Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Nomorereasons
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Nomorereasons »

Banane a écrit :Je m’excuse un peu du pavé
Merci de ce post passionnant ! Et pour Lubitsch: justice est faite! AlexRow disait aussi que cette fameuse grossièreté de Lubitsch est faite, à la manière d'une mille-feuilles, d'une infinité de couches extrêmement fines et subtiles superposées les unes aux autres. Et ta démonstration sur l'utilisation éblouissante du leitmtiv "concentration camp Erhard" vient à juste titre confirmer cette idée: non, Strum, ce n'est pas que du comique de répétition :mrgreen:
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Shin Cyberlapinou
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Bon c'est décidé, je me fais To be or not to be ce week end (il m'attend depuis quelques temps sur l'étagère), ne serait-ce que pour mieux situer le positionnement de Tarantino, et voir si ce certain "Lubitsch" vaut la réputation de sympathique amuseur qu'on lui prête... De quoi, "inculte"?
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Nomorereasons »

Phnom&Penh a écrit :
takezo a écrit : De l'utilité du cinéma. On est reparti pour 20 pages.
Oh, j'ai peut-être été un peu sentencieux et ridicule :oops:
Phnom, ne concède rien à cette espèce de parnassien !
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par bronski »

Sinon il y avait un téléfilm sur René Bousquet sur france2 hier...
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par takezo »

yaplusdsaisons a écrit :
Phnom&Penh a écrit :
Oh, j'ai peut-être été un peu sentencieux et ridicule :oops:
Phnom, ne concède rien à cette espèce de parnassien !
T'as tout faux. Je suis de Limoges.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Strum »

Très beau post banane ! J'ai eu le tort de ne parler de To be or not to be que pour évoquer essentiellement le "concentration camp Ehrhardt" récurrent du film, qui ne m'avait pas fait rire. Je suis bien conscient de la fonction de cette réplique dans le film, mais elle m'avait mis mal à l'aise et je pense que Lubitsch ne l'aurait pas utilisée, du moins pas ainsi, s'il avait tourné son film après la guerre (en ayant pris connaissance de la nature d'un camp de concentration) et non pas fin 1941. Toutefois malgré ce crime de lèse-majesté envers le plus grand génie comique du cinéma avec Chaplin, je me félicite d'avoir été aussi expéditif avec To be or not to be en passant sous silence ses richesses : cela t'aura incité à intervenir pour défendre le film, que tu m'as donné envie de revoir. :)
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Max Schreck »

Shin Cyberlapinou a écrit :* Il y a de ça quelques années Albert Dupontel interviewé avec Paul Verhoeven dans Brazil déplorait que personne n'ait le courage de faire un film sur le groupe Manoukian et son statut d'outsider au sein de la Résistance. Je n'ai pas vu L'armée du crime, mais il n'aura finalement pas fallu tant de temps pour raconter l'histoire sur un groupe pas très connu. Parce qu'on arrive à court des grandes questions sur le sujet (lesquelles manquent d'ailleurs?)? Il est aussi intéressant de voir deux films sur des résistants "freelance" sortir en France à quelques semaines d'écart...
Image
L'Affiche rouge, Frank Cassenti, 1976
Très beau film, intelligent et franchement poignant qui a plutôt été bien apprécié à sa sortie. Sorti inéspérément en dvd l'an dernier.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Message par Banane »

A ceux qui ont critiqué le côté ado attardé de QT, que pensent-ils de l'avis de Gilad Atzmon ci-dessous sur le film ?
Je resitue Gilad Atzmon : c'est un grand musicien de jazz, écrivain également, de nationalité israélienne, vivant actuellement en Angleterre, connu pour ses prises de positions contre la politique d'Israël.
La vengeance, la barbarie et le film de Quentin Tarantino
Par Gilad Atzmon - traduit par Marcel Charbonnier.

Le 21 septembre 2009 sur Counterpunch http://www.counterpunch.org/atzmon09182009.html

Une fois encore, Quentin Tarantino a réussi à produire l’impossible : un « film anti-holocauste ». En tant que genre cinématographique, le film d’holocauste peut être compris comme la représentation cinématographique réaliste de la « victime juive » (un individu innocent et inoffensif) confrontée à l’idéologie bureaucratique la plus brutale qui ait jamais existé : le nazisme. Ce genre cinématographique peut être perçu comme un intense chantage émotionnel dépeignant l’histoire du vingtième siècle au travers d’une identification empathique avec un protagoniste juif fantasmatiquement sans tache.

Est-il besoin de préciser que ce genre connaît un succès fou ? Qu’il s’agisse de La Liste de Schindler, du Pianiste, d’Everything is Illuminated, du Garçon au pyjama rayé ou de n’importe quel film sur la Shoah (terme hébreu signifiant Holocauste), le sujet de l’histoire est toujours la même : l’innocence juive, confrontée à la terreur d’Etat institutionnalisée.

Mais Tarantino, lui, réussit à résoudre cette contradiction manifeste entre l’« innocence juive » cinématographique et la « réalité criminelle » du nationalisme juif. Et c’est même magistralement qu’il y réussit, au moyen d’une fiction. Dans sa mise en scène purement fictionnelle, le juif est un être mû par la vengeance. C’est un sauvage iconique, assoiffé de vengeance et chasseur de scalps, c’est un assassin inspiré par la Bible. Dans le dernier film épique de Tarantino, pour la première fois, le juif de la diaspora ressemble à son neveu israélien. Au travers d’une intrigue cinématique fictionnelle, l’histoire est devenue un continuum homogène dans lequel le passé juif et le présent israélien sont réunis dans une impitoyable virée de vengeance suicidaire.

S’il est vrai que des films peuvent effectivement ressembler aux rêves et à l’inconscient, le dernier film de Tarantino peut être compris comme un appel à nous réveiller ; il met en lumière quelque chose que nous nous ingénions à éliminer et à dénier.

Apparemment, Inglorious Basterds correspond au modèle typique du film hollywoodien sur la Deuxième guerre mondiale. Dans ce film, une unité spéciale de juifs américains (les Inglorious Basterds) débarquent en France occupée à seule fin d’enseigner aux nazis ce que cela veut dire que des représailles juives. Ils dressent des embuscades à des patrouilles nazies, puis ils tuent leurs prisonniers, exhibant leur brutalité extrême, qu’il s’agisse de scalper les nazis tués ou d’achever ceux qui ne sont pas encore morts en leur fracassant le crâne à coups de batte de baseball.

Les Basterds laissent – toujours – un témoin allemand en vie, afin qu’il puisse raconter leur brutalité impitoyable et diffuser ainsi la crainte de la terreur juive. Ils ont pour habitude de graver, à la baïonnette, un swastika sur le front du survivant, afin de rendre ce nazi identifiable par tout le monde, après-guerre. C’est là, suppose-t-on, une remise au goût du jour de l’œil de Caïn. Toutefois, c’est ici une bande d’ « humains sans gloire » qui assume le rôle de Dieu-le-Père.

Le film s’ouvre sur une scène qui nous ramène dans la France sous occupation allemande de 1941. Le colonel Hans Landa (campé par Christoph Waltz) de la Waffen SS, alias « le chasseur de juifs », interroge un paysan français au sujet de rumeurs selon lesquelles il cacherait une famille juive, également des paysans du coin. Le colonel Landa réussit à faire parler le paysan français, qui avoue cacher ses juifs sous le plancher. Le colonel Landa ordonne alors à ses hommes de tirer à travers ledit plancher, tuant tous les juifs cachés, à l’exception de l’adolescente Shoshanna (Mélanie Laurent), qui réussit à s’enfuir dans une forêt (1).

