New-York, 1941. Barton Fink, jeune dramaturge, rencontre le succès grâce à une de ses pièces. Hollywood s'intéresse à lui et arrivé sur place un producteur (Jack Lipnick) le charge d'écrire un scénario pour un film de catch. Fink va découvrir les mystères d'Hollywood, l'angoisse de la page blanche et un étrange voisin qui lui révèlera quelques secrets sur l'art de l'existence.
Chez les Coen on a les mauvais films, les moyens, beaucoup d'oeuvres creuses qui ne résonnent qu'en artifice, les sous-estimés (au hasard, The Man Who Wasn't There), l'un des scénarios les plus impressionants de ces vingts dernières années (Miller's Crossing), une oeuvre d'une émotion et d'une humanité à redécouvrir sans cesse (Fargo) et
Barton Fink.. le chef-d'oeuvre.
Réflexion désenchantée sur l'état du cinéma et les affres de la création artistique, Barton Fink est un film étrange, drôle et effrayant remplit de la simple angoisse d'exister. Que ce soit dans son rapport aux autres (les studios, l'écrivain W.P Mayhew) ou à lui-même (tout ce qui se passe dans ce mystérieux hôtel où l'on reste "pour un jour ou pour une vie"), Barton est un être déphasé, perdu, incapable de se définir, de trouver une place dans un univers qui ne tend qu'à son exploitation.
Il s'agit en somme d'un film-cerveau qui ramène autant à Shining (l'hôtel, la page blanche) qu'au Locataire de Roman Polanski (rien d'étonnant d'ailleurs que ce dernier lui ait décérné trois prix dont la Palme d'Or, lors de son passage à Cannes). On pense aussi au Festin Nu de Cronenberg, où la divine Judy Davis sévit toujours, -
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- et meurt une fois de plus.
La trace kafkaïenne est aussi tout à fait perceptible, que l'on pense seulement aux efforts acharnés de K. pour atteindre le Château, à Grégor Samsa cloîtré dans sa chambre aux murs gluants, ou que l'on compare encore le nouvel arrivant à Hollywood qui accoste tout de suite la secrétaire de son idole, parce qu'il ne connaît personne dans la région avec Joseph K. abordant mademoiselle Bürstner pour passer la nuit avec, puis qui désenchantera face aux conseils d'un peintre tout aussi perdu que lui, avec cet auteur poivrot et constamment pochard qui se fait écrire ses scénar's par sa maîtresse.
Jamais les frères Coen ne sont allé aussi loin visuellement, à tel point que le film menace bien souvent de basculer dans le plus pur exercice de style. Le travelling d'ouverture ou encore celui terminant au coeur même de la machine à écrire, les plongées incroyables sur Barton cherchant despérément l'inspiration, l'hôtel en feu de la fin. Un tour de force magistral. Mais c'est pourtant par une écriture diabolique, et une direction d'acteurs sans failles que le film s'impose là, comme référence du genre. John Turturro, John Goodman, Tony Shaloub, Michael Lerner, Steve Buscemi, et j'en passe et des meilleures, les deux trublions savent résolument s'entourer.
La conclusion ne laisse aucun doute sur la décrépitude du cinéma, l'immonde mirage hollywoodien, le cauchemar se fait bien réel et est bien plus tragique que toutes les horreurs qui l'ont précédé. Après l'ultime humiliation, le personnage passera définitivement de l'autre côté de la barrière (à moins qu'il ne soit enfin dans la réalité?), dans une scène représentant la profusion artistique tant recherchée, toujours artificielle, désormais faite chaîr. Lui, une femme, la mer. Quand Barton, arrive de New-York à Hollywood, un fondu sur cet océan nous introduit dans son nouveau monde, illusion d'une création tout bonnement impossible et qui de toute façon serait rejetée par le système si elle advenait.
Barton Fink est une victime de l'absurde, mais il n'en est pas pour autant irréprochable. Il se cloître, a une attitude égocentrique, voudrait écrire des récits "proches de l'homme de la rue" mais ne l'écoute pas une seconde quand ce dernier lui parle.
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- Par "dernier" on entend "Charlie Meadows" le voisin de chambre, qui aime le catch, la chaleur, les cartons et clame des saluts nazis avant d'assassiner des officiers de police à bout portant.
Un film sur l'incommunicabilité; de l'artiste, de l'homme, l'histoire d'une adaptation impossible, qui nous ramène à la certitude d'être des individus non-intégrés.
Bref tout simplement un de mes films préférés de tous les temps, une odyssée surréaliste quelque part entre Sunset Blvd., la Nausée de Sartre et l'Antre de la Folie, où le spectateur est projeté dans les fantasmes d'un personnage comme on projette un film sur une toile. Une oeuvre essentielle qui finalement, pose plus de questions qu'elle n'apporte de réelles réponses.
"
You're very beautiful. Are you in the pictures?
Don't be silly."