Interview de Francis Veber par Jean Veber (son fils).
Sur Clouzot et Chabrol...
Francis Veber - "Un jour, j'avais été reçu par Clouzot qui voulait travailler avec moi. Clouzot c'est un grand metteur en scène français. Je le précise parce que les gens oublient tellement vite..."
Jean Veber - "On peut croire que c'est l'inspecteur, oui..."
FV - "On peut croire, oui. (Rires) Et puis surtout j'avais vu un interview de jeunes à qui on demandait qui était Charles de Gaulle. Sur seize jeunes, il n'y en a pas un seul qui le savait, sauf un qui a dit "un aéroport", tu vois. Donc maintenant je le précise. Clouzot, c'est le type qui a fait le Salaire de la peur..."
JV - "Henri-Georges, très grand metteur en scène..."
FV - "Très grand, oui."
JV - "Quai des Orfèvres, Le Corbeau, L'assassin habite au 21, et plein de très grands films... Et tu l'as rencontré ?"
FV - "Bien sûr."
JV - "Raconte-moi ta rencontre avec Clouzot."
FV - "J'avais fait Le Grand blond avec une chaussure noire et deux/trois films, et je commençais à passer pour un scénariste qui savait à peu près ce qu'il faisait. Coup de téléphone : "Bonjour, c'est Henri-Georges Clouzot à l'appareil." C'est fou ! Et il me dit: "J'aimerais vous rencontrer." Je me rappelle, je m'étais fait une névralgie cervico-brachiale. Je traduis maintenant (rires), c'est en faisant de la barre fixe car à l'époque je faisais des agrès, que je m'étais démis un nerf dans l'épaule, et c'était atrocement douloureux. Et je suis allé chez Clouzot avec le bras en écharpe, et je suis arrivé et il m'a dit: "Voilà, moi je trouve que vous avez de l'avenir et j'aimerais faire un film avec vous." Or, j'avais entendu parler que sa suite, dans l'hôtel La Colombe d'Or à Saint-Paul de Vence, les scénaristes l'appelaient "L'Enfer", parce que c'était un perfectionniste, mais totalement hystérique, et il torturait les gens. Il avait notamment un scénariste qui s'appelait Lévy, qui de temps en temps remettait son chapeau et partait. Et il le rappelait en disant: "Revenez ici tout-de-suite !" Et il revenait, et ce type-là a fait cinq, six infarctus avant de comprendre que c'était trop dangereux. Et je me suis demandé si j'avais envie de faire des infarctus à cause de ce génie. De deux choses l'une, ou bien je suis déjà un scénariste et il ne m'apprendra qu'une chose, c'est avoir peur, et je n'ai pas besoin, j'ai peur tout seul, ou je ne serais jamais un scénariste et il ne m'apprendra pas à le devenir. Je l'ai appelé et je lui ai dit : "Monsieur Clouzot, je suis désolé d'avoir à vous dire ça, mais je ne peux pas travailler avec vous." Très froid : "Ah bon, pourquoi ?" Je lui ai dit : "Parce que j'ai peur. Vous avez une réputation de tortionnaire, je suis obligé d'entendre ce que disent les gens, et je n'ai pas envie que vous me rendiez malade." - "Très bien, au revoir." Et il est mort... une demie-heure après.
JV - (Rires) "Dans le bain, comme dans Les Diaboliques ?"
FV - "Il est mort trois ou quatre mois après. Il était en fin de carrière, tard dans sa carrière mais tôt dans sa vie parce qu'il n'était pas très vieux.
JV - "Très grand metteur en scène. Quel était son dernier film ?"
FV - "Je crois qu'il avait commencé à faire L'Enfer... et qu'il avait été repris par un autre metteur en scène parce qu'il est mort entretemps..."
JV - "C'est pas Chabrol qui l'a repris ?"
FV - "J'espère que non. (Rires)
JV - (Rires) "J'ai revu Le Boucher qui est un très bon film et peut-être le meilleur film de serial killer français."
FV - "Mais il a fait de très bons films, Chabrol. Mais il y a avait aussi... un film avec Stéphane Audran..."
JV - (Rires) "Ça nous arrange."
FV - "Il y avait le mot "femme" dedans...
JV - (Rires) "On n'est pas arrivés."
FV - "Non mais Chabrol a fait de très bons films, mais il a fait une soixantaine de films effroyables... J'avais assisté à un interview, je crois que c'était Huppert et Bonnaire, qui jouaient dans un film sur ces bonnes qui avaient assassiné leur patron..."
JV - "La Cérémonie."
FV - "C'est ça. Un film de Chabrol qui n'était pas mauvais du tout. Et j'ai vu un truc que je n'aurais pas pu imaginer, moi, en tant que metteur en scène, et je ne prétends pas avoir autant de talent que Chabrol, ce n'est pas le problème. Les deux filles avaient un long passage en voiture, avec voiture-travelling bien sûr, pour leurs dialogues, et une longue scène entre elles. Elles s'arrêtent, et Chabrol est là, en disant: "Bravo mes petites, bravo mes cocottes." Tu parles... Et à ce moment-là, il y a une des deux qui dit : "Mais est-ce qu'on pourrait la refaire, la prise ?" Tout ça était filmé par la télé. "Mais non, je ne vois pas pourquoi." Il tournait en six semaines..."
JV - "C'est le Clint Eastwood français. Eastwood fait une prise ou deux."
FV - "Je sais, mais Chabrol c'est pour faire des films le moins cher possible. Et il dit : "Mais non, mais non, c'est très bien comme ça." Et elle dit : "Mais non, on peut faire mieux, Claude." Et il répond : "Mais c'est pas ma faute si vous avez du talent, mes chéries." Il était étonnant. Il paraît qu'il repérait en fonction des bons restaurants..."
JV - "Oui, il avait une cantine exceptionnelle aussi..."
FV - "Les techniciens étaient gras et contents. Moi je disais que c'était un mélange d'Hitchcock et Gault et Millau..."