Trois ans après sa fuite salvatrice, Shoshanna réapparaît à Paris, sous une nouvelle identité. Elle devient, il convient de le signaler, propriétaire d’une petite salle de cinéma. Le film atteint son climax lorsque Shoshanna profite de cette opportunité pour venger la mort des membres de sa famille. Elle commet un acte suicidaire héroïque, causant des brûlures mortelles à toute la direction et à tout le haut-commandement nazis, qui se trouvent réunis par le plus grand des hasards dans son petit cinetoche de quartier, pour y regarder le dernier film de propagande nazie produit par Goebbels. Tandis que les nazis meurent brûlés vifs (bien fait, na !), que le cinéma est entièrement détruit par le brasier et que Shoshanna, dont le visage occupe tout l’écran, est secouée par un rire sardonique, celle-ci informe ses clients cinéphiles nazis en train de cramer :

« V’là c’que c’est qu’la vengeance juive ! ».

D’un point de vue juif, l’acte suicidaire de Shoshanna peut être perçu en référence au héros biblique Samson, qui fait s’écrouler un temple philistin sur lui-même, l’important étant que des vieillards, des femmes et des enfants (auxquels il en voulait, manifestement) périssent en même temps que lui. Dans le dernier film de Tarantino, plutôt que de voir, classiquement, des nazis en train de brûler des juifs, c’est, de fait, une juive qui enferme des nazis à double tour et les brûle jusqu’à ce que mort s’ensuive.


L’opposition juif / nazi

« Inglorious Basterds » me fera sans doute doucement marrer jusqu’à la fin de mes jours. Quentin Tarantino a raison, et tout juif devrait lui envoyer un petit mot de remerciement. Voici le mien : « Sarah Silverman, sur Twitter. L’on serait fondé à se demander pour quelle raison un producteur juif, complice d’Israël et du sionisme, est derrière un film tel que celui-ci, qui dresse des juifs un portrait tellement horrifiant ? » La réponse, de fait, est très simple : les sionistes se complaisent à se voir en gens vindicatifs et sans pitié. En Israël, Samson, qui n’est rien d’autre qu’un assassin génocidaire, est considéré à l’égal d’un héros éternel. Il a même réussi à ce qu’un bataillon de « Tsahal » porte son nom ! Il n’est un secret pour personne que le fantasme du châtiment est profondément ancré tant dans la psyché sioniste que dans la politique israélienne.

Le « plus jamais ça » n’a d’autre fonction que celle de suggérer aux Israéliens que les juifs ne seront plus jamais envoyés à l’abattoir comme des agneaux. Ce que cela signifie, dans la pratique, c’est que les juifs vont répliquer et qu’ils vont le faire aussi violemment qu’ils le peuvent. Les représailles sont un des éléments clés pour la compréhension du comportement israélien. Autant le film présente une image horrifiante du juif vengeur, autant les juifs et les sionistes s’avèrent soutenir ce film, et même l’apprécier.

Mais Tarantino ne s’en tient pas là : dans son film, il propose une critique impitoyable de l’identité juive en établissant une comparaison entre les protagonistes juifs et les protagonistes nazis.

Contrairement aux protagonistes monolithiques juifs, obnubilés par la vengeance (les Inglorious Baterds et Shoshanna), les nazis de Tarantino sont, pour la plupart d’entre eux, complexes et multidimensionnels. D’abord, ils présentent une dualité, voire même une contradiction entre leur individualité et leur rôle collectif. Là où les protagonistes juifs présentent une conviction qui unifiait leurs dimensions personnelle et tribale dans leur obsession de vengeance, le colonel Landa, le « chasseur de juifs » SS, balance, de fait, en permanence, entre l’hédonisme et l’obéissance assassine au nazisme. Par ailleurs, ce colonel est un Autrichien d’une très bonne éducation, très cultivé – un homme charmant. Et pourtant, en quelques secondes, il peut se muer en bête féroce monstrueuse. Il interprète son comportement en termes de productivité : il « fait son boulot ».

En soirée, il est détective : sa tache consiste à localiser les juifs, dans leurs cachettes. Le colonel Landa reconnaît que s’il est plutôt bon, c’est parce qu’il est capable de « réfléchir en juif » : il peut prédire de quelle manière des gens « manquant de dignité » pourraient se comporter. Contrairement aux protagonistes juifs, qui ne parlent aucune langue étrangère, le colonel Landa est immergé dans la culture occidentale. Il parle couramment l’anglais, le français et l’italien, en plus de sa langue maternelle, l’allemand. Contrairement aux protagonistes juifs, qui ne s’intéressent strictement à rien d’autre qu’à leur revanche, Landa finit par trahir le IIIème Reich uniquement pour mettre un terme à la guerre et pour que l’Europe connaisse enfin la paix. Inutile de préciser qu’il s’arrange, par la même occasion, pour s’assurer un avenir, en négociant avec un « gros bonnet » américain.

Fredrick Zoller (Daniel Brühl) est une autre illustration de l’identité multidimensionnelle du nazi. Zoller joue le rôle-star d’un jeune héros de la Wehrmacht, l’armée allemande, dans le dernier film de propagande de Goebbels. Bien qu’il s’agisse d’une machine à massacrer décorée, il est loin d’en tirer une quelconque fierté : ce qu’il a fait, il l’a fait pour se défendre ; sa véritable passion, c’est le cinéma. Et c’est dans le cinéma qu’il rencontre Shoshanna et qu’il en tombe amoureux, inconscient de qui elle est et de son projet de vengeance. Alors que Zoller peut aisément s’aliéner lui-même de son rôle d’héroïque soldat nazi, voire même de machine à tuer, Shoshanna n’est pas prête ne serait-ce qu’à prendre en considération la possibilité [d’oublier qui elle est]. Elle est déterminée à accomplir sa mission. Elle finira par lui tirer une balle dans le dos, avant d’éliminer toute la direction nazie.


Un guide élémentaire du symbolisme tarantinien

Symbolisme et histoire. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les Inglorious Basterds gravent des swastikas sur les soldats allemands autorisés à survivre à leur martyre.

Dire que l’histoire de la Deuxième guerre mondiale est loin d’être largement accessible et librement débattue, ça n’est certes pas révéler un secret. Plutôt que de tenter de développer la signification de l’histoire et de la dynamique historique, nous sommes soumis à une saturation croissante de symboles (et même de lois) qui suggèrent quelles opinions nous sommes autorisés à avoir et quelles sont celles qui nous sont interdites. Les « terroristes », les « nazis » et le « fascisme » sont, manifestement, les « mauvais ». La « démocratie » et la « liberté » sont, quant à elles, les « bons ». Tarantino nous propose ici une critique impitoyable de cette situation. Le fait de graver des symboles (en l’occurrence, des swastikas) sur le front des gens est une forme de pérennisation de son hégémonie. Apparemment, nous sommes tout simplement assez puissants pour édicter une « vérité ». Si, en revanche, nous avions été (et si nous étions) intéressés par la seule signification de notre histoire, nous aurions peut-être été (nous serions peut-être, aujourd’hui,) à même d’empêcher l’Empire anglo-saxon de réitérer le crime qu’il avait perpétré à Dresde à Hiroshima, au Vietnam, en Irak et à Gaza, non ?


Le Golem

A un certain moment, dans le film, le haut commandement nazi est convaincu que l’«Ours juif », un « chasseur de nazis brandisseur de batte de baseball » est en réalité un Golem vengeur, auquel un rabbin fou de colère donne ses ordres. Dans la légende juive, le Golem est une créature modelée dans la glaise, à laquelle on a insufflé vie au moyen d’incantations magiques. Dans le film, l’ « Ours juif » est en réalité le Sergent Donny Donowitz (Eli Roth), commandant en second des Basterds. La référence au Golem est très significative : apparemment, même les nazis croient qu’un être humain peut s’avérer extrêmement brutal à l’égard d’un de ses congénères humains. Toutefois, le symbolisme peut être, ici, encore plus important. Le Golem a le mot hébreu signifiant « vérité » inscrit sur le front. Pour les Inglorious Basterds, la notion qu’ils ont de la vérité est cette « vérité » qu’ils arrivent à imposer aux autres, en leur gravant des swastikas sur le front.


