Jean Renoir (1894-1979)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Rick Blaine
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

Père Jules a écrit :En fait, Rick Blaine est un multi de Demi-Lune.
:lol: :mrgreen:

En fait je me suis peut-être laissé emballé par l'enthousiasme, je ne me suis pas rendu compte que j'avais fait long (par contre je m'étais bien rendu compte que je n'avais pas beaucoup travaillé ce matin... :fiou: ) Il se peut que ce ne soit pas passionnant de bout en bout, mais je dois dire que j'ai été transporté par le film. Ca faisait longtemps que je n'avais pas découvert un Renoir que je ne connaissais pas, ça fait du bien, on sait qui est le patron, ça remet les choses en place.
Jeremy Fox a écrit : Bon, je pense que tu tiens là ton film du mois :wink:
Tout à fait. Et peut-être même de l'année, trop tôt pour le savoir, mais il est bien en course.
feb
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par feb »

Père Jules a écrit :En fait, Rick Blaine est un multi de Demi-Lune.
A la seule différence que Demi-Lune commence toujours par "je ne vais pas m'étaler", "je ne vais pas faire trop long", "je vais tenter de faire court" :mrgreen:
Très agréable à lire Rick, :wink: je me retrouve bien dans la description que tu fais du film.
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Rick Blaine
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

feb a écrit :
Père Jules a écrit :En fait, Rick Blaine est un multi de Demi-Lune.
A la seule différence que Demi-Lune commence toujours par "je ne vais pas m'étaler", "je ne vais pas faire trop long", "je vais tenter de faire court" :mrgreen:
L'intention y était ceci dit!! :mrgreen:
feb a écrit : Très agréable à lire Rick, :wink: je me retrouve bien dans la description que tu fais du film.
Merci. :D
daniel gregg
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par daniel gregg »

Rick Blaine a écrit :French Cancan (1954)
Spoiler (cliquez pour afficher)
Il y a des années que ce film trainait sur mes étagères, j'ai même gardé longtemps l'édition René Chateau que je n'ai finalement jamais regardée, avant de la changer pour le master Gaumont. Je ne saurais dire pourquoi le film ne m'attirait pas plus que ça. Pourtant, Renoir/Gabin, c'est une combinaison gagnante de ma cinéphilie mais ça ne suffisait pas.
Renoir/Gabin, c'est vrai que ça fait rêver, le plus grand metteur en scène français et le plus grand acteur français selon moi, dont la réunion avait donné naissance près de vingt ans plus tôt aux Bas-Fonds, que je considère comme mineur, mais surtout à La Grande Illusion et à la Bête Humaine, deux monuments du cinéma. Mais en 1954 les choses ont changé. Renoir vient de rentrer en France et son statut a changé, malgré certaines grandes réussites artistiques. C'est alors qu'on lui confie le projet French Cancan qui devait initialement être dirigé par Yves Allegret. Par parenthèse, si Yves Allegret à quelques talents, -j'aime beaucoup Une si jolie petite plage- je ne le voit pas un seul instant diriger efficacement une telle œuvre. Quant à Gabin, il vient à peine de retrouver la lumière dans le sublime Grisbi après une longue traversée du désert, et récupère le rôle principal du film après le refus de Charles Boyer d'abord pressenti.

Sur le papier nous avons donc un film de commande pour Renoir et un acteur principal vexé d'être un second choix derrière Boyer (qu'il déteste), et qui plus est fâché avec Renoir au moment où le film se prépare. Comment créer un chef d’œuvre dans ces conditions? Il suffit de s'appeler Renoir.

