Scanners (David Cronenberg - 1981)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Anorya
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Scanners (David Cronenberg - 1981)

Message par Anorya »

Avant toutes choses, je précise que ce post contient de nombreux spoilers que je ne pouvais pas toujours cacher sous peine de mettre l'intégralité de ce topic sous spoiler donc..... :o

Ensuite cadeau bonux spéciale intéraction, je vous offre le thème final de Scanners (le duel et générique de fin) à télécharger et écouter en même temps que vous lisez la chro (ça n'en sera que meilleur) ! :wink: :D

Enfin je précise que cette chronique est assez subjective... ;)

On y va ?


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Qu’est ce qu’un télépathe ? Qu’est-ce que la télépathie ?
Un télépathe, semble nous dire Cronenberg, c’est, un être qui non seulement peut entendre les pensées des autres mais aussi en retour donner ses pensées, les imposer. Entendre les « volontés » des autres mais aussi pouvoir donner les siennes, les faire sienne à l’autre. Chez le cinéaste canadien, la pensée devient ainsi, plus qu’un pouvoir, un outil supplémentaire à l’homme. Il avait ses bras, sa logique, ses sens, désormais chez les Scanners, c’est la pensée qui fait Loi et devient ainsi une arme non seulement chez les Scanners mais aussi le restant de l’humanité.

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Attention chérie, ça va couper...

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Spoiler (cliquez pour afficher)
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Allo chéri ? ça a coupé...
Car le cinéaste évite tout manichéïsme. Foin de méchant télépathe et gentil humain : il y a des dissentions et désaccords même chez les Scanners : entre ceux qui se mettent sous couvert de la « protection » de Darryl Revok sous peine de mort (une protection presque maffieuse. Revok en récupérant Vale ne fait que ça : « agrandir la famille ». On est loin d’A History of Violence et pourtant…), les autres qui résistent (Kim Obriest et ses amis) et ceux qui se réfugient dans une certaine neutralité (Benjamin Pierce, solitaire avouant : « j’ai des amis…Mais je n’en veux pas. »), le cinéaste décrit au mieux des points de vue largement plus intéressants que dans un simple film Hollywoodien.

Le héros lui-même est un Scanners indécis qui ne provoque pas forcément l’empathie du spectateur : bien sûr on peut gagner fait et cause pour sa quête mais on sent que le cinéaste ne nous livre pas tout dès le départ (bien sûr le tournage chaotique et les deux morts ont forcés le cinéaste a écrire et tourner au jour le jour mais le film y gagne une cohérence et en sort finalement grandi). Vale nous reste froid et mystérieux mais finalement n’a rien à envier des autres personnages de l’univers du cinéaste, comme eux c’est un marginal, un solitaire.

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L'art comme refuge...

Car tous les personnages chez Cronenberg sont seuls bien souvent malgré eux, qu’ils soient artistes (eXistenZ avec Allegra Geller qui tout comme le Benjamin Pierce de Scanners s’isole complètement dans la création ou bien William Lee qui « s’exile » en Interzone puis en Annexie), scientifiques ou médecins (Faux-semblants, La mouche), voire simples personnages dont la vie bascule d’un moment à l’autre (Dead Zone, A history of violence, Vidéodrome…). Le personnage Cronenbergien ne peut qu’être face à lui-même, sa plus grande peur au fond, car en lui-même il porte le vide et la mort, inévitable quand celle-ci n’est pas finalement le signe d’un renouveau (Vidéodrome) ou d’un dépassement de soi (Scanners et son final hallucinant qui évoque presque d’une certaine manière la téléportation bien avant La mouche, sauf qu’ici ce n’est pas dans un lieu… ou bien les frères Mantle de Faux semblants qui trouvent dans la mort pourtant une certaine immortalité chez le spectateur : leur « pietà » formée est aussi émouvante que celles de notre passé historique et il n’y a finalement que dans la mort qu’il retrouvent ce lien coupé entre eux).

