Le Cinéma asiatique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Beule a écrit : 16 mai 22, 02:15
Profondo Rosso a écrit : 24 avr. 22, 15:56 Et d'ailleurs toujours sur Maggie Cheung déracinée il y a une autre pépite à voir aussi avec A Fishy Story d'Anthony Chan (évoqué sur la même page en lien) là aussi si tu veux du mélo flamboyant façon Comrade, almost a love story c'est très clairement un rôle jumeau pour Maggie Cheung (qui a souvent joué ce type de rôle de chinoise exilée, il y a à creuser) ça devrait te plaire à coup sûr :wink:
Tu mentionnes l’hommage hollywoodien dans ta chronique. Ça me semble même dépasser l’hommage au vu des emprunts à Capote et, de façon plus flagrante encore, à l’adaptation d’Axelrod. Des ayants droits un peu tatillons auraient sans doute pu prendre ombrage non seulement de l’inspiration d’ensemble mais surtout de tous ces imports sans cosmétiques d’autant de petits moments clés du Blake Edwards. Mais sans jamais renier la matrice de son inspiration Anthony Chan rebat à foison les cartes de la narration pour sortir sans dommage de l’ornière du simple démarquage. Ainsi effectivement la frivolité de façade de Maggie Cheung ne tarde pas à l’exposer à des retours de bâton biens plus radicaux que son alter ego Audrey Hepburn. Et Chan de saisir sans coup férir une mouvance idéologique de plus en plus prégnante pour assourdir et désenchanter la romance aux humeurs inquiètes des remous sociaux et politiques propres à son époque en marge de la Révolution Culturelle chinoise. Rétrospectivement, l’excellent générique de début détachant au gré d’une suite de clichés n&b une Maggie Cheung sophistiquée – forcément très Givenchy style - d’un environnement à haute teneur contestataire n’annonçait rien d’autre : l’entrechoc « du conte et de la fange hongkongaise ». C’est parfaitement résumé :wink: . Et c’est ici admirablement amené et géré.

Incontestablement, je suis sous le charme. Merci 8)
Voilà un avis qui fait plaisir je savais que ça te plairait le mélo hongkongais dans toute sa flamboyance dramatique et formelle. Et effectivement grosse variation de Diamant sur canapé mais qui trouve vraiment son identité locale à travers ce contexte socio-politique. La scène finale est aboslument somptueuse, toute l'emphase sans retenue que j'aime dans le cinéma hongkongais de l'époque.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Eight Taels of Gold de Mabel Cheung (1989)

Image

Après 16 ans d’exil aux Etats Unis où il exerça le métier de Taxi, Slim décide de retourner en Chine auprès de sa famille, et constate les changements arrivés durant son absence. Ce retour est aussi l’occasion de retrouvailles avec la belle Jenny …

Eight Taels of Gold vient conclure en apothéose la trilogie de l'exil de Mabel Cheung après Illegal Immigrant (1985) et An Autumn's Tale (1987). On retrouve ici à travers Slim (Sammo Hung) une figure de migrant chinois voisine du Yung-Cho Ching de Illegal Immigrant ou du Chow Yun-fat de An Autumn Tale. Après 16 années d'exil et de labeur, il dispose d'une carte verte et travaille à son compte en tant que taxi à New York. Mabel Cheung inverse ainsi la proposition des deux précédents films qui évoquaient les premiers pas et l'intégration difficile sur cette terre d'accueil en effectuant le chemin dans l'autre sens. Slim a décidé de retourner voir sa famille en Chine et l'histoire dépeint l'expérience de ces retrouvailles. Les premières scènes plutôt comiques aux Etats-Unis, puis celle du voyage et l'arrivée en Chine nous éclaire en partie sur le statut de Slim. Son existence en Amérique n'est tangible que dans son métier de taxi et son identité chinoise puisque l'on voit qu'il a encore des lacunes en anglais et (parce) qu'il fréquente surtout des membres de sa communauté (même problématique que les héros des précédents films). Etant venant chercher une forme de liberté et relative réussite matérielle à l'étranger, cela semble lui suffire mais tout n'est pas aussi simple.

On s'amuse du décalage de Slim dans les manières et le rapport aux autres, notre héros se montrant parfois explicitement ou involontairement condescendant dans ce contexte de la Chine rurale de l'ère Deng Xiaoping. Comme nombre de migrants revenant au pays, Slim souhaite affirmer sa réussite par son apparat et les biens qu'il va offrir à sa famille. La réalité sociale le ramène à ce qu'il a quitté, notamment le déménagement des siens à la campagne pour permettre à sa sœur d'accoucher discrètement de son second enfant (la politique de l'enfant unique régnant encore). Le voyage qu'il va effectuer de la ville à la campagne pour rejoindre sa famille va progressivement le délester de son snobisme, ses afféteries, pour révéler sobrement sa mélancolie. Parti précipitamment à l'adolescence, puis pris dans sa survie quotidienne à l'étranger, il n'a envoyé qu'une lettre en 16 ans à ses parents. La culpabilité et les doutes l'assaillent tout au long du voyage semé d'embûches plaisamment picaresque où il va trouver un appui auprès de sa cousine Jenny (Sylvia Chang) qui le guide. Celle-ci fiancée à un riche chinois établit aux Etats-Unis s'apprêtent à migrer à son tour. Elle va réenchanter avec tendresse et humour le retour de Slim sur ses terres au fil des péripéties, tandis qu'il lui offre une fenêtre sur la vie qui l'attends. Les sentiments naissent peu à peu entre eux et font émerger un paradoxe. Slim livré à lui-même à l'étranger retrouver une chaleur et des sentiments qui ne lui avait auparavant pas suffit à rester, tandis que Jenny est sous le charme de ce cousin qui est un bien moindre parti que la vie confortable qui l'attends. L'exil n'a pas suffi à l'un et ne suffira probablement pas à l'autre puisque c'est avant tout le confort matériel qui était en ligne de mire pour chacun d'eux.

Les scènes communion familiales sont merveilleuses de justesse, les retrouvailles tardives surmontant toute rancœur. Alors que Slim est hanté par toutes les frictions qui ont précédées son départ d'antan, il constate que ce sont des évènements largement oubliés par sa sœur et ses parents simplement heureux de le revoir. Mabel Cheung parvient à susciter l'émotion avec un rien, tel le chien de Slim mourant paisiblement après avoir revu et reconnu son maître 16 ans après alors qu'il était qu'un chiot. La réalisatrice offre un parfait mélange de pittoresque et d'émotion en faisant redécouvrir ses racines au héros, le plus souvent par la comédie (les villageois offrant de la volaille à Slim en échange d'un billet) même si une forme de spleen s'instaure peu à peu. Ce qu'ils ont été ou vont chercher à l'étranger est aussi ce qui sépare Slim et Jenny, amoureux silencieux mais soumis à la tradition. Slim est sollicité par sa famille pour épouser une chinoise qu'il élèvera quand Jenny a déjà été choisie dans ce but. Toute la dernière partie offre un contraste entre la tristesse des personnages prochainement séparés et l'atmosphère festives des préparatifs de mariage, riche en rites bariolés dans ce cadre rural.

On retrouve l'une des grandes qualités notamment de An Autumn Tale à savoir la grande pudeur de Mabel Cheung dans l'expression des sentiments. Aucun rebondissement grossier, aucun dérapage mélodramatique dans les situations ou le jeu des acteurs ne vient forcer le trait des émotions. Les silences, regards, gestes retenus en diront toujours plus que les manifestations explicites pour nous faire comprendre ce qui se joue et c'est par son approche visuelle que la réalisatrice nous bouleverse. C'est à ce stade (avant la fastueuse reconstitution historique de The Soong Sisters (1997)) son œuvre la plus somptueuse formellement. La première partie nous offre des panoramas absolument magnifiques de la campagne chinoise, perdant ou isolant les personnages à la fois familiers et en pleine redécouverte de cet environnement. La beauté de la nature devient source d'épanouissement ou d'inquiétude (le printemps et l'arrivée des feuilles de cerisiers signifiant le retour du fiancé de Jenny), et la photo de Bill Wong de façonner des écrins qui subliment les sentiments réprimés. On pense à la scène de baiser avortée où les personnages se font face dans une nuit teintée des éclairages mauves de feux d'artifices, une bulle éphémère laissant entrevoir ce qui aurait pu être. La bande-originale entre instrumentaux contemporains envoutant et chansons chinoises immersives participe aussi à cet enchantement et ce spleen, notamment la poignante scène finale où Slim suit à vélo le bateau de jenny s'éloignant définitivement de lui. Sammo Hung dans un de ses rares rôle non martial révèle toute l'étendue de son registre, tout en nuance sensible et Sylvia Chang compose aussi un merveilleux personnage, devant ou derrière la caméra elle ne brille jamais autant que dans le mélo. Un vrai accomplissement pour Mabel Cheung qui signe là son chef d’œuvre, encore meilleur que An Autumn Tale. 5,5/6

Bon et un peu de capture parce que c'est incroyable visuellement

ImageImageImageImageImage
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Lost Paradise de Yoshimitsu Morita (1997)

Image

Dans un Japon en voie de changements économique et social, Shoishiro réalise que sa dévotion pour l'entreprise qui l'emploie n'a servi à rien. Il rencontre Rinko, qui subit un mariage forcé. Ils tombent amoureux et retrouvent dans cette relation un enthousiasme depuis longtemps perdu. Mais leur entourage voit la chose d'un mauvais oeil...