Première étape, recentrer le film sur son personnage principal, Henri Danglard, homme volage, artiste sans le sou, qui se lance dans ce qui est probablement le dernier défi de sa carrière, la création du Moulin Rouge en relançant la mode d'une dans passée, le Cancan, que l'on appellera désormais le French Cancan. Cela suppose la suppression de toute une partie du film initialement consacrée à Paulo, le compagnon de Nini (Françoise Arnoul) vedette du nouveau spectacle de Danglard, qui était initialement un ouvrier politiquement engagé, dont les démêlés avec la police devait initialement être une autre trame du film, et l'aurait probablement déséquilibré. Danglard deviens donc le centre de gravité de French Cancan. Personnage fascinant, Danglard passe d'une femme à l'autre avec légèreté, dépense l'argent des autres comme s'il était le sien, et surtout déborde d'idée. Il n'y a pas de frontière entre sa vie et le spectacle, entre sa vie et l'art. Sa vie est le spectacle, il a une idée par minute et découvre un talent à chaque coin de rue. Un peintre en bâtiment sifflote dans la rue, il l'embauche et en fait le Pierrot Siffleur, il entend une femme chanter à sa fenêtre, il en fait une vedette de son nouveau spectacle qui chantera La Complainte de la butte entre les tables du Moulin Rouge (Cora Vaucaire prêtant sa voix pour l'occasion à Anna Amendola). Homme de spectacle donc, être entier également, parfois maladroit dans sa relation avec les femmes mais qui assume ce qu'il est et souhaite réaliser ses rêves, Danglard est le double de Renoir l'artiste et de Renoir le séducteur, un rôle qui va comme un gant à un Gabin qui peut offrir le meilleur de lui-même, entre la vitalité de ses jeunes années et la figure tutélaire de ses rôles tardifs.
Autour de Danglard, une galerie de portraits comme seul Renoir sait les peindre. On retrouve une myriade de rôles, tous valorisés, du plus importants au plus petit. French Cancan fourmille de personnages amoureusement sculptés par Renoir, comme il le faisait dans la Règle du Jeu. Dans cette galerie de portrait, on retrouve les figures classiques renoiriennes, comme celle de la femme hésitant entre trois amants, ici Lola, interprétée avec beaucoup d'allure par María Félix, double de Christine de la Chesnaye, ou celle d'un complice "populaire" au personnage principal, ici Casimir (Philippe Clay), qui peut évoquer Marceau par certain aspects. Ces personnages nombreux mais tous dotés d'une existence propre donne une grande profondeur à French Cancan, cet aspect Mille-feuille propre aux films de Renoir qui nous content mille destins, comme mille propositions de films, tous passionnantes. Parmi les beaux personnages on retient notamment celui du Prince Alexandre (Giani Esposito), formidablement touchant, auquel Renoir offre une magnifique scène au milieu de la salle vide du Moulin Rouge, alors qu'il apprend que Nini aime en fait Danglard. La lumière disparait, les autres protagonistes également, le laissant seul, avec son pistolet, pour un suicide raté extrêmement émouvant. Et puis on a évidemment le personnage de Nini (sublime Françoise Arnoul) innocente mais pas naïve, rêvant de succès, rêvant de s'extraire de son destin de blanchisseuse, symbole d'une volonté de transition social chère à Renoir, belle amoureuse de Danglard, le rayon de soleil du film.
Si la trame du film est recentrée sur le spectacle, et conclue sur le discours de Danglard à Nini, déclaration d’amour à l’art et variation magnifique du thème « The show must go on », Renoir n’en oublie pas pour autant le discours social qui imprègne l’ensemble de son œuvre. French Cancan est, comme beaucoup d’autre de ses films, une peinture des couches sociales de la société, et de la perméabilité des frontières qui les séparent. Danglard évolue entre ces couches, tel Octave dans la Règle – ce qui ne peut que renforcer l’identification Danglard/Renoir. Il baigne dans un milieu bourgeois, voir noble. Ce milieu constitue l’essentiel de sa clientèle, et de ses bailleurs de fonds. Ceux-ci l’acceptent parmi eux car il est leur vitrine et leur conscience artistique, mais le moindre faux pas le remettra à sa place, il dépend d’eux, l’inverse n’est pas vrai. Ainsi lorsque Danglard danse pour la première fois avec Nini il paye immédiatement sa faute. L’humiliation de Lola, qui fait partie du milieu des financiers, provoque la rupture avec le baron Walter (superbe Jean-Roger Caussimon) qui lui coupe les vivres, mesure de rétorsion qu’il sait utiliser dès que Danglard sort des clous. La position sociale de Danglard est instable, il occupe une place qui n’est pas naturellement la sienne et qui est le fruit des circonstances. En quelque sorte, une Grande Illusion… Le rêve de Danglard s’inscrit dans cette situation. Constatant que les riches souhaiteraient s’encanailler sans risque, il conçoit un lieu (Le Moulin Rouge) qui prendra place dans un quartier populaire, avec un spectacle populaire (le Cancan), dans lequel on servira le meilleur champagne et on écoutera les meilleurs musiciens. Ce rêve abolira les frontières, c’est la conclusion du film, ou les deux classes sont dans le public, sans se côtoyer de trop près tout de même. Nini rêve aussi. Elle rêve de réussite, elle rêve de ne plus être Blanchisseuse. Elle rêve surtout d’être reconnue, refusant l’amour du Prince pour celui de Danglard et les feux de la rampe. Son ascension se termine triomphalement, elle est sortie du rang mais, tout au long du film, Renoir laisse planer la menace avec le personnage de Prunelle, ancienne danseuse vedette devenue clocharde. Ce personnage, remarquablement dessiné et formidablement attachant, à certainement connu la même trajectoire que Nini et a connu le destin d’Icare. Cette image, sans jamais entraver la légèreté du film, reste toujours présente, comme un rappel à l’ordre à ceux qui voudrait trop facilement faire bouger les lignes.
Cette lecture sociale, sous-titre de la trame principale, s’inscris enfin dans une dynamique historique. Par la reconstitution d’une époque, mais aussi par la présence, au détour d’un dialogue, de faits historiques et politiques. On parle dans French Cancan de la montée de Boulanger, que Lola souhaite ardemment –encore un écho à la Règle et une de ses chansons- on parle de l’alliance avec la Russie, on voit Paris se construire… La fantaisie de Renoir, présentée comme une comédie musicale s’inscrit dans une dynamique sociale et historique bien réelle, à l’image de ses plus grandes œuvres.
Deuxième étape, perfectionner la mise en scène. French Cancan est certainement le plus beau Technicolor français qui m’est été donné de voir, un des plus beaux films en couleur tout cour également. Tout y est féérique et le film transporte le spectateur par son esthétique. Chaque scène semble avoir sa couleur, et donc son ambiance, comme autant de tableaux travaillés par un maitre. La référence à la peinture est d’ailleurs évidente, on s’en rend compte même sans grande culture de cette art ce qui est mon cas. Pour créer un film sur l’art, Renoir semble avoir choisi de reconstruire une époque non pas par le prisme de la réalité directe, mais par celui de la vision artistique qu’en ont eu les peintres, jolie mise en parallèle entre les arts de la scène et les arts plastique.
Certaines scènes sont d’ailleurs des tableaux. La plus évidente, c’est celle sous l’arbre entre le Prince Alexandre et Nini, la caméra est presque figée, le mouvement s’arrête, nous sommes projetés dans une toile de maitre. Ces effets sont le produit d’une sublime photographie, valorisant les couleurs vives exprimant la gaieté et la joie de vivre du film. Elle s’appuie sur des décors remarquables. Entièrement filmé studio, French Cancan donne pourtant une illusion de vérité, d’ambiance recréée. Le décorateur Max Douy insiste d’ailleurs sur cette volonté de réalisme, qui a guidé ses choix et ceux de Renoir : les marches des escaliers sont en grès véritable, les ouvriers sont en train de placer de vrais pavés sur la route, etc… Renoir semble avoir voulu recréer le véritable Montmartre, celui de son enfance. Mais cette vérité n’est pas terne, n’est pas datée, elle est éclatante, vivante, presque rêvée et l’atmosphère qui s’en dégage est celle d’une féérie, à l’image des grandes comédies musicales américaine.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Dans cette esthétique, Renoir peut exprimer au mieux sa patte. On retrouve son gout pour les longs plans, ceux qui laissent au mieux s’exprimer l’acteur, se développer les personnages, ceux qui permettent à l’action principales et aux évènements secondaires de s’enchevêtrer, de ne jamais figer le récit, d’insuffler de la vie dans le film. A l’image de ses plus grandes réussite, on ressent dès la première vision que French Cancan regorge de ces pistes secondaires, de ces innombrables détails qui font le sel et la particularité des œuvres du Patron. Qui donnent envie de les revoir aussi. Le film n’est ainsi pas recroquevillé sur le destin de ses personnages principaux, il vit, et eux aussi peuvent vivre, donnant corps à la sensation que l’on ne suit pas un simple récit, mais une tranche de la vie d’hommes et de femmes, d’un quartier, d’un monde en perpétuel mouvement.
Car le mouvement s’arrête rarement, French Cancan est un film extraordinairement rythmé, sans temps mort, un film qui respire mais qui respire très vite et qui donne envie de dévorer la vie à grande vitesse. C’est également l’un des sens du dernier discours de Danglard : on ne le verra jamais en pantoufles devant la cheminée, il faut agir pour vivre, et si possible, agir pour l’art et le divertissement. L’apothéose de ce mouvement, c’est évidemment le Cancan final, 20 minutes d’une folie totale, tourbillonnante. Les danseuses ne tiennent pas en place, le public ne tient pas en place, Danglard a beau essayer mais ne tiens pas en place, et le spectateur à une terrible envie de sauter de son siège ! Vivre, c’est la première morale de French Cancan, vivre sans se soucier du lendemain, réaliser ses rêves même si l’on peut risquer la ruine, ou la déchéance de Prunelle, vivre tant qu’il en est encore temps et profiter de chaque chose même d’un croissant pour tout déjeuner lorsqu’on a plus le sou comme le font Danglard et sa troupe. Transmettre autant de vie lorsqu’on a soixante ans, chapeau monsieur Renoir.

