While we’re young (Noah Baumbach, 2014)
Où Baumbach suggère que la fréquentation de la jeunesse constitue à la fois un aiguillon nécessaire pour insuffler aux quadras la force d’avancer et une source d’effroi informulée. Sa réflexion sur la peur du remplacement générationnel, l’intégrité contre l’imposture artistiques, la réversion de l’amitié en rivalité, l’effritement de tous les murs porteurs de l’existence éprouvé lors de la
middle-life crisis, n’est pas sans potentiel. Mais la profusion des pistes s’avère contre-productive, soulignant la superficialité de leur traitement, l’inaptitude à en creuser les enjeux. L’acidité mesquine du regard accroît l’inintérêt pour ces personnages médiocres et antipathiques, obnubilés par leur seul nombril. Et la conclusion conservatrice (point d’épanouissement sans enfant) enfonce le clou. N’est pas Woody Allen qui veut.
3/6
Amin (Philippe Faucon, 2018)
Il est ouvrier du bâtiment traîné de chantier en chantier, rouage d’un capitalisme mondialisé qui exploite et déracine les hommes. Il n’a d’autres amis que ses collègues résidant au foyer, et mesure à chaque retour au pays la distance qui le sépare de son épouse (si belle) et de ses enfants. Cinéaste de l’épure, Faucon filme son quotidien avec la même délicatesse qu’il met à capter la détresse des uns, la détermination des autres, le désir de réconfort, la douceur des exilés, la parenthèse amoureuse entre deux âmes esseulées comme un espoir minuscule dans une société divisée. Pas un seul plan complaisant, aucun dialogue superflu, encore moins de morale pesante, mais un regard d’une rectitude sans faille sur cette humanité en marge, qui dépasse la sociologie pour atteindre la vérité poignante du sentiment.
5/6
I… comme Icare (Henri Verneuil, 1979)
Volney-Garrison enquête sur le meurtre du président Jarry-Kennedy, snipé de trois balles, dans sa décapotable, par un certain Daslow-Oswald, depuis la terrasse d’un immeuble. C’est du moins ce que conclut le rapport officiel Heininger-Warren. Refusant cette thèse et se basant sur des pièces et indices troublants (dont un film amateur réalisé par un certain Sanio-Zapruder), le procureur met à jour un complot impliquant jusqu’aux plus hautes sphères de l’état. Malgré les découvertes téléguidées d’une séquence à l’autre, malgré une facture verrouillée qui singe maladroitement les films-dossiers américains de cette période, l’enquête se laisse regarder sans ennui. En son centre, une scène captivante inspirée de la fameuse expérience de Milgram, mais dont le potentiel reste curieusement inexploité.
4/6
Summer of Sam (Spike Lee, 1999)
Juillet 1977, dans le Bronx. Le disco affronte le punk, l’été est torride, et un labrador noir, agent d’un démon millénaire nommé Sam, intime l’ordre à Richard David Falco de tuer, en préférence les jeunes femmes brunes. La fièvre atteint son comble lorsqu’une énorme panne d’électricité plonge la ville dans le noir et le chaos. Climat d’apocalypse urbaine dépeint avec une énergique délectation par le cinéaste, qui brosse une fresque clinquante, séduisante, survitaminée, où la violence se mêle à la marginalité et le puritanisme à la débauche. Par-delà une matière romanesque à plusieurs étages, autour de laquelle il déploie deux heures de style glamour et de récits parallèles, il analyse les mécanismes de la peur et du désordre, le rapport de la norme et de la marge, l’exaspération sociale portée à son point de rupture.
4/6
Depuis le temps que la
bande-annonce incendiaire, sexy et survoltée me faisait de l'oeil... (je ne sais pas combien de fois j'ai pu la regarder, celle-ci)
Family business (Sidney Lumet, 1989)
Les affaires de famille ne sont ici pas celles du crime, plutôt celles du petit banditisme au rabais. Nulle trace de mafia, de clan organisé, de gangstérisme à grande échelle, seulement trois générations de cambrioleurs : le fils, le père, le grand-père, diversement motivés et impliqués, se retrouvant face à un cas de conscience. Le film, lui, est moins un polar qu’une comédie douce-amère où l’auteur s’intéresse une fois de plus à quelques marginaux. Si l’action l’amuse, il regarde surtout avec complicité une poignée de personnages anticonformistes qui rêvent d’indépendance et de liberté. Et c’est bien le regard posé sur la filiation, sur la difficulté à s’affranchir des espoirs de ceux que l’on aime ou au contraire à les concrétiser, qui constitue le meilleur atout de cette œuvre un peu trop tiède et ronronnante.
