Mike Leigh

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Phnom&Penh
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Re: Mike Leigh

Message par Phnom&Penh »

En sortie de salle, j'étais surtout triste de ce que j'avais vu. C'est un film qui donne à n'importe qui d'un peu alerte devant la vie, l'impression qu'il n'y a plus effectivement qu'à se mettre une balle dans la tête.
Ensuite, parce que justement je refuse de voir la vie comme une longue suite de résignations laissant de plus en plus d'amertume, je me suis un peu révolté contre ce que j'avais vu. Ma première réaction a été de considérer que le couple Tom & Gerri était peut-être la première cible du cinéaste (d'où éventuellement leurs prénoms "télévisuels"). Et puis non, il y a trop d'indices dans le film qui montrent que le cinéaste donne raison à l'attitude du couple devant la vie. Sans parler de l'interview lue dans Positif qui lève toute éventuelle ambiguïté.

Il y a tant à dénoncer dans le monde d'aujourd'hui, sans même sortir de ce film, bien au contraire, et tout ce que Mike Leigh a à nous proposer, c'est de nous résigner, de boire un coup, et de laisser passer du mieux possible "another year"?

A titre de comparaison, il suffit de voir avec quelle humanité, quelle générosité, Stephen Frears traite du même sujet dans Tamara Drewe, pour prendre un autre film anglais récent, ou le grand classique revisité par Louis Malle dans Vanya, 42e rue.
Miss Nobody a écrit :Bien vu, c'est exactement cela... et c'est exactement aussi en cela que le film est déprimant. Ne peut-on donc pas lutter contre le caractère vain de la vie? Même à 50 ans?
Le constat est plein de vérité, mais amer... trop amer.
La meilleure défense contre la "morale" de ce film, c'est de rester intellectuellement jeune. Je crois qu'il ne faut pas chercher trop loin: ce film est un film de vieux con. Il y a des vieux cons aigris et amers. Et il y a des vieux cons condescendants et satisfaits. Les seconds ne valent pas plus cher que les premiers. A la morale de ces vieux cons, je préfère la phrase de Malraux:" il n'y a pas de grandes personnes".
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Strum
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Re: Mike Leigh

Message par Strum »

J'ai vu ce film ce week-end sur la foi de critiques favorables et, comme beaucoup dans ce fuseau apparemment, j'en suis sorti très irrité contre le couple Tom & Gerry du film, et contre le film lui-même.

Je ne crois pas me tromper en disant que ce film souligne ce qu'il y a de pire dans la société anglaise, que symbolisent les petites maisons de briques rouges des quartiers Est de Londres auxquelles sont rattachés des jardins individuels : une certaine indifférence vis-à-vis du sort de ses amis et de sa famille éloignée (soit en dehors de la famille nucléaire), qui seraient responsables de leur propre malheur. Cette indifférence est le revers du flegme anglais qui, s'il peut se muer en courage dans les moments difficiles, contient aussi parfois une solide dose d'égoïsme individuel.

De fait, si Tom & Gerri ont une vie sociale, qui consiste à recevoir quelques amis paumés, ces amis ne comptent guère au regard de leur propre bonheur et de celui de leur fils. Ils se protègent donc en tant que famille nucléaire anglaise typique (un père, une mère, un fils) et quiconque tentera de s'immiscer dans ce petit cercle familial tranquille sera violemment rejeté (cf le personnage de Mary, le plus attachant du film). Le film oppose donc ce cercle familial, bonhomme mais en vérité redoutable trident, à la vie misérable des amis du couple et de la famille brisée du frère de Tom (que celui-ci n'a pas vu depuis des années). Il montre comment ce bonheur familial est fermé de l'intérieur, et surtout comment il juge et condamne du haut de cet intérieur tous ceux qui ne sont pas aussi heureux et contents d'eux-mêmes que Tom et Gerry, en quêtant l'assentiment des spectateurs via quelques "reaction shots" condescendants de Tom & Gerry devant leurs amis tristes, alcooliques, perdus, pour lesquels décidément il n'y a rien à faire. Point de salut au Royaume-Uni en dehors de la famille nucléaire anglaise. Tous les amis de Tom et Gerry qui sont en dehors de ce modèle sont malheureux... Tom et Gerry n'auraient donc pas un seul ami heureux, comme si Leigh prenait un malin plaisir à opposer le bonheur au malheur ?