Cette œuvre de commande, Renoir en fait ainsi un film personnel, parfaitement inscrite dans son œuvre immense, un bijou plastique et rythmique difficilement égalable, en faisant de Jean Gabin son alter ego dans un rôle sublime, un des plus atypiques et des plus réussis de sa carrière.
Bref, French Cancan, c’est le pied !!
D'accord à la lettre près avec ce vibrant plaidoyer qui, comme l'a justement dit Jeremy, transpire un enthousiasme communicatif et sincère ! :D
Ton passage évoquant une parenté avec les grandes comédies musicales américaines est très juste et, pourrait à lui seul, rallier à la cause Renoir, ceux qui reprocheraient une certaine apparence de carton pâte aux splendides décors de Max Douy.
On est ici dans l'art absolu du divertissement, dans ce qu'il a de plus fascinant, cette fascination à laquelle on adhère de manière évidente et naturelle pour peu que l'on soit sensible à cet univers fait tout à la fois de féerie, comme tu le dis si bien, mais aussi d'un souci constant d'inscrire les personnages dans un cadre rendu vivant par leur essence même, par le soin apporté par Renoir à les faire exister avec un relief et une complexité confondante.
Voire aussi le superbe technicolor du film précédent de Renoir, Le carosse d'or, merveilleusement mis en valeur par les costumes aux couleurs éclatantes de Peruzzi et Maggi.
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Rick Blaine
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

