa réponse d'un haussement d'épaule sceptique. En revanche, elle n'apprécie pas qu'il la regarde, car "il" a laissé sa marque sur elle, et il ne faut pas regarder cette cicatrice. Elle devrait disparaitre au bout de deux ans et quatre opérations. En tout cas, elle remercie le docteur pour une chose : il l'a totalement guérie du syndrôme de Stendhal, les oeuvres d'art ne l'obsèdent plus. Au contraire, conclut-elle...

Cette séquence, pas la plus passionnante du film en première vision, s'avère à l'examen passionnante : en réalité, Argento nous donne ici, je crois, toutes sortes de clés pour comprendre la transformation d'Anna. Première remarque : à deux plans près, tous les cadrages d'Anna dans cette séquence incluent un tableau ou un miroir. Cette nouvelle obsession du miroir, semble indiquer un basculement, alors même que l'art semble désormais "domestiqué" par Anna, comme autrefois par le tueur.
Seconde remarque concernant le moment-clé de la séquence : lorsqu'Anna met sa perruque blonde, devant son miroir, le tableau qui se reflète derrière elle est un nymphéas de Monet. Ce motif de la personne regardant son reflet avec un motif floral derrière se retrouve dans le Narcisse du Caravage, tableau qu'elle voit un peu plus tard. (Pour mémoire, Narcisse est un bel homme qui tombe amoureux de son propre reflet, et sera changé en fleur par les dieux.) Ainsi, en évoquant Narcisse amoureux de lui-même, Anna semble épouser le regard de celui qui était amoureux d'elle, l'assassin dont on apprendra plus tard qu'il "est entré en elle".
Bref, désormais, comme autrefois le tueur, Anna a "dompté" les oeuvres d'art, qui sont désormais avec elle, et regarde sa propre image d'une façon plus qu'ambigue et fascinée... Sa transformation nous est ainsi révélée par les oeuvres qui l'entourent.

Dernière remarque, ou plutôt une supposition : lorsqu'elle prétend avoir rêvé s'appeler Louise, je me suis demandé à qui cela pouvait bien faire référence. Quelques recherches semblent suggérer Louise Labé, une écrivain française du XVI° siècle, qui a repris les poètes italiens (Pétrarque en tête), et surtout connue pour son Débat de folie et d'amour.
Un détail tout de même qui semble nourrir cette supposition : il existe une thèse associant cette poétesse à la figure de Méduse, figure qui revient dans plusieurs de ses poèmes et dont un dessin vient orner la seule illustration faite d'elle de son vivant.
Selon cette hypothèse, Louise Labé, devenue méduse, est celle dont le regard pétrifie. Pour Anna, l'héroïne du syndrôme de Stendhal, une telle transformation serait logique : elle qui, au début du film, s'effondrait sous le regard de la Méduse du Caravage, deviendrait désormais Méduse elle-même, du coté des oeuvres mortifères...

Bref, peut-être ces considérations inspirées par cette séquence du Syndrôme de Stendhal sont-elles un peu tirées par les cheveux (encore qu'il faut savoir qu'aucune oeuvre ne peut se trouver "par hasard" dans un film, au vu des lourdes redevances de droit dont il faut s'acquitter pour les faire apparaître, elle ne sont dans le film que par la volonté du réalisateur). En tout cas, elles illustrent parfaitement combien le film d'Argento se prête à l'exégèse, à la double-lecture, aux interprétations et aux analyses en cascade. Le cinéma d'Argento se prête admirablement à la révision, on trouve toujours de nouvelles choses à interpréter.

PS : pour des raisons d'espace, j'ai privilégié les pistes se rapportant à Narcisse, mais Anna évoque aussi Alice, en passant de l'autre coté du miroir (en particulier avec sa perruque blonde, elle porte alors une robe blanche diaphane, qui évoque fatalement l'héroïne de Carroll). Surtout que, lors d'une séquence précédente, on l'a réellement vue passer à travers un miroir...
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Lundi 11 mai, Charulata, de Satyajit Ray (1964)

Extrait choisi : L'arrivée d'Amal (Chapitre 2)

Satyajit Ray n'est pas un familier de mon univers cinéphilique. J'avais tenté une première approche, peu concluante, il y a bien longtemps, en tentant de voir le salon de musique au cinéma de minuit. J'en garde le souvenir d'un film ennuyeux, et ne suis pas certain d'avoir été jusqu'au bout. Mais, admettant que depuis, l'eau a coulé sous les ponts, que j'ai un peu muri, qu'un film indien en noir & blanc s'apprécie mieux dans l'après-midi qu'après minuit, rapport aux paupières qui s'alourdissent, j'ai récemment réessayé avec un autre film, Charulata.