Yoshimitsu Morita signe un mélodrame bouleversant avec ce Lost Paradise qui explore des thèmes déjà explorés dans sa filmographie, tels que les amours impossibles de And Then (1985) ou le carcan oppressant de la cellule familiale dans The Family Game (1983). Dans ces deux films s'exprimait une critique virulente de la société japonaise dont les codes assignant les individus à un rôle, une voie toute tracée, les paralysaient et les conduisaient à leur perte. Après la comédie noire de The Family Game et le drame historique de And Then il trouve un nouveau mode d'expression pour exprimer ces questionnements. Il adapte là un roman de Junichi Watanabe qui fut un best-seller au Japon en 1997 et qui connut en plus du film de Morita une transposition en série. Watanabe était spécialisé pour ses romans traitant souvent de l'adultère chez les adultes d'âge mûr. Morita y trouve là un écrin idéal puisque cet âge mûr des personnages de Watanabe correspond aussi à l'ultime de moment de résignation ou à l'inverse au fol et désespéré espoir de trouver la flamme.

ImageImage

L'histoire dans son point de départ parait assez simple. Shoichiro (Kōji Yakusho) est un cinquantenaire rangé marié et père, qui va tomber amoureux de Rinko (Hitomi Kuroki), une jeune femme engoncée dans un mariage arrangé. Tous deux ont suivis les règles sociales implicites, un métier solide, fonder un foyer, sans y trouver bonheur ou accomplissement. On comprend que Shoichiro est sur une voie de garage dans son travail d'éditeur qu'il effectue sans passion, et que le métier de professeur de calligraphie de Rinko n'est qu'un prétexte pour échapper quelques heures de son sinistre foyer et du contact de son époux distant. Yoshimitsu Morita filme tous les lieux sans lien avec cette passion amoureuse comme des environnement de passage, dont les protagonistes sont justement les marionnettes de ce système, les salarymen affairés que côtoie Shoichiro au bureau, sa femme en silhouette dévouée qu'il se contente de retrouver ou quitter sans ne plus rien partager avec elle. La photo Hiroshi Takase capture parfaitement la neutralité de ces lieux où contraints, les personnages sont physiquement présents mais totalement absent intérieurement, toutes les pensées étant obnubilées par les retrouvailles prochaines avec l'autre.

ImageImage

Le contraste s'avère saisissant entre les êtres éteints durant ces moments où ils doivent jouer leur rôle, est l'incroyable fièvre des scènes d'amour. C'est particulièrement frappant chez la silencieuse et effacée Rinko qui laisse se dévoiler son âme et se déchaîner son corps dans les intenses et nombreuses scène de sexe. Hitomi Kuroki et Kōji Yakusho font preuve d'un abandon assez stupéfiant qui traduit bien à quel point ce sont là les moments où les personnages sont vivants, incarnés, en tant que couple. La grisaille des environnement urbain s'estompe dans ces instants pour laisser voir des paysages majestueux dans lesquels le couple s'échappe. C'est finalement un état auquel aspire tous les protagonistes sans l'atteindre, faute d'avoir fait la bonne rencontre, ou d'avoir déjà renoncé au bonheur. Morita l'exprime lors de scènes presque triviales comme lorsque durant un dîner entre collègues, ces hommes mûrs imaginent rieur ce qu'ils feraient s'ils avaient une aventure avec une femme plus jeune, dans quel hôtel ils l'emmèneraient. Une vraie attente se niche sous cette désinvolture, tout comme chez cette amie divorcée de Rinko semblant chercher un parti chez un bel étranger après avoir été mariée à un français.

ImageImage

Concrètement aucun obstacle ne semble empêcher Rinko et Shoichiro de quitter leur situation malheureuse pour vivre ensemble. Mais Morita diffuse en creux un climat anxiogène et culpabilisant ou tout appelle à éloigner le couple. La dépendance matérielle encore forte de la femme japonaise envers son époux, le poids des conventions et surtout une hypocrisie qui rend, une fois connue, la liaison des personnages répréhensibles envers leur famille pour Rinko (sa mère ancienne femme quittée qui voit dans sa fille une réminiscence de son mari absent) ou ajoute à la disgrâce en milieu professionnel pour Shoichiro. L'échappée belle ne peut se faire que dans ces étreintes à la dérobée, mais la pression du conformisme s'avère insupportable sur la durée. Tout au long du film court le thème de l'amour passionnel et morbide, les personnages ayant des discussions les amours funestes comme celle de Abe Sada ou d'autres couples littéraires de suicidés. Peut-être est-ce là le seul moyen de s'aimer sans contrainte, le film basculant dans sa dernière partie dans une épure encore plus marquée où le monde extérieur n'existe plus, la "petite mort" de l'orgasme devenant celle concrète de la dévotion amoureuse ultime. Tout en se montrant très feutré, Morita atteint une intensité dramatique et un romantisme désespéré marquant qui rappelle justement la retenue en plus la dualité Eros/Thanatos qu'on trouve dans La Véritable histoire d'Abe Sada de Noboru Tanaka ou L'Empire des sens de Nagisa Oshima mais dans un cadre contemporain - et supposé plus libre. Un très beau et captivant film qui confirme le talent de Morita et donne envie de creuser encore sa filmographie. 5/6

Image
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

The Black House de Yoshimitsu Morita (1999)

Image

Un agent d’assurance de la compagnie Showa reçoit un appel d’une cliente qui projette de se suicider et qui aimerait savoir si sa police couvre ce cas de figure. Ne pouvant se résigner à la laisser commettre pareil acte, il décide de lui rendre visite…

The Black House est un thriller assez inclassable qui montre une nouvelle corde à l'arc de Yoshimitsu Morita. Il adapte là un roman de Yûsuke Kishi maître de la littérature horrifique japonaise. On va suivre Masaaki (Seiyô Uchino) jeune agent d'assurance se morfondant dans les remous de son métier où il doit traquer les fraudes des assurés. Toute la première partie du film retrouve la veine de satire et de comédie noire de Morita dans The Family Game, tirant en longueur les situations absurdes de cette environnement professionnels, tant au niveau des fraudeurs haut en couleurs que de l'aspect normés et déshumanisé du la vie de bureau. Lorsqu'une cliente anonyme va l'appeler pour lui demander si le suicide est couvert par la police d'assurance, Masaaki va remonter le fil d'une enquête nébuleuse et faire face au mal absolu. Le film est inégal, un peu trop long et souvent déstabilisant dans ses ruptures de ton humoristique et une ambiance qui se fait progressivement plus oppressante. La personnalité timorée et anxieuse de Maasaki et la musique particulière qu'elle apporte à toute ces variations, notamment dans le montage (entre la torpeur du bureau et la frénésie de ses séances de natation) nous happe cependant peu à peu. Maasaki représente la face qui subit la norme et la pression de cette société contemporaine courant à la performance, tandis que la terrifiante psychopathe (Shinobu Ôtake) incarne le versant monstrueux, déshumanisé et violent qui a décidé de manifester de façon frontale cette cupidité.

La première partie un peu longuette caractérise Maasaki dans son monde tout en dessinant en creux le portrait-robot du meurtrier qui s'avérera une meurtrière et dont l'univers prend le dessus dans le fond et la forme durant la seconde partie. Là c'est un pur climat de cauchemar et de démence qui nous prend au piège, portée par une performance proprement hallucinante de Shinobu Ôtake. Elle manifeste par son regard dément, sa férocité et la froideur de ses traits quand elle commet l'innommable toute la froideur de la sociopathe sans inhibitions. Morita définit par l'image cette société déshumanisée dans sa manière de capturer les environnements extérieurs tout en architecture industrielle brutaliste, où se ressent la désolation. Il nous prend au piège ensuite avec cette plongée dans un esprit torturé, et orchestre quelques purs moments de cauchemar notamment la scène où Maasaki s'introduit dans une maison après le passage sanglant de sa Némésis. Il y a un côté Giallo revisité par le prisme esthétique des 90's, des idées aussi originales que dévastatrice (dont un usage peu commun d'une boule de bowling) et un suspense qui va crescendo presque jusque-là dernière minute. On sent qu'un part de la fébrilité, de l'humanité de Maasaki s'est perdue en route et que pour survivre il a endossé une part de la démence de son adversaire, une ambiguïté que soulève la dernière séquence. Malgré ses petites scories, une œuvre très singulière et marquante, surtout dans le paysage de l'horreur japonaise de l'époque. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
shubby
Assistant opérateur
Messages : 2683
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Re: Le Cinéma asiatique

Message par shubby »

Dr Wai (Tony CHING Siu-Tung, 1996)

Image

Deux versions de ce film existent. Pour comprendre la différence entre le ciné HK d'avant la rétrocession et maintenant, il suffit de les voir toutes les deux. Il n'y a pas d'équivoque entre la version cantonaise et l'autre dite "internationale" mais finalement très mainland.

