Ce que j'en pense...Jordan White a écrit :Vous allez peut-être me prendre pour un fou, mais j'aimerais apporter quelques petites nuances sur Shoah de Lanzmann. Je ne conteste pas la nécessité d'un tel documentaire, d'autant plus quand il fait intervenir des survivants des camps qui s'expriment avec toute la bouleversante dignité qui les caractérisent. De même impossible de sortir d'un tel visionnage sans en avoir la gorge serrée. Mais Claude Lanzmann avait dit ou écrit, et là ma déontologie devrait me forcer à retranscrire avec fidélité ses propos, mais en susbtance c'était ceci : " J'ai fait Shoah pour les générations présentes et pour les générations futures, et au delà de Shoah il n'est plus besoin de faire ou de visionner d'autres films. C'est LE film sur la question."
C'est approximatif et vraiment je m'en excuse, mais cela m'avait frappé. Car, l'intérêt vis-à-vis d'un tel sujet et d'une telle question qui a rassemblé des milliers d'articles, de livres, de sujets, et beaucoup de documentaires et de films, est qu'elle mérite d'être posée non pas d'un seul point de vue et apportant donc une seule réponse, mais de points de vue très différents. On ne peut pas je pense ne regarder que Shoah. Il m'apparaît nécessaire d'y ajouter le visionnage de De Nuremberg à Nuremberg, Nuit et Brouillard, du Chagrin et de la Pitié et d'autres docus traitant de cette période 1940-1945.
C'est en mélangeant les points de vue, en confrontant les idées reçues, les idées fausses, le vrai du faux, la pertinence de tel ou tel docu, sa complémentarité par rapport à un autre que l'on parvient à avoir une source solide de confrontation à la question de la Shoah. Pour le coup, à mon avis, Claude Lanzmann alors qu'il signe un film objectif, manque d'objectivité quant à l'après "Shoah". Je ne sais ce qu'en pense Eusebio, prof d'histoire de son état.
D'abord une lecture indispensable (et pas chère), y compris pour les cinéphiles avertis que vous êtes :
Jean-François Forges, Éduquer contre Auschwitz. Histoire et mémoire, Pocket Agora, 3e édition, mars 2004
Il y a tout un chapitre sur Nuit et Brouillard, De Nuremberg à Nuremberg, La Liste de Schindler et Shoah.
Il pointe les problèmes que posent les deux premiers : fouillis chronologiques, erreurs nombreuses (9 millions de morts, alors qu'à l'époque on s'accordait déjà sur 6 millions de victimes juives et 550 à 650 000 autres victimes), images ajoutées ou reconstituées, censure, absences (une fois le mot "Juifs" dans Nuit et Brouillard), etc.
Deux exemples : les bulldozers poussant des cadavres sont américains (images de Bergen-Belsen), mais les commentaires dans les films ne le précisent pas, il faut le savoir ou le dire quand on le passe en classe / Les cadavres et les survivants squelettiques (Bergen-Belsen ou Dachau), ce sont les images tournées par les grands réalisateurs américains) : elles ne témoignent pas de la Shoah (l'extermination ne se faisait pas par privation de nourriture mais par gaz. Il y avait cependant dans les camps en temps "normal" des déportés dans cet état, qu'on appelait "les musulmans") mais de la famine dans les camps à une époque (fin de la guerre) où le Reich s'écroule et où le ravitaillement manque : cf. Hannah Arendt, Le système totalitaire, p. 294
Sur Shoah... C'est un document, mais c'est aussi du cinéma : la vieille loco à vapeur avait été louée par Lanzmann, le survivant coiffeur n'était pas coiffeur à l'époque du film, l'interview se fait dans un salon loué pour le film : on revit le passé (les témoins aussi) par la mise en scène, le cinéma. Lanzmann filme la réalité du désastre (par exemple les passages en Pologne montrent l'absence, la disparition des Juifs, dont les Polonais ont repris les maisons, et montrent le peu de solidarité des témoins polonais avec les victimes. Lanzmann est doux avec les victimes, impitoyables avec les autres (témoins, bourreaux). Il montre les survivants qui pleurent, les bourreaux sans remords, les témoins polonais faisant preuve de peu de compassion. Le film décrit (en mélangeant les points de vue) mais n'explique pas car pour Lanzmann la question du "pourquoi" est obscène : comprendre serait une manière d'approuver, et pour cet événement hors de la raison, n'aboutit qu'à des impasses. Un vrai problème pour les historiens et les profs d'Histoire...