Ce visionnage-ci a été bien plus probant, même si le rythme lent du film demande une certaine attention, une sensibilité aux beaux mouvements de caméra (il y a de superbes travellings dans le film), un intérêt à une problématique qui dépasse la péripétie pour toucher à des questions profondes, sur le couple, la modernité, le rapport à l'occident, bref, le film est riche, et on l'apprécie encore longtemps après l'avoir vu, tant il évoque des questions qui, d'une façon ou d'une autre, nous touchent. Sans trop déflorer le sujet, Charulata raconte l'histoire d'une femme qui s'ennuie, parce que son mari la néglige pour ses activités éditoriales et politiques. Chance, c'est sur un extrait de ce film que je tombe aujourd'hui.

L'extrait choisi s'ouvre sur un plan montrant un jeu de cartes posé sur un drap cousu de motifs simples brodés, oiseaux ou autres animaux. Curieusement, ce plan qui ouvre la séquence souligne une problématique constante du film, qui est la façon dont s'imbriquent l'occident et la culture indienne. En cela, ce premier plan présentant un jeu de cartes "occidental" posé sur une couverture indienne est un des légers rappels de ce cadre problématique.
Charulata joue aux cartes avec sa belle-soeur, pour passer le temps. L'ennui se lit sur son visage, comme sur celui de son adversaire, même si elle se prend un peu plus au jeu qu'elle. Elle finit d'ailleurs par déclarer qu'il s'agit d'une question de volonté, et non de hasard (manifestement, il suffit de tirer la bonne carte pour emporter la partie). Charulata ne la contredit pas, mais alors que la partie continue, scandée par les plaintes de la belle-soeur à chaque tirage défavorable, c'est elle qui tirera la carte gagnante à la fin du paquet. Elle soulignera alors d'un ton ironique "autant pour ta volonté"...

L'ennui est ici flagrant : les femmes sont alanguies, allongées sur le lit sur lequel elles jouent, elles soupirent ou soufflent de temps à autre, il fait manifestement lourd. La séquence est étirée... A un moment, la voix au loin d'un marchand de glace se fait entendre : l'une veut une glace, l'autre insiste pour qu'elle continue à jouer. Une fois la partie achevée, la belle-soeur propose d'appeler Brojo pour qu'il fasse le thé, puisque l'heure en est venue. Sans même se lever, elle appelle le serviteur en criant. Charulata lui demande de se bouger et d'aller le trouver. En ralant ("il devient sourd, ton Brojo"), elle se lève pour y aller, abandonnant Charulata, qui reprend alors un livre dont elle poursuit la lecture.

Alors que la caméra cadre la jeune femme en pied, la luminosité baisse alors sensiblement, tandis que retentit un sourd bruit de vent au loin. Charulata se lève, inquiète, et ferme les fenêtres. Elle sort alors de la pièce, tandis que le vent devient assourdissant : une tempête est imminente. Le plan suivant nous montre l'intérieur ouvert de la demeure, où chacun se hate de ranger ce qui peut être pris par le vent. En particulier, une cage enfermant deux oiseaux (symbole simple, mais toujours efficace) s'agite dans le souffle.

A ce moment précis surgit de l'entrée un jeune homme, comme venu de la tempête, qui entre en criant avec entousiasme et de façon théâtrale (il cite une phrase de Bankim Chandra Chatterjee), un parapluie en main. Il arrive droit sur sa belle-soeur, rayonnant, et lui demande, avant même de la saluer : « As-tu lu le dernier Bankim ?? » Le contrechamp qui suit cette réplique nous montre Charu souriante, enfin. Comme si l'ennui était parti avec l'entrée spectaculaire du jeune homme. Elle le dirige alors vers le bureau de son mari, où il se rend promptement.
Si le découpage de la séquence est assez classique, quoiqu'économique dans son découpage, la photographie, superbe, met en valeur l'ennui des femmes, le chaos de la tempête avec peu d'effets (surtout le bruit du vent), et le jaillissement d'Amal, dont on sait déjà que sa venue va perturber l'ordre des choses, encore si calme jusque là. 