daniel gregg a écrit :On est ici dans l'art absolu du divertissement, dans ce qu'il a de plus fascinant, cette fascination à laquelle on adhère de manière évidente et naturelle pour peu que l'on soit sensible à cet univers fait tout à la fois de féerie, comme tu le dis si bien, mais aussi d'un souci constant d'inscrire les personnages dans un cadre rendu vivant par leur essence même, par le soin apporté par Renoir à les faire exister avec un relief et une complexité confondante.
Exact, je crois d'ailleurs que dans ce domaine, Renoir est presque inégalable!
daniel gregg a écrit : Voire aussi le superbe technicolor du film précédent de Renoir, Le carosse d'or, merveilleusement mis en valeur par les costumes aux couleurs éclatantes de Peruzzi et Maggi.
Il fait vraiment envie aussi celui là, d'autant qu'il semble être thématiquement lié avec French Cancan. Ce serait bien qu'on nous le sorte en France d'ailleurs, ça m'ennuierait un peu de devoir acheter le coffret Criterion alors que j'ai déjà French Cancan, et bientot Elena, en Gaumont.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Jeremy Fox »

Autant French Cancan m'a toujours enthousiasmé, autant Le Carrosse d'or m'a toujours fatigué et ennuyé. Ceci dit, je ne serais pas contre pouvoir lui donner une nouvelle chance.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :Autant French Cancan m'a toujours enthousiasmé, autant Le Carrosse d'or m'a toujours fatigué et ennuyé. Ceci dit, je ne serais pas contre pouvoir lui donner une nouvelle chance.
Il a moins bonne réputation, même un Renoirien convaincu comme Olivier Curchod le place un peu en dessous il me semble. Mais il faudrait pouvoir juger, si possible dans les mêmes conditions éditoriales que French Cancan.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par daniel gregg »

