jacques 2 a écrit :Le fait que tu aies pris la peine de répondre longuement (Phnom Penh a fait de même et je l'en remercie également) à un message volontairement provocateur de ma part
Je t'assure que je ne l'ai absolument pas pris comme tel, notamment parce que, dans ce que je lis de toi ici (de ce que je peux en voir en tout cas, et je peux ne pas tout voir : je ne lis pas systématiquement tous les topics), je ne me souviens pas avoir perçu tant que ça de la provocation (et encore moins de l'intolérance, en tout cas)... C'est d'ailleurs ce que j'expliquais plus haut à yaplusdsaisons, qui me demandait (par un lapidaire "source ?", d'ailleurs...) sur quoi je me basais pour dire que je trouve généralement tes interventions ici modérées et faisant montre d'ouverture d'esprit (il avait l'air d'en douter !).
Quoi qu'il en soit, provocation ou pas de ta part, j'y ai surtout vu le reflet de ce que beaucoup de gens pensent généralement des Straub (qu'ils aient vu ou pas leurs films, d'ailleurs) : je reconnais le premier que, lorsqu'on écoute parler les Straub, c'est souvent particulièrement... comment dirais-je ?... "vivant" !
Ils ont l'air toujours en colère contre à peu près tout. Alors, bien sûr, il y en a que ça peut faire rire (comme moi, dans le fond), mais il y en a beaucoup, aussi, que ça irrite, et qui y voient une insupportable pose, voire une imposture. Je dirais simplement que le fait de voir quelques uns de leurs films (même les courts, d'ailleurs : ça marche aussi !) règle vite la question en remettant pas mal de choses en place : on peut ne pas adhérer (c'est, bien sûr, toujours possible), mais on peut difficilement ne pas voir le travail qu'il y a derrière, le sérieux (dans le sens "prise au sérieux du cinéma en tant qu'artisanat"), la rigueur, la beauté des images et même... (allez : j'ose !)... la poésie !
jacques 2 a écrit :Peuvent ils vraiment, sérieusement considérer que leur cinéma est populaire
Un cinéaste (quel qu'il soit) qui ferait des films pour d'autres raisons que le fait que son travail soit vu par le "peuple" (à qui l'oeuvre est, par définition, destinée) doit chercher très vite un autre boulot... Les Straub ne faillissent pas à cette règle : bien sûr que leur cinéma a vocation à être vu par le plus grand nombre (en d'autres termes : à être "populaire", donc). Pour t'en convaincre, plus que leurs films, je te conseille de voir l'excellent documentaire que Pedro Costa a réalisé sur eux (dans la collection "Cinéastes de notre temps") : on y voit les Straub au travail, et je prétends que c'est tout bonnement hallucinant. Il faut voir avec quelle concentration (on peut même parler d'obsession, je pense, à ce niveau-là) ils remettent, sur leur métier, cent fois l'ouvrage ! Et quand on voit ça, en aucun cas on ne peut penser que ces deux-là pratiquent la masturbation intellectuelle... Ils sont dans la vérité, dans la nécessité absolue d'être honnête, toujours, quoi qu'il arrive, dans le souci impérieux de ne surtout pas mentir (mentir à qui, d'ailleurs ? Je te le demande, hein ?... au public, bien sûr !
). Le cinéma, aux mains de ces honnêtes artisans, apparaît comme un enjeu vital (leur existence semble vraiment dépendre de cet "insignifiant" petit raccord qu'il s'agit de ne pas louper !)... Il faut vraiment le voir pour le croire.
jacques 2 a écrit :ou estiment ils qu'il le serait dans un monde parfait c'est à dire débarrassé des lois du commerce et dans lequel chacun pourrait admirer, sans arrière pensées, une belle oeuvre littéraire, musicale ou picturale (puisque cela semble être le sujet de leurs films, si j'ai bien compris du moins) ? Bref, en disant cela, ne sont ils pas déjà dans une forme d'utopie qui les met dès le départ un peu sur la touche ?