Pourtant malgré sa solitude, le personnage Cronenbergien ne veut qu’une chose : entrer dans le groupe, la famille, vivre auprès de ses congénères. Un bonheur qui lui est souvent refusé ou imposé, forcé, quand il n’est pas brutalement interrompu. La petite Christie de The Brood n’avait pas demandée a entrer dans « la ruche » de sa mère pour être assimilée aux côtés de congénères peu humains pas plus que le dernier personnage pas encore contaminé de Frissons à la fin du film (scène de la piscine), quand a Tom Stall, il n’avait pas prévu que sa chère « famille » de la côte ouest remonterait jusqu’à lui pour le faire réintégrer de force le giron familial et meurtrier. Scanners n’échappe pas à cette donnée pendant une des scènes les plus significatives du film : Ayant rejoint le groupe de Kim Obrist, il sera convié a une certaine réunion de fusion des esprits en une seule pensée unique, comme pour créer déjà une autre chair par la fusion de la pensée, ne restera plus qu’alors a lui trouver un corps autre, au delà du physique (ce sera Vidéodrome si l’on veut…). Hélas ce bonheur sera brutalement stoppé…

Une seconde tentative de fusion forcée aura lieu vers la fin dans l’affrontement de Cameron contre Revok son frère (l’affrontement avec le frère…On retrouve ça dans A history of violence, tiens…). Là aussi la même idée de réintégrer la famille à défaut d’un groupe donné et là aussi une sorte de refus, comme si la famille signifiait la mort en elle-même (comme pour A history…Faux-semblants…).

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Le refuge dans le groupe et la punition qui s'ensuit.

Finalement le film s’inscrit très bien dans la filmographie du maître et amorce remarquablement bien le virage de Vidéodrome, 2 ans plus tard. La toute puissance de la pensée préparera à la nouvelle chair, pas forcément visible, qui évolue en dehors de l’image. Avant ça, The Brood et Rage évoquaient des transformations, des chairs nouvelles provoquées par l’homme et sa médecine (les greffes expérimentales de peau dans Rage, la « nouvelle médecine » dans The Brood) et Scanners n’y échappe pas. C’est un médicament donné aux femmes enceintes, l’éphémérol qui est à la base la cause de la naissance des Scanners. Cronenberg s’inspire là directement des ravages de la Thalidomide, ce médicament donné aux femmes enceintes entre les années 50 et 60 qui provoqua de graves malformations sur les fœtus et nouveaux nés (pas la peine que je mette de photos, on peut en trouver sur le net, c’est assez éloquent et impressionnant pas moments)…

On retrouve aussi le thème de la conspiration chère a l’auteur, que ce soit la mainmise et la concurrence de ces groupes pharmaceutiques industriels cités dans le film que plus tard une certaine Spectacular Optical ou une secte de Réalistes.

Et puis si on ajoute que le film est doté d’une certaine énergie folle, qu’il regorge d’idées a pratiquement chaque plan (la scène de la tête qui…, quand le cinéaste filme au ras du métro, la scène de scannage de l’ordinateur –brillante idée d’introduire au système informatique une certaine analogie avec le système humain-- , la poursuite de voitures et la fusillade incroyable qui s’y déroule, le sens caché du nom de Revok qui déroulé à l'envers donne "cover" comme la couverture que prend le personnage pour vendre de l'éphémérol ou bien l'idée de couvrir une autre âme --référence a la fin là aussi--…) , qu’Howard Shore y délivre une formidable partition où l’organique se mélange au mécanique et vous obtenez une petite perle formidable et un Cronenberg très sous-estimé qui gagne largement à être revu.

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Cette scène étrange où Revok maîtrise des soldat semble sûrement une scène coupée ultra rare. Quid d'une édition dvd digne de ce nom un jour ?

Quid des suites (car il y a eu des suites) ? Pendant longtemps j’ai voulu les voir par curiosité mais après être tombé sur certaines reviews (vous aurez besoin du Colqhoun-traducteur ©) dont le lien que je donne, j’aurais tendance à penser qu’on peut franchement les oublier…

5/6
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Lord Henry
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Message par Lord Henry »

Patrick McGoohan rules.
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Anorya
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Message par Anorya »

J'avais pourtant précisé 80 pile pour dire que justement, fallait pas nécessairement le mettre en naphtas. Ben rapé. :| :?

Sinon oui le numéro 6 y est formidable en Dr Ruth. :mrgreen:
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julien
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Message par julien »

Chouettes photos. Ca rappelle la bonne vieille époque de Mad Movies.
Anorya a écrit :Howard Shore y délivre une formidable partition où l’organique se mélange au mécanique
Pas mal c'est vrai. Les sonorités électroniques sont efficaces. Mais je trouve qu'il fera encore mieux sur Videodrome.
Anorya
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Message par Anorya »

Je peut pas vraiment juger sur le coup même si j'ai récupéré l'ost de Vidéodrome dernièrement et je lui ai trouvé plusieurs défauts...