Pour info, le Bankim, dont il a brièvement été question, est un personnage auquel le film fait plusieurs fois référence, et une référence littéraire bengalie. Au sommet de sa renommée en 1880, période à laquelle se déroule le film, ce magistrat écrivit plusieurs romans historiques et romantiques qui connurent un grand succès. Certains d'entre eux furent traduits en anglais, et on le surnomma le « Scott » Bengali (de Walter Scott). Ses récit amoureux étaient fort novateurs au Bengal, assez contraires aux traditions, et le firent critiquer par ses contemporains comme corrompant la jeunesse. Bien sur, celle-ci était d'un avis contraire, et vénérait les oeuvres de ce brillant auteur.

Mais Charulata ne m'a pas attendu pour être reconnu : il a reçu l'ours de la mise en scène à Berlin, en 1965, et est considéré par beaucoup comme un des films essentiels de l'histoire du cinéma. Récemment, Wes Anderson lui rend hommage dans Darjeeling Limited en reprenant la musique de ce film, musique d'ailleurs composée par S.Ray lui-même.

Constatant le plaisir avec lequel je retrouve ce très beau film de Satyajit Ray (certains des plans et mouvements de caméra du film sont vraiment superbes), je me dis qu'il est temps de découvrir un autre de ses film d'ici peu.

NB : A l'intention des curieux, je rajoute ici quelques plans du film, ainsi qu'un lien sur l'extrait d'un ouvrage (anglophone) sur Satyajit Ray qui m'a renseigné sur Bankim (les pages sur Charulata sont 156-166).

http://books.google.fr/books?id=u9jdfLG ... 2#PPA12,M1
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

Image

Image
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Lundi 18 mai, Barberousse, d'Akira Kurosawa (1965)

Extrait choisi : Vous ne l'examinez pas ? (Chapitre 8 )

----------Attention, le commentaire qui suit contient de nombreux spoilers concernant ce film--------------------------------------

Akira Kurosawa est pour moi une des plus grandes références en matière de cinéma : bien avant de me considérer cinéphile, j'avais déjà vu les 7 samourais, Ran, Rêves et Rashomon. C'est dire combien Kurosawa a pesé dans ma conception de ce qu'est un bon film. Pourtant, je suis loin d'avoir épuisé sa filmographie, et distille avec parcimonie les dernières oeuvres du maîtres qu'il me reste à découvrir.

Aussi, lorsque mon tirage aléatoire (je tire quelques films à l'avance, quand j'ai du temps devant moi, pour en extraire les séquences chroniquées dans ce topic) est tombé sur Barberousse, plutôt que de relancer mes dés (ce que je fais habituellement lorsque le tirage désigne un film que je n'ai pas encore vu), je me suis empressé de sauter sur ce prétexte pour découvrir ce chef d'oeuvre du maître. Car Barberousse est vraiment un film magnifique, humaniste et émouvant, que le maître maître illustre avec un cinémascope de toute beauté.

La séquence de ce très beau et long film qui nous intéresse s'ouvre sur le transport de Sahachi, un malade mourant et très aimé, sur une civière. Le premier plan, très composé, nous montre la population des malades en détresse : divisés en deux, les hommes groupés d'un coté, les femmes d'un autre. Dans toute la séquence, on voit l'usage esthétique que fait Kurosawa du cinémascope dans ses plans larges, utilisant diverses lignes verticales pour recadrer l'image et jouer d'effets de perspective (ici, les gens sont groupés, et on les sent dépassés par le malheur de perdre un être cher). Le plan suivant est un travelling (en grue, probablement) aérien qui surplombe le transport de la civière. Alors qu'un puissant bruit de pluie couvre le fond sonore, on entend tout de même la voix du malade, qui parle à une femme inconnue de tous : Onaka, je savais que tu viendrais, susurre-t-il.