Le Sabbath Goy

Le Lieutenant en chef Aldo Raine (Brad Pitt), commandant des Basterds, est un goy américain qui n’a rien avoir avec le judaïsme, ni avec la judaïté. C’est un officier originaire du Tennessee, à l’accent à couper au couteau et dingue de vengeance. Cela peut soulever la question de savoir pour quelle raison Tarantino a mis un cowboy goy en position de diriger les Basterds juifs ? Il se pourrait que Tarantino veuille tout simplement suggérer l’idée que le Lieutenant Raine n’est qu’un instrument (ou un « mercenaire par procuration ») des représailles juives. Aussi dévastateur que cela puisse sembler, les relations qu’il entretient avec ses subordonnés juifs peuvent être comparées aux relations entre Bush et ses fomenteurs de guerre néocons. Difficile de trancher : le Lieutenant Raine est-il un candidat à la judaïsation, ou bien est-ce lui, en tant que sauvage assoiffé de sang, qui capitalise sur la vengeance juive ? Mais une chose est tout à fait claire : d’après l’image que nous en donne l’imagerie cinématographique de Tarantino, l’association de l’Amérique aux juifs est très loin de laisser présager d’une aventure humaine de bon aloi.


Le film et le rêve

Au lieu que ce soit nous qui regardions le contenu d’un rêve, l’on peut tout à fait imaginer que c’est le rêve qui nous regarde, voyant en nous son « contenu de réalité ». Comme cela arrive dans le rêve, c’est généralement nous et notre ainsi dite réalité psychique qui est non seulement observée, mais même passée au peigne fin. L’interprétation des rêves est, dans la plupart des cas, fondée sur la présupposition que dans le rêve, des vagues de pensée involontaires viennent braquer leurs projecteurs sur les noyaux durs de notre être. Le rêve a pour fonction d’attirer notre attention sur ces choses que nous occultons et que nous dénions. Cette idée nous rappelle le retour de Slavoj Zizek à ce slogan des années 1960, selon lequel « la réalité est faite pour ceux qui sont incapables de faire face au rêve ».

Le film ressemble au rôle que joue le rêve. Autant nous avons tendance à nous croire les spectateurs, autant, de temps à autre, c’est nous qui, en réalité, sommes en train d’être observés. Le dernier film de Tarantino en est un exemple classique : il a pour objectif d’élever notre conscience jusqu’au royaume d’idées que nous voulons éviter à tout prix d’examiner. Il soulève des questions que nous considérons taboues. Il nous donne une opportunité de nous voir sous l’angle de l’inconscient. A travers la fiction, il trace le portrait de notre réalité. Comme dans le rêve, Inglourious Basterds déplace et remodèle des événements totalement déconnectés de toute vérité historique et le film, par ailleurs, ne cherche à démontrer aucun fait historique reconnu. Il n’obéit à aucun narratif reconnu, et pourtant, il prodigue du sens. Le succès du film est peut-être attribuable à sa capacité de communiquer avec quelque réalité présymbolique (le réel lacanien). Il nous dépouille de notre symbolisme et de notre ordre symbolique. En tant qu’œuvre d’art, il nous rapproche de l’Etant.

A travers la violence, il touche notre noyau éthique et il réveille, espérons-le, notre aspiration à la gentillesse. Pour la première fois, nous transcendons la contradiction que nous nous auto-imposons en fermant les yeux sur les origines du sionisme, de la barbarie et de la fomentation des guerres à l’échelle mondiale. A travers la fiction, nous parvenons à regarder le mal dans les yeux et c’est exactement à ce moment crucial que Tarantino met le point final à son film. Dans le dernier plan-séquence, la caméra assume le rôle des yeux du Lieutenant Raine (prise de vue exprimant son point de vue). Fondamentalement, nous observons le Lieutenant Raine en train de taillader de sa baïonnette le front du Colonel Landa. En langage cinématographique, nous voyons avec horreur le Lieutenant Raine taillader des swastikas sur notre propre front.

Selon Lacan, l’inconscient est le langage de l’Autre. C’est cette vérité douloureuse que nous tentons de cacher à l’autre, tout en sachant que cette dissimulation est sans doute impossible. D’une perspective juive, Inglourious Basterds a dû être compris comme un cauchemar dans lequel un mauvais rêve devient la réalité. Mais il est quasiment impossible de nier que Tarantino est là, criant : « Le Roi est nu » : il n’est ni une victime, ni un innocent. Le fait que beaucoup de juifs soient incapables de le voir et qu’au contraire, ils finissent par louanger ce film est sans doute une indication dérangeante supplémentaire du fait que l’identité collective sioniste est parvenue à se détacher de toute notion reconnue de ce qu’est la réalité humaine. Aussi triste que cela puisse paraître, cela explique le soutien institutionnel que la juiverie mondiale apporte à Israël. Cela explique aussi peut-être la raison pour laquelle les sionistes, en tant que collectif, sont incapables d’internaliser la signification de la Shoah. Au lieu de rechercher la grâce en eux-mêmes, les sionistes ne cessent de se lancer dans la chasse aux nazis et de graver sur autrui différentes étiquettes et divers symboles.

Depuis bien trop longtemps, les lobbies sionistes, de par le vaste monde, ont réussi à démanteler toute critique d’Israël. Ils ont réussi à faire de l’histoire de la Deuxième guerre mondiale une zone de recherche restreinte aux seuls juifs. Ils ont réussi à transformer notre connaissance du passé en un échange symbolique, mais ils ont, peu ou prou, échoué dans leur tentative de réduire le rêve au silence. C’est là où, précisément, Tarantino rentre en jeu : à travers une fiction, il réussit à nous dire ce qu’est, au fond, notre réalité.

Tout autant que les Inglourious Basterds, Shoshanna et les Israéliens (qui se sont massés sur les collines autour de Gaza pour admirer leur armée en train de semer la mort) tirent un plaisir non feint de la vengeance, il est possible qu’à travers deux heures et demie de thérapie sous la direction de Tarantino, nous soyons en mesure, après tout, d’apprendre à jouir de nos symptômes et de le dire à haute et intelligible voix : « Assez, c’est assez ! Plus de vengeance vétérotestamentaire ! Halte à la barbarie ! Ce que nous voulons, en lieu et place, c’est la grâce et la miséricorde !»

Article original en anglais :Vengeance, Barbarism and Tarantino's Inglourious Basterds, Counterpunch, 18-20 septembre.

(1) En campant le personnage d’un juif producteur de lait, Tarantino réussit, d’une manière très subtile, à camper le décor de la fantaisie fictionnelle qui va suivre. Je n’irai pas jusqu’à arguer du fait qu’il n’y avait sans doute AUCUN producteur de lait qui fût juif, dans la France sous occupation allemande. Toutefois, il est certainement exact que la production de lait n’était pas exactement la profession juive typique. Cette même scène nous apprend également que les enfants de la famille juive s’appellent Shoshanna et Amos. Là encore, il semble s’agir d’un détail sans importance. Mais en réalité, c’est tout à fait crucial. En effet, Amos n’est absolument pas un prénom courant dans la diaspora juive. Il s’agit, en réalité, d’un prénom biblique.