Un stylo vous manque et tout est dépeuplé

La version HK, c'est Le magnifique de De Broca façon HK. Et ça marche. Jet Li incarne un écrivain contemporain en plein divorce avec une femme jouée par Rosamund Kwan (gros écho OUATIC). Il se venge d'elle à travers son roman d'aventure, tandis que ses deux renforts à l'écriture - Charlie Young et Takeshi Kaneshiro - nuancent le propos au gré des sentiments des uns pour les autres. C'est charmant, glamour, et le fil conducteur, c'est le stylo. Chacun s'en sert pour améliorer cette histoire - très Harkienne, on peut écrire/changer le monde à quatre-six mains etc - et c'est également l'arme redoutable de Jet Li / Dr Wai qui en use pour vaincre ses adversaires (fouet et plume rétractable à la James Bond, n'est-ce pas). Dans la réalité, sa future ex-femme est victime d'un accident dans un ascenseur. Il la sauve, ainsi elle revient progressivement vers lui. Dans la fiction, le vilain a les traits du rival du héros, joué par un Collin - Flashpoint - Chou bondissant. Le MacGuffin n'est donc pas la boîte machin ni le canon bidule, mais bien les amourettes entre Jet/Rosamund et Charlie/Takeshi. Je divulgâche la fin : la fiction rejoint la réalité. La Rosamund imagée meurt et un génie révèle au héros qu'il la retrouvera dans le futur, à savoir le HK des 90's. Aux deux tourtereaux IRL de se faire des câlins, d'annuler le divorce à l'aide d'un smiley dessiné sur le contrat avec un... stylo issu de la poche de veste de notre cher protagoniste. Au générique final d'alors se lancer, un pompage / hommage à Belmondo avec une variante du Chi Mai de Morricone pour Le professionnel (morceau d'abord composé pour un film érotique rital, mais passons, elle a tout de même servi pour un enterrement).

La version internationale en mandarin, c'est-à-dire celle doublée en français ? Rien de tout ça. Juste de la fiction sans relief. Le stylo passe à l'arrière plan - tout au fond là-bas - toutes les scènes avec Bébel tapant à la machine à écrire sautent et au final le génie ne révèle plus au Dr Wai qu'il retrouvera son aimée dans le futur, mais que les Japonais perdront la guerre. Alors que Jet cesse donc de penser à son petit cœur et qu'il s'intéresse davantage au bien commun en faisant preuve d'altruisme, sacré nom ! Générique de fin lambda, la Chine a gagné et, bien avant le Hero de Yimou, Jet Li fait déjà preuve d'abnégation. Tout est dit.
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

In the Heat of the Sun de Jiang Wen (1994)

Image

Le récit se situe dans la Chine des années 70 en pleine Révolution culturelle et décrit le quotidien d'une bande d'adolescents livrés à eux-mêmes après le départ de leurs parents à l'armée pour appuyer Mao...

In the Heat of the Sun est la première réalisation de Jiang Wen, jusque-là plus connu pour ses activités d'acteur. Après être sorti diplômé de l'Académie centrale d'art dramatique de Pékin en 1984, il s'inscrit pleinement dans le renouveau du cinéma chinois des années 80 en jouant dans Hibiscus Town de Xie Jin (1986) ou encore le fondateur Le Sorgho Rouge de Zhang Yimou. Ces deux films montrent ainsi qu'en tant qu'acteur il jouait déjà dans des œuvres discutant l'héritage de la Révolution Culturelle ou pour des cinéastes la remettant en question. Il va à son tour frontalement aborder le sujet en réalisant In the Heat of The Sun où il adapte le roman éponyme de Wang Shuo, auteur controversé car lui aussi abordant les pans sombres de cette Révolution Culturelle ou de maux de la société chinoise, et dont l'émergence est totalement en accord avec cette période de remise en question par les arts de la société chinoise. In the Heat of the Sun se distingue cependant par son angle très original. Les grands films ayant la Révolution Culturelle en toile de fond en dépeignent avant tout les pans sombres et oppressant à travers le regard des adultes qui eurent à en subir les brimades, humiliations publiques et autres dénonciations arbitraires dans Vivre de Zhang Yimou (1994) ou Adieu ma concubine de Chen Kaige (1993). Les adolescents de l'époque le vécurent cependant autrement. Il y avait tout d'abord les gardes rouges, jeunes gens instrumentalisés par le pouvoir pour épier, tourmenter et créer la peur chez les citoyens, et les autres adolescents relativement livrés à eux-mêmes car pour certains leurs parents étaient mobilisés par l'armée. Il y a donc pour les personnes ayant été adolescents à cette période une forme de nostalgie d'un moment de totale liberté.

C'est le point de départ du roman (en partie autobiographique) de Wang Shuo et donc du film de Jiang Wen (qui de la même génération y a aussi inséré certains élément personnels), dans ce Pékin des années 70 déserté par les adultes et immense terrain de jeu pour une bande d'adolescents. Parmi eux on va suivre Ma Xiaojun (Yu Xia), garçon au père absent physiquement pour ses obligations envers l'armée et dont la mère est-elle absente mentalement, aigrie par la dépendance façonnée pour elle par le régime. Ma Xiaojun fréquente donc vaguement l'école selon ses envies mais surtout zone dans la ville avec ses amis. L'une de ses distractions favorites est de fabriquer des clés qui lui permettent de crocheter les serrures et investir en journée les demeures d'inconnus partis travailler. C'est ainsi qu'il va en s'introduisant dans un appartement tomber amoureux de Mi Lan (Jing Ning), une belle jeune femme dont il va être éblouit par le portrait. Ayant réussi de fil en aiguille à faire la connaissance de celle-ci, il va vivre au cours de cet été les bonheurs et douleurs d'un premier amour. Dans un premier temps, Jiang Wen entremêle ce monde de l'enfance/adolescence à cette toile de fond politique. Le film s'ouvre sur les festivités voyant l'envoi d'adultes en mission militaire, jouant d'une grandiloquence propagandiste (la première image du film est une immense statue de Mao Zedong) et de la fascination exercée sur les yeux émerveillés des jeunes héros. Dès lors la Révolution Culturelle représente pour Ma Xiaojun et ses amis une mythologie, un idéal héroïque auquel ils aspirent pour échapper à leur quotidien ou plus tard impressionner celle qu'ils aiment. Cette dimension de gloire un peu puérile et immature se ressent dès les premières scènes comme ce moment où Ma Xiaojun subtilise les médailles et l'uniforme de son père pour parader seul dans la maison. Il y a une facette idéologique inculquée de puis la plus tendre enfance certes, mais avant tout l'invocation d'un modèle de fiction héroïque comme peuvent en avoir tous les jeunes gens mais qui dans ce contexte s'avère aussi politique. Néanmoins nos personnages ne semblent guère endoctrinés et ont bien toute l'insouciance et insolence de leur âge. Les rares scène de classe sont plutôt turbulente et lorsque le groupe de garçon invoque des références culturelles ou politiques autour du communisme dans leur discussion, c'est plus potache que réellement exalté, là aussi l'environnement faisant que ces éléments remplacent les répliques de films ou paroles de chansons rock en occident. Ce sont des facettes qui participent à leur bagage commun, à leur camaraderie.

Formellement Jiang Wen imprègne profondément son film de nostalgie à travers la voix-off adulte nourrie de regrets, ainsi que l'imagerie solaire et rêveuse. Les teintes chaudes de la photo de Changwei Gu baignent dans une lumière diaphane et parfois saturée qui laisse entendre que nous ne sommes pas forcément dans le seul souvenir, mais le fantasme de ce qui aurait pu, de ce que l'on aurait espéré être. Mi Lan apparaît comme un idéal amoureux proche et distant, dont la narration entretient progressivement le doute quant à la véracité des moments de proximité avec Ma Xiaojun. Leur intimité s'illustre seulement par l'ellipse, par des échanges à l'écart des autres, tandis qu'ils semblent camarades fondus dans le groupe dès que les scènes sont collectives. L'éveil amoureux initial s'étant fait seul face à une photo, il est plus que suggéré que l'amour de Ma Xiaojun fut entretenu à distance et non exprimé, ou alors avec une terrible maladresse lors d'une confrontation finale assez douloureuse où le fantasme ne peut rejoindre la réalité. Jiang Wen entretient cette ambiguïté tout le film, dans la voix-off où le héros admet sa mythomanie, dans des scènes dont le déroulement s'interrompt car le présenté sous un jour héroïque forcément faux -- il y a d'ailleurs un moment-clé quand Ma Xiaojun comprend qu'il a seulement imaginé Mi Lan en maillot de bain rouge (qu'elle n'arborera que plus tard dans l'histoire) sur la photo qui déclenche sa passion. La bande-son nourrie de multiples références travaille aussi cette perception du réel discutée, ou parfois l'ironie voulue par Jiang Wen, avec l'irruption d'un extrait de l'opéra Cavalleria rusticana (entendu dans Raging Bull ou Le Parrain 3), une réorchestration héroïque de L'Internationale (en préambule d'une rixe de bande) ou des chants traditionnels russes comme Katyusha revisitée façon folk par le groupe d'amis lors d'une belle scène de communion. Finalement tout le film est une longue hésitation dans la narration du héros à raconter ce qu'il a vécu ou à embellir ce qu'il en a remodelé à son avantage. Le côté parenthèse enchantée n'apparaît donc jamais complaisant au regard des vrais évènements (d'autant que dans les années 70 l'acmé de la Révolution Culturelle est passé) se jouant en toile de fond, et au contraire par ce basculement de perspective les baigne derrière cette nostalgie d'un sentiment doux-amer. Sans totalement en égaler la grandeur, il y a tout de même quelque chose des premiers Hou Hsiao Hsien (Les Garçons de Fengkuei (1983), Poussières dans le vent (1986)) ou de la grâce de A Brighter Summer Day d'Edward Yang (1991) dans la magie que dégage In the Heat of the Sun. En tout cas coup d'essai et coup de maître pour Jiang Wen qui marquera de nouveau les esprits avec son second film Les Démons à ma porte (2000). 5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Autumn Moon de Clara Law (1992)

Image

Wai, une jeune Hongkongaise de 15 ans, est sur le point de suivre ses parents au Canada. Au même moment, elle rencontre Tokio, un jeune touriste japonais en pleine confusion existentielle. Très vite ils deviennent amis, malgré les différences de culture.