Le plan suivant, là aussi vraiment très beau, est en rupture avec ces premières images : il montre trois très jeunes enfants attendant leur mère, guettant l'extérieur du batiment à la porte duquel ils se trouvent, alors qu'il pleut à sceaux dehors. Le cadrage, fort soigneux, les place tout à droite de l'image, leur regard se perdant sur la gauche. Divers éléments structurants verticaux viennent étirer l'image, et rendre plus mignon encore ce spectacle enfantin (surtout qu'on sait ces enfants miséreux et affamés). Les enfants sortent alors pour rejoindre leur mère, Okuni, qu'amène Barberousse (Toshiro Mifune). Il demande alors au tenancier de l'hospice de l'héberger. Celui-ci accepte.

On coupe alors sur le mourant du début de séquence, Sahachi, en train d'être examiné par Yasumoto, le jeune médecin encore récalcitrant, et héros/témoin du film : la première image nous le montre dans le même plan que le visage du mourant. Son émotion est tangible (pendant toute la séquence, l'émotion éprouvée par Yasumoto est un enjeu clé du récit. Pourtant, Kurosawa n'insistera jamais dessus, sinon en l'incluant discrètement dans le même plan que d'autres personnages, plans où l'on pourra sentir l'émotion du jeune homme, comme ici). Alors qu'il se redresse, et que la foule des malades de l'hospice, réunie tout autour d'eux, se lamente (il était si bon, si courageux, il nous a tout donné, même lorsqu'il était malade, cette foule fonctionne comme un choeur, procédé courant chez Kurosawa), il annonce que Barberousse ne va pas tarder.

Survient alors un personnage qui perturbe l'ordre des choses, un ivrogne qui vocifère qu'il est le plus ancien des pensionnaires du lieu avec Sahachi, et a donc le droit de venir voir. Bousculant tout le monde (les gens sont entassés dans la pièce), il réplique celle qui lui reproche d'être saoul : « j'ai commencé à boire à l'age de 9 ans. Je ne réponds pas de mes actes lorsque je suis sobre, mais je n'ai jamais mal agi lorsque j'étais saoul. » Yasumoto fait signe aux gens de le laisser s'asseoir. Celui-ci Raconte alors combien la vie est dure... Il évoque ensuite Barberousse qui, un jour qu'il était ivre à en vomir, s'est mis en colère et l'a grondé en lui disant qu'il aurait pu utiliser l'argent qu'il consacrait à la boisson à sa femme et à ses enfants. "Les bourgeois et les diplomés n'y comprennent rien ! Conclut l'ivrogne".

Barberousse pénétrant alors la pièce, l'ivrogne s'interrompt, se lève et quitte la pièce, non sans émettre quelques jurons bien sentis : barberousse, conard ! Le tenancier de l'hospice explique alors, une fois le trublion parti que c'est parce qu'il ne supporte pas de voir Sahachi dans cette condition qu'il se met dans un état pareil. Notons au passage qu'à partir du moment où Barberousse est dans la pièce, le cadre se cale sur ses mouvements (le suivant quand il se lève ou s'asseoit), jusqu'à son départ. Il est le coeur du film.

On demande alors aux autres de quitter la pièce pour laisser de l'air au mourant. A l'hotelier qui lui demande pourquoi il n'examine pas Sahachi, Barberousse répond gravement que deux hommes de bien sont morts aujourd'hui (terrible verdict, mais en même temps très prévisible). L'échange qui suit cadre de près les trois visages, de l'hotelier, du medecin chef, et de Yasumoto, en retrait, mais qui ne rate pas une goutte de ce qui se dit (on le verra même étouffer un sourire). Barberousse, évoquant la mort du père d'Okuni (la mère des trois enfants vus précedemment), annonce qu'il a laissé 10 pièces d'or pour sa fille.