Rick Blaine a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Autant French Cancan m'a toujours enthousiasmé, autant Le Carrosse d'or m'a toujours fatigué et ennuyé. Ceci dit, je ne serais pas contre pouvoir lui donner une nouvelle chance.
Il a moins bonne réputation, même un Renoirien convaincu comme Olivier Curchod le place un peu en dessous il me semble. Mais il faudrait pouvoir juger, si possible dans les mêmes conditions éditoriales que French Cancan.
Pour moi, qui adore French Cancan, il est juste au dessus.
Mais je suis un inconditionnel d'Anna Magnani...
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

daniel gregg a écrit : Pour moi, qui adore French Cancan, il est juste au dessus.
Raison de plus pour me donner envie de le découvrir! :wink:
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Cathy »

Chronique magnifique où transpire ton amour pour ce film qui est un de mes films préférés. Je dois avouer avoir du mal avec le Carrosse d'or, mais bon, je n'aime pas Anna Magnani :fiou: ! En tout cas heureuse de voir que French Cancan a trouvé un nouvel adepte ! C'est un de ces films que je revisionne régulièrement même quand je le prends en cours lors d'un zapping, tellement je le trouve enthousiasmant !
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Jeremy Fox a écrit :Autant French Cancan m'a toujours enthousiasmé, autant Le Carrosse d'or m'a toujours fatigué et ennuyé. Ceci dit, je ne serais pas contre pouvoir lui donner une nouvelle chance.
Aucun des deux n'est ennuyeux (et encore moins fatigant :wink: ). Si French Cancan est un très beau Renoir, Le Carrosse d'or est carrément un de mes préférés du "Patron". La déclaration d'amour au théâtre par la Magnani me colle la chair de poule à chaque fois. :oops:
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Rick Blaine a écrit :French Cancan (1954)
Cette œuvre de commande, Renoir en fait ainsi un film personnel, parfaitement inscrite dans son œuvre immense, un bijou plastique et rythmique difficilement égalable, en faisant de Jean Gabin son alter ego dans un rôle sublime, un des plus atypiques et des plus réussis de sa carrière.
Si Gabin endossa aussi parfaitement le costume de Danglard, c'est que ce fut aussi pour lui une forme de retour aux sources puisqu'il débuta comme artiste de music-hall.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Profondo Rosso »

Elena et les Hommes (1956)

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Elena Sorokovska, veuve en exil d'un prince polonais, est une jolie femme un peu extravagante, qui vit à Paris vers la fin des années 1880. Elle est persuadée qu'elle est faite pour aider les hommes célèbres à accomplir leur destinée : son talisman est une marguerite. Pour l'heure, elle s'intéresse à François Rollan, un général très populaire, dont le gouvernement cherche à étouffer l'influence....

Elena et les Hommes est le dernier volet de la trilogie théâtrale de Jean Renoir après Le Carrosse d'or et French Cancan. On devrait même plutôt dire trilogie de l'artifice puisque Elena et les Hommes contrairement aux autres films ne se déroule pas dans le monde du spectacle. L'artifice et la représentation naissent ici des jeux de l'amour et de la politique à travers le personnage d'Elena (Ingrid Bergman). Muse des temps modernes, elle s'est mise en tête d'aider des hommes talentueux dans leur ascension en leur offrant une marguerite, porte-bonheur grâce auquel ils accompliront leur destinée. Sa prochaine mission semble être François Rollan (Jean Marais) général très populaire en passe d'accéder d'accéder à des responsabilités au gouvernement...