Autumn Moon est sans doute le film le plus connu et acclamé de la réalisatrice Clara Law. Celle-ci s'inscrit dans une sorte de seconde Nouvelle Vague hongkongaise qui émerge entre le milieu et la fin des années 80 avec des auteurs comme Stanley Kwan, Wong Kar Wai ou encore Mabel Cheung. Si l'on retrouve pour certains un parcours proche des ténors de la première Nouvelle vague du début 80's (Tsui Hark, Patrick Tam, Ann Hui) avec des débuts à la télévision, des études à l'étranger, ils se démarquent néanmoins par une volonté moins grande de déconstruire les genres (ce qui ne les empêchera pas ponctuellement de s'y essayer comme Clara Law avec The Reincarnation of Golden Lotus (1992)) et cherchent plutôt à signer un cinéma plus introspectif et personnel. C'est le cas de Clara Law qui en collaboration avec son époux Eddie Fong (les deux alternant les postes de scénariste et réalisateur sur leurs projet respectifs) va proposer une filmographie captivante dans les années 80/90. Parmi ses films les plus marquant on trouve le traumatisant Farewell China (1988), cauchemardesque évocation de l'exil et, bien que très différent, Autumn Moon creuse en partie le même sillon.

ImageImage

Si Farewell China évoquait les maux des classes pauvres chinoises dans leur tentative d'exil en occident, Autumn Moon s'intéresse à l'avant départ, du point de vue de classes plus aisées mais pour lesquelles le changement est tout aussi difficile à accepter. On va suivre Wai (Pei-Hui Li) une adolescente hongkongaise de 15 ans qui vit seule avec sa grand-mère. Ses parents et son frère aîné ont déménagés au Canada pour les études universitaires de celui-ci et Wai doit les suivre l'année suivante, situation qu'elle vit mal. Elle va se lier d'amitié avec Tokio (Masatoshi Nagase), jeune japonais d'une vingtaine d'année qui est lui en exil à Hong Kong. Tokio observe le monde qui l'entoure avec distance, filmant son quotidien tel un entomologiste avec sa caméra et commentant ses images d'une voix-off désenchantée. Sa mélancolie semble plus existentielle, sans que l'on ne sache vraiment malgré quelques indices les raisons de son exil et de cette errance. Cet usage des images vidéo est en tout cas très novateur, annonçant justement l'introspection et la bulle numérique que certains se constitueront par le biais de leur smartphone. Wai et Tokio se rejoignent en tout cas dans la façon dont ils ont mis leur quotidien en suspens, lui errant sans but dans Hong Kong et elle séchant les cours ce qui provoque leur première rencontre et un dialogue amusant. Why don't you are at work lui demande-t-elle, Why don't you are in school? lui répond-il. Il échange d'ailleurs maladroitement en anglais, langue intermédiaire qui les éloigne ou rapproche de leurs vies passées et à venir dans une forme d'écrin intime qui leur est propre.

ImageImage

Le souvenir et la tradition jouent un rôle essentiel dans le récit. Lorsque Tokio demande à Wai de l'emmener dans un restaurant local traditionnel, il a la surprise de voir celle-ci le conduire dans un McDonald. En effet c'est dans ce lieu qu'elle a fêté enfant son premier anniversaire en famille elle sait qu'elle n'aura bientôt plus l'occasion d'y revenir. La tradition s'incarne à travers la grand-mère de Wai (Siu Wan Choi) qui va cuisiner des plats typiques qui enchantent Tokio, cette facette très asiatique du repas comme moment de communion et de rapprochement offrant des scènes aussi simples que touchantes. Tokio semble fuir un passé qu'il veut occulter dans cet exil, Wai dans son exil annoncé craint à l'inverse de voir tous ses souvenirs s'estomper. La voix-off de Wai diffère donc de celle de Tokio plus flottante et nourrie de réflexions désabusées, puisqu'elle se rattache essentiellement à l'évocation de moments partagés avec son grand-père décédé, ses parents, les comptines qu'ils lui apprenaient et les lieux où ils l'emmenaient. Les petits gestes du quotidien prennent un tour fondamental pour marquer l'empreinte de cet environnement bienveillant comme le fait de brûler des encens pour le grand-père disparu. Peu à peu, les personnages se nourrissent l'un l'autre et reprennent goût à la vie, se reconnectent à la vie qui les entoure.

ImageImage

Formellement Clara Law filme littéralement Hong Kong comme ce lieu de transit et d'oubli qu'il représente pour les personnages. Toutes l'urbanité de la ville et filmée de manière distante, dans des plongées arpentant la ville depuis le ciel (sans doute filmé en hélicoptère), et les environnements où l'on s'attarde sont plus restreints, associés soit à cette idée de souvenir ou au contraire à la volonté néfaste d'isolement (l'appartement de Tokio). Les personnages secondaires symbolisent d'ailleurs les aspirations contradictoires et les sentiments refoulés des personnages. La grand-mère bien sûr illustre tout ce que Wai ne veut pas quitter, le garçon de son école dont elle est amoureuse tout ce dont elle ne doit plus se soucier. Pour Tokio il s'agira de Miki (Maki Kiuchi) la sœur aînée de sa petite amie d'adolescence, tout autant en perdition et fuite que lui (divorcée, alors que son ex et ses enfants sont retournés au Japon) et avec laquelle il va entamer une liaison. Wai et Tokio s'aident mutuellement à sortir de leur coquille, ce qui permet à Clara Law de livrer de passionnantes réflexions. Le film est vraiment une photographie de Hong Kong alors que la récession est imminente en 1997. Cette peut de perdre ses racines mais aussi cette nécessité de partir étaient sans doute au cœur des préoccupations des hongkongais à l'époque, notamment Clara Law ayant en partie fait ses études à l'étranger et qui allait émigrer définitivement en Australie en 1994. Cette perte des valeurs traditionnelles se révèle dans la scène où Wai décide de passer une nuit avec son petit ami, moment où il ne se passera rien tant celui-ci la glace par sa discussion qui ne porte que sur le matériel, ses futures études à l'étranger et les affaires qu'il compte monter une fois adulte. Cela donnera aussi une des plus belles scènes du film lorsque la caméra de Tokio ne capture plus la froideur urbaine, mais au contraire cette tradition en filmant la grand-mère hospitalisée qui lui fait part de ses dernières volontés et comment elle imagine ses funérailles. Tokio a beau ne pas parler cantonais, la douceur de la vieille dame par le prisme de l'image de la caméra éveille une émotion qui fonctionne naturellement et semble faire instinctivement comprendre à un Tokio bouleversé ce qu'elle lui dit.

ImageImageImage

La photo de Siu-Hung Leung baigne l'ensemble dans une lumière bleutée qui peut autant constituer un doux cocon que cette modernité glaciale synonyme de fossé entre les individus. Cet entre-deux se ressent par le poème définissant l'automne tout au long du film, derniers relents de l'été et d'une certaine idée du bonheur et prémices de l'hiver avec le spleen qui l'accompagne. La réconciliation des protagonistes avec leur passé, présent et futur passera par la célébration des fêtes traditionnelles chinoises et japonaise. Pour Wai c'est une continuité et un bonheur à faire perdurer avec la fête d'automne ou fête de la lune chinoise (ce qui explicite le titre du film) et avec Tokio une manière de renouer avec son identité par le Tsukimi, la fête de la lune d’automne au Japon - manière aussi de montrer la proximité des cultures chinoises et japonaises. Les deux scènes sont somptueusement filmées par Clara Law dans un élans à la fois féérique, fantomatique et chaleureux. Les acteurs sont parfaits d'émotion et de justesse notamment la jeune Pei-Hui Li fascinante de fraîcheur et dont ce sera le seul rôle. Le film fera le tour des festival internationaux où il fera un triomphe, notamment à Locarno où il remportera le Léopard d'or en 1992. 5,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Hong Kong, Hong Kong de Clifford Choi (1983)

Image

Clifford Choi est un réalisateur méconnu de la Nouvelle Vague hongkongaise, mais au parcours similaire de ses contemporains Tsui Hark, Ann Hui ou Patrick Tam avec des études aux États-Unis entre 1968 et 1972 puis un retour à Hong Kong où il sera producteur au sein de la chaîne T.V.B.. Sa contribution au cinéma se fera d'abord par l'écriture avec notamment la participation au script du fameux The Sword de Patrick Tam (1980). Il fait ses débuts de réalisateur au sein de la Shaw Brothers où il se spécialise dans les récits adolescents, révélant ainsi un jeune Leslie Cheung dans Teenage Dreamers (1982). Il va profiter d'un contexte où la Shaw Brothers en perte de vitesse va au début des 80's délaisser son genre de prédilection qu'est le wu xia pian en costume pour des drames plus sérieux et réalistes en faisant appel à de jeunes réalisateurs justement issus de la Nouvelle Vague hongkongaise. C'est dans ce cadre que Ann Hui va signer le mélodrame historique Love in a fallen city (1984) et que Clifford Choi pourra réaliser Hong Kong, Hong Kong.