Je ressens quelque gêne à parler du film sur un tel plan sociologique, car du coup je le simplifie peut-être un peu en partant du principe qu'il défend le seul point de vue de Tom et Gerry (à part dans le dernier plan silencieux sur Mary) et je caricature les anglais en les anglobant dans le point de vue de Mike Leigh sur ce film mais vraiment, j'ai eu l'impression qu'il s'adressait exclusivement à des spectateurs partageant ou se reconnaissant dans la culture fermée sur elle-même de Tom & Gerry, et prêts à se moquer des pauvres Mary et Ken. Le film montre ainsi Tom et Gerry comme faisant parfois quelques efforts pour recevoir leurs amis et nous le fait bien savoir, prenant là encore leur point de vue ; mais ce sont toujours des efforts de convenance.

Je suis un peu gêné, disais-je, de cette analyse sociologique que je fais du film, mais je la préfère à l'alternative qui consisterait à dire que le film est lucide et dit la vérité sur le bonheur, appuierait là où ça fait mal en nous soufflant: voyez, quand on est heureux et qu'on a réussi sa vie familiale, on est toujours indifférent au sort des autres, on fait toujours semblant de s'intéresser à eux. Cette conclusion serait bien triste, mais au moins elle montrerait que Mike Leigh ferait mine de le regretter. J'ai l'impression que c'est en raison de ce constat que le film a reçu de si bonnes critiques (en dehors de ces évidentes qualités de constructions). Mais je ne crois pas que ce soit le but de Leigh (car un film pareil opposant de manière si délibérée le bonheur et le malheur a forcément un but je gage), et je n'ai pas l'impression que le film le montre regrettant cet état de fait.

Bon, je vais quand même essayer de lire quelques critiques du film pour voir si je n'ai pas raté quelque chose.
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cinephage
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Re: Mike Leigh

Message par cinephage »

Je n'ai pas eu l'impression que le couple était indifférent aux difficultés de leurs amis. Mais ils ne peuvent vivre leur vie à leur place... Ils donnent des conseils aux uns et aux autres, que chacun refuse d'écouter pour diverses raisons, et ça s'arrête là. Je pense qu'un interventionnisme serait plus mal vécu par leurs amis, et qu'il ne résulterait pas forcément sur le bonheur des gens "aidés".

Je pense que la vie est effectivement assez comme ça : commencer par trouver sa voie, son bonheur, puis accueillir autrui. Tom & Gerri ne sauvent pas leurs amis, mais ils leur offrent un roc auquel s'attacher pendant la tempête, un havre de paix et de douceur temporaire.

Bref, ils ne me paraissent pas aussi égoistes que ça. Il n'y a qu'au cinéma qu'on aide les gens malgré eux et que ça bouleverse le monde... Le film de Leigh me parait réaliste : je pense qu'on a tous des amis dont on sait "qu'ils seraient plus heureux s'ils avaient une compagne", "qu'ils n'aiment pas leur vie", "qu'ils sont malheureux parce que brouillés avec un frère ou un parent" mais on ne peut pas y faire grand chose, on ne peut que les accueillir chez soi à l'occasion, au mieux faire une ou deux suggestions, et entretenir l'amitié qui nous unit, se réjouir quand ils vont mieux, se désoler quand ce n'est pas le cas. C'est ce que je perçois dans le film de Mike Leigh.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Mike Leigh

Message par Strum »

cinephage a écrit :Je pense que la vie est effectivement assez comme ça : commencer par trouver sa voie, son bonheur, puis accueillir autrui. Tom & Gerri ne sauvent pas leurs amis, mais ils leur offrent un roc auquel s'attacher pendant la tempête, un havre de paix et de douceur temporaire.