Le tenancier s'étonne alors : est-ce que ce n'est pas encore une de vos débrouillardises ?? Parce qu'il est bizarre qu'il soit venu mourir dans un hospice, s'il avait tant d'argent. Le médecin admet alors : oui, je me suis débrouillé, j'ai été voir le commissaire, je lui ai fait acquitter la jeune fille et lui ai extorqué ces 10 pièces d'or. Evoquant alors un chantage (le commissaire a une maitresse et une femme jalouse), Barberousse retourne alors sa colère contre lui-même. « J'ai très mal agi ! » Prenant à partie son jeune « disciple », il lui demande de lui rappeler cet épisode honteux, à l'avenir, les jours où il sera trop fier. Manifestement, même s'il « fallait que cette jeune femme soit acquittée », il ne peut admettre d'avoir dû obtenir ces choses par la contrainte. Un certain humour se dégage de cet instant : alors qu'il vient de sauver une jeune femme, le médecin se critique avec la même dureté que celle avec laquelle il reprend ses malades. Révélant cette blessure (Barberousse se sacrifie pour les autres, certes physiquement, mais aussi moralement puisqu'il n'hésite pas à s'abaisser par de vils actes pour aider les autres), il se lève et quitte la chambre du malade, confiant ce dernier au jeune médecin, qu'on voit visiblement bouleversé par tous ces récents évènements.

Cette séquence, aussi belle qu'émouvante, est essentielle dans l'articulation du film : aux cotés de Yasumoto, nous découvrons que Barberousse est un homme admirable, qui donne tout aux autres. Deux intrigues s'entrecroisent à ce point névralgique, sous le regard étonné et ému de Yasumoto qui ne peut désormais plus rejeter décemment les soins que l'on prodigue ici. Mentionnons enfin le jeu fin et vraiment touchant de Toshiro Mifune, très grand acteur, qui trouve ici l'un de ses meilleurs rôles (il gagna d'ailleurs le prix d'interprétation à la Mostra de Venise). Il apparaît pourtant que le comédien était en conflit ouvert avec le réalisateur concernant le traitement à accorder au personnage, et la brouille qui suivit mit fin à une collaboration réalisateur/acteur parmi les plus fertiles de l'histoire du cinéma.

Pour exposer ces évènements, Kurosawa se contente d'une mise en scène discrète : une forte pluie pour le son, des cadrages sur les visages pour l'essentiel (sauf les quelques rares plans évoqués plus haut), un usage des malades comme d'un choeur pour exposer le drame (puis, sur un mode plus intime, le tenancier de l'hospice jouera le même rôle). Mais cette mise en scène est loin d'être simple : les plans sont fort longs, et beaucoup de gens se tiennent dans le même plan. On peut imaginer combien il a dû être difficile d'obtenir ce résultat (avec cette précision de cadrage) sur des plans de plusieurs minutes dans un décor exigu.
Au final, Barberousse demeure, malgré son gros budget et son tournage interminable, un des films les plus appréciés du cinéaste. Je ne peux que souscrire à mon tour à ce jugement.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Strum »

cinephage a écrit :Constatant le plaisir avec lequel je retrouve ce très beau film de Satyajit Ray (certains des plans et mouvements de caméra du film sont vraiment superbes), je me dis qu'il est temps de découvrir un autre de ses film d'ici peu.
Et en premier lieu, les trois films de sa sublimissime trilogie d'Apu, qui sont pour moi ses plus beaux films. :) En revanche, équipe-toi d'une boite de kleenex.
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Strum a écrit :
cinephage a écrit :Constatant le plaisir avec lequel je retrouve ce très beau film de Satyajit Ray (certains des plans et mouvements de caméra du film sont vraiment superbes), je me dis qu'il est temps de découvrir un autre de ses film d'ici peu.
Et en premier lieu, les trois films de sa sublimissime trilogie d'Apu, qui sont pour moi ses plus beaux films. :) En revanche, équipe-toi d'une boite de kleenex.
Merci pour le conseil : et hop !! Dans ma wishlist (après tout, mon anniversaire tombe dans deux mois :mrgreen: ).
Je suis très client des films bouleversants, je pleure toujours, une vraie midinette... Ca fait généralement beaucoup rire la Cinéphagette, qui est plus aguerrie (ça m'arrive aussi en lisant, ce qui la fout mal quand ça se produit dans le métro ou l'avion).
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
homerwell
Assistant opérateur
Messages : 2502
Inscription : 12 mars 06, 09:57

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par homerwell »

