It's a Free World... (Ken Loach, 2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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G.T.O
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Message par G.T.O »

Ed a écrit :Je sais que je vais pisser sur un violoniste, mais en quoi une saucisse en croûte a-t-elle a voir avec la dramaturgie ?
Quitte à demander aux autres d'expliquer ce qu'ils veulent dire, autant utiliser soi-même des images parlantes...
Ou peut-être était-ce juste pour faire une formule, un bon mot ayant autant d'esprit qu'une - essayons - salade niçoise...

Rentre chez toi et réflechis à ton avenir ! :mrgreen:

Joe Wilson a écrit :
Je détaille donc sur le final :
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Tout le faux suspense autour du sort du gamin, l'irruption des individus cagoulés...cela ressemble à un film policier bas de gamme et surtout ces élements n'apportent rien au récit.
Et je peux rajouter la scène précédente, lorsque Angie et son fils regardent un film ultra-violent. La caméra insiste, insiste encore sur les images de la télévision. Cette séquence me parait facile et sans nuances, assez indigne d'un Loach, plus que maladroite s'il s'agit de condamner l'éducation du gamin.
Je suis d'accord sur le deuxième point ( la TV). C'est la seule facilité du film; l'association trop évidente.
Quant au reste, je ne considère pas l'excursion hors des sentiers à priori balisés du film social comme une carence scénaristique, pire une coquetterie destiné à tenir en haleine le spectateur. J'y vois surtout un avertissement à l'adresse de Angie et du spectateur. Tout cela est bien sérieux: le drame n'est jamais très loin. Je ne crois pas que ce soit fantasque comme scène. Il ne faut quand même pas oublier que l'escroquerie concerne un certain nombres d'individus et que le montant est elevé. Par ailleurs, les mecs sont à cran puisque outre le fait qu'ils soient pour la plupart clandestins vivent dans une précarité absolue. A situation extrême, réponse extrême.
Joe Wilson a écrit : Le personnage manque de nuances à mon goût car Loach lui prête des traits trop contradictoires à force d'être brutalement affirmés. Et je vais revenir à la césure que j'ai ressenti entre vie familiale et vie sociale. Son côté manipulatrice et séductrice est ambigu et vite mis à l'écart. Sa relation à ses parents est elle-aussi expédiée.
Tu reproches au film sa sur-détermination, une surcharge dans la manière qu'a Loach de caractériser le personnage de Angie. En revanche, tu admets que ce même personnage est pourvu de traits contradictoires. Ce n'est pas un personnage aux déterminations réversibles comme on pourrait en trouver chez Verhoeven par ex. Au bout du compte, le portrait est plutôt complexe et fort. Là encore, je ne vois pas où est le problème. Il ne faut quand même pas oublier que le film s'apparente à une deuxième acte d'un drame. C'est à partir de ce premier acte effacé mais suggéré, que le spectateur doit spéculer sur les motivations implicites et les raisons qui amènent Angie à faire ce qu'elle fait.

Joe Wilson a écrit : Et tu parles de neutralité, c'est là que le bas blesse...Loach s'abrite derrière Angie, expédie ces actes et cède plusieurs fois à la facilité.
Cela n'a rien à voir avec un caractère sympathique ou recommandable...je ne vais pas au cinéma contempler des bénis oui-oui (et cette césure positif/négatif me parait toujours caricaturale).
C'est marrant comme tu parais faire une distinction entre le social et le familial. Distinction qui n'a pas lieu d'être dans le monde décloisonné que décrit Loach. Elle se comporte de la même manière en affaire qu'avec ses amis, sa famille ou ses partenaires sexuels. Elle a un problème de temps; d'où l'aspect relations de transit. Le hors-champ a toute son importance dans ce film.


Joe Wilson a écrit : Ce Loach me parait justement assez faible car il laisse l'individu de côté, et reste dans une démonstration généralisante et fragile. Tous les facteurs que tu évoques, on les connaît...et Loach, à force de tout superposer tous les soucis, en fait trop et son film reste à mes yeux une note d'intention.
Il ne les superpose pas mais au contraire les lie. Ces éléments ressortent en fonction de la nature de la situation ( le ptit copain, les problèmes du fiston, les parents, l'amie, les relations de travail...). Démonstration généralisante je ne penses pas. Loach fait quand même attention au passé et à la personnalité de Angie. Il ne généralise ni ne statue sur le libéralisme: il s'agit toujours d'un individu confronté à quelque chose. Sauf que ici, elle ne se comporte pas comme une militante de gauche mais adopte, par lacheté, par facilité, par opportunisme, parce qu'elle a commence à vieillir, qu'elle est frustrée de ce monde, un certain type de comportement disons immoral.
Joe Wilson
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Message par Joe Wilson »