Bref, ils ne me paraissent pas aussi égoistes que ça. Il n'y a qu'au cinéma qu'on aide les gens malgré eux et que ça bouleverse le monde... Le film de Leigh me parait réaliste : je pense qu'on a tous des amis dont on sait "qu'ils seraient plus heureux s'ils avaient une compagne", "qu'ils n'aiment pas leur vie", "qu'ils sont malheureux parce que brouillés avec un frère ou un parent" mais on ne peut pas y faire grand chose, on ne peut que les accueillir chez soi à l'occasion, au mieux faire une ou deux suggestions, et entretenir l'amitié qui nous unit, se réjouir quand ils vont mieux, se désoler quand ce n'est pas le cas. C'est ce que je perçois dans le film de Mike Leigh.
Il est vrai que leur maison reste un havre pour leurs amis égarés, et qu'ils essaient d'aider Ken (la proposition de marcher dans la campagne) et Ronnie (qui vient quelques jours chez eux), bref ceux qui se rapprochent le plus du noyau familial, mais je n'ai jamais eu l'impression qu'ils essayaient d'aider Mary ou qu'ils lui vouaient de l'affection. Et gare aux amis qui franchissent la limite qui leur est assignée (cf Mary justement parlant mal à l'amie de leur fils, qui est alors exclue de leur cercle). Et que de jugements portés sur ces "amis", que de yeux aux ciels. Mary est "disappointing" ou son cas est "desperate". Ronnie est "an asshole", etc... ils les aident, mais ils les jugent sévèrement, c'est cela qui m'a gêné. Et je n'ai pas le souvenir qu'ils leur donnent des conseils justement ; ils ne font que les écouter. Gerry en particulier par son visage assez figé et pincé a l'air de se ficher royalement des autres.

Sinon, je ne suis pas sûr que le film soit si réaliste que cela dans son découpage et son intrigue, parce que la totalité des amis du couple semblent malheureux. Dans la vraie vie, on fréquente un minimum d'amis heureux, sans doute pour ne pas avoir à se remettre en question ou alors pour ne pas avoir à les juger. Par égoïsme aussi sûrement (à cette aune, Gerry et Tom seraient moins égoïstes que beaucoup, je te l'accorde). Personne qui est heureux dans sa vie ne va fréquenter, en dehors d'astreintes professionnelles, que des gens malheureux ou paumés. C'est pourtant ce que le film montre : la totalité des amis de Tom & Gerry sont malheureux ou ont des problèmes et s'appesantissent dessus. C'est curieux cette volonté d'opposer encore une fois la tranquilité du couple et le malheur des autres. J'ai perçu là une volonté manifeste de la part du réalisateur, tirant son film du côté de la fable. C'est cette promiscuité entre bonheur et malheur qui m'a rendu le couple antipathique, j'ai pris le parti des malheureux.

Et quand bien même le film serait réaliste, personnellement, je ne vais pas au cinéma pour voir la réalité dans son quotidien triste ou des gens indifférents ou médiocres, mais pour m'aérer, pour voir des exemples positifs, aussi irréalistes soient-ils.
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Re: Mike Leigh

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Gerri conseille tout de même à Mary d'aller voir une thérapeute. Ce n'est pas une chose facile à dire à un ami (j'ignore si je me permettrais ce genre de conseil).

Par ailleurs, si un de mes amis laissait entendre qu'il avait des vues sur mon fils (surtout de façon aussi maladroite que ce qu'a laisser exprimer Mary, elle est parfaitement transparente), je pense que ma réaction serait bien plus dure que celle de Gerri. Il y a des gens qui vont bien, mais ce n'est pas à eux que s'intéresse ici Leigh : le fils du couple, avec sa petite amie, l'amie dont j'ai oublié le nom, et qui est enceinte au début...

Mais ce n'est pas sur eux que se concentre le film. J'aurais tendance à penser que Leigh incite à cultiver son jardin, à travailler à son propre bonheur (la morale du film étant en quelque sorte "comme on fait son lit..."). Chacun des personnages qui va mal va mal par sa propre faute, par son refus de changer, de s'ouvrir à autre chose (déménagement, changement de vie, reprise en main de sa vie). J'ai cru retrouver certains personnages en déshérence de Leigh, notamment le héros noctambule de Naked, qui travaille "si dur" à rester un paumé...
Je pense que Mike Leigh dénonce la complaisance dans laquelle il est facile de s'installer plutôt que de se bouger (mais avec une moindre poésie que dans Naked).
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Re: Mike Leigh