Comme tu l'as écrit au début de ton intervention, le sentiment fort qui se dégage de "Barberousse" est l'humanisme. C'est d'ailleurs souvent ce que disent les personnes qui découvrent ce chef d'œuvre. Et pour ma part, c'est à la fin que ce sentiment s'est imposé tant il m'a semblé que ce film formait un tout : image, cadrage, scénario, interprétation, tout y contribue.
Ici, tu as réussie à isoler une très belle séquence à la hauteur de l'ensemble et c'était un beau challenge. Bravo :wink:
Il faudrait que je le revoie car j'aime associer une séquence forte en images à un grand film. Du moins c'est comme cela que le cinéma me marque durablement le plus souvent."Barberousse" fait parti de mes films préférés.
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Lundi 25 mai, Les sous-doués, de Claude Zidi (1980)

Extrait choisi : Un nouvel élève (Chapitre 6)

----------Attention, le commentaire qui suit contient de nombreux spoilers concernant ce film--------------------------------------

Changement radical de registre aujourd'hui avec cette comédie, certes un peu facile, mais qui fut un réel succès et confirma Claude Zidi en réalisateur de comédies grand public, précisément à l'époque où, garnement en culottes courtes, je préférais l'école du cinéma à celle de l'Education Nationale. Cela dit, ces sous-doués, c'est à la télévision que je les avais découvert, avec un immense bonheur : tous ces trucs pour tricher, ces gags d'écolier, cette bonne humeur potache trouvait en moi un écho bien favorable à l'époque. Revoyant le film plus récemment, il faut bien reconnaître ses faiblesses. Pourtant, la sympathie qui s'en dégage persiste envers et contre tout, les sous-doués se revoient encore avec un plaisir certain. Sans doute, plutôt qu'au scénario ou à une mise en scène bien peu inventive, grace à une troupe de comédiens qui trouve ici matière à s'épanouir en tant que troupe, et dont le plaisir à jouer transparait à l'écran.

En le revoyant en séquence, comme ici, je constate que le film est très morcelé, en petites scènettes indépendantes, assez isolées les unes des autres. Ainsi, sur une période de 5 minutes, on observe pas moins de 3 petites séquences, elles-mêmes sous-découpées. Le travail du rythme est ici primordial (même si tout ne marche pas bien), de même que le fait de valoriser un maximum de personnages en un minimum de temps. La mise en scène de Zidi, dans ces morceaux, privilégie le groupe.

Les trois séquences, qui se suivent, sont les suivantes : la première suit Daniel Auteuil qui, invité à une nuit de stupre, se trouve piégé et collé avec une autre, séquence que suit un court épilogue, la seconde s'intéresse à une brève scène de classe, lorsque la directrice (Maria Pacôme), prodiguant des cours de philosophie, condamne un élève peu attentif à quelques minutes de gymnastique. Enfin, on découvre l'inscription d'un nouvel élève au cours, ainsi que son entrée dans la classe.