Mais quand tu parles de comportement immoral, de vieillissement, tu sous-entends une évolution entre le début et la fin du film. Or je n'en vois absolument pas...elle tente de retrouver une fierté personnelle en créant sa propre boîte, point. Il ne s'agit pas de parler de bien ou de mal, mais elle n'a jamais eu vraiment conscience des gens qu'elle conseille puis maintient dans la précarité extrême. Elle fait son job, et donc profite et ose davantage lorsque la situation semble lui échapper.
Et donc le personnage reste illisible
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pourquoi Loach insiste sur l'attention d'Angie vis à vis de la famille iranienne, si ce n'est pour lui souligner un "bon fond"...et à ce titre lorsqu'elle appelle la police pour libérer la place on revoit la petite fille. Non, tout cela ne passe pas et me parait assez facile
Concernant le caractère, je vois toujours des contradictions entre un côté très consciente d'elle-même, manipulatrice, et un côté constamment dépassé par les évènements. Et j'ai l'impression que Loach privilégie une tendance quand cela l'arrange. En tout cas cela n'est pas passé pour moi, et j'ai trouvé le personnage comme l'interprétation trop artificiels.
Dernière modification par cinephage le 9 mars 08, 18:50, modifié 1 fois.
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G.T.O
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Message par G.T.O »

Joe Wilson a écrit :Mais quand tu parles de comportement immoral, de vieillissement, tu sous-entends une évolution entre le début et la fin du film. Or je n'en vois absolument pas...

C'est là que l'on diffère.
Lorsque je dis qu'elle a un comportement disons immoral, je n'inclus pas forcément l'idée d'évolution morale, de traversée d'un côté à l'autre: elle n'est pas morale au départ puis ensuite immorale. Loin d'en faire une sainte, Loach indique toutefois qu'elle hésite avant d'être dans l'illégalité. Plusieurs fois. Sans doute pas pour les meilleurs raisons du monde ( d'ailleurs dans l'absolu, on ne sait pas) mais au départ, lorsque l'occasion se présente, elle refuse. On est je trouve assez éloignée du portrait univoque, de la "salope" de service. ( ex: la conversation avec son amant polonais)
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Message par Alligator »

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Hé bé... anti-didactique? C'est dingue ce que ce film m'est passé au dessus de la tête ou du coeur allez savoir. Quoiqu'il en soit je suis complètement à l'opposé de l'avis général et aussi rejoindrais-je pluôt Joe Wilson sur la "mécanique dramatique" pas trop sur l'idée d'alambiquée ou tortueuse" mais sur celle de manipulation et de manque de nuances.

Mon premier Loach et je suis plutôt déçu. Pas convaincu. A force de vouloir me faire la leçon, j'ai été irrité par la démonstration didactique. "Je vais vous montrer comment le profit éteint la lumière chez un personnage au départ tout à fait humain, comment le système économique et social déshumanise". Bon, a priori ce n'est pas une ambition détestable, non, mais le fait que cela soit la seule ambition affichée (c'est un sentiment tout personnel, d'autres ambitions ont pu m'échapper) m'ennuie. Le trait était trop gros en quelque sorte.

Ce n'est qu'à la moitié du film que j'ai pris en grippe Ange le principal personnage ou plutôt l'exploitation qu'en fait le cinéaste. Je n'ai pas cru à l'évolution du personnage. Faisant preuve d'une certaine humanité, elle plonge très vite dans le monde obscur des profiteurs, laissant de côté toute compassion et sensibilité pour devenir ce qu'elle parait honnir dans le premier temps. Ce bouleversement se traduit de manière beaucoup trop brutale pour moi. Je ne dis pas que ce cynisme n'existe pas, loin de là, bien au contraire, cependant j'ai du mal à croire qu'un personnage aussi humain puisse aller aussi loin dans l'abject, aussi rapidement, sans l'ombre d'une hésitation malgré les conséquences périlleuses que cela représente pour elle et sa famille. Il faut un terreau propice que ce personnage ne présente pas au départ. Il faut déjà être cassé, avoir une coulisse de cynisme en quelque sorte.

J'ai suivi avec peu d'intérêt finalement la première moitié de film somme toute assez ordinaire, qui nous montre comment cette femme se débrouille avec dynamisme et courage pour contrer le pervers marché du travail. Une présentation ordinaire, mais je ne lui en aurais pas fait le procès si cela avait abouti à quelque chose de plus subtil.
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Et j'ai pris un petit uppercut quand on découvre que les deux demoiselles avaient de quoi payer les ouvriers puis suis sorti complètement du film quand Ange téléphone à l'immigration. C'en était trop, perte de crédibilité totale. Je n'y ai pas cru et ne trouvais plus moyen de m'attacher au récit, ni au devenir des personnages. J'avais la désagréable impression de suivre un cours sur la dégringolade morale d'un personnage perverti par la soif d'argent à tout prix, sur l'hypocrisie du système et l'emprisonnement de tous ses éléments, oppresseurs, opprimés.