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cinephage a écrit :Gerri conseille tout de même à Mary d'aller voir une thérapeute. Ce n'est pas une chose facile à dire à un ami (j'ignore si je me permettrais ce genre de conseil).
C'est vrai, après qu'elle ait tout le film déblatéré dans le dos de son "amie" et l'ait laissé s'enfonçer dans son trou, elle finit par lui dire cela, puisqu'elle ne voulait pas l'aider elle-même.
Par ailleurs, si un de mes amis laissait entendre qu'il avait des vues sur mon fils (surtout de façon aussi maladroite que ce qu'a laisser exprimer Mary, elle est parfaitement transparente), je pense que ma réaction serait bien plus dure que celle de Gerri.
Enfin, elle aurait du s'apercevoir depuis longtemps que Mary aimait bien son fils (elle devait bien savoir ce que le spectateur remarque tout de suite ou alors elle est si indifférente qu'elle ne l'aurait pas remarqué ?), et elle aurait dû depuis longtemps lui en parler en face, plutôt que de laisser s'installer cette situation qui n'était pas très saine.
J'aurais tendance à penser que Leigh incite à cultiver son jardin, à travailler à son propre bonheur (la morale du film étant en quelque sorte "comme on fait son lit..."). Chacun des personnages qui va mal va mal par sa propre faute, par son refus de changer, de s'ouvrir à autre chose (déménagement, changement de vie, reprise en main de sa vie). J'ai cru retrouver certains personnages en déshérence de Leigh, notamment le héros noctambule de Naked, qui travaille "si dur" à rester un paumé...
Je pense que Mike Leigh dénonce la complaisance dans laquelle il est facile de s'installer plutôt que de se bouger (mais avec une moindre poésie que dans Naked).
C'est justement cette morale effectivement très claire du chacun pour soi et du chacun responsable de ses propres turpitudes que je n'ai pas aimée (car Mary, Ken ou Ronnie ont très bien pu être victimes d'un sort défavorable qui fait qu'ils ne sont pas si responsables que cela de leur vie).
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Re: Mike Leigh

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Strum a écrit :
cinephage a écrit :Gerri conseille tout de même à Mary d'aller voir une thérapeute. Ce n'est pas une chose facile à dire à un ami (j'ignore si je me permettrais ce genre de conseil).
C'est vrai, après qu'elle ait tout le film déblatéré dans le dos de son "amie" et l'ait laissé s'enfonçer dans son trou, elle finit par lui dire cela, puisqu'elle ne voulait pas l'aider elle-même.
En fait, je ne vois pas bien ce que tu penses qu'elle aurait pu faire pour aider Mary.
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Re: Mike Leigh

Message par Strum »

cinephage a écrit :En fait, je ne vois pas bien ce que tu penses qu'elle aurait pu faire pour aider Mary.
Lui parler tout simplement. Lui parler comme à une amie, la conseiller, lui dire qu'elle buvait trop, lui dire de se reprendre, lui dire de ne pas acheter de voiture, etc.... Finalement, Gerry ne faisait qu'écouter Mary, sans lui parler, tout comme elle écoute ses propres patients sans parvenir à les aider. Tout le film est d'ailleurs résumé dans la première scène de Gerry, où une femme malheureuse reste inaccessible aux questions et aux tentatives de Gerry. La morale du film est claire à cette aune : on ne peut pas aider les gens malheureux qui sont inaccessibles aux tentatives des gens heureux. Il faut qu'ils s'aident eux-mêmes. Je ne suis pas d'accord avec cette morale qui légitime l'indifférence de Gerry (à quoi bon essayer puisque cela ne sert à rien ?).
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Re: Mike Leigh

Message par nils »

Je suis très étonné de lire ces réactions très dures envers ce film, ce n'est pas du tout ce que j'y ai vu...

J'aurais plutôt tendance en ce qui me concerne à vouloir prendre la défense de Tom & Gerry, finalement ce sont les personnages qui m'ont semblé les plus réalistes et donc les plus attachants. Et ce n'est pas leur côté "petit couple de vieux qui jardine et cuisine ensemble" que j'ai apprécié, mais plutôt leur difficulté à accueillir leur entourage "à problème" sans empiéter sur leur bonheur. C'est à mon sens le vrai sujet du film, pas évident à mettre en scène : comment accueillir le malheur des autres ? Cela me fait bondir de lire que leur attitude est égoïste et condescendante, alors qu'ils passent leur temps à accueillir des cas difficiles dans leur maison (alors que Gerry en voit déjà de toutes les couleurs pendant la journée dans le cadre de son boulot) de façon très simple, proposent de les héberger (pour la nuit ou quelques jours), sont les seuls à se déplacer pour l'enterrement de la belle-soeur... Bien sûr, ils ne vont jamais avoir de grande discussion sur les problèmes de Mary, Ken ou Ronnie, mais j'ai plutôt l'impression que le film décrit un "après" : une fois qu'on a essayé de vraiment aider ces gens, il ne reste plus qu'à les accueillir simplement, leur parler, ne pas les laisser seuls, et ne pas laisser leur tristesse ruiner notre propre vie.