Atzmon ne va pas du tout dans le sens de notre réflexion avec P&P sur un certain manque d'humanisme ou de maturité, moi un certain manque de portée universaliste, mais plutôt celle de Shin Cyberlapinou sur l'idée de "film terminal". La provocation, pour Atzmon, c'est d'aller à l'encontre du sous-genre "Film-Holocauste", et une mise en parallèle entre ces personnages de juifs monolithiques réduits à l'identité de vengeance, totalement imaginaires, cathartiques, et les "neveux israéliens" bellicistes d'aujourd'hui, qui sont bien réels. Pour lui, le précédent, c'est refuser les conventions du "film-holocauste" (avec des personnages de juifs immaculés et innocents), tout en donnant l'illusion qu'il respecte certaines conventions, et que même s'il y a eu des réactions de malaise, en général, le succès et les applaudissements prévalent, surtout chez les "neveux israéliens".
En tout cas sa réflexion sur les personnages d'allemands multi-dimentionnels (Zöller, Willie, Landa) et les juifs bâtards monolithiques est très intéressante. Il m'éclaire peut être sur mon propre conformisme quand j'ai critiqué la Shosanna et son interprète fadasse du film : QT a finalement choisi de filmer un personnage monolithique (là où dans son scénario, elle l'était beaucoup moins), réduit à la seule idée de vengeance (là où la Mariée était multidimentionnelle), comme le commando de bâtards, peut être dans l'optique décrite par Atzmon.
Peut être de la surinterprétation de la part de Atzmon dans quelques passages, mais son avis est intéressant.
Banane
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Banane »

SPOILERS

Je tiens à commenter la critique de IB par Gilad Atzmon, maintenant que je l’ai lue à tête reposée.
Je trouve que tout ce qu’il écrit sur le sous-genre ‘film d’Holocauste’ (d’ailleurs je crois n’avoir jamais lu cette expression ‘film d’Holocauste’ chez les critiques des Cahiers ou Positifs, ni qu‘ils aient clairement identifié un tel sous-genre, alors que dans le fonds, Atzmon a raison, c’est un genre cinématographique au même titre que le film d‘horreur, de kung-fu, la comédie musicale, etc, pour lequel on est conditionné à avoir de la sympathie, et donc justement ne pas le considérer comme un sous-genre comme un autre), l’opposition entre les personnages d’allemands multidimensionnels et les juifs monolithiques, et surtout son paragraphe sur le rêve extrêmement intéressant.
Je pense que QT a une conscience aigüe des 2 premiers points (le sous-genre ‘film d’Holocauste’, lui qui est si friand de cinéma de genre, et les oppositions des caractérisations des personnages antagonistes, qui est VOULUE et même matraquée par lui), mais moins du 3ème ; j’ai dit que Atzmon faisait peut être de la surinterprétation, mais peut être que QT a été inconsciemment dépassé par son œuvre, d’où le lien entre le rêve, l'inconscient, le non-dit qui jaillit de ce film, peut être pas prémédité par QT, mais que Atzmon ressent et explicite parfaitement.

Quand j’ai vu le film la première fois (je l’ai vu en tout 3 fois), j’ai ressenti un certain malaise que je n’arrivais absolument pas à identifier. Etant non-juive, je n’arrivais pas à situer l’origine de ce malaise : je n’ai pas du tout été choquée par les scalps, les quelques scènes de violence, le fait que Hitler soit mitraillé, le côté potache et grotesque assumé dans les scènes façon buddy movie, etc, mais où était donc ce léger malaise ??? Et en lisant Atzmon, j’ai ENFIN compris pourquoi car il a mis le doigt dessus :
Ses personnages de juifs (Bâtards et Shosanna) sont hyper caricaturaux, grotesques, monolithiques, peu charismatiques, peu ou pas développés, et pourtant QT ne peut pas être accusé de judéophobie ; son audace à été de réduire la Judéité à la seule Vengeance, il a réduit l’identité juive à une peau de chagrin. QT ne cesse de dire que le thème de la vengeance le taraude depuis très longtemps (sa mariée de Kill Bill mélange les personnages du rape&revenge et du kung fu), et il a peut être finit par conclure que le groupe humain le plus vindicatif et qui personnalise le mieux cette idée, ce seraient… les juifs. C’est TRES choquant, mais c’est un acte politique si j’ose dire.

En face des juifs, il oppose des personnages allemands tous pluridimensionnels, capables de renoncements : ils ne sont pas QUE des nazis (on pourrait même les trouver dans le ‘Black book‘ de Verhoeven) :
- Landa le super salaud, prototype idéal de Méchant culte du cinéma, est un personnage raffiné, hédoniste (comme dit Atzmon), très cultivé, et pas du tout aveuglé par l’idéologie nazie ;
- Zöller est à a fois un soldat qui éprouve des états d’âme, un amoureux naïf, la créature en cours de façonnage par Goebbels (donc pas un nazi complet) ;
- Willie de la Taverne, jeune papa, donne l’impression d’être le brave gars qui était là au mauvais moment ;
- Werner Hachtman fait preuve d’une grande dignité à sa mort sous la batte de Donny, même en face de mercenaires, il maintient le protocole militaire (et c’est souligné, appuyé par le pastiche du style Leone),
- Même Goebbels n’est pas uniquement caractérisé comme Ministre de la Propagande Nazie : je trouve que sa caricature par Sylvester Groth très réussie, car QT avait une marge de manœuvre plus large qu’avec Hitler, car c’est aussi un producteur de cinéma ; franchement si Groth parlait anglais et avait un cigare au bec, ce serait la caricature du mogul américain (on croirait presque le Howard Hughes de ‘Aviator’ dans ses scènes sous le costume de producteur qui caste des filles) ;
Finalement, les seuls allemands unidimensionnels sont Hellström et Hitler, des personnages secondaires : Hitler est une resucée des Führers des farces anti-nazies franchouillardes ou burlesques (d’où le fait qu’il soit moins réussi dans la caricature que Goebbels, car déjà vu) ; par contre, QT a qualifié Hellström de wannabe-Hans Landa : il a l’oreille linguistique, MAIS il est connoté comme nazi unidimentionnel ; s’il ne s’en sort pas dans la Taverne, c’est justement parce qu’il n’a pas la souplesse de Landa (qui aurait sans doute pu se sortir de ce guêpier). Pourtant, son interprète, August Diehl, le joue de manière classieuse et juste (excellent timing lors du jeu des cartes), et pas du tout caricaturale au lieu des personnages juifs. Donc même le nazi le plus classique et le plus déjà vu est *bien* joué.

Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer Leni Riefenstahl dans le scénario de QT : dans la scène de la Taverne, quand Bridget briefe Hicox en chuchotant, elle lui explique qu’elle a prévu de le présenter à l’avant première de Goebbels sous l’identité d’un producteur associé du film… ‘Tiefland’ de Leni Riefenstahl (Hicox n‘avait pas vu de film allemand depuis 3 ans). Elle précise même que c’est la SEULE production allemande qui n’ait pas été contrôlée par Goebbels, et que même morte, Leni refuserait que son nom soit associé à Goebbels sur cette œuvre ; en effet, si Hicox était allé à la première, il aurait rencontré des producteurs, voire Goebbels, qui se seraient étonné de ne pas connaître un des leurs. Or en se présentant comme producteur d’un film qui n’a pas été contrôlé par le Ministre du Reich, cette surprise est levée. Ensuite quand Hellström entre en scène, Hicox évoque Leni du film Piz Palu de Pabst, mais parce qu’avant, Bridget l’avait évoquée, c’est l’association d’idée qui lui permet d’improviser un mensonge crédible qui lui donne un sursit, car il ne pouvait se présenter avec l‘identité que vient de lui octroyer Bridget, du fait de son costume militaire, mais il s’en inspire (et ça permet une ellipse avec le même Piz Palu vu au début du film). QT a raccourcit les dialogues de la Taverne dans le montage final. Or tout de même, il avait prévu d’évoquer, mine de rien, cette Leni si controversée, en rappelant qu’un de ses films lui-même controversé (elle a filmé des roms, dont elle aurait miroité un sauf conduit des camps de concentration - elle a eu un procès après guerre pour ça qu‘elle a gagné), MAIS qu’elle était en froid avec Goebbels, la cadre elle aussi (un personnage réel) dans la galerie des allemands acoquinés avec la nazisme MAIS pluridimensionnels ! Sans compter l’ironie de la réplique de Bridget : « même à sa mort, Leni refuserait d’être associée avec le sinistre Gobelet », or elle... continue de l’être ! :D

