Le rêve de Cassandre
Je n'attendais rien de ce Woody
Allen, tout au plus je savais qu'un pote (qui n'est pas sur Classik) en disait beaucoup de bien et que c'était un film dans la même lignée de
Match Point, ce qui n'était pas pour me déplaire. La baffe n'en est que plus grande. C'est d'autant plus grand qu'a la lecture des critiques et réactions diverses sur le net et ailleurs, je me rend compte que quasiment tout le monde (ou presque) est passé à côté d'un des plus grands films de 2007 là où comme la Tamise quand elle n'est pas trop polluée, tout coule de source (du moins pour moi hein
).
Allen fait un film implacable sur deux frère où l'on retrouve une mécanique implacable à l'oeuvre. Match Point décrivait l'engrenage d'un meurtre et posait la question de la culpabilité en répondant d'une manière jouissivement amorale (les fantômes, l'arrivisme de Chris, le fait que tout tient parfois juste au hasard). Le rêve de Cassandre suit le même chemin et offre une variation intéressante : Il y a bien un engrenage qui mène au meurtre mais cette fois, ce n'est plus par voie directe (Nola dans Match Point était à éliminer car elle compromettait l'ascension sociale de Chris, ici c'est pour résoudre leurs problèmes d'argent que les deux frères doivent tuer quelqu'un pour leur oncle. Donc il s'agit à la fois de l'honneur de la famille (Ewan Mc Gregor/Ian n'a que ce mot à la bouche, dépassé par son admiration envers son oncle Howard, c'est sa principale motivation) comme de leurs problèmes personnels (ils n'ont pas les moyens d'entretenir la vie de rêve dont ils s'illusionnent perpétuellement. En celà, dès qu'une illusion semble concrétisée --le voilier--, celà ne fait que les enfoncer de plus en plus vers la tombe).
Match Point décrivait le manque de culpabilité dont faisait preuve Chris (Jonathan Rhys Meyer, fascinant),
Le rêve de Cassandre montre lui, un Terry (très bon Colin Farrell) rongé de plus en plus par l'acte qu'il a dû faire là où son frère Ian choisit de mettre la moralité de côté en expliquant que depuis le début,
ils n'avaient guère le choix.
Et pourtant le choix, ils l'avaient.
Terry aurait pu ne pas en arriver là
si il ne s'était pas
si endetté. Ian n'aurait pas eu à entretenir l'amour de cette fille au minois issue d'une publicité
si il ne s'était pas arrêté pour lui porter prétenduement secours avec déjà en sous-entendu une attirance dont le spectateur sait bien où ça va mener.
Alors qu'il avait déjà une autre fille dans sa voiture, hem.
Celà fait beaucoup de
Si. Le film nourrit d'ailleurs sa richesse de ses contradictions (au passage même ceux qui n'ont pas appréciés le film sont donc tombés dans le panneau en ne voyant que les aspects négatifs alors qu'
Allen dont la mise en scène est d'une grande transparence, les incluait déjà dans le menu).
Ainsi,
Le rêve de Cassandre laisse la voix au spectateur de suivre soit l'avis de Ian (la fatalité et le fait d'avancer en considérant que l'acte en question servait finalement leurs projets, les a permis d'avancer, de rebondir), soit celui de Terry, plus proche de la morale chrétienne et des questionnements encourus (la question du bien et du mal, le ressacement, la recherche du pardon, de la purge, les conséquences encourues, la pitié/le don de soi envers ses proches --
Terry évoquant l'acte qu'ils vont faire dit à son frère dans la voiture, d'attendre que leur victime voit une dernière fois sa mère au grand dam de Ian qui considère que celà leur fait perdre du temps) et d' ensuite se poser ses propres questions.
En celà, le film garde une grande trace de sincérité tant dans les actes que les conséquences : pas d'esbrouffe, le fait de tuer est difficile, la conscience rôde. La scène où Ian et Terry attendent toute la nuit chez leur victime mais qu'aucune occasion ne se présente m'est apparue franchement excellente :
Allen ne va pas à l'essentiel comme certains films nous le montrerait, il montre les détails de la machinerie et ce qui peut se passer vraiment dans la réalité à l'instar d'un Bresson ou d'un Antonioni en montrant les temps morts qui peuvent servir habilement sa narration (Antonioni dans
profession reporter n'hésitait pas a laisser la scène où Nicholson traîne le corps de son double mort dans sa chambre d'hotel au début du film, rien n'est coupé, tout est laissé). La scène de "poursuite" précédant le meurtre est un autre moment fort habilement géré car le new-yorkais fait durer la poursuite, donnant à ses personnages de plus en plus le risque de se faire repérer, en témoigne cette passante qui l'espace de quelques secondes suit la victime et disparait du plan aussi mystérieusement qu'elle était apparue ou le fait que la victime en question se retourne d'un coup et que là où l'on s'attendait à voir nos deux apprentis meurtriers, on voit en fait un couple qui apparaît nonchalament.
Jeu avec le spectateur comme avec ses personnages, Le rêve de Cassandre n'est que celà comme pouvait l'être Match Point. Un jeu démoniaque dont l'unique issue est la chute et qui, de ce fait, n'en apparait que plus fascinante. Match Point posait les enjeux : plutôt que de choisir un camp ou l'autre (le bien et le mal, le gentil ou le méchant), Woody choisissait l'entre-deux. Le rêve de Cassandre prolonge en fait l'itinéraire : la balle n'a même pas touchée le filet, le temps ne s'arrête pas a cet instant, la balle a tout simplement été envoyée ailleurs, hors-champ, comme ce meurtre dont les coups "de feu" reviendront hanter un Farrell jusque dans ses nuits. Et en parlant de hasard, que dire de cette séquence où les frères voient leur victime au bar ? Pur rebondissement, inattendu mais là aussi peut-être, une autre balle (ou bague) de match, non ?
Bref, pour moi, film Magistral.
5/6.
Et puis encore beaucoup à dire : musique de Glass qui n'est pas si mal (à vous entendre plus haut dans le topic (hein Julien ), je croyais au désastre intégral ou à une partition à la The Hours qui m'a profondément énervée car elle reprenait un peu de Koyaanisqatsi, de glassworks, des études de piano etc etc... là où ici, la différence tient au traitement du son, parfois quasi effacé et au fait que ce n'est pas si papier-peint qu'on peut bien le croire --aucune musique lors de la scène de meurtre par exemple), photographie lumineuse tout en conservant les dégradés de grisaille Londonnienne de Match Point et Scoop, entretenant l'idée d'une trilogie en celà appuyée par le fait que Vicky christina change de pays et oppose à la trilogie de la grisaille des couleurs lumineuses (quoi qu'on en dise de Vicky, qu'on apprécie ou pas, c'est indéniable quand même), mais aussi des couleurs aux sentiments (Vicky est plus joyeux que les 3 films, même plus léger qu'un Scoop je trouve) qui renforcent l'idée de Vicky comme film de Vacances.etc etc... Bon j'arrête là, je laisse la parole à d'autres mais au vu de la richesse et la profondeur du film, il y aurait encore beaucoup de choses à dire je trouve.