
Judah Rosenthal [Martin Landau] est un ophtalmo comblé - famille, richesse - mais encombré d'une maîtresse chiante [Angelica Huston] qui menace de faire voler son bonheur en éclat.
Cliff Stern [Woody Allen] est un réalisateur au chomedu, à la vie de couple chancelante et obligé de pondre un docu de commande sur son beau-frère qu'il déteste: Lester [Alan Alda], un producteur de séries comiques, superficiel, riche, charmeur. Cliff drague la productrice du docu [Mia Farrow] à qui il veut refiler un projet sur un philosophe optimiste et survivant de la Shoah, Louis Levy. Lester la drague aussi...

L'un de mes films favoris de tous les temps - avec Death Wish 3 et le Matthieu de Paso - Crimes entremêle harmonieusement comique - enfin, c'est pas si drôle que cela en y pensant - et veine bergmano-sérieuse. Allen offre probablement son plus bô rôle à Landau en ophtalmo dostoievskien bouffé par la culpabilité, au bord du gouffre existentiel pour cause de vieux fond d'éducation juive. Ne pas oublier Alda, hilarant, imbu de lui-même et très juste quand il sort des aphorismes à la limite du foireux: "si ça plie, c'est drôle; si ça ne plie pas c'est pas drôle". C'est aussi le seul film d'Allen où on évoque la scatophilie.
Le film parle de morale sans être chiant. On peut lui reprocher une symbolique très prononcée - le regard, la cécité - et le cloisonnement entre les deux intrigues mais je pense qu'elles se répondent très bien. La question qui taraude Allen et Landau dans le film est: pourquoi les méchants gagnent à la fin dans la vraie vie? Et Dieu dans tout cela? S'il regarde, pourquoi ne dit-il rien? Pourquoi la scatophilie? Le crime de Martin Landau - qui le confronte aux contradictions de son éducation - répond aux problèmes comico-tragiques de Allen l'artiste qui vit dans l'ombre d'Alan Alda, le comique marchand de tapis. Le segment Allen éclaire [un petit plaisir de la vie dans le film étant de mater Chantons sous la pluie en mangeant du curry] un peu un film pessimiste au niveau cosmique, tout en enfonçant le clou, puisque le personnage "juste" d'Allen n'est pas exempt de défauts - même Lester/Alda peut paraître sympathique au final. De même, la foi de Cliff/Allen en une honnêteté intellectuelle, en la raison sera bouleversée par un certain évènement.
Micro-spoilers (c)Requiem
Le film appuie sur le motif du regard: l'ophtalmo moralement aveugle confronté à un rabbin (Sam Waterston), monument de probité mais gagné par la cécité, le regard fixe et accusateur du cadavre d'Angelica Huston, Lester/Alda inconscient du mépris que lui porte Cliff... mais il n'y a que de l'aveuglement, dans les yeux des personnages ou de Dieu. La culpabilité de Landau s'étiole à mesure qu'il constate qu'il n'y a pas de chatîment; l'idole de Cliff/Allen se suicide sans raison apparente. Il n'y a pas de justice envers ceux qui le méritent; il y a cécité face à nos actes et Dieu est bigleu ou alors personne n'est foutu de voir s'il est aux abonnés absents.
Tout cela peut sembler didactico-plombant mais est très bien amené - grâce aux dialogues, aux acteurs, à un paquet de détails, notamment lors de la scène mémorable du repas de famille et du monologue final de Landau, pied de nez aux conventions hollywoodiennes. Leçon finale, de la bouche de la tante de Judah: "la force fait droit; il n'y a pas de structure morale. Pour ceux qui veulent une morale, il y a une morale."