D'abord elle est trop courte : seulement 7 pistes et une légère impression de foutage de gueule accentuée par le fait que la première piste ("welcome to videodrome") est assez limite : sonorité et brouillages de voix pas du tout entendues dans le film avant de passer sur le thème principal. Je comprend qu'il y ait la thématique du signal vidéodrome qui puisse même brouiller la bande son, n'empêche c'est pas une raison d'infliger ça au spectateur... :|

Après peut-être y a t'il plusieurs version et j'ai la mauvaise..?

(Edit : Non c'est la seule version. Et me...)

Sinon du point de vue du travail effectué, je suis d'accord, ça surpasse Scanners (le son y est plus net aussi et moins etouffé !) : plus froid, plus métallique, plus "inhumain" presque, à l'image du film même si je préfère l'ost de Scanners qui a des thèmes plus "forts", dans le sens, plus impressionnants, plus "rythmés" on va dire, qui reviennent plus souvent en tête. Encore que c'est très subjectif tout ça... :?
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julien
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Message par julien »

Anorya a écrit :légère impression de foutage de gueule accentuée par le fait que la première piste ("welcome to videodrome") est assez limite : sonorité et brouillages de voix pas du tout entendues dans le film avant de passer sur le thème principal.
Et je trouve ce passage vraiment formidable. :D J'adore ce type de bidouillage et je trouve que c'est assez bien fait. Les nappes de synthés font un peu penser aussi à ce que fait Brian Eno. D'autant que le son n'a pas trop mal vieillit contrairement à Scanners que je trouve un peu plus daté. Mais j'aime beaucoup Scanners aussi. La piste 2 par exemple est grandiose. Celle qu'il y a sur ce cd :

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Anorya a écrit :Encore que c'est très subjectif tout ça...
Oui je comprends ce que tu veux dire. Scanners ça ressemble encore à de la musique tandis que Videodrome c'est nettement plus barré ! Les thèmes pour cordes sont aussi beacoup plus dissonnants. "Anti-mélodiques", un peu dans l'esprit d'Altered State de John Corigliano. On sent réellement que Shore a assayé de faire quelque chose de vraiment singulier, qui ne ressemble pas à grand chose de connu.

Ici, tu peux lire un dossier assez sympa sur les musiques d'Howard Shore dans les films de Cronenberg. C'est une association lyonnaise qui fait ça. Ce sont de vrais passionnés :

http://pagesperso-orange.fr/thegoldenag ... page03.htm

Sur ce site, tu peux lire aussi la critique de Scanners. (Un autre allumé lui aussi) :

http://goldenscore.free.fr/revue.php?nu ... &numSite=5
Anorya
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Message par Anorya »

Ah, je n'ai pas cette version mais une qui n'est pas répertoriée par le site...

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Avec 28 pistes hein. :mrgreen:
Après je vois les titres, il y a des modifications ou coupes... La première piste, le main title ne fait qu'une minute 30 là où moi ça fait plus de 5 mn et que ça comprend en fait deux titres en un : "main title" + "a public scanning". Et il y a des titres que je vois et que je n'ai pas dans ma tracklist tel "a dart". Alors soit je n'ai pas la version complète (même si ça s'en rapproche pas mal) soit tu bénéficie de pistes inédites remixées/remastérisées pour cette compile...(et ma version, tu peut l'avoir facilement sur internet au fait... ;) )

Pour Vidéodrome oui, tu as mieux résumé ce que je voulais dire. Je n'ai retrouvé cette impression avec Shore que sur la bande originale de Crash dont le thème principal m'avait plutôt bien impressionné à l'époque...