Image

Le film nous dépeint la péninsule sous un jour sinistre peu vu jusque-là à travers les conséquences sinistres de la migration. La Chine continentale ouvre ses frontières à la fin des années 70, occasionnant la migration massive de chinois venus chercher meilleure fortune à Hong Kong. On suivre le destin de Sin Sun (Cherie Chung) jeune migrante chinoise livrée à elle-même et qui n'a d'autres recours que de donner son corps pour continuer à habiter le misérable baraquement qu'elle partage avec d'autres démunis. Elle va faire la connaissance Yuen Sang (Alex Man), autre migrant sino-thaïlandaise tout autant dans le besoin mais, malgré l'attirance commune leur relation va d'abord en rester là. C'est en quelque sorte comme si leur situation précaire ne les autorisait pas à envisager une romance, il s'agit d'abord de survivre. Clifford Choi met en parallèle et fait s'entrecroiser le parcours de Sin Sun et Yuen Sang pour traduire une même idée, le migrant est à la merci de ceux sur lesquels il compte pour s'en sortir. Sin Sun va ainsi devoir consentir à un mariage arrangé avec vieil ouvrier (Kwan Hoi-San) moyennant finance et la promesse de lui donner un fils en échange quoi elle obtiendra des papiers d'identité. Yuen Sang entame quant à lui une carrière improvisée de combattant de free fight en se plaçant sous la dangereuse protection d'un boss mafieux (Charlie Cho plus habitué aux rôles comiques et ici très intimidant et sadique). Sin Sun livre son corps au désir de son époux quand Yuen Sang soumet le sien aux brutalités du ring dans un même espoir de lendemain meilleur. Lorsqu'ils pensent tout deux toucher au but, ils vont se retrouver et entamer enfin une liaison.

ImageImageImage

Clifford Choi travaille vraiment cette idée de corps assujetti à travers les nombreuses scènes de sexe. Cherie Chung adopte un jeu absent, désincarné où elle s'oublie dès qu'un homme souhaite s'approprier son corps, elle n'est que chair dont doivent se délecter ses différents "maîtres" masculin. Il en va de même pour Alex Man dont le surjeu traduit un état de tension permanente, il n'est lui aussi qu'un corps vigoureux destiné à asséner et recevoir les coups pour le plaisir des spectateurs, pour remplir le portefeuille de son boss. La mise en scène et la prestation des acteurs prend une tout autre tournure lors Sin Sun et Yuen Sang peuvent enfin donner à et se délecter du corps de celui qu'ils aiment. De présence passive Cherie Chung (qui prend le risque de tourner nue pour bien traduire cette différence, élément assez rare alors pour une comédienne hongkongaise) devient actrice de ce moment charnel, et au contraire d'amas de muscles agressifs Alex Man se mue en amant doux et attentionné.

ImageImage

Les rapports avec les "bienfaiteurs" sont bien plus artificiels et matérialistes, par les cadeaux que reçoit Sin Sun de son époux (étonnant pathétique, Choi ne verse pas dans le manichéisme) et ses cachets donnés par le bosse pour Yuen Sang. Clifford Choi marque aussi cette différence par son approche formelle. Les séquences urbaines frisent le documentaire notamment poursuite caméra à l'épaule en début de film (là aussi même si les exceptions existent c'est très novateur à la Shaw Brothers habituée des tournage en studio), les scènes de combats de boxe oscille entre cette urgence heurtée et la presque abstraction à la Raging Bull (le combat final) tandis que les séquences romantiques prennent un tour stylisé et ouaté à travers la photo de Robert Huke, l'attention des cadrages et composition de plan de Clifford Choi. Ces moments sensuels sont des cocons, des écrins hors du temps et chaos extérieur pour les personnages qui vont malheureusement être rattrapé par le destin.

Image

La conclusion est d'une rare violence et noirceur, un véritable voyage au bout de la nuit. La boucle que forment les scènes d'ouvertures et de conclusion, des plans aériens sur les bas-fonds hongkongais (la caméra y descend en contre-plongée en ouverture et en remonte à la fin dans un mouvement inverse), font du récit un tranche de vie miséreuse et anonyme de plus, un jeu dont les règles étaient pipées dès le départ. 5/6
Avatar de l’utilisateur
shubby
Assistant opérateur
Messages : 2683
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Re: Le Cinéma asiatique

Message par shubby »

Profondo Rosso a écrit : 20 août 22, 03:43 Autumn Moon de Clara Law (1992)
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image

Wai, une jeune Hongkongaise de 15 ans, est sur le point de suivre ses parents au Canada. Au même moment, elle rencontre Tokio, un jeune touriste japonais en pleine confusion existentielle. Très vite ils deviennent amis, malgré les différences de culture.

Autumn Moon est sans doute le film le plus connu et acclamé de la réalisatrice Clara Law. Celle-ci s'inscrit dans une sorte de seconde Nouvelle Vague hongkongaise qui émerge entre le milieu et la fin des années 80 avec des auteurs comme Stanley Kwan, Wong Kar Wai ou encore Mabel Cheung. Si l'on retrouve pour certains un parcours proche des ténors de la première Nouvelle vague du début 80's (Tsui Hark, Patrick Tam, Ann Hui) avec des débuts à la télévision, des études à l'étranger, ils se démarquent néanmoins par une volonté moins grande de déconstruire les genres (ce qui ne les empêchera pas ponctuellement de s'y essayer comme Clara Law avec The Reincarnation of Golden Lotus (1992)) et cherchent plutôt à signer un cinéma plus introspectif et personnel. C'est le cas de Clara Law qui en collaboration avec son époux Eddie Fong (les deux alternant les postes de scénariste et réalisateur sur leurs projet respectifs) va proposer une filmographie captivante dans les années 80/90. Parmi ses films les plus marquant on trouve le traumatisant Farewell China (1988), cauchemardesque évocation de l'exil et, bien que très différent, Autumn Moon creuse en partie le même sillon.

ImageImage

Si Farewell China évoquait les maux des classes pauvres chinoises dans leur tentative d'exil en occident, Autumn Moon s'intéresse à l'avant départ, du point de vue de classes plus aisées mais pour lesquelles le changement est tout aussi difficile à accepter. On va suivre Wai (Pei-Hui Li) une adolescente hongkongaise de 15 ans qui vit seule avec sa grand-mère. Ses parents et son frère aîné ont déménagés au Canada pour les études universitaires de celui-ci et Wai doit les suivre l'année suivante, situation qu'elle vit mal. Elle va se lier d'amitié avec Tokio (Masatoshi Nagase), jeune japonais d'une vingtaine d'année qui est lui en exil à Hong Kong. Tokio observe le monde qui l'entoure avec distance, filmant son quotidien tel un entomologiste avec sa caméra et commentant ses images d'une voix-off désenchantée. Sa mélancolie semble plus existentielle, sans que l'on ne sache vraiment malgré quelques indices les raisons de son exil et de cette errance. Cet usage des images vidéo est en tout cas très novateur, annonçant justement l'introspection et la bulle numérique que certains se constitueront par le biais de leur smartphone. Wai et Tokio se rejoignent en tout cas dans la façon dont ils ont mis leur quotidien en suspens, lui errant sans but dans Hong Kong et elle séchant les cours ce qui provoque leur première rencontre et un dialogue amusant. Why don't you are at work lui demande-t-elle, Why don't you are in school? lui répond-il. Il échange d'ailleurs maladroitement en anglais, langue intermédiaire qui les éloigne ou rapproche de leurs vies passées et à venir dans une forme d'écrin intime qui leur est propre.

ImageImage

Le souvenir et la tradition jouent un rôle essentiel dans le récit. Lorsque Tokio demande à Wai de l'emmener dans un restaurant local traditionnel, il a la surprise de voir celle-ci le conduire dans un McDonald. En effet c'est dans ce lieu qu'elle a fêté enfant son premier anniversaire en famille elle sait qu'elle n'aura bientôt plus l'occasion d'y revenir. La tradition s'incarne à travers la grand-mère de Wai (Siu Wan Choi) qui va cuisiner des plats typiques qui enchantent Tokio, cette facette très asiatique du repas comme moment de communion et de rapprochement offrant des scènes aussi simples que touchantes. Tokio semble fuir un passé qu'il veut occulter dans cet exil, Wai dans son exil annoncé craint à l'inverse de voir tous ses souvenirs s'estomper. La voix-off de Wai diffère donc de celle de Tokio plus flottante et nourrie de réflexions désabusées, puisqu'elle se rattache essentiellement à l'évocation de moments partagés avec son grand-père décédé, ses parents, les comptines qu'ils lui apprenaient et les lieux où ils l'emmenaient. Les petits gestes du quotidien prennent un tour fondamental pour marquer l'empreinte de cet environnement bienveillant comme le fait de brûler des encens pour le grand-père disparu. Peu à peu, les personnages se nourrissent l'un l'autre et reprennent goût à la vie, se reconnectent à la vie qui les entoure.

