Quand j’ai ouvert ce topic, j’ignorais la façon dont les sujets se distribuaient sur le forum. Je pensais que les topics naphta et d’aujourd’hui étaient pour les films non édités en DVD et les topics Naphta DVD et aujourd’hui DVD pour les films édités en DVD.
En tous cas, j’ai demandé à aux administrateurs de balancer ce topic là où était sa place, et cela devrait être fait rapidement.
En discutant avec un forumeur qui se reconnaitra, bonjour Tom

, je me demandais si je préférais
Chronique d’un été à
Le Joli Mai.
Les films sont contemporains (1961/1962), et les meilleurs témoins de ce qu’on a appelé le cinéma-vérité. Le film de Jean Rouch et Edgar Morin profite de l’expérience du sociologue, le film de Chris Marker profite de l’universalité du poète.
Le Joli Mai n’est pas facile à voir. J’ai eu la chance de le voir à la Cinémathèque Française en novembre dernier. J’étais accompagné de Yaplusdsaisons, ce qui m’a permis, en sortie de salle, de confronter mes idées avec un débateur énergique.
Sauf que Yaplusdaisons, ce soir là, en sortie de salle, n’était pas très énergique. La belle poésie rend facilement sourd et muet. Je n'avais pas grand chose à dire non plus. Les beaux films demandent du temps pour qu'on en parle.
Le Joli Mai est un film, qui, comme souvent avec Chris Marker, est basé sur la bande son, principalement son texte, avec une musique de Michel Legrand. Un jour, j’ai retrouvé l’intégrale des textes du
Joli Mai, c’était dans le livre de Guy Gauthier,
Chris Marker, écrivain multimédia. Le film est monté en deux parties. La première s’intitule « Prière sur la Tour Eiffel »
Cela commence ainsi (avec la voix d’Yves Montand) :
Sommet de la Tour Eiffel.
Bruits de cloches et de sirènes.
« Est-ce la plus belle ville du monde ?
On voudrait la découvrir à l’aube sans la connaître, sans la doubler d’habitudes et de souvenirs.
On voudrait la deviner par les seuls moyens des détectives de roman, la longue vue et le microphone.
Rumeurs urbaines, voies radio.
Paris est cette ville où l’on voudrait arriver sans mémoire, où l’on voudrait revenir après un très long temps pour savoir si les serrures s’ouvrent toujours aux mêmes clés, s’il y a toujours ici le même dosage entre la lumière et la brume, entre l’aridité et la tendresse, s’il y a toujours une chouette qui chante au crépuscule, un chat qui vit dans une île, et si l’on nomme encore par leur nom d’allégorie le Val de Grâce…, la Porte Dorée…, le Point du Jour…
C’est le plus beau décor du monde. Devant lui, huit millions de Parisiens jouent la pièce ou la sifflent, et c’est eux seuls, en fin de compte, qui peuvent nous dire de quoi est fait Paris au mois de Mai ».
La façon très drôle dont Chris Marker quitte le lyrisme, après un très beau texte de Jean Giraudoux qu’il récite lui-même, pour tomber dans le cinéma-vérité est fabuleuse.
Photo de tournage
Et puis vient la seconde partie, plus grave mais avec de grands moments de « vérité » : Le retour de Fantômas.
Que vient faire Fantômas dans cette histoire, en dehors du fait qu’il introduit les fantômes dans le film ?
Rien. Et tout aussi. Fantômas est un fantôme et les fantômes sont présents sur la pellicule aux origines du cinéma. André Breton, Jean Cocteau, Max Jacob, les Frères Prévert, Claude Mauriac, bref, tous les artistes écrivains de la première moitié du XXe siècle ont été des admirateurs inconditionnels du personnage inventé par Feuillade. Chris Marker aussi.
Une longue ballade dans le Paris de 1962 se termine sur le texte suivant, dont l’édition est toujours à mettre au crédit de Guy Gauthier :
« Travelling rapide dans les rues.
Nous avons rencontré des hommes libres. Nous leur avons donné la plus grande place dans ce film, ceux qui sont capables d’interroger, de refuser, d’entreprendre, de réfléchir, ou simplement d’aimer. Ils n’étaient pas sans contradiction, ni même sans erreur, mais ils avançaient avec leurs erreurs, et la vérité n’est peut-être pas le but, elle est peut-être la route.
Mais nous en avons croisé d’autres, en grand nombre, sur lesquels le regard du prisonnier s’arrêterait, un peu incrédule, car chez ceux-là, la prison est à l’intérieur.
Succession de visages tristes, préoccupés.
Ces visages que nous croisons tous les jours, faut-il l’espace d’un écran pour qu’apparaisse ce qui sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué ? On a envie de les appeler , de leur dire : qu’est-ce qui ne va pas, visages ? Qu’est-ce qui vous fait peur, que nous ne voyons pas et que vous voyez, comme les chiens ?
Est-ce l’idée que vos plus nobles attitudes sont mortelles ? Les hommes se sont toujours su mortels, ils en ont même tirés des façons inédites de vivre et de chanter. Est-ce parce que la beauté est mortelle, et qu’aimer un être, c’est aimer le passage d’un être ?
Statues de parcs publics.
Les hommes ont inventé la naphtaline de la beauté. Cela s’appelle l’art. C’est quelquefois un peu hiératique dans ses formes, mais c’est quelquefois très beau.
Tableaux. A nouveau visages fermés.
Alors qu’est-ce que c’est ? Vous êtes à Paris, capitale d’un pays prospère, au milieu d’un monde qui guérit lentement de ses maladies héréditaires, qu’il prenait pour des bijoux de famille : la misère, la faim, la fatalité, la logique. Vous ouvrez peut-être le deuxième grand aiguillage de l’histoire humaine depuis la découverte du feu. Alors ? Avez-vous peur de Fantômas ? Est-ce, comme on le dit beaucoup, que vous pensez trop à vous ? Ou n’est-ce pas plutôt qu’à votre insu vous pensez trop aux autres ? Peut-être sentez-vous confusément que votre sort est lié à celui des autres, que le malheur et le bonheur sont deux sociétés secrètes, si secrètes que vous y êtes affiliés sans le savoir et que, sans l’entendre, vous abritez quelque part cette voix qui dit : tant que la misère existe, vous n’êtes pas riches…, tant que la détresse existe, vous n’êtes pas heureux…, tant que les prisons existent, vous n’êtes pas libres. »
La séquence des visages est filmée de façon extraordinaire. Il n’y a pas que le texte. Regardez autour de vous un matin, ayez l’âme poète et vous ferez du Marker. Cela m’a fait penser à un texte de Max Jacob, que Chris Marker connaissait sans doute bien :
"Quant-au véritable amour pour le genre humain, je ne le connais pas! J’ai pu m'amuser de l'espèce humaine, m'y intéresser, je ne crois pas encore avoir connu l'amour. Sinon un soir que je rentrais dans le métro: c'était peu après la seconde apparition et je me sentis comme au-dessus de la foule et disposé à compatir avec elle. Les figures de chacun m'apparurent dans leurs ressemblances telles qu'en elles-mêmes je sentais aussi les âmes. Moment unique, hélas! et que je n'ai pas su retrouver. L'amour doit être cela: mansuétude et clairvoyance».
Le Joli Mai reçoit le Goldene Taube à l'issue de la Semaine du Film Documentaire de Leipzig en 1963