4/6
Deux hommes en fuite (Joseph Losey, 1970)
Après quelques films baroques, le cinéaste a peut-être voulu prouver qu’il était capable de réaliser une œuvre brutale, construite sur un schéma narratif qui fait la part belle à l’action. Soit deux prisonniers poursuivis par une armée étrangère et harcelés par un hélicoptère semblable à un gros oiseau de mort. Il s’agit d’une parabole (sur la guerre, la défaite inéluctable), mais cette fois dépouillée de tout ornement, de tout développement dialectique, consacrée exclusivement à dépeindre la fuite, la fatigue ou la haine : une attaque aérienne effleurant les hommes en rase-motte, une course à travers des meules qui flambent, une arrivée dans un paysage de neige comme symbole d’une liberté improbable. Le résultat, marqué du sceau d’un désespoir froid, est trop aride pour emporter vraiment l’adhésion.
3/6
Tempête sur la colline (Douglas Sirk, 1951)
Tohu-bohu au couvent de Notre-Dame de Rheims, converti en hôpital pour les victimes d’une région dévastée par les cieux en colère. Une jeune condamnée à mort y fait escale en attente de son exécution, qui clame son innocence. Et sœur Mary, convaincue par la touchante détresse de l’accusée, de s’improviser Sherlock Holmes en cornette. L’œuvre appartient à une espèce importante du Hollywood d’après-guerre : le film de nonnes. Soutenu par la fermeté sereine de Claudette Colbert, il le fait glisser du côté du suspense gothique, nimbe de clair-obscur les nombreuses séquences nocturnes, ménage une enquête fertile en mystères, rebondissements et coupables potentiels, jusqu’au dénouement typiquement hitchcockien dans un clocher. L’exercice, sans doute mineur, est aussi maitrisé que captivant.
4/6
First man (Damien Chazelle, 2018)
Le départ est immédiat, l’immersion opère dès les premières images, convulsives, floues, déchiquetées, et l’odyssée happe pour ne plus jamais lâcher. De l’extraordinaire aventure humaine, collective et technologique que constituèrent les programmes Gemini et Apollo, le réalisateur tire une passionnante épopée, en équilibre parfait entre l’intime et le spectaculaire. Le film refuse toute envolée emphatique pour mieux laisser infuser l’émotion née d’une idée aussi belle que fragile : c’est sur la Lune, dans le silence et la solitude, que cet homme devait conclure son travail de deuil. La technicité consommée de la réalisation, la rigueur factuelle du traitement, la concentration dramatique d’un récit tenu d’une main de fer, ponctué de grands moments de tension ou de fascination, attestent de sa totale réussite.
5/6
Prenez garde à la sainte putain (Rainer Werner Fassbinder, 1971)
Il n’est pas interdit de tenir ce film déroutant pour une confession, au cours de laquelle un cinéaste s’interroge sur son agir et formule des questions aussi confuses que celles du rapport entre la mise en scène et la vie, entre le métier de l’acteur, la schizophrénie ou la prostitution. Fassbinder met en scène le moment de la création cinématographique où une équipe de tournage s’engage volontairement dans un jeu de rôles qui voit chacun assumer le destin d’un double momentané. Il cherche ainsi à mettre à nu la structure des relations interhumaines, tissée d’affrontements de terreur et de violence. L’hystérie effleurant constamment de ce théâtre absurde et le caractère déréalisant d’une mise en scène refusant toute identification à des personnages antipathiques rendent difficile l’investissement émotionnel.
3/6
Dangereuse sous tous rapports (Jonathan Demme, 1986)
Archétype du cadre yuppie, Charles s’ennuie, comme l’Amérique shootée à la réussite par le travail et l’ascension sociale. Sa rencontre avec la fantasque et incendiaire Lulu lui fait entamer un drôle de voyage : d’abord l’étape de l’envoûtement et de l’initiation charnelle (motel au bord de l’autoroute), puis celle de la morale bien pensante (mère ravie, rêve de midinette et fête d’anciens du lycée), enfin celle de la transgression, qui oblige à briser le moule de l’apparence (retour infernal de l’ex-mari ultra-violent). Le film procède de la même façon, par brusques changements de tons, par dérapages narratifs rattrapés avec brio, pratiquant la collusion des situations et des registres (ballade sentimentale, comédie romantique, satire, thriller), cultivant un humour débridé qui joue à subvertir les clichés.