ImageImage

Formellement Clara Law filme littéralement Hong Kong comme ce lieu de transit et d'oubli qu'il représente pour les personnages. Toutes l'urbanité de la ville et filmée de manière distante, dans des plongées arpentant la ville depuis le ciel (sans doute filmé en hélicoptère), et les environnements où l'on s'attarde sont plus restreints, associés soit à cette idée de souvenir ou au contraire à la volonté néfaste d'isolement (l'appartement de Tokio). Les personnages secondaires symbolisent d'ailleurs les aspirations contradictoires et les sentiments refoulés des personnages. La grand-mère bien sûr illustre tout ce que Wai ne veut pas quitter, le garçon de son école dont elle est amoureuse tout ce dont elle ne doit plus se soucier. Pour Tokio il s'agira de Miki (Maki Kiuchi) la sœur aînée de sa petite amie d'adolescence, tout autant en perdition et fuite que lui (divorcée, alors que son ex et ses enfants sont retournés au Japon) et avec laquelle il va entamer une liaison. Wai et Tokio s'aident mutuellement à sortir de leur coquille, ce qui permet à Clara Law de livrer de passionnantes réflexions. Le film est vraiment une photographie de Hong Kong alors que la récession est imminente en 1997. Cette peut de perdre ses racines mais aussi cette nécessité de partir étaient sans doute au cœur des préoccupations des hongkongais à l'époque, notamment Clara Law ayant en partie fait ses études à l'étranger et qui allait émigrer définitivement en Australie en 1994. Cette perte des valeurs traditionnelles se révèle dans la scène où Wai décide de passer une nuit avec son petit ami, moment où il ne se passera rien tant celui-ci la glace par sa discussion qui ne porte que sur le matériel, ses futures études à l'étranger et les affaires qu'il compte monter une fois adulte. Cela donnera aussi une des plus belles scènes du film lorsque la caméra de Tokio ne capture plus la froideur urbaine, mais au contraire cette tradition en filmant la grand-mère hospitalisée qui lui fait part de ses dernières volontés et comment elle imagine ses funérailles. Tokio a beau ne pas parler cantonais, la douceur de la vieille dame par le prisme de l'image de la caméra éveille une émotion qui fonctionne naturellement et semble faire instinctivement comprendre à un Tokio bouleversé ce qu'elle lui dit.

ImageImageImage

La photo de Siu-Hung Leung baigne l'ensemble dans une lumière bleutée qui peut autant constituer un doux cocon que cette modernité glaciale synonyme de fossé entre les individus. Cet entre-deux se ressent par le poème définissant l'automne tout au long du film, derniers relents de l'été et d'une certaine idée du bonheur et prémices de l'hiver avec le spleen qui l'accompagne. La réconciliation des protagonistes avec leur passé, présent et futur passera par la célébration des fêtes traditionnelles chinoises et japonaise. Pour Wai c'est une continuité et un bonheur à faire perdurer avec la fête d'automne ou fête de la lune chinoise (ce qui explicite le titre du film) et avec Tokio une manière de renouer avec son identité par le Tsukimi, la fête de la lune d’automne au Japon - manière aussi de montrer la proximité des cultures chinoises et japonaises. Les deux scènes sont somptueusement filmées par Clara Law dans un élans à la fois féérique, fantomatique et chaleureux. Les acteurs sont parfaits d'émotion et de justesse notamment la jeune Pei-Hui Li fascinante de fraîcheur et dont ce sera le seul rôle. Le film fera le tour des festival internationaux où il fera un triomphe, notamment à Locarno où il remportera le Léopard d'or en 1992. 5,5/6
Merci de causer de celui-ci, pas encore vu et faudrait.
Avatar de l’utilisateur
Shinji
Accessoiriste
Messages : 1663
Inscription : 31 août 18, 21:06
Contact :

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Shinji »

shubby a écrit : 26 août 22, 13:33
Profondo Rosso a écrit : 20 août 22, 03:43Autumn Moon de Clara Law (1992)
Merci de causer de celui-ci, pas encore vu et faudrait.
Oui, merci pour toutes ces découvertes.

Par contre, pour les voir...
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Moon Warriors de Sammo Hung (1992)

Image

Fei (Andy Lau), un simple pêcheur, était autrefois un puissant épéiste. Il déjoue une tentative d'assassinat contre le 13e prince (Kenny Bee) et l'aide à reconquérir le trône confisqué par son frère. Croissant de lune (Anita Mui) et Mo-sin (Maggie Cheung) apparaissent comme la future épouse et l'assistance du prince, tout en participant aux combats.

Moon Warriors est un wu xia pian typique, dans ses défauts et qualités, des spécificités du cinéma hongkongais dans ce qu'il a de plus charmant. En ce début des années 90, le wu xia pian retrouve grâce au succès des Swordsman produit par Tsui Hark un nouvel âge d'or qui entraîne dans la logique commerciale de Hong Kong une surproduction massive du genre. Moon Warriors dans son script ne se distingue pas des sommets de l'époque (L'Auberge du Dragon de Raymond Lee (1992), The Bride with the white hair de Ronny Yu (1993), Swordman 2 de Ching Siu Tung (1993)) et souffre des spécificités de production hongkongaises. On a ainsi l'impression dans la première demi-heure de change plusieurs fois de direction narrative et de protagonistes principaux. On est tout d'abord focalisé sur la cavale du prince déchu joué par Kenny Bee et l'amour secret que lui voue son acolyte Mo-Sin (Maggie Cheung), avant de vriller sur l'amitié du prince avec le modeste pêcheur Fei (Andy Lau) qui lui a sauvé la vie. Nouvelle rupture de ton lorsque Fei doit protéger Croissant de lune (Anita Mui)la future épouse du prince, les deux tombant amoureux dans l'aventure. Cette narration brinquebalante est en grande partie dû à l'effervescence de la production locale qui sollicite énormément ses stars. On devine ainsi que les étranges entrées et sorties de Maggie Cheung du récit (qui sur cette période 92/93 atteint son pic de popularité et de productivité à Hong Kong où elle est partout, dans tous les genres et registres dramatiques) vient d'aléas de planning avec lesquels a dû jongler Sammo Hung - qui explique d'ailleurs très bien dans les bonus du dvd une astuce de cadrage pour filmer un dialogue avec Kenny Bee que les acteurs n'ont jamais tournés ensemble.

Mais l'habitué du cinéma de Hong Kong est coutumier de ce type de rupture de ton et l'on finit par se prendre au jeu dans chacun des segments du film, par le charisme des acteurs et la facture superbe du film. Le quatuor amoureux Kenny Bee/Andy Lau/Maggie Cheung/Anita Mui déborde de charisme à défaut de fil rouge narratif tenu, celui émotionnel fonctionne parfaitement, que ce soit la romance naïve et coupable Andy Lau/Anita Mui tout en charme suranné, ou une Maggie Cheung torturée à souhait dans sa dévotion. Sur la cohérence du récit, Sammo Hung ne nous laisse guère le temps de trop nous poser de questions en nous pilonnant tous les quarts d'heure de phénoménales joutes martiales chorégraphiées de manière virtuose par Ching Siu Tung. Une forêt de bambou dont le sous-sol dissimule des ninjas, des adversaires se substituant à des dames de compagnies derrière un cerf-volant, la conclusion où un orque meilleur ami du héros (!) vient lui sauver la mise d'un coup d'aileron dans un moment critique, les idées folles abondent, exécutées avec une célérité, une énergie et une science du montage impressionnante. Le rythme effréné ne se ralenti que pour justement nous caractériser les personnages selon des motifs certes simples mais efficace pour nous attacher à eux. Le contraste entre le statut noble du prince et la désinvolture de Fei qui s'adresse à lui sans cérémonial scelle leur lien amical, cette même différence sociale sème la discorde puis finit par lier Fei et Croissant de lune. Sammo Hung pose dans ces instants une imagerie contemplative et romantique, alternant splendides décors studio et extérieurs somptueux porté par de belles compositions de plan, une photo stylisée de Arthur Wong. En définitive le côté bricolé n'est pas déplaisant, le mélodrame fonctionne à merveille et l'action décomplexée emporte le morceau. Tout ce que l'on aime dans le cinéma hongkongais de l'âge d'or. 4,5/6

ImageImageImageImage
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Beijing Rocks de Mabel Cheung (2001)

Image

Après avoir tourné en Chine continentale pour sa fresque historique The Soong Sisters (1997), Mabel Cheung y revient pour l'intrigue cette fois bien contemporaine de Beijing Rocks. Comme souvent dans son cinéma, il est question d'exil et d'interrogation existentielle pour les personnages. Cependant contrairement à sa trilogie du "migrant" (Illegal Immigrant (1985), Autumn Tales (1987) et Eight tales of gold (1989)) n'est pas seulement géographique et culturel. Nous allons suivre trois personnages gravitant dans le monde de la musique rock. Michael (Daniel Wu) est un fils de bonne famille ayant décidé de s'éloigner du monde des affaires paternelles pour devenir auteur compositeur. Cependant une panne d'inspiration et l'épée de Damoclès d'un procès suite à une rixe l'oblige pour un temps à migrer en Chine alors qu'il est né à Hong Kong et a grandi aux Etats-Unis. Il va alors découvrir la scène rock chinoise underground, et notamment le groupe de Road (Geng Le) chanteur et guitariste tapageur, ainsi que sa petite amie Yang Yin (Shu Qi) dont il va tomber amoureux. A travers ce trio, Mabel Cheung creuse différente forme de sentiments d'exil. Michael se sent étranger partout en maîtrisant mal le mandarin et l'anglais, Road cherche à échapper à la monotonie laborieuse de son père conducteur de train par le biais de la musique, et Yang Yin est une orpheline victime de la Révolution Culturelle ayant grandie seule et trouvant dans le microcosme du groupe la famille qu'elle n'a jamais eu.