Pour avoir une bouffée d'émotion réelle, il me faudra attendre la toute fin, les derniers plans sur une ukrainienne, son sourire nourri d'espoir et de candeur, future victime, donnant les euros pour son malheur à venir, découvrant son cou pour la guillotine à l'arc-en-ciel. Ce sourire et la délicatesse timide de ses gestes, avec en contre-point le regard noir d'Ange, délabrée par le démon de l'argent sont éprouvants. D'une tristesse profonde. Malheureusement, ce petit instant ne survit pas à la lourde artillerie, la caricature que le scénario impose tout le long du film.
Dernière modification par cinephage le 9 mars 08, 18:50, modifié 1 fois.
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MJ
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Re:

Message par MJ »

Profondo Rosso a écrit :Hormis un rebondissement thriller pas bien convaincant sur la fin encore un très grand Ken Loach. 5/6
Joe Wilson a écrit :
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Tout le faux suspense autour du sort du gamin, l'irruption des individus cagoulés...cela ressemble à un film policier bas de gamme et surtout ces élements n'apportent rien au récit. [/spoiler
Ce que je trouve très malin de la part de Loach, c'est cette manière de créer un suspense (qui appelle donc à une résolution claire) pour ensuite laisser sa fin totalement ouverte. Cela rajoute à cette sensation d'engrenage, dont on ne sort que difficilement quand on y a mis pied (on est pas loin du déterminisme, nié toutefois par la prise de conscience de la colocataire d'Angie).
C'est vrai qu'anti-didactique le film ne l'est pas tout à fait. Toutes les scènes dialoguées fonctionnent sur une opposition claire d'opinion où un personnage est dans le tort - la marque de fabrique de Loach. Mais ce qui lui évite le manichéisme c'est la situation changeante, fuyante comme la réalité, de ses protagonistes qui passent constamment d'un statut à l'autre, se situent à la limite avant d'y basculer. -Je trouve la manière d'égratigner la "compassion" d'Andie quand même assez osée.- Une charge politique très forte, mais juste et soutenue par un humour noir inattendu, très sec... à l'image du film.

Kierston Wareing est sublime, la plus grande révélation depuis Verhoeven et sa Carice Van Houten.
J'ai aimé, quoi.
Dernière modification par MJ le 9 mars 08, 18:19, modifié 2 fois.
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Re: It's a Free World... (Ken Loach, 2008)

Message par pak »

Je réponds tardivement, mais en même temps, mieux vaut tard que jamais, hein, sacré Ken Loach qui inlassablement remue la fange de nos sociétés ! Jamais meilleur que lorsqu'il raconte son Angleterre contemporaine. Donc ici nous est donné de constater (si on ne le savait déjà), que tant qu'il y aura des salopards pour exploiter la misère, alors la misère ne pourra pas disparaitre, ou du moins diminuer... Et ces salopards ne sont pas forcément des costards cravates millionnaires dont le nombril est plus en avant que le nez. Ils peuvent aussi être près de chez vous, avoir un joli sourire, une paire de seins et des mèches blondes. Alors on peut se voiler la face et utiliser sa condition sociale (mère célibataire virée de son emploi) pour justifier ses actes, il y a des limites morales qui, une fois franchies et piétinées, nous définissent comme des raclures de l'humanité. La seule différence entre Angie (excellente Kierston Wareing) et les costards cravates millionnaires, c'est que la proximité d'Angie avec ses exploités l'expose à des représailles, alors que les autres s'en tirent généralement au détriment des salariés avec en plus au pire des indemnités de licenciement exorbitantes. Et n'oublions pas que l'exploitation du salarié au moindre coût est de mise en Angleterre et aux USA, et est en passe de le devenir en France.
Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Message par Jihl »

Profondo Rosso a écrit :Après avoir tant de fois adopté le point de vue des opprimés Ken Loach se place maintenant de celui des oppresseurs, sans manicheisme et avec la justesse qui lui est coutumière (après tout l'héroïne de "Ladybird était loin d'être irréprochable). Angie le personnage principal est ainsi tour à tour attachant par sa volonté, sa rage de réussir et ses bonnes intentions puis vraiment detestable lorsqu'elle cède au plus bas instinct libéraliste qu'elle dénonçait une fois installée. Kierston Wareing est une vraie révélation, très grande interprétation d'un personnage particulièrement ambigu. Un aperçu glaçant également de la situation des immigrés clandestins en Angleterre qui semble encore plus sinistre que celle pourtant pas bien réjouissante des même en France. Hormis un rebondissement thriller pas bien convaincant sur la fin encore un très grand Ken Loach. 5/6
D'accord avec tout ça. C'est un film de moraliste qui pose de bonnes questions comme souvent chez Loach. J'aime aussi beaucoup. 7/10
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