Thaddeus a écrit :
(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Qui a peur de Virginia Woolf ?
Par son humour noir tordu, ses personnages si déchaînés et aberrants qu’ils ne sont pas loin d’apparaître comme des malades mentaux, ses altercations furieuses et ordurières qui semblent sculptées dans la pierre, le film est presque une comédie grotesque. Les jeux qu’il met en scène portent le nom de mariage moderne ; ils ont mené à la création d’un enfant imaginaire, une sorte d’"imitation of life" académique. Nichols ne cherche pas atténuer l’impression théâtrale mais l’amplifie au contraire pour accoucher de la plus grande scène de ménage de l’histoire du cinéma, un affrontement tonitruant aux allures de psychothérapie conjugale de choc. Le confinement de l’action, son mauvais goût délibéré et les prestations paroxystiques de ses deux stars en font une expérience assez saisissante. 5/6
Top 10 Année 1966
Le lauréat
Un an plus tard, Nichols impose encore son talent de portraitiste avec cette œuvre importante sur le conflit de générations d’une décennie marquée par la contestation politique, qui trouve en Benjamin (Dustin Hoffman dans un de ses meilleurs rôles) un vecteur attachant, à la fois drôle et touchant. Fixant avec humour, finesse et sensibilité les changements peu apparents dans son parcours initiatique, son apprentissage d’étudiant maladroit qui devient un jeune homme sûr de lui, il suggère la conquête d’une maturation vécue comme une découverte progressive de ses sentiments et de ses désirs. Ce faisant, il dresse avec un œil incisif et iconoclaste la peinture haute en couleurs d’un milieu décadent. Aujourd’hui encore, le film séduit pat sa légèreté, son ironie subtilement offensive. 4/6
Ce plaisir qu’on dit charnel
Radiographie du mâle américain, disséqué dans ses raisonnements, ses complaisances et son désir tôt affirmé de rationalité et de rendement, sur vingt ans d’après-guerre. Si l’accusation de vulgarité à son égard n’est pas illégitime, il faut convenir qu’elle est de toute évidence fort calculée, et que la pachydermie en sudation de ce grand déballage grivois correspond parfaitement à l’objet choisi. D’où une réussite à peu près totale sur le sujet number one : le sexe, ses problèmes, dérobades et triomphes. Optant pour un ton satirique d’une grande cruauté, servi par d’excellents comédiens (mention à Ann-Margret, très en forme-s), le cinéaste suscite une amertume de plus en plus prononcée à mesure qu’il dévoile, par-delà l’acide décapant de l’humour, le désarroi d’un pays qui n’en finit pas de s’autocritiquer. 5/6
La bonne fortune
L’humour bête et méchant recherché par cette farce rétro tient aux gaffes à répétition de deux escrocs voués aux projets les plus calamiteux, liés par le seul appât du gain, s’avérant moins épris de l’héroïne que de son héritage et finissant par se liguer pour hâter le cours du destin. On connaît le goût de Nichols pour les vociférations et les empoignades conjugales : ici des séquences entières sont dilatées pour le seul profit d’une plaisanterie graveleuse. Et il faut attendre la deuxième partie du récit pour que la comédie labellisée aux images, aux musiques et aux mœurs paradoxales des roaring twenties devienne amusante, pour que les mésaventures ubuesques de Warren Beatty et Jack Nicholson (qui s’en donnent à cœur joie dans un tandem à la Laurel et Hardy) suscitent enfin un franc sourire. 3/6
Wolf
Le vieux mythe du loup-garou revisité par le biais d’une lecture critique du monde implacable de l’entreprise contemporaine : pour illustrer le précepte maintes fois vérifié que l’homme est un loup pour l’homme, le cinéaste pimente de fantastique lycanthropique les conflits professionnels et sentimentaux d’un éditeur d’âge mûr et de son jeune rival dont les canines, au propre et au figuré, ne vont pas tarder à rayer le plancher. En filant ainsi la métaphore de l’animalité féroce et de la concurrence, Nichols apporte une petite plus-value à un thriller surnaturel mené sans génie, pas déplaisant mais franchement anecdotique. Reste le magnétisme naturel de la Bête Jack Nicholson, né pour ce genre de rôle, et le charme de la Belle Michelle Pfeiffer : les deux meilleurs atouts du film. 4/6
Closer
Quarante ans après Qui a peur de Virgina Woolf ?, autre huis clos à quatre, Nichols adapte une pièce de théâtre où le plaisir du sexe masque mal la panique devant le sentiment. Ses personnages enfantins, qui s’amusent à changer de rôle ou d’identité, sont aussi des êtres cruels cessant d’aimer aussi brutalement qu’ils avaient voulu séduire. Sur le sujet éternel de l’incommunicabilité et de la manipulation sentimentale, c’est un film assez noir et faussement corrosif qui se repose essentiellement sur un quatuor d’acteurs irréprochables. La relative crudité du ton et des dialogues (notamment dans une scène de rupture sadomaso à l’étonnante perversité verbale), la crudité des relations dépeintes et la mélancolie feutrée du discours confèrent une certaine tenue à l’ensemble. 4/6
La guerre selon Charlie Wilson
Comédie sarcastique sur les dessous de la guerre en Afghanistan, qui se livre à une satire gentiment corrosive sur les coulisses du pouvoir. Au programme : un peu de scandale sexuel, des intérêts divergents, du lobbying et des politiciens puérils qui s’amusent à jongler avec les millions de dollars pour satisfaire leurs lubies. Nichols trouve un ton plutôt original où des personnages un peu louches, parfois antipathiques, s’agitent pour sauver un pays, et où des discussions de couloir péripapéticiennes et des réunions au sommet de la CIA virent au Feydeau avec portes qui claquent et espion planqué. Le dilettantisme détaché de l’entreprise en font une œuvre parfaitement sans conséquence, mais dont l’humilité incite à la clémence. Mention à Philip Seymour Hoffman, savoureux. 3/6
Mon top :
1. Qui a peur de Virginia Woolf ? (1966)
2. Ce plaisir qu’on dit charnel (1971)
3. Le lauréat (1967)
4. Closer (2004)
5. Wolf (1994)
Trois films remarquables puis quatre franchement mineurs : difficile pour moi de juger de façon crédible ce cinéaste de toute manière assez insaisissable, que je n’aime que ponctuellement.
Dur de voir Le Lauréat classé derrière Ce plaisir qu’on dit charnel !
L'une des plus grandes comédies dramatiques - romantiques tandis que Ce plaisir est un sommet de bavardage parfois intelligent mais souvent ennuyeux en dépit de bons passages (et d'Anne Margret).
Sinon ... Virginia Wolf est un tres grand film et une prestation d'acteurs hallucinante, Wolf un gros plaisir coupable pour ma part et La bonne fortune l'un des plus grands gâchis de l'histoire (avec Ishtar).
J'aime aussi Closer et La guerre selon Charlie Wilson.