Cerise sur le gâteau, on a même deux allemands gentils !!!! Bridget Von Hammersmarck et Hugo Stiglitz : si la première est un personnage de cinéma classique (l’espionne fantasmée, glamour et classe, très dietrichienne - la Mata Hari de Garbo est évoquée lors du jeu de cartes), l’autre n’est pas du tout crédible sur le papier, ni un prototype de cinéma : franchement le coup du jeune soldat de la Wehrmacht rebelle contre l’autorité nazie, qui tue 13 SS, et prend faits et cause pour les juifs américains, c’est complètement tiré par les cheveux ! Et pourtant avec Til Schweiger ça passe ! Ses motivations ne sont jamais expliquées (le scénario précise qu’il est ‘juste’ psychotique et insiste là-dessus - donc entre psychotiques on s’entend ????).

Que dire des personnages juifs du film ! QT a supprimé les scènes du flashback de Donny à NY (il recueille les signatures des juifs de son quartier, on compare même sa batte à… l’épée de Gédéon ! Il critique le gouvernement US qui voulait l’envoyer combattre les japonais), supprime tout développement et toute caractérisation des membres du commando, passe à la trappe au moins 4 bâtards entre la scène de présentation et la scène avec Hicox, et montre des personnages indignes, sauvageons, violents, jubilant devant leurs actes meurtriers.
Que dire de Shosanna, personnage pas du tout attachant, pour laquelle j'ai fait l’erreur de penser qu’elle DEVAIT porter le facteur émotion (mais qui a été loupé par une actrice fade), et donc être le seul personnage juif pluridimentionnel potentiel, et qui au final est aussi monolithique que ses coreligionnaires américains. Dans le scénario par contre, elle est plus nuancée : QT avait prévu des gestes pleins de pudeur et de tendresse entre elle et Marcel dans ce qui est devenu « l’horrible scène de l’escalier », il avait prévu qu’elle soit attirée (pas amoureuse mais intriguée) par Zöller (mais qu’elle préfère revenir à sa seule identité de juive -juiverie dans ce film limitée à Vengeance ethnocentrique et rien d’autre-), il avait écrit des scènes avec Madame Mimieux. Au final, il ne garde que la Juive Limitée, interprétée par une actrice qui dans ce film ne dégage rien du tout.
En fait, grâce à Atzmon, j’ai compris mon propre conformisme : j’attribuais l’échec des scènes de Shosanna à la seule actrice (que je continue à trouver gauche et laborieuse dans sa gestuelle - hors répliques mal retranscrites en français), alors que je ‘sentais’ autre chose à cause de la scène de double mort dans la cabine de projection, Phnom&Penh a évoqué 3 axes pour ‘comprendre‘ pourquoi le personnage Shosanna ne fonctionne pas aussi bien que le personnage Bridget (rôle réécrit à la dernière minute ? Rôle trop complexe pour Mel ? Actrice mal choisie ?), d’autres ont évoqué des pistes différentes (jeu trop moderne de Mel), mais Atzmon lui est sûr que c’est volontaire, que QT a choisit de réduire la Judaïté à Vengeance Ethocentrique, ce qui est trop réducteur pour bâtir un personnage.

Une chose m’a frappée, c’est que JAMAIS les juifs de ce film n’évoquent une quelconque solidarité avec les autres opprimés par les nazis : Shosanna qui a a officiellement un amant noir, africanité moqué par Landa, a prévu comme discours qui ne parle que d’ELLE, qui ne montre que SON visage à ELLE (et QT dans son scénar’ écrit : Shosanna apparaît façon Big Brother), elle se qualifie de JEW FACE, et son acte de VENGEANCE JUIVE ! Les bâtards sont aussi limités culturellement. QT avait prévu dans son film polyglotte une évocation du Yiddish (à la réplique de Bridget : ‘Mais vous les américains, vous parlez pas autre chose que l’anglais ?’ et une réplique drôle du genre ’Ben si, le Yiddish’), qu’il ne conserve pas au montage final. Même ‘leur’ langue est niée par le réalisateur qui l’avait pourtant prévue, car comme le dit Atzmon, la Judaïté dans ce film est une peau de chagrin, et que QT le fait de façon impitoyable.
La scène de King Kong du jeu de carytes, qui critique le racisme des nazis, est également amenée par un goy : il me semble bien que c’est Stiglitz qui écrit King Kong (à moins que ce soit Hicox qui ait passé sa carte à Hellström), mais en tout cas ce n’est pas Wilhelm Wicki le juif autrichien. Ce dernier est le seul bâtard à avoir une double culture, mais c’est surtout un avantage pour tromper les allemands car il est le seul qui puisse communiquer avec eux. Le commando a ensuite recruté Stiglitz car il a été soldat, connait leur façon d’être (suffit de voir comment il improvise une engueulade d’officier supérieur aux soldats dans la Taverne), et surtout est typé aryen : il est plus utile que Wicki finalement.
Shosanna, dont la relation avec un goy, qui de plus est, un goy particulièrement paria, sonne complètement faux, apparait à la fin comme une femme fatale dans le sens le plus primitif du terme : comme son amour pour Marcel (et son baiser sans saveur) paraît artificiel (et ne me dites pas que QT bouffeur de pellicules dans toutes les langues, ne s’est pas aperçu de cette fausseté parce qu’il n’est pas francophone), elle donne presque l’impression qu’elle se sert du pauvre bougre noir pour SA Vengeance Ethnocentrée à Elle.
La suppression de la réplique sur ‘Tiefland’ de Riefenstahl, réplique également amenée par une goy, sur un film avec des roms (autres victimes des nazis), s’inscrit aussi dans ce schéma là. En fait les autres martyrs des nazis (tsiganes, roms, communistes, etc) ne sont pas évoqués, non pas parce que QT est inculte et idiot, mais parce qu’il a choisit de montrer des personnages qui se fichent complètement des autres victimes des nazis, et qui même dans leur vengeance, ne le font qu‘en leur seul non, et non pas au nom de tous les Autres.

J’ai moi-même fait une comparaison IB/‘To be or not to be’ de Lutbitsch en regrettant que QT ne soit pas capable d’être aussi universaliste que Lubitsch (les membres de sa troupe de théâtres mélange juif et goy, jamais il n’insiste sur la judaïté de l’un, et le discours Shylock/Greenberg est Universel, il ne applique pas qu’aux seuls juifs), or je viens de me rendre compte, grâce à Atzmon, que ce sont en fait les personnages juifs du film qui ne sont pas du tout universalistes, pas le réalisateur qui est multiculturel et promeut le synchrétisme au cinéma. Le manque d’humanité que certains d’entre nous ont reproché vient uniquement du culot de QT d’avoir réduit la Judaïté à la Vengeance Ethnocentrée, là où l’humanisme se manifeste dans le caractère pluridimentionnel de TOUS les autres personnages (Lapadite inclus, un Juste qui craque), et par-dessus tout, des personnages d’allemands, joués par des acteurs germaniques tous plus impeccables les uns que les autres.