C'est certes une morale un peu difficile, mais pas si écoeurante que j'ai pu le lire ici. Oui, il y a des gens qu'on peut difficilement aider, et non, ce n'est pas inhumain que de couper les ponts quand ils dépassent les bornes (Mary avec le fils) ou s'amuser un peu à leurs dépens quand on a trop bu, c'est même un réflexe d'auto-défense parfaitement compréhensible.
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Re: Mike Leigh

Message par mannhunter »

Strum a écrit :C'est cette promiscuité entre bonheur et malheur qui m'a rendu le couple antipathique, j'ai pris le parti des malheureux.
peut-être que je me trompe,mais en choisissant de conclure son film en un long plan sur le personnage de Mary,Mike Leigh me semble aussi manifester de l'empathie,de la compassion pour la souffrance existencielle de ce personnage,il prend en ce sens le parti des malheureux :wink: ...la scène d'ouverture pareillement mettait en scène un autre personnage fortement dépressif...note d'intention du réalisateur quand au ton de son film?
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Re: Mike Leigh

Message par Strum »

mannhunter a écrit :peut-être que je me trompe,mais en choisissant de conclure son film en un long plan sur le personnage de Mary,Mike Leigh me semble aussi manifester de l'empathie,de la compassion pour la souffrance existencielle de ce personnage,il prend en ce sens le parti des malheureux :wink: ...la scène d'ouverture pareillement mettait en scène un autre personnage fortement dépressif...note d'intention du réalisateur quand au ton de son film?
Pour moi, ces deux plans/scènes signifient qu'il y a des malheureux que l'on ne peut pas aider, parce qu'ils ne veulent pas/ne peuvent pas écouter les autres (cf le dernier plan qui est silencieux : Mary n'écoute plus la conversation ; elle est dans son monde). Il me parait donc difficile de conclure que Mike Leigh prend ici "le parti" de ces malheureuses.
nils a écrit :Oui, il y a des gens qu'on peut difficilement aider, et non, ce n'est pas inhumain que de couper les ponts quand ils dépassent les bornes (Mary avec le fils) ou s'amuser un peu à leurs dépens quand on a trop bu, c'est même un réflexe d'auto-défense parfaitement compréhensible.
Ce n'est certes pas "inhumain", et c'est même trop humain, mais il n'y a pas de quoi s'en glorifier ou en faire un film tenant ce discours de manière aussi tranchée et sûre de son droit.
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Re: Mike Leigh

Message par Phnom&Penh »

nils a écrit :Et ce n'est pas leur côté "petit couple de vieux qui jardine et cuisine ensemble" que j'ai apprécié, mais plutôt leur difficulté à accueillir leur entourage "à problème" sans empiéter sur leur bonheur. C'est à mon sens le vrai sujet du film, pas évident à mettre en scène : comment accueillir le malheur des autres ? Cela me fait bondir de lire que leur attitude est égoïste et condescendante, alors qu'ils passent leur temps à accueillir des cas difficiles dans leur maison
Je ne veux pas non plus donner une opinion et une seule de ce qu'on peut penser de ce film et des personnages, et je n'ai d'ailleurs pas trop compris le but de Mike Leigh en sortant de salle.
Cela dit, des personnages qui justement alimentent leur petit bonheur personnel de la fréquentation (mais à la dose qu'ils auront eux-mêmes choisis) du malheur des autres, c'est on ne peut plus commun aussi.
A mon avis, Mike Leigh cherche plus ou moins à accuser la société d'engendrer cette tristesse et cette mélancolie. Cela me semble être le message de la première séquence avec cette désespérée auxquels des professionnels sont incapables de venir en aide.
Sa réponse, comme le souligne Strum, c'est le repli anglais sur la petite cellule familiale, le bonheur des choses simples comme le jardinage, le courage d'accepter de vieillir, les générations qui succèdent aux autres. Rien de condamnable en soi, bien au contraire.