Mabel Cheung s'était montrée capable dans sa mise en scène d'avoir un pied dans la modernité par sa captation alerte des pulsations urbaines dans Illegal Migrant et surtout Autumn tales, tout en faisant preuve d'un lyrisme formel qui atteindra des sommets dans Eight tales of gold et The Soong Sisters. Elle tente la même chose ici en alliant classicisme et modernité dans l'usage de nouveaux outils de filmage, ou de dispositifs de mise en scène. Parmi les éléments réussis, il y a les séquences filmées en dv par le personnage de Michael qui immortalise et/ou vole des moments de cette vie en collectif et anticipe de fait toute la dimension de journal intime numérique qui se démocratisera quelques années plus tard avec l'arrivée des smartphones. En cette même année 2001 et toujours en Asie, il n'y a bien que le Shunji Iwai (de manière plus radicale) dans All about Lily Chou-chou qui se montre précurseur sur ce point. Il y a cependant d'autres point certes dans l'ère du temps au moment de la sortie du film mais ayant bien vieillit désormais qu'utilise la réalisatrice, comme le filmage façon confessionnal de téléréalité où chacun des protagonistes va venir dévoiler son passé face caméra. Mabel Cheung dépeint bien l'énergie et l'urgence des concerts, par sa mise en scène heurtée, la photo de Peter Pau entre grisaille urbaine et lumière tapageuse des bars et salles où joue le groupe, et par le jeu des acteurs notamment Geng Le aussi imprévisible que torturé dans sa présence scénique. Si le triangle amoureux n'est pas très original (on en a un assez voisin dans Presque célèbre de Cameron Crowe), l'interprétation fait mouche avec un Daniel Wu emprunté et touchant, ainsi qu'une Shu Qi aussi inconséquente que solaire. Il est d'ailleurs impossible avec la présence de cette dernière de ne pas faire le rapprochement avec Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien sorti la même année, où Shu Qi est aussi une jeune femme en quête de sens à sa vie évoluant dans un milieu underground et en couple avec un compagnon ombrageux. Mabel Cheung n'égale pas le vertige du classique de Hou Hsiao-hsien mais participe à faire de Shu Qi le visage d'une certaine jeunesse asiatique qui s'interroge à l'aube du nouveau millénaire.

Il est dommage vu le sujet que la partie strictement musicale ne soit pas plus marquante, les atmosphères fiévreuses sont là mais les chansons ne sont pas à la hauteur (manifestement une certaine frange du rock anglo-saxon 90's et notamment le grunge ne sont arrivés en Chine qu'au début des années 2000 au vu des looks et des sonorités, pour le coup Hou Hsiao-hsien a capturé une réalité musicale plus juste avec l'electro de Millennium Mambo) et les problématiques parfois ressassées dans ce genre de film (en gros garder son intégrité rock ou céder aux sirènes commerciales des majors). Heureusement chaque fois que ces aspects rejoignent les failles intimes des protagonistes, cela fait mouche. On pense à la scène où Road perd le fil en voyant son père en tenu de travail parmi le public de son concert, puis plus tard la visite très touchante à ce dernier lors d'une halte de son train. On sent le mélange de culpabilité à ne pas avoir choisi une voie plus rassurante pour les parents, et la potentielle fierté à y réussir non pas par défi, mais pour les rassurer. C'est d'ailleurs un des éléments originaux du film, on pourrait s'attendre avec ce cadre chinois à des parents stigmatisant et réprouvant les aspirations artistiques des enfants, mais ce n'est jamais le cas, ce sont des soutiens même maladroit tant dans le cadre nanti de Michael que celui plus modeste de Road. Les petites scories formelles et musicales empêchent l'ensemble de pleinement atteindre l'emphase dramatique (notamment le post-générique à guetter qui prolonge le rôle sentimental d'une chanson) des meilleurs films de Mabel Cheung mais Beijing Rocks n'en reste pas moins un très joli film où la réalisatrice tente des choses et se remet en question. 4,5/6
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Anita de Longman Leung (2021)

Image

Récit de la vie d'Anita Mui, légende de la cantopop décédée d'un cancer en 2003.

Anita est le biopic de Anita Mui, une des plus grandes stars de Hong Kong dans les années 80/90, qui triompha dans les charts musicaux en contribuant à l'essor de la cantopop, et également sur les écrans en tournant avec les plus grands réalisateurs de l'âge d'or du cinéma hongkongais. Disparue prématurément en 2003 d'un cancer alors qu'elle n'avait que 40 ans, Anita Mui est une vraie légende locale dont la mort conjointement à celle la même année de Leslie Cheung, son partenaire dans Rouge de Stanley Kwan (1987), marqua la fin d'une certaine idée dans l'industrie du divertissement hongkongais. Sa vie inspira officieusement de son vivant une série télé du nom de Forever Love Song diffusé à Hong Kong en 1998 (mais qui n'utilisait pas son nom) et une seconde après sa mort produite en Chine en 2007 intitulée Anita Mui Fei mais déjà là très édulcorée - pas de cancer et pas de suicide de Leslie Cheung. Le film est initié par le producteur Bill Kong, un de ses grands amis qui regretta toujours qu'elle ne put pas jouer dans Le Secret de poignards volants de Zhang Yimou (2004) qu'il produisait, et qui devait marquer le grand retour d'Anita Mui sur les écrans mais le destin en décida autrement. Ce biopic est donc une façon de lui rendre hommage, dans une déférence qui malheureusement dessert souvent le film mais qui lui offre aussi quelques moments de grâce.

Image

Le souci du film est son manque de fil conducteur thématique, ou du moins s'il y en a un il est bien trop convenu et ne se démarque pas du commun des biopics. Le film s'ouvre sur Anita Mui enfant qui performe déjà avec sa sœur aînée Ann afin de subvenir aux besoins de sa famille. Cette entrée en matière anticipe à gros trait certains éléments à venir du film. Sa gentillesse et bienveillance (une réalité puisqu'elle s'engagea notoirement dans des actions caritatives à Hong Kong ce qui sera montré plus tard dans le film) sont soulignés quand elle arrive en retard sur scène car elle a aidé un petit garçon a attrapé son ballon coincé dans un arbre. Le charisme scénique en germe se devine également lors de la scène de concert et surtout, le flair commercial quand voyant le succès d'un bellâtre chantant en mandarin et anglais, elle apprend de sa propre initiative dès ses cinq ans une chanson anglaise phonétiquement sans maîtriser la langue. Le film suit chronologiquement son ascension, notamment le concours de chant télévisé New Talent Singing Awards qui en 1982 la fait exploser aux yeux du public et entraîne sa signature dans une maison de disque. L'absence de parti pris du film se révèle aussi dans cette séquence où les archives de la vraie Anita Mui viennent se substituer à celle de l'actrice Louise Wong, dans une vraie incapacité à proposer une vision personnelle de l'icône. Anita Mui fut souvent considérée comme la "Madonna de Hong Kong", innovant avec des tenues de scènes sexy et certains morceaux provocant comme Bad Girl, tube de 1985. C'est très superficiellement montré dans le film et assez maladroitement introduit. Plutôt que de mettre en valeur l'audace d'Anita Mui, ou au contraire montrer cette audace comme une contrainte de ses producteurs, on choisit de lier cela au chagrin d'amour qu'elle aurait eu avec l'idol japonais Goto Yuki (Ayumu Nakajima). Le nom est modifié pour le film mais il est inspiré du vrai idol Masahiko Kondō qui entretint effectivement une liaison avec une jeune Anita Mui. Le semblant de piquant possible est totalement édulcoré tant par leurs scènes communes insipides (production hongkongaise mais visant le marché chinois, la pudibonderie est de rigueur c'est à peine si les deux se tiennent la main) que par les motifs assez quelconques de ruptures (associer vie privée et vie publique c'est compliqué), alors que le passif de Masahiko Kondo est assez gratiné - il était fiancé au même moment à l'icône de la pop japonaise Akina Nakamori qui tenta de se suicider à cause de ses infidélités.

ImageImage

Le reste du film est à l'avenant. Tout est évoqué mais survolé, les tubes d'Anita Mui ponctuant certains moments-clés de sa vie, parfois méconnus mais qui donnent des suspensions clippesques plutôt que des moments de cinéma. Ainsi la confrontation d'Anita Mui avec un membre des triades auquel elle tient tête aurait pu révéler une certaine réalité de l'industrie hongkongaise d'alors, mais le film s'attarde sur l'exil de la star en Thaïlande pour échapper aux représailles du truand. La carrière cinématographique d'Anita Mui est résumée à Rouge dont une scène de tournage reproduit une image iconique mais on en reste à la vignette sans relief uniquement là pour jouer avec la connaissance/les attentes du public local qui connaît le film. Son amitié avec Leslie Cheung (Terrance Lau) est un des fils rouges du film même si le tempérament torturé de ce dernier est assez survolé. Leurs scènes communes donnent néanmoins des passages réussis comme ce concert en club à leurs débuts où l'aisance, la maîtrise et la connivence avec un public distrait d'Anita Mui se ressent dans le jeu de corps de Louise Wong et la mise en scène, quand un Leslie Cheung plus timoré peine à s'imposer. La promesse que se font ensuite les deux futures stars de triompher ensemble n'en est que plus jubilatoire, et triste puisqu'ils disparaîtront à quelques mois d'intervalles aussi. Autre élément qu'il ne fallait pas espérer voir ici non plus, le positionnement d'Anita Mui au moment des évènements de Tian'anmen, et la correspondance entre son retrait progressif et la rétrocession de 1997.

