Comme je suis une larve, je suis allé rechercher un texte que j'avais écrit sur Dvdrama lors d'un débat constructif et parfois houleux sur ce film (souvenez-vous d'un forumeur amateur du quote à chaque ligne
).
Je considère que
Titanic est un très grand film, tant dans sa réalisation que dans les thèmes qu'il aborde. Et, à travers ses deux caractéristques, tout me porte à penser que Cameron reste un véritable auteur (au sens premier du terme, développé par les journalistes des Cahiers du Cinéma dans les années 50) quel que soit le sujet traité.
D'abord le Titanic est un mythe, teinté de mystère, un monde en vase-clos représentatif d'un ordre ancien. C'est pourquoi il capte toujours notre imaginaire ; et notre volonté de voir et de savoir toujours plus ne fait que titiller encore plus notre curiosité joussive mais aussi malsaine. Il suffit de se rappeler les premières images filmées de la carcasse du navire dans les années 80, comment elles avaient impressionné l'humanité.
C'est d'abord sous cet angle narratif que Cameron aborde sa fresque monumentale. Il nous présente un chercheur de trésor cupide qui renvoie à notre avidité visuelle de spectateur. Ce chasseur est entouré de jeunes "nerds" fascinés et éblouis par leur propre technique. Il suffit de voir le personnage du gros informaticien s'extasier devant le moniteur, expliquant avec passion et suffisance les vertus de la 3D pour reconstituer le naufrage du Titanic. Jusqu'à ce que la vieille Rose leur (nous) dit : non, ce n'est pas ça l'histoire du Titanic. Ainsi, Cameron nous fait revenir à l'humain, aux émotions, à l'histoire, au sang et aux larmes. La technique cinématographique, même la plus évoluée, n'est utile que pour décrire ou retranscrire une réalité humaine, pas pour la supplanter.
C'est une entrée en matière d'une grande intelligence qui établit tout de suite la relation film/spectateur en évitant le piège du spectacle gratuit et prétentieux.
Le titanic, comme il a été dit, un un microcosme.
C'est le symbole d'un monde ancien qui se prépare à entrer dans un monde nouveau (d'ailleurs les historiens situent le début du XXème Siècle en 1914). Le bateau est compartimenté par classes comme la société, et ce n'est pas un cliché que de le dire. Ce n'est pas parce que c'est évident que c'est facile. Et il est impossible d'éviter quelques simplifications pour faire passer le message.
D'ailleurs tous les "riches" ne sont pas tous traités à la même enseigne. Le fiancé de Rose est bien un personnage lâche et immonde. Mais le créateur du bateau est plutôt sympathique (c'est justement le prototype de l'innocent qui place une foi aveugle dans la technique). La plupart des autres personnages sont fidèles à la réalité : ce sont des financiers intéressés par leur monde privilégié et leurs affaires. Ni bons, ni méchants au premier abord, ils vivent en vase clos et ne se soucient que de leurs "bonnes manières". Même la mère de Rose est dans ce cas. Elle apparaît froide et cassante, mais c'est sa nature. Elle n'est absolument pas caricaturale. Et elle se découvre fragile aux spectateurs quand elle avoue qu'elle ne sera plus rien si son destin la conduit à la ruine.
De l'autre côté, les "pauvres" ne me semblent pas non plus caricaturaux. Si Cameron les montre s'amuser en dansant la gigue irlandaise, c'est que ces personnages représentent l'espoir d'un avenir meilleur. Ce sont des émigrants. Il ne s'agit pas de dire : ils font la fête alors que les aristocrates sont tristes comme des boutons de porte ! Et le blues, chanté par les Noirs victimes de l'esclavage, c'est de la caricature aussi ? Et le folkore Yiddisch dans les ghettos, pareil ? Non, ce sont des moments de communion nécessaires pour lutter contre sa condition d'être humain exploité, pour faire ressortir ses frustrations, où l'identification à un destin global se fait sentir.
A l'approche du nouveau siècle, les certitudes vont bientôt s'écrouler et les idées progressistes gagnent en intensité. Le personnage de Di Caprio est certes enjolivé, un peu trop propre sur lui. Mais il est le vecteur de cette nouvelle façon de penser le monde visant à l'émancipation de soi. Il est aussi fatalement un stéréotype, une astuce narrative, et dans ce cas, sa présence est nécessaire.
Le Titanic préfigure les bouleversements à venir, c'est pourquoi quand il sombre c'est l'ordre ancien qui sombre avec lui. Le futur parcours de Rose symbolise, en quelques photogrammes, le changement de mentalité et la recherche de cet émancipation.
A la fin, après avoir payé sa dette, son âme rejoint celle de son professeur et des passagers tous rassemblés vers un destin commun.
Addendum : je suis étonné de lire que Kate Winslet est nulle. Je la trouve au contraire excellente dans ce personnage égarée, une personne fragile qui possède en elle une énergie d'un animal en captivité et qui trouvera la force (grâce à l'intervention de Jack, une sorte de "Messie") de se transformer en combattante. On reconnaît bien là la vision de James Cameron.
Cameron fait sienne cette histoire en opposant la foi en l'homme à la foi en les machines. La fascination pour la technique est toujours présente (la méticulosité de la reconstitution) mais le message est clair : celui de la liberté face aux contraintes sociales et mécaniques d'une société fascinée par le progrès technologique qui n'est pas toujours synonyme de progrès humain.
Bien entendu le succès d'un film ne fait pas sa valeur cinématographique. Mais quand un film atteint un tel sommet de popularité dans le monde, quand par exemple 20 millions de français se déplacent, il est impossible d'affirmer que Titanic est une oeuvre vide de sens. Il y a un besoin d'humanité dans notre société qui court à toute allure vers l'avant. C'est ce qui explique pourquoi un tel film (qui replace l'humain au centre des préoccupations) a été accueilli avec une telle empathie.