Ingrid Bergman incarne avec grâce et séduction ce personnage charmeur qui cache sous ses vertus chanceuse une vraie fragilité. Cette nature de porte-bonheur est également une protection derrière laquelle se dissimuler pour éviter tout engagement trop sérieux. Dès la scène d'ouverture l'appel d'une nouvelle âme à sauver sonne à travers le son d'une fanfare militaire à l'extérieur (et du passage du Général Rollan) alors qu'elle fait des gammes avec un prétendant musicien dont on apprendra vite qu'il a également réussit à son contact puisque ses œuvres vont être jouée à Milan. Plus tard elle fuira son mariage de nécessité avec un riche marchand de chaussure pour à nouveau aider Rollan. Le symbole de cette peur est surtout le personnage d’Henri de Chevincourt (Mel Ferrer) qui la trouble d'autant plus qu'il n'a aucune ambition, qu'il ne lui réclame rien sinon son amour. On a ainsi de superbe scènes de séduction où se sentant prête à succomber, Elena s'évapore pour rejoindre des nœuds d'intrigues où elle retrouve son masque de manipulatrice. Ingrid Bergman enchante autant en femme-objet idolâtrée et détachée qu'en amoureuse apeurée fuyant ses sentiments et rayonne de beauté sous la caméra de Renoir qui la met merveilleusement en valeur. C'est bien dans cette nature que repose la théâtralité et l'artifice du film, et c'est bien lorsqu'il l'aura compris et jouera le même jeu que Mel Ferrer parviendra à gagner son cœur.

Elena rejoint en grande partie la Christine de La Règle du Jeu, également objet de l'attention des hommes qu'elle manipule. Les personnages ont la même volonté de contrôle de leur environnement et de leur émotions mais sont chacun rattrapé la réalité. L'issue est plus heureuse dans Elena et les Hommes, film plus ouvertement léger mais les deux femmes paient finalement de la même façon ce trait de caractère. En plus amusant, l'arrière-plan du marivaudage des subalternes passant le film à se poursuivre (le triangle amoureux entre Magali "Lolotte" Noël, Jean Richard et Jacques Jouanneau est bien tordant) évoque bien sûr aussi le souvenir de La Règle du Jeu. L'arrière-plan politique est également fort grinçant avec ces ambitieux entrepreneurs forçant quelque peu le destin de Jean Marais, jouet soumis sans le savoir leurs commerce où plus symboliquement aux marguerite d'Elena qui force inconsciemment ou non les évènements. Le personnage de Rollan fut inspiré par le Général Boulanger qui ébranla l'équilibre de la Troisième République et bien que romancé, le script suit plutôt bien les évènements qui le mirent en position d'effectuer un coup d'état.

Le film est une splendeur visuelle de tous les instants retranscrivant bien cette imagerie des débuts de La Belle Époque. C'est un festival de couleurs, décors et costumes somptueux (Ingrid Bergman change de robe plus affriolantes les unes que les autres quasiment toutes les scènes) tandis que la légèreté associée à cette période retranscrit à travers cette bouillonnante séquence de défilée de 14 juillet où Renoir s'amuse de ce chassé-croisé chaotique ans la foule. Les deux chansons de Leo Marjanne et Juliette Greco (et ici dans un rôle de bohémienne) Méfiez-vous de Paris et Miarka offrent pour la première de beaux intermèdes joyeux et la seconde donnera la séquence la plus romantique dans la belle conclusion où sous la dissimulation, les masques de l'amour tombent enfin. Peut-être pas tout à fait à la hauteur du Carrosse d'or et French-Cancan (pas revu depuis longtemps ces deux-là à vérifier !), mais très beau film. 5/6
Dernière modification par Profondo Rosso le 11 juin 12, 13:04, modifié 1 fois.
Lionel
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Lionel »

Profondo Rosso a écrit :Elena et les Hommes (1956)


[...] Les deux chansons de Juliette Greco (ici dans un rôle de bohémienne) Méfiez-vous de Paris et Miarka offrent pour la première de beaux intermèdes joyeux et la seconde donnera la séquence la plus romantique dans la belle conclusion où sous la dissimulation, les masques de l'amour tombent enfin.
Juliette Gréco chante Miarka, mais c'est Marjane (ex Léo Marjane des années 30 et 40) qui chante Méfiez-vous de Paris.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Profondo Rosso »

Lionel a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Elena et les Hommes (1956)


[...] Les deux chansons de Juliette Greco (ici dans un rôle de bohémienne) Méfiez-vous de Paris et Miarka offrent pour la première de beaux intermèdes joyeux et la seconde donnera la séquence la plus romantique dans la belle conclusion où sous la dissimulation, les masques de l'amour tombent enfin.
Juliette Gréco chante Miarka, mais c'est Marjane (ex Léo Marjane des années 30 et 40) qui chante Méfiez-vous de Paris.
Effectivement Juliette Greco l'a bien chantée mais pas pour le film c'est corrigé merci ! :wink:
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