4/6
Cold war (Paweł Pawlikowski, 2018)
Il s’agit ici de faire tenir en moins d’une heure et demie quinze ans de chronique amoureuse et de conflit entre blocs géopolitiques, de peindre l’asservissement du désir à la marche du monde. Afin de remporter ce pari de fermeté et de concision, l’auteur opte pour un récit pointilliste qui opère par ellipses successives et épouse le morcellement d’une idylle impossible, ballotée entre Est et Ouest, des deux côtés du rideau de fer, alors que s’abat le gris universel de l’ère soviétique. Mais un tel dispositif n’évite pas l’écueil de la sécheresse : ainsi condensée, comme vidée de ses stases de cristallisation et d’épiphanie, cette histoire d’une passion toujours frustrée manque de la flamme, de l’élan lyrique qui auraient du lui permettre de dépasser l’élégance ouatée et l’esthétique très Cartier-Bresson de sa mise en scène.
4/6
Été violent (Valerio Zurlini, 1959)
La volupté d’être, on ne la goûte à son juste prix qu’au seuil du désastre et de la grande peur. Cet été violent, c’est celui de 1943 qui voit les derniers sursauts du fascisme italien. Autour d’une plage proche de Rimini, quelques jeunes oisifs tentent d’oublier les réalités du moment. Tout ici dégage un charme insinuant auquel contribuent le moelleux de l’écriture, la présence sensuelle des corps, le style flâneur mais précis qui restitue la douceur de la durée, propre à capter les ruses et les hésitations du sentiment en train de naître. À travers cette belle et passionnelle histoire d’amour, remarquable d’acuité psychologique, le film cueille la fragilité des instants parfaits, la grâce irremplaçable de purs "bonheurs d’expression", d’autant plus émouvants qu’ils sont arrachés aux duretés de l’existence.
5/6
Jerry souffre-douleur (Jerry Lewis, 1964)
En racontant l’histoire de ce groom programmé par quelques producteurs désemparés pour devenir une star, l’auteur nourrit un thème éprouvé : l’ascension d’un minable et sa rencontre avec une célébrité fragile et trompeuse. L’univers de Jerry-comique-qui-pense réapparaît ainsi dans toute son identité mais également toutes ses limites : la destruction incessante d’une mise en scène élégante par un script inégal, la mièvrerie des séquences-confessions, la contradiction flagrante entre une vision du monde prétendument rigoureuse et la fragmentation du récit en une suite de sketches qui en éloignent. Or on peut attendre de lui mieux que des morceaux ni trop solides ni trop fragiles, que des pitreries plus ou moins riches d’intentions latentes, bref mieux qu’un perpétuel et précaire équilibre entre deux chaises.
3/6
Lame de fond (Vincente Minnelli, 1946)
À l’instar de
Soupçons d’Hitchcock ou de
Hantise de Cukor, cette œuvre, qui leur est similaire, devrait être considérée comme un film noir, quand bien même elle appartient à la descendance hybride du genre gothique, imprégné par l’iconographie du mélodrame. Minnelli semble un peu se chercher, mélange les registres et retombe sur ses pieds à travers le personnage de Mitchum, élégant et froissé, qui préfigure chez lui une longue lignée d’hommes brimés et rejetés. Mais s’il parvient à débrider son inventivité en explorant les capacités visuelles d’un décor tourmenté, d’un visage inquiet, d’un corps fuyant, si la mise en scène accentue les moments dramatiques, ménage de subtiles insinuations et donne une vraie présence aux intérieurs, le scénario traîne paresseusement d’un cliché à l’autre.
4/6
L’ours et la poupée (Michel Deville, 1970)
Sur le patron de la comédie américaine et plus particulièrement de
L’Impossible Monsieur Bébé, qui voit une adorable enquiquineuse poursuivre de ses assiduités un homme s’obstinant à lui résister, cette charmante bulle de fantaisie, légère et débridée, guillerette et colorée, exploite le romantisme d’un Marivaux ou d’un Musset. Que l’exubérante modèle vivant dans un hôtel particulier du seizième rencontre un musicien tranquille retiré à la campagne, que la nature, les enfants, la simplicité, la flânerie et l’utopie d’un mode de vie s’opposent à la sophistication artificieuse de l’autre comme Rossini à Eddie Vartan, cela participe d’une démarche reposant sur une succession de dissonances et de modulations, et se nourrissant des conventions pour mieux en jouer, sans brouiller les cartes ni piper les dés.
4/6