ImageImage

Le film ne creuse que le sillon convenu des affres de la célébrité, de la solitude de l'artiste, mais sans les concrétiser plus spécifiquement à l'environnement de l'industrie de Hong Kong avec un grand public quasi absent hormis les séquences de concerts assez platement filmées. Ils font attendre les 20 dernières minutes pour que la magie opère enfin, lors de l'ultime concert d'Anita Mui où affaibli par le cancer qui devait l'emporter 45 jours plus tard, elle s'offre à son public en tenue de mariée et interprète Cherish When We Meet Again, tube de 1987 au titre et paroles lourds de sens. On a enfin le moment de grâce attendu et l'émotion fonctionne réellement. Pour le reste les moyens sont là dans les décors, la reconstitution, les costumes, la prestation de Louise Wong (étonnante de ressemblance avec son modèle) est louable mais c'est bien trop impersonnel (à l'image de la photo numérique sans aspérité de Anthony Pun) pour donner corps et cœur à la légende d'Anita Mui. Il existe un montage sous forme de série appelé Anita (Director's Cut) sous forme de 5 épisodes de 45 minutes usant de scènes du film et d'autres inédites, peut-être que le film est plus intéressant sous cette forme mais on en doute. 3/6

ImageImage
Avatar de l’utilisateur
shubby
Assistant opérateur
Messages : 2683
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Re: Le Cinéma asiatique

Message par shubby »

Romancing Star (1987, Wong Jin)

Image

Avec Wong Jin, j'ai beau m'attendre à du show saltimbanque mafieux, je reste agréablement surpris par l'insouciance affichée. C'est coloré, déconnant, léger... mais aussi lourd et consternant, certes. Les blagues nulles les plus longues fonctionnent à l'usure, c'en est stratosphérique. "Pitié, non", m'entendé-je dire au détour des pires du pire. CYF peine à intégrer une dynamique de groupe je trouve - vous l'imaginez dans Le gagnant avec Jackie ? - mais parait flotter tel un dieu vivant au milieu de tout ce bordel (faut que je vois Diary of a Big Man asap) D'ailleurs, dès qu'il joue en couple avec Maggie Cheung, on bascule dans un autre film. Elle-même est à son point de bascule, WKW c'est pour l'année prochaine. Ca se sent et ça se voit, on débarque parfois sur une autre planète. La nostalgie, avec le ciné, c'est un peu de la magie noire sinon. Tous ces vieux encore jeunes à l'écran, vus par un ancien jeune lui-même, c'est décalé. Plaisant, confortable, mais le pincement au cœur est un peu là. Ajoutons à cela une parodie lourdingue de Syndicat du crime, soit une référence à un autre vieux truc, ça picote. En attendant, ça réchauffe bien son homme sur cet hiver, merci bien. On trouve encore du passage truculent là-dedans.
"Une comédie stupide" jugea Maggie Cheung. Indubitablement.

Image
Avatar de l’utilisateur
Profondo Rosso
Howard Hughes
Messages : 18487
Inscription : 13 avr. 06, 14:56

Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Haru de Yoshimitsu Morita (1996)

Image

Un homme avec le pseudo "Haru" chats en ligne avec un autre homme "Hoshi" avec l'idée que "Hoshi" est un homme. Ils discutent de la relation de "Haru" avec sa petite-amie entre autres. Mais en réalité, "Hoshi" est une jeune femme utilisant un pseudo masculin pour éviter les avances d'autres hommes...

L'émergence et la démocratisation progressive d'internet dans les foyers amènent des bouleversements sociaux dont le cinéma allait très vite s'emparer. Le cinéma américain dans ses tentatives initiales se contente de prolonger des formules et genres bien installés en y ajoutant l'élément internet, mais sans intégrer les spécificités de ce nouveau média au récit comme dans le thriller Traque sur internet (1995) ou la comédie romantique Vous avez un message (1998) qui vieillissent assez mal. Le Japon a au contraire très vite su saisir le nouvel espace social et intime que constitue internet, mais surtout dans des œuvres sombres comme la chronique adolescente All About Lily Chou-Chou de Shunji Iwai (2001) ou l'épouvante de Kaïro de Kiyoshi Kurosawa (2001). Haru les précède tous et s'avère un petit bijou toujours pertinent malgré les évolutions technologiques et la place encore plus grande d'internet dans notre quotidien aujourd'hui.

Le postulat est très simple et consiste à suivre le dialogue et la relation par mail d'un homme, Haru (Seiyô Uchino), et d'une femme, Hoshi (Eri Fukatsu), qui correspondent par mail tout au long du récit après avoir sympathisé sur un forum de discussion. Le dispositif est également assez simple, le montage alternant écran noir où l'on lit les mails échangés avec le quotidien réel des personnages. Cependant Yoshimitsu Morita dans ce va et vient nous fait dès la scène d'ouverture ressentir qu'il ira du magma du collectif vers l'intime sur ces deux espaces narratifs. Le début du film noue noie sous les messages en ligne sans que l'on puisse identifier un interlocuteur, envahissant un paysage urbain où les protagonistes sont tout aussi anonymes et étrangers les uns des autres. Progressivement Haru et Hoshi sympathisent, les intervenants se réduisent, les messages s'estompent pour ne plus concerner que nos deux personnages. Les messages sur fond noir ou carrément plaqués sur l'image réelle indiquent la plupart du temps qui parle, mais Morita par sa caractérisation subtile rend peu à peu ce renseignement inutile. Plus les personnages échangent sur leur vie et révèlent un pan de leur personnalité, plus la connaissance et l'attachement du spectateur pour eux se développe et laisse comprendre qui est qui.

ImageImage

La linéarité de ce dispositif correspond aussi à la place d'internet dans nos vies à cette période des années 90 où le schisme entre le quotidien (la journée, le travail, les sorties) et les activités en ligne (seul le soir chez soit devant le PC) existe, c'est une photographie des usages à cette période. Ce qui empêche le film de vieillir, c'est dans le fait de s'attacher aux comportements humains que cela génère et qui persistent encore aujourd'hui même si la technologie a évolué. Les échanges badins initiaux voient ainsi Haru et Hoshi exposer une image déformée d'eux même. C'est notamment vrai de la part d'Hoshi qui ne révèle pas immédiatement être une femme, et surtout recherche l'attention des autres en exprimant sa passion pour le cinéma. Haru la démasque accidentellement (sa description des snacks d'une salle de cinéma de Tokyo dont ils avaient parlé étant erronée), ce qui amène un échange plus sincère où Haru avoue être une femme, et ne pas voir beaucoup de films puisqu'elle vit en province. Chaque petit aveu mutuel de ce type amène à en voir plus de leurs vies respectives, Hoshi végétant dans un poste de cadre commercial, Haru enchaînant les jobs divers et variés. Hoshi s'englue dans le marasme urbain après la rupture avec sa fiancée, Haru en deuil de son compagnon tragiquement disparu multiplie les expériences professionnelles pour ne pas sombrer dans ses pensées.

ImageImageImageImage

Les aveux intimes entraînent paradoxalement les mensonges quand la vie de l'un prend un tour plus palpitant par une rencontre amoureuse et force l'autre à affabuler pour cacher son désarroi. C'est l'occasion d'explorer d'autres personnalités online et excentriques que notre "couple", notamment lorsque Hoshi rencontre une dénommée Rose aussi entreprenante dans le virtuel que chaste dans la réalité où elle recherche avant tout une amitié. Internet est un lieu de tous les possibles où le peut se façonner une personnalité plus grande que soit, mais la réalité nous expose dans nos petits travers. Yoshimitsu Morita se montre d'une limpidité exemplaire et ne lasse jamais dans son procédé, trouvant nombres d'idées pour dynamiser dramatiquement ces écrans où s'enchaînent les messages virtuels, et faisant montre du brio de ses précédents films pour saisir en contrepoint des paysages reflétant l'état d'esprit des personnages - porté par le spleen de la bande originale de Souichi Noriki et Toshihiko Sahashi. Le fourmillement de l'urbanité Tokyoïte, la froideur et la métronomie des transports en commun traduisent l'étouffement et le spleen de Hoshi. A l'inverse, les espaces provinciaux et ruraux vide, ainsi que la multitude des environnements de travail de Haru expriment sa solitude et son absence de perspectives idée qui fonctionne aussi avec leur intérieur, encombré et qui noie Haru, espacé et qui isole Hoshi. Parfois les échanges virtuels font figure d'espace de confidence et reflète la réalité que l'on voit d'eux, ou alors ils affabulent le 2.0 prolongent le quotidien solitaire où il ne fait pas bon exposer sa détresse. Plus les personnages deviennent proches, plus il leur est difficile d'assumer la médiocrité de leur existence aux yeux de l'autre. D'ailleurs lorsqu'un rebondissement fait se rejoindre leur deux "réalités" Morita use d'une sorte d'effet de glitch, de bug dans ce réel comme si l'harmonie était rompue.

ImageImageImageImage

On est ainsi happé par cette narration singulière, cet espace-temps suranné et sans réseaux sociaux qui auraient accélérés en quelques clics la révélation/demande du physique de chacun. Là on garde encore une forme de mystère épistolaire et la vraie/fausse première rencontre donne une scène d'un romantisme et d'une poésie magnifique, lorsque Haru et Hoshi se donne "rendez-vous". Il est dans un train qui traverse sa région, elle le film depuis l'extérieur dans son wagon où lui la prend en photo. C'est une idée un pied dans le rétro par les technologies utilisées (caméscope, appareil photo instantané) et l'autre dans la modernité vue comme l'immortalisation filmée et photographiée se fera plus envahissante, moins particulière, avec l'irruption des smartphones 15 ans plus tard. En définitive on observe grâce à cette relation virtuelle chacun des personnages se reconstruire dans sa vie personnelle et être ainsi apte à affronter une vraie rencontre qui donnera une dernière scène poignante et inventive. Alors que le couple se voit enfin en chair et en os, Morita coupe l'image et le son lors des premiers mots échangés qu'il fait apparaître sous forme de conversation virtuelle. Pas besoin d'en voir plus, la boucle est bouclée. Un petit bijou de romance, porté par une interprétation touchante, en particulier Eri Fukatsu en Hoshi. 5/6

Répondre