Merci pour les liens sinon, ça me fait de la lecture pour ce soir :mrgreen: ;)
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julien
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Message par julien »

Anorya a écrit :Ah, je n'ai pas cette version mais une qui n'est pas répertoriée par le site...
Intéressant . Je ne savais même pas que ça existait. :D
C'est une édition officielle ?
Sinon je suis d'accord avec toi, Crash est une des musiques les plus créatives du compositeur. Dommage que son style se soit maintenant considérablement émoussé. The Lord of the Rings. Ah ! quel navet :D
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Flol
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Message par Flol »

julien a écrit :
Anorya a écrit :Ah, je n'ai pas cette version mais une qui n'est pas répertoriée par le site...
Intéressant . Je ne savais même pas que ça existait. :D
C'est une édition officielle ?
Sinon je suis d'accord avec toi, Crash est une des musiques les plus créatives du compositeur. Dommage que son style se soit maintenant considérablement émoussé. The Lord of the Rings. Ah ! quel navet :D
En même temps, une composition expérimentale et conceptuelle aurait été un peu hors-sujet sur les images de Peter Jackson, je trouve...
Pour moi, Shore a toujours su parfaitement épouser le point de vue du réalisateur et les images que celui-ci met en scène. Et c'est précisément ce que l'on demande et attend d'un compositeur de musiques de films.
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Message par julien »

Ratatouille a écrit :En même temps, une composition expérimentale et conceptuelle aurait été un peu hors-sujet sur les images de Peter Jackson, je trouve...
C'est clair :D

Néanmoins, on peut aussi essayer de trouver un juste équilibre entre une musique qui soit à la fois inventive et accessible. Ce qu'avait fait Trevor Jones sur Excalibur par exemple c'était pas mal. Mais bon, c'est certain que Peter Jackson n'a pas la même sensibilité musicale que Boorman.
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Message par Anorya »

julien a écrit :
Ratatouille a écrit :En même temps, une composition expérimentale et conceptuelle aurait été un peu hors-sujet sur les images de Peter Jackson, je trouve...
C'est clair :D

Néanmoins, on peut aussi essayer de trouver un juste équilibre entre une musique qui soit à la fois inventive et accessible. Ce qu'avait fait Trevor Jones sur Excalibur par exemple c'était pas mal. Mais bon, c'est certain que Peter Jackson n'a pas la même sensibilité musicale que Boorman.
Ou Goldsmith sur Alien. :o
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Message par Watkinssien »

julien a écrit :
Anorya a écrit :Ah, je n'ai pas cette version mais une qui n'est pas répertoriée par le site...
Intéressant . Je ne savais même pas que ça existait. :D
C'est une édition officielle ?
Sinon je suis d'accord avec toi, Crash est une des musiques les plus créatives du compositeur. Dommage que son style se soit maintenant considérablement émoussé. The Lord of the Rings. Ah ! quel navet :D
Décidément, je trouve la musique de Shore sur la trilogie de Jackson, particulièrement majestueuse !
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Message par julien »

Watkinssien a écrit :Décidément, je trouve la musique de Shore sur la trilogie de Jackson, particulièrement majestueuse !
C'est parce que toi Watkinssien tu es un optimiste invétéré. :D Shore il a vraiment perdu là une occasion de frapper un grand coup. Il aurait pu faire quelque chose de vraiment formidable, en utilisant par exemple un jeu de percussions archaïques, des sonorités électroniques dissonnantes ou encore des instruments ethniques médiévaux pour caractériser les différentes communautés... Au lieu de cela il a fait un truc absolument pompier dans le style néo-romantique. Bon vous me direz que le studio n'aurait jamais accepté un truc pareil. Mais au moins on aurait rigolé. :D

C'est marrant on ne parle plus du tout de Scanners. :D
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Message par Anorya »

julien a écrit :
C'est marrant on ne parle plus du tout de Scanners. :D
C'est plutôt dommage, oui. :cry: :mrgreen:


Sinon Julien merci pour le disque, je me réecoute constamment "the brood". ça a des airs de "Psychose" c'est incroyable. Dommage qu'il n'y ait pas de disque de cette bande originale, c'est pas mal du tout... :wink:
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julien
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Message par julien »

Anorya a écrit :Sinon Julien merci pour le disque, je me réecoute constamment "the brood". ça a des airs de "Psychose" c'est incroyable. Dommage qu'il n'y ait pas de disque de cette bande originale, c'est pas mal du tout... :wink:
Oui je crois que c'était une tonalité que recherchait Cronenberg. Un style trés dépouillé, froid qui crée le malaise. Ca fait aussi penser aux quatuors de Bartók . (Je crois d'ailleurs que c'était l'une des références d'Herrmann sur Psycho). J'aime bien ce qu'il a fait moi aussi.

Sinon, il me semble que dans le film il n'y a pas beaucoup de musique. A mon avis l'essentiel de la musique est dans ce disque.
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