On suit tout d'abord Daniel Auteuil dans la rue : il sonne à une porte, que lui ouvre la charmante Sarah, élève qu'il draguait depuis quelques temps (Hélène Dublin). Souriante, elle lui intime le silence d'un geste, alors qu'il tente de l'embrasser. Mentionnons la musique guillerette (qui a bien vieilli, l'instrumentation et le rythme évoquent Hélène et les garçons) qui accompagne tout ce moment. Le plan suivant nous montre le couple entrant dans la chambre à coucher obscure : alors que D.Auteuil lui demande pourquoi elle n'allume pas la lumière, elle répond à voix basse que c'est à cause de ses parents. Se précipitant dans le lit, elle lui demande de se déshabiller. La caméra panote pour la suivre elle, se glissant dans les draps, et souriant comme préparer un mauvais tour. Alors qu'Auteuil rentre dans les draps, et commence à "pilonner" sa partenaire, la musique aumente de volume sonore, et la caméra panote à nouveau sur la gauche, pour révéler, cachés derrière un rideau, une foule assistant à l'évènement. La bande son laisse entendre un désagréable bruit de train qui passe en sonnant, alors que se déploie la bande d'étudiants.
Alors que les draps se soulèvent rythmiquement (et de façon bien dramatique, c'est d'ailleurs assez ridicule), la lumière s'allume, et alors que la musique revient en sourdine, on voit et entend les camarades de classe applaudir, faire diverses remarques (sur sa bonne tenue de route, son rythme). Parmi eux se trouve Sarah. D.Auteuil, vexé et interloqué se tourne alors vers sa "partenaire", encore cachée sous la couette. "Si ça se trouve, c'est un mec !" commente un des témoins.
Mais non, c'est Jeanne (Catherine Erhardy), toute rayonnante, qui sort des draps. "Termine, ne te gêne pas pour nous", commente Sarah. Alors que pour montrer sa mauvaise humeur, Auteuil proteste d'un "De toute façon, j'ai plus envie", sa partenaire, outrée, l'enfouit sous les draps et se jette sur lui...
Si ce bref passage est assez drole, je le vois aujourd'hui comme le témoignage d'une époque révolue, où le sexe était sujet à des blagues aussi naïves qu'osées. De nombreuses comédies des années 80 me touchent aujourd'hui pour leur naïveté et la façon festive dont ils abordent la sexualité. On ne risque pas de revoir de sitôt des gags de ce type, retour de balancier moral et Sida obligent...
On retrouve dans le plan suivant la petite bande à une terrasse de café. Panoramique, et voila qu'arrive Jeanne, souriante. Plan sur elle : je suis enceinte. De qui ? demandent les étudiants... De vous. Elle sort alors un test de grossesse, qui va circuler de mains en mains, déclenchant chez celui qui le tient un commentaire (alors cadré en gros plan, le test en main) : c'est pas le mien, c'est dégueulasse, ce truc... Tandis que retentit dans la rue, au loin, le pleur d'un bébé. Alors que Daniel Auteuil suggère que le père d'un de ses camarades, médecin, règle la situation, Jeanne répond, toujours souriant (et en très gros plan) : non, je le garde. Notons que tous ces échanges se font sans le moindre fonds musical, ici la parole est reine.
Là encore, à notre époque de repli sur les valeurs familiales, cette attitude sonne bizarrement (femme de toute la bande, elle va accoucher d'un enfant "d'eux"). Cette situation, alors vécue avec entousiasme, parait aujourd'hui bien irresponsable et contraire aux moeurs...

La séquence suivante s'ouvre sur la classe en cours. Maria Pacôme, directrice du cours, dicte un cours de philosophie bien pénible. Pourtant, la caméra nous cadre un étudiant qui n'écoute pas, et manipule des cartes à jouer. Constatant qu'elle n'est pas écoutée, elle appuie alors sur un bouton sur le coté de son bureau. Le plan suivant nous montre alors un immense type, dans la cour, qui bondit en courant en direction de la classe. Lorsqu'il y entre, le professeur demande "10 minutes de gymnastique pour Monsieur Gaetan". Alors que ce dernier proteste, le gorille le saisit par le col, envoyant voler ses cartes. Le plan suivant, cadré large, suit le géant attachant Gaetan (Gaëtan Bloom) aux anneaux, et lui imposant de lever les cuisses et rentrer le ventre, l'aidant d'un ou deux coups du plat de la main. Accompagnant quelques secondes ce supplice, un petit air de flûte à bec marque un contrepoint ironique à cette situation terrible (pour tout élève dans le film, comme dans le public), quitte à s'attarder un peu trop sur ce triste spectacle.

Enfin, la dernière scènette se déroule dans le bureau de la directrice : elle indique à un homme d'un certain age que les effectifs de son établissement ne doivent pas trop s'accroître. Alors qu'il allait s'avouer vaincu, elle se reprend : mais nous pouvons encore accepter un élève. Le vieil homme défend alors le-dit élève, qui, à défaut d'être doué, est très motivé et travailleur. Maria Pacome inscrit alors le nouvel élève en demandant un trimestre d'avance. On se retrouve alors dans la salle de classe (un malabar à qui peut m'indiquer le nom du comédien qui joue le prof de math), et la directrice vient présenter le nouvel élève, qui se révèle être le vieil homme lui-même. Sous l'hilarité de la classe (hilarité un peu forcée, il faut bien dire), il prend place au premier rang. Le prof de math marque un bref arrêt, comme pour examiner à la loupe la nouvelle recrue. Puis il se ressaisit : "Comment t'appelles-tu, mon grand ?" Le nouveau se lève alors et clame : "Elève Gaston Pourquier", devenant pour une génération au moins le "symbole" des bacheliers sur le tard...