En forme de clin d'oeil à un autre topic sur lequel on s'est croisé... Ne penses-tu pas qu'un album comme
Hounds Of Love est, quelque part, la preuve qu'on peut toucher le plus grand nombre sans rien abdiquer de sa créativité ? Ce n'est donc pas utopique, si Kate Bush l'a fait !
Mais bon : quand bien même les Straub seraient dans l'utopie (ce que je ne crois pas forcément, soit dit en passant), ne faut-il pas s'en réjouir ? Qu'un artiste ait comme moteur l'utopie (entre autre), ça me paraît plutôt sain. C'est toujours mieux que l'élitisme. Cela étant, dans le cas des Straub, c'est justement le fait qu'on puisse juger utopique la simple hypothèse que leurs films soient vus par le plus grand nombre (encore faudrait-il, pour cela, qu'ils soient aussi juste montrés, déjà... ça serait pas mal, comme début) qui est un problème ; c'est même le seul vrai problème. Car enfin, ce qui est dramatique, c'est quand même qu'on ne vive pas dans ce fameux (pour reprendre tes mots) "monde parfait, débarrassé des lois du commerce et dans lequel chacun pourrait admirer, sans arrière pensées, une belle oeuvre littéraire, musicale ou picturale" : se battre pour ça, ce n'est déjà pas si mal... Il y a plus dégradant comme combat, non ?
En résumé, si les Straub sont dans l'utopie, c'est parce qu'un système les y a mis. Ils ne font que refuser ce système-là, avec une arme modeste mais bien réelle : leur poésie.
jacques 2 a écrit :A propos du "temps de cerveau", n'est il pas simplificateur à outrance de parler de cela à propos d'oeuvres si différentes : une partie de la production le mérite certes mais Hollywood a aussi produit d'innombrables grandes oeuvres en tenant compte de diktats commerciaux ? "Rio Bravo" ou "Laura" ce ne sont quand même pas des Bessoneries ...
Bien sûr que c'est réducteur ! Tu auras sans doute compris que j'ai schématisé à outrance pour illustrer mon propos, même si je n'ai pas exclu tout à fait qu'à l'occasion, des cinéastes sont parvenus à conjuguer la nécessité économique pure et leur créativité personnelle... Mais pour un Hitchcock qui arrivait à faire passer ses obsessions les plus intimes dans des films très populaires, combien de cinéastes ont dû abdiquer toute créativité pour se mettre au seul service d'une industrie ? (parfois avec le plus grand plaisir, d'ailleurs, selon leurs motivations personnelles).
jacques 2 a écrit :Ils sont sûrement honnêtes et à la base n'ont ils pas fini (surtout Mr Straub puisque Mme Huillet est décédée) par devenir des caricatures d'eux même en perpétuant cette vieille dichotomie, qui me semble à moi usée jusqu'à la corde, entre "artistique" et "commercial"
Mais c'est qu'il est réellement difficile de conjuguer les deux sans y laisser plus ou moins son âme. Vraiment, je crois. Et cette dichotomie, si elle est "vieille" (comme tu dis), ce n'est qu'en âge, parce que, pour ce qui est de sa pertinence, en revanche, je la trouve plus que jamais actuelle (rien n'a changé dans ce domaine). Surtout pas usée jusqu'à la corde. C'est même ça qui me paraît, à moi, vraiment utopique, pour le coup : croire qu'on peut viser à la fois le commercial et l'artistique avec une égale liberté et une même sincérité. Il faut choisir. Et les Straub (et d'autres avec eux, bien sûr) ont choisi.
jacques 2 a écrit :Je n'ai pas vu leurs oeuvres (et je vais tenter l'expérience, c'est la moindre des choses) mais c'est le "concept" et les déclarations d'intentions (si je les ai bien perçues) qui m'indisposent dès le départ ...
Que te dire d'autre que : en effet, ne t'arrête pas à cette indisposition (qui est sûrement passagère !
). Et toi aussi, peut-être, rejoindras-tu le camp de ceux qui saluent ce parcours sans compromission, long de plusieurs décénnies déjà.