Le problème, c'est justement que le film est bon en ce qu'il fait un portrait juste de la société actuelle: une société d'égoïstes individualistes repliés sur eux-mêmes, qui espèrent frileusement pouvoir jusqu'à la fin de leurs jours regarder le malheur des autres à l'abri du nid douillet qu'ils ont réussi à conserver. Quelque part, Mike Leigh donne la réponse à sa question: la société est ce que les hommes qui la compose en font et, avec Tom & Gerry, il donne un bon portrait de sa propre génération.
nils a écrit :C'est certes une morale un peu difficile, mais pas si écoeurante que j'ai pu le lire ici. Oui, il y a des gens qu'on peut difficilement aider, et non, ce n'est pas inhumain que de couper les ponts quand ils dépassent les bornes (Mary avec le fils) ou s'amuser un peu à leurs dépens quand on a trop bu, c'est même un réflexe d'auto-défense parfaitement compréhensible.
Je ne trouve pas que le personnage de Mary soit si difficile à aider, pour peu qu'on cherche à la faire réellement. Elle est physiquement plus jeune que son âge et elle a un boulot. On fait pire comme situation. Mais encore faudrait-il la valoriser et non pas l'aider à couler. Pour cela il faudrait qu'elle ait de vrais amis. C'est d'ailleurs un constat que je fais sur le couple: où sont leurs vrais amis?
mannhunter a écrit :peut-être que je me trompe,mais en choisissant de conclure son film en un long plan sur le personnage de Mary,Mike Leigh me semble aussi manifester de l'empathie,de la compassion pour la souffrance existencielle de ce personnage,il prend en ce sens le parti des malheureux ...
Le dernier plan est splendide, mais souligne très volontairement la cellule familiale d'un côté, et les deux isolés de l'autre, pour finir sur Mary avec un plan empathique, certes, mais d'une tristesse absolue puisque le personnage semble condamné. J'aurai préféré un film moins désabusé et un peu plus généreux: le dernier plan est d'une telle sobriété qu'il aurait pu se terminer sur une main tendue sans que cela tombe dans la niaiserie. Et cela aurait tout changé. Mais pour Mike Leigh, on dirait que le regard empathique est suffisant pour se justifier devant des personnages qu'il condamne lui-même à l'avance.
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mannhunter
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Re: Mike Leigh

Message par mannhunter »

nils a écrit :Je suis très étonné de lire ces réactions très dures envers ce film, ce n'est pas du tout ce que j'y ai vu...
Phnom&Penh a écrit :Je ne veux pas non plus donner une opinion et une seule de ce qu'on peut penser de ce film et des personnages, et je n'ai d'ailleurs pas trop compris le but de Mike Leigh en sortant de salle.

Mais pour Mike Leigh, on dirait que le regard empathique est suffisant pour se justifier devant des personnages qu'il condamne lui-même à l'avance.

le cinéaste s'est-il exprimé sur ses intentions, les personnages qu'il nous présente dans le film?
dans le nouveau Positif peut-être?
je serais curieux de lire ses propos..d'autant plus avec les perceptions opposés qu'on peut avoir de son film, j'aimerais connaitre sa "version".
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Phnom&Penh
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Re: Mike Leigh

Message par Phnom&Penh »

mannhunter a écrit :le cinéaste s'est-il exprimé sur ses intentions, les personnages qu'il nous présente dans le film?
dans le nouveau Positif peut-être?
Oui, j'y ai fait allusion plus haut. Il parle notamment d'une soeur aigrie qui a inspiré le personnage de Mary. Mais, dit-il, "cette soeur ne risque pas de lire Positif". Sachant qu'en général, la majorité des médisances est rapportée et non découverte par hasard, cela donne une aussi bonne idée de la finesse de Mike Leigh que de la générosité d'esprit avec laquelle il a fait ce film. Le regard parfaitement complaisant que le réalisateur porte sur ses personnages dans l'interview ne laisse pas beaucoup d'ambiguïté sur la signification d'Another Year.
J'avoue que cette lecture a largement confirmé l'opinion que je m'étais faite du film...
C'est dans le Positif de Décembre (Tom et Gerry en une), pas dans le dernier (Eastwood en une).
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Jack Carter
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Re: Mike Leigh

Message par Jack Carter »

le 27 juin, High Hopes sort en dvd chez nous, edité par Doriane Films
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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