Je viens aussi de me rendre compte de notre totale méprise sur l’Uchronie du film : elle n’est pas dans le fait d’avoir fait tuer Hitler dans une salle de cinéma et mitraillé par un Eli Roth qui s‘improvise Tony Montana, car la véritable uchronie aurait été que Hitler ou le nazisme ne soient pas du tout morts (comme dans le livre de Dick ‘Le Seigneur du Haut Château’). Non l’uchronie et l’anachronisme dans IB c’est d’avoir réduit à une peau d chagrin l’identité juive de cette époque, et d’avoir importé dans le passé une forme de judaïté sioniste hystérique actuelle. C’est le sionisme hystérique que combat un esprit comme Atzmon qui est de ces juifs universalistes, qui refusent le chantage à l’antisémitisme, la concurrence des mémoires, le manque de solidarité de beaucoup de ses coreligionnaires avec les peuples opprimés, incitent à l’attaque de pays comme l’Iran, l’Irak et l’Afghanistan, qui voient des nazis partout, bref qui banalisent le nazisme (décrit par l’auteur de la critique comme une bureaucratie exceptionnelle dans sa monstruosité qui n’a aucun équivalent dans l’Histoire - même dans les régimes hyper autoritaires d’ailleurs). Atzmon est un de ces esprits qui étaient courants à l’époque où se déroule IB, qui existent encore de nos jours, mais à qui on ne donne jamais la parole (seulement les tartuffes va-t-en-guerre comme BHL).

Quand il écrit que les personnages juifs du film (qui ne sont pas réalistes dans le contexte) ont en fait l’attitude des ’neveux israéliens’ d’aujourd’hui, et qu’il relève la gène suprême dans le fait qu’ils aiment ça, que PERSONNE n‘a taxé QT d‘antisémitisme (alors qu‘il filme des juifs réduits et négatifs), que le film n’a provoqué aucune polémique à Cannes (les critiques se limitent souvent aux habituelles tartes à la crème anti-QT : pastiche et pillage du style des autres, violence gratuite, persos de comics book, tunnels de dialogues cools sans intérêt) il touche sans doute quelquechose qui n’a peut être pas été prémédité par QT. Les juifs dans cette époque étaient avant tout des personnes sur qui le ciel était tombé sur la tête, et qui s’attachaient à survivre (donc dignes, d‘où le côté j’aborde-le-sujet-avec-des-pincettes de tous ceux qui se sont attaqués au sous-genre ‘Film d‘Holocauste‘). Le seul moement où ça s'en rapproche, c'est la fameuse scène d'intro.

La seule façon pour QT de filmer des juifs indignes et sans intérêt sans que l’accusation d’antisémitisme ne lui tombe dessus, c’est cette suprême roublardise qui fait tant rire (jaune) Atzmon :
- Se faire adouber par ses potes producteurs et acteurs juifs d’Hollywood,
- Introduire dans le passé des comportements de sionistes hystériques d’aujourd’hui (la complaisance dans la violence, le culte de l’impunité, l’obsession de coller l’étiquette nazie avec le marquage de la croix gammée, le refus de solidarité avec les peuples opprimés) qui ont à eux seuls dévoyé la richesse de la culture judaïque.

Atzmon dit chapeau bas, et précise que ce film le fera marrer pendant très longtemps, mais c'est un rire nerveux de désespoir, si on connait son militantisme. Il a peut être aussi vu les interviews d’Eli Roth et Mélanie Laurent, qui finalement me paraissent presque gênantes : le premier, souvent une tête à claques en interview, a rappelé combien ce film fut pour lui comme ‘visionner un porno casher‘ (réplique qu‘on aurait pu avoir dans le film), et Mel n’a cessé de jubiler d’être CELLE qui LE fait, i. e. griller des nazis (la ch’tite française à Hollywood). Je sais qu’en promo, les acteurs en rajoutent une couche, surtout s’ils ont l’honneur de travailler pour QT, mais la jubilation de ces 2 là est sincère, mais me laisse un peu perplexe : ont-ils vu le même film que moi ? Ont-ils remarqué à quel point leurs persos sont objectivement réduits à l’état de pantins grimaçants, violents et inintéressants ? Que tous les acteurs germaniques les surclassent aisément, et ont plus ont le droit aux meilleurs répliques et à des personnages plus travaillés ? Ils n’éprouvent même pas la moindre jalousie envers Christoph Waltz, qui surnage en apesanteur au dessus de tout le monde, avec sa classe et son talent !

En conclusion, c’est Shin Lapinou qui a eu la bonne intuition avec son idée de film terminal. Peut être que ‘La Chute‘, ‘Black book’ et ’Inglourious basterds’ vont ouvrir une voie d’autres films sur la WW II et l’Holocauste plus incisifs, mordants, avec des échos sur le sionisme d’aujourd’hui, les oublis des autres aspects de cette guerre, peu traités au cinéma. QT a franchi une étape très importante dans cette absence totale d’états d’âme vis-à-vis des pincettes habituelles du sous-genre ‘Film d’Holocauste’ (en faisant un film-anti-Holocauste), et Atzmon nous dit que personne ne l’a remarqué, surtout pas les sionistes hystériques.
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Shin Cyberlapinou
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Beaucoup de choses à dire face face à ces longues et interventions franchement intéressantes , je vais tâcher de rester synthétique, au risque de ne pas rebondir sur de nombreux points.

Quand j'étais à la fac, les professeurs de lettres nous disaient que toutes les interprétations textuelles sont valides, pour peu qu'elles soient argumentées.

De ce point de vue, la thèse d'Atzmon fonctionne, mais c'est un peu comme moi quand je fais une lecture gay du premier Highlander. Les arguments sont là (même pour Highlander! )mais au final ça relève quand même pas mal de la surinterprétation du mec cherchant à plaquer une lecture antisioniste sur un film qui ne creuse pas forcément le sujet (dans le doute je précise que je ne tiens pas l'antisionisme pour une doctrine illégitime, à l'inverse évidemment de l'antisémitisme).

- Déjà, le débat sioniste/antisionisme aux USA est tout sauf un débat: le soutien à Israel est quasi unanime, et c'est depuis peu et vraiment du bout des lèvres que le gouvernement US demande à Israel de lever le pied sur la colonisation.

- Ensuite j'ai du mal à voir Tarantino comme un cinéaste politique. Et même s'il l'est, c'est à un niveau de sous-texte total, pour moi son amour des minorités relève moins d'une volonté idéologique (à la Spike Lee, ou même à la Carpenter) que d'une compréhension des exclus, lui le grand geek bizarre complexé par son gros menton.

- Et j'ai encore plus de mal à voir Tarantino travaillé par la "question juive". La culture noire, ok (on se souvient de la polémique avec Spike Lee sur l'usage du terme "nigger"), mais de mémoire, la judaïté n'a jusqu'ici jamais été explorée chez Tarantino (à part peut-être dans True Romance et le producteur parodiant Joel Silver, producteur juif. Mais sur ce point même Tonnerre sous les tropiques est plus frontal, et plus risqué).

- Mais imaginons que justement Tarantino ait décidé avec Inglourious de s'attaquer pour de bon à la notion de judaïté. Selon Altzmon, Tarantino a fait des juifs du films des personnages de vengeurs obsédés et monodimensionnels, ce qui du coup créerait de la distanciation, voire de la subversion. Et si le fait de montrer des vengeurs obsédés monodimensionnels les rendait au contraire profondément charismatiques aux yeux du public?

- La grande idée de Tarantino dans le traitement de ses personnages juifs, c'est de les avoir transformés en pur bad ass. De les avoir bronsonifiés. On se rappellera que Charles Bronson (ou même Clint Eastwood) fut longtemps villipendé par l'intelligentsia comme bourrin, monolithique, fasciste et irresponsable, mais il était une authentique star, avec Un justicier dans la ville, film aussi ambigû qu'efficace (et rentable) comme fer de lance.

- Alors oui, il y a des officiers allemands dignes et humains. Mais quand Donowitz émerge de sa grotte batte en main, une partie de nous jubile. Parce qu'une rétribution va avoir lieu. Parce qu'un putain de nazi va s'en prendre plein la gueule. Inglourious Basterds est un authentique vigilante movie, dans toute sa gloire et toute son ambiguité.