Bref, ces séquences des Sous-doués nous montrent un film très décontracté, tant dans le traitement (rythme alangui, notamment pendant la gymnastique ou l'arrivée de Pourquier dans la salle de classe) que dans sa thématique sexuelle, dont les enjeux sont traités avec une allègre insouciance. La bonne humeur en émane, même si les sautes de rythme et le coté décousu apparaissent même dans d'aussi courts moments. Reste un film qui marque un beau jalon dans les carrières de Zidi comme d'Auteuil, et un vrai "film générationnel", dont les amateurs se citent des séquences (la règle en fer silencieux ou l'attentat à la couscoussière), qui a pris un sacré coup de vieux par sa musique, son rythme et son insouciance sexuelle, mais garde un capital sympathie inentamable.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Avatar de l’utilisateur
Kevin95
Footix Ier
Messages : 18363
Inscription : 24 oct. 04, 16:51
Localisation : Devine !

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Kevin95 »

Je me permets d'intervenir en justifiant l'aspect "morcelé" du film de Zidi.

Je ne sais pas si c'est les intentions de l'auteur, mais j'ai toujours vu en ces petites scénettes ni plus ni moins que la mise en image de la vie étudiante (certes de façon potache). Quiconque à déjà été étudiant doit bien savoir qu'une année scolaire est faite de petite histoires (une vie en dents de scie en quelque sorte) de différentes tonalités comme d'un rythme inégal.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
Avatar de l’utilisateur
cinephage
C'est du harfang
Messages : 23872
Inscription : 13 oct. 05, 17:50

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par cinephage »

Kevin95 a écrit :Je me permets d'intervenir en justifiant l'aspect "morcelé" du film de Zidi.

Je ne sais pas si c'est les intentions de l'auteur, mais j'ai toujours vu en ces petites scénettes ni plus ni moins que la mise en image de la vie étudiante (certes de façon potache). Quiconque à déjà été étudiant doit bien savoir qu'une année scolaire est faite de petite histoires (une vie en dents de scie en quelque sorte) de différentes tonalités comme d'un rythme inégal.
J'espère n'avoir pas donné l'impression que cette structure me dérangeait : ce n'est pas le cas (d'ailleurs, un grand nombre de séries TV contemporaines sont baties sur cette structure en mini-scénettes, ça n'a rien d'archaïque).
Et effectivement, ce découpage en petites scénettes est caractéristique des récits batis en chroniques, après tout, on suit le parcours de la classe de la rentrée au bachot. Cela dit, j'ai surtout pensé qu'il s'agissait aussi de permettre un traitement relativement égalitaire entre les étudiants, qui ont pour ainsi dire presque chacun son heure de gloire, ce qui fait du film un film de groupe, avant d'être celui de tel ou tel personnage.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
Avatar de l’utilisateur
Kevin95
Footix Ier
Messages : 18363
Inscription : 24 oct. 04, 16:51
Localisation : Devine !

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Kevin95 »

Là dessus je te rejoins et heureusement que Zidi à opté pour ce point de vue car difficile de quitter cette troupe une fois le générique terminé. :wink:
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52249
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Boubakar »

Je n'ai pas encore vu ce film, ainsi que sa suite. :oops:
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54619
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par Flol »

Boubakar a écrit :Je n'ai pas encore vu ce film, ainsi que sa suite. :oops:
...qui font pourtant tous 2 partie intégrante du patrimoine cinématographique français ! :shock:
Mais qu'est-ce que t'attends ?!
magicberber05
Assistant(e) machine à café
Messages : 178
Inscription : 10 janv. 09, 00:26

Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques

Message par magicberber05 »

cinephage a écrit :
un malabar à qui peut m'indiquer le nom du comédien qui joue le prof de math
C'est Hubert Deschamps. Tu sais ce qu'il te reste à faire... :)
Répondre