On a reproché à Tarantino d'être avec ce film plus autiste que jamais, il est donc assez amusant de voir qu'Inglourious Basterds va devenir son plus gros succès public, manifestement parce que le public retire du plaisir des exactions des juifs, très contestables sur le plan humain (et même dramaturgique), mais mégaclasses pour ce qui est du pur cinéma. La meilleure scène de Mélanie Laurent est ainsi à mon sens sa préparation sur fond de Bowie: ce n'est que de l'iconisation, du plaisir immédiat, qui ne se pose pas une seconde la question du "fond" (je pense en outre que les soucis autour du personnage et de l'actrice relèvent plus de l'erreur que du parti pris: Tarantino est allé soit trop loin -le jeu plat-, soit pas assez -sa mort lyrique-, dans la distanciation, au point que son objectif de base devient franchement flou).

On reproche aussi à Tarantino son immaturité dans sa vision du monde, son manque d'humanisme. C'est je crois parce que sa boussole morale, en tout cas au cinéma, repose sur le plaisir, la jouissance ; il adore ainsi la violence parce qu'il en retire un immense plaisir, une décharge d'adrénaline, et n'en conçoit aucune culpabilité. De ce point de vue les juifs de son film n'ont rien de négatif: ils sont des figures vides, mais ils ont la classe et des burnes (tous sexes inclus).

Sauf que: les personnages que l'on trouve dans le camp d'en face sont effectivement, plus profonds, plus riches, plus humains. Tarantino a toujours eu un pied dans les deux camps: série A et série B, chef d'oeuvre et nanar, jouissance immédiate et décomposition de celle-ci. Une partie du public est sans doute sortie de la salle avec le sentiment d'avoir vu un film bien méchant, sans doute un peu trop bavard et avare en action, mais quand même, Brad Pitt et ses potes, c'est vraiment trop des badass avec des couilles en bronze. Et ils n'auront pas tout à fait tort, car Tarantino aime ce genre de situations. Mais l'effet de miroir avec un Hitler ivre de plaisir face aux headshots de son courageux tireur nazi n'en est que plus saisissant.

En poussant un peu, Inglourious Basterds est proche de Funny Games. La différence c'est que Funny Games (film que je conchie) se place au dessus de son public et de ses personnages, tandis que Tarantino est dans la salle avec nous, en plein dans le moment quand Brad Pitt, cabot à mort, torture Diane Kruger avec désinvolture, sans non plus éluder la "vraie" barbarie comme dans la scène d'ouverture.

Merci à Banane de soutenir ma thèse du film "terminal". Terminal, Inglourious Basterds l'est pour moi car il prend pour de bon ce que j'appellerai "la responsabilité de l'irresponsabilité"), peut enfin, après des centaines de traitements différents, violer l'Histoire pour parler d'autre chose que de l'Holocauste (sans être forcément "anti" comme le soutient Atzmon), alors que ça pourrait (devrait?) être sur le papier le sujet central du film. Il y a de l'ambiguité, un jeu très conscient sur les réactions et les attentes du public. Je ne suis pas sûr qu'une telle démarche ait grand chose à voir avec les juifs, l'Holocauste ou le sionisme. Mais ça a vraiment beaucoup à voir avec le Cinéma.
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Phnom&Penh
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Phnom&Penh »

Shin Cyberlapinou a écrit :Beaucoup de choses à dire face face à ces longues et interventions franchement intéressantes
Pour moi, en tout cas, les choses sont finalement bien simples.

Le défaut principal du film de Tarantino est de s'attaquer, sans grâce, sans élégance, sans connaissance, au drame peut-être le plus profond et le plus grave de l'histoire humaine.

Je reconnais que cette "vision" du film ne s'accorde guère au manque de sérieux revendiqué par le réalisateur.

Mais quand je vois le niveau de monstrueuse connerie et d'absence totale de sensibilité historique des propos qui sont tenus à propos de ce film, je me dis que ce film soit-disant "comique" suit tranquillement son chemin, voulu ou non.
Shin Cyberlapinou a écrit :Merci à Banane de soutenir ma thèse du film "terminal". Terminal, Inglourious Basterds l'est pour moi car il prend pour de bon ce que j'appellerai "la responsabilité de l'irresponsabilité"), peut enfin, après des centaines de traitements différents, violer l'Histoire pour parler d'autre chose que de l'Holocauste
Banane a écrit :son audace à été de réduire la Judéité à la seule Vengeance, il a réduit l’identité juive à une peau de chagrin. QT ne cesse de dire que le thème de la vengeance le taraude depuis très longtemps (sa mariée de Kill Bill mélange les personnages du rape&revenge et du kung fu), et il a peut être finit par conclure que le groupe humain le plus vindicatif et qui personnalise le mieux cette idée, ce seraient… les juifs. C’est TRES choquant, mais c’est un acte politique si j’ose dire.
Clap - clap. Grandiose. Quand je vois ce que des "innocents" font de ce film, j'imagine le reste.
On peut rire de tout? La comédie excuse tout?
Finalement, ce film remet surtout très bien en cause le principe même du droit à rire n'importe comment de n'importe quoi.
Plutôt que de parler de juifs, au point où nous en arrivons, autant parler de nazisme allemand et de Goebbels. Propagande, connerie et révision de l'histoire nous ramène plus à 1934 qu'à un futur "déculpabilisé". Mais rions gaiement, c'est notre ultime droit durement acquis.
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Tom Peeping »

Banane a écrit :(je l’ai vu en tout 3 fois)
Bernadette Soubirous, elle, l'a vue 18 fois : vous avez encore du chemin à faire.
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

Pour continuer sur le cinéma de genre, visitez mon blog : http://sniffandpuff.blogspot.com/
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par angel with dirty face »

Juste un message à l'attention de Banane : Il faudrait que tu indiques au début de ton post la mention "Attention spoilers" parce que tu as tendance à raconter pas mal de scènes du film... Il faut penser à ceux qui n'ont pas encore vu le film.

EDIT DE LA MODERATION: c'est fait :wink:
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Shin Cyberlapinou
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Quelques précisions, car force est de reconnaître que la courtoisie est quand même descendue d'un cran. J'espère que ça va pas partir en sucette, et garde toujours un bon souvenir du topic sur L'armée des ombres.

- Je n'adore pas Inglourious Basterds. Il vaut pour moi au mieux 16/20, et un Croix de fer (pour prendre un film "bourrin") l'éclate d'une main, tant par le propos que par la facture.

- Je crois néanmoins que les questions de grâce, d'élégance et même de connaissance du film par rapport à la réalité historique sont hors sujet.

- Ce qui ne veut néanmoins pas dire que Tarantino traite le sujet totalement par dessus la jambe. Jamais la souffrance de Shoshanna n'est éludée, l'ouverture fait "vrai", et est pourtant cinématographique à mort. Inglourious Basterds n'est pas une fiction en rapport avec l'Histoire. C'est une fiction sur les fictions en rapport avec l'Histoire. Que la démarche soit intéressante, c'est un autre débat.

- Inglourious Basterds est pour moi peut-être le film terminal sur la Deuxième Guerre Mondiale, je maintiens. Terminal ne veut en aucun cas dire définitif, comme l'a signalé je crois Banane. Le film définitif sur la Shoah, c'est La liste de Schindler. Le film définitif sur le Débarquement, c'est Il faut sauver le soldat Ryan. Je ne parle aucunement de qualité, mais d'impact sur les consciences, de retentissement sur le (grand) public. Inglourious Basterds existe tel qu'il est parce ces films (et un paquet d'autres) lui sont pré-existants. Inglourious Basterds deviendra à mon sens à la 2ème guerre ce qu'Impitoyable est au western: un film auquel il sera très difficile de succéder (dans le cas du western, on a eu des micro revivals old school à la Open Range, ou de la surenchère réaliste à la Deadwood. Aucune direction nouvelle): il est intéressant de voir que le western est parti de quelque chose d'assez joyeux (les fameux cowboys chantants) pour aboutir à un traitement qui se doit d'être sec et réaliste, tandis que La deuxième guerre est parti d'une solennelle volonté de devoir de mémoire pour finalement oser la désinvolture revendiquée, au point de passer pour irresponsable.

- A l'époque de Stalingrad, Jean-Jacques Annaud racontait en promo que le sentiment des allemands de l'après guerre passait de "on sait, pardon" à "on sait, vos gueules". A défaut d'approuver, c'est quelque chose que je comprends. Ce qui pose la question, terrible quand on y pense, du côté constructif après 70 ans du devoir de mémoire "classique". Récemment un projet de fichier anonyme qui permettrait aux habitants des quartiers sensibles de dénoncer des crimes anonymement. Le projet est passé à la trappe car très difficile à mettre en place, et susceptible de lancer un appel à la délation évoquant "de mauvais souvenirs". Le maire de la ville où je travaille vient de donner sa démission suite à divers conflits ouverts, dont une campagne de calomnie renvoyant à "une triste époque que l'on croyait révolue". Que l'Occupation soit invoquée par des gens qui ne l'ont jamais connue (et à destination de gens qui dans leur immense majorité ne l'ont jamais connue), je trouve ça assez gênant. Par extension, que la Deuxième guerre mondiale soit le pivot philosophique de toute la civilisation occidentale, je trouve ça gênant, ou plutôt non pertinent, à l'image d'Hitler recyclé en amant mortel pour une pub contre le SIDA.

- Je ne te connais pas, Phnom&Penh. Je ne connais pas ton âge, ton parcours, ta formation, ton rapport intime (ou pas) à la Deuxième guerre mondiale. Le petit con (30 ans cette année) que je suis a un père qui s'intéresse de près au conflit a donc peut-être récupéré plus d'infos sur le sujet qu'un autre petit con du même âge, mais il y a néanmoins un "éloignement" par rapport à tout ça. Dans sans doute moins de 25 ans, plus personne n'aura connu la Shoah. Dans moins de 50 ans, plus personne n'aura connu la deuxième guerre mondiale. Est-il sain dans ces conditions de cultiver un sens de la culpabilité? Responsabilité, ok, transmission d'un patrimoine même pas très glorieux, ok. Mais en tant que français , je ne me vois rien de commun avec Laval, Louis Darquier de Pellepoix (oui, j'étale ma très relative culture... ) ou, plus près de nous, avec les colonisateurs. Les valeurs, l'éducation, la vision du monde, on est pas de la même famille. J'accepte un tronc commun, j'accepte de savoir ce qu'ils ont fait, mais ce n'est pas moi. Les petits cons deviennent la majorité. Inglourious Basterds, est, de façon assumée, un film de petit con. Ca ne l'empêche de soulever de vraies questions, mais ces questions n'ont rien à voir avec la vision "orthodoxe" de la responsabilité historique. Et s'il a un mérite, c'est justement de ne pas essayer d'endosser cette responsabilité, à l'inverse de mon maire qui aimerait se poser en victime des descendants supposés de Vichy.

- De concret, le souvenir de la Deuxième est en train de devenir bien plus théorique. Malgré tous les devoirs de mémoire du monde, c'est un changement inéluctable, et par son aspect ludico-désinvolte Inglourious Basterds marque ce changement, pour le meilleur et pour le pire, et au vu du succès du film, cette vision trouve une vraie résonance auprès de tout un public que j'imagine quand même assez jeune. A être trop crispé (faute de meilleur terme) sur cette guerre, on risque de devenir contre-productif sur la vision qu'on en a et qu'on en donne. Il ne faut pas oublier à quel point il est exceptionnel d'avoir un ramassis d'authentiques crevures atteindre un tel potentiel de nuisance, aussi vite, avec en face des gens qui passent automatiquement pour des sauveurs immaculés (même Staline et ses soldats violeurs de civiles allemandes). On parle toujours du retour de la bête immonde, on fantasme même dessus (l'Axe du Mal de Bush Jr, mes exemples plus haut), mais dans les faits, nous avons une marge sévère. Je l'avais dit sur le topic de L'armée des ombres, je le redis ici: jamais je n'aurai à me battre pour mon pays. Jamais je n'aurai à lutter contre un ennemi monstrueux. Ma génération est celle des petites victoires et des défaites silencieuses, elle n'aura pas de Grand Combat, pas de Grande Responsabilité. Ca vaut ce que ça vaut, mais ça a le mérite d'être plus reposant, et quelque part plus libérateur (non, je ne crois pas que l"humour excuse tout. Mais oui, je crois qu'on peut théoriquement rire de tout). En espérant ne pas lancer de mégadébat sur les Visions du Monde...

A noter tout de même que pour qu'Inglourious Basterds permette de lancer (même indirectement) ce genre de réflexion, il ne doit pas être si con que ça...
Banane
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Banane »

Tom peeping, je l'ai vu 3 fois, pour essayer de comprendre ce qui me génait , sans y parvenir et sans rien trouver de choquant formellement. En lisant Atzmon (et sans soutenir son interprétation à 100 % - mais comme le dit Shin Lapinou, toutes les interprétations sont valables du moment qu'elles sont argumentées), j'ai compris que ce qui m'a personnellement gênée c'est la réduction de la Judaïté à 1 concept nu, la Vengeance (d'autres son gênés par d'autres choses). Or pour moi, ces personnages auraient pu être pluridementionnels, et ils l'étaient un peu plus dans le scénario d'ailleurs.
Merci à Banane de soutenir ma thèse du film "terminal". Terminal, Inglourious Basterds l'est pour moi car il prend pour de bon ce que j'appellerai "la responsabilité de l'irresponsabilité"), peut enfin, après des centaines de traitements différents, violer l'Histoire pour parler d'autre chose que de l'Holocauste (sans être forcément "anti" comme le soutient Atzmon), alors que ça pourrait (devrait?) être sur le papier le sujet central du film. Il y a de l'ambiguité, un jeu très conscient sur les réactions et les attentes du public. Je ne suis pas sûr qu'une telle démarche ait grand chose à voir avec les juifs, l'Holocauste ou le sionisme. Mais ça a vraiment beaucoup à voir avec le Cinéma.
Je pense aussi que QT tourne en vase clos dans le Cinéma et rien d'autre ; ton rapprochement avec Haneke est bien pensé, même si l'autrichien adopte plus une posture moraliste assez irritante (lui se pose parfois en grand anthropologue, pas juste en cinéaste), même si c'est lui qui a eu la palme sous le nez de QT :uhuh: :fiou:

Par contre, je ne trouve tout de même pas qu'il y ait un tel 'viol de l'histoire' en fin de compte, vu que Hitler et Goebbels meurent, il a juste changé la façon de mourrir. Ainsi, pour moi, la réinterprétation de la chute du nazisme n'est pas une vraie uchronie (ici la chute est due à des initiatives personnelles -Shosanna, bâtards, leurs alliés de circonstance ET Landa-, et le cinéma au sens propre -le ciné des 'gentils' ET l'oeuvre monstruseuse de Goebbels qui se retourne contre lui-). Cette réinterprétation de la chute du nazisme, d'un point de vue métaphorique, pourrait être soutenue d'ailleurs, mais c'est faire fi de ce qui a réellement fait chuter le nazisme (comme par exemple l'effort de guerre russe, ou l'organisation de la Résistance qui avait plusieurs visages), et donc c'est une interprétation limitée. Mais jamais QT n'a prétendu être exhaustif.
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