Jean Renoir (1894-1979)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Strum
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Strum »

Rick Blaine a écrit :
Strum a écrit :mais, le mouvement permanent de la mise en scène ne souffre jamais de l'hommage rendu au théâtre
C'est encore une fois ce qui m'a le plus marqué, comme toujours chez Renoir. A ce titre, l'ouverture du film est très impressionnante d'une grande fluidité, avec de l'activité à tous les plans. C'est ce qui permet au film de se dégager d'une pesanteur théatrale, et d'être comme toujours chez Renoir si vivant.
Oui, c'est une fête pour les yeux. Un grand Renoir.
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Cathy
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Cathy »

Je dois dire que je ne partage pas votre enthousiasme sur le Carrosse d'or. Alors oui, j'ai admiré la virtuosité de la mise en scène, mais quelqu'un a dit que quand on ne s'intéresse qu'à cela, c'est que le film est raté. Et je ne me suis intéressée qu'à cela, la profondeur des champs où il se passe toujours quelque chose, le côté théâtre-réalité trop accentué et qui finalement devient pesant. Bref j'adore Renoir, mais là, j'ai vraiment trouvé le temps long, je me suis ennuyée et surtout je n'arrive pas à comprendre l'emploi de la musique de Vivaldi qui s'il souligne le côté italien Commeddia dell'Arte de l'histoire ne colle pas à ce qu'on voit, et puis je dois aussi avouer avoir trouvé les couleurs laides. De plus Anna Magnani est difficlement compréhensible. Bref une grosse mais grosse déception ! J'aurais du le laisser dans le tiroir "les films mythiques à voir mais que je n'ai toujours pas vus" !
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Alphonse Tram
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Alphonse Tram »

Ce soir, dans la toujours flegmatique émission L'humeur vagabonde sur inter, Jean Renoir était à l'honneur (visiblement pour la sortie d'un nouveau livre sur le cinéaste)
http://www.franceinter.fr/emission-l-hu ... l-merigeau
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Commissaire Juve
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Commissaire Juve »

La mauvaise série continue.

Il y a deux trois jours, je me suis enfin décidé à visionner le BLU de la Grande Illusion... et là, je n'ai pas non plus retrouvé le film que j'avais apprécié. Pour faire bref, le truc "tue l'amour", c'est ce besoin qu'a Renoir de nous faire un documentaire sur la vie en captivité. Il ne fait pas un film, il nous fait un exposé. Et certaines scènes sont presque dignes d'un spectacle de patronage (ex : quand Dalio réceptionne son colis). Misère !

On en revient à ce que je disais pour "La bête humaine" :
Commissaire Juve a écrit :...

C'est typique des mauvaises adaptations. Voir par exemple le boulot calamiteux effectué sur le Germinal de Berri. Avec les personnages qui sont incapables d'ouvrir la bouche sans nous faire un cours sur l'industrie minière et sur les difficultés d'existence des ouvriers de la mine en France dans la seconde moitié du XIXe siècle ; sans réciter le roman presque mot pour mot en fait !...
Là, il ne s'agit pas d'une adaptation littéraire, mais on a quand même une part des dialogues qui n'est pas du tout naturelle. Les personnages n'ont pas de vie propre, ce sont des archétypes au service d'un exposé, d'une démonstration ; ça casse complètement l'ambiance.

Incidemment : par un hasard incroyable, j'avais revisionné "Les Temps modernes" quelques jours plus tôt et j'ai été surpris de voir que -- dans La grande illusion -- Julien Carette faisait une imitation de Charlie Chaplin (pendant le spectacle). Jusque-là, ça ne m'avait jamais frappé. Et sachant que Renoir a carrément repris la fin des "Temps modernes" pour la dernière séquence de "Les Bas-Fonds" (1936), je pense que ce n'est pas un hasard.

Au passage : Carette est bien lourdingue dans ce film.

Quoi qu'il en soit : pour reprendre ce qu'un collègue disait en début de topic... plus le temps passe, plus je préfère l'écriture des films de Carné.

PS : j'avais bien aimé Le Caporal épinglé... j'ai peur de le revoir, maintenant. :mrgreen:
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Watkinssien
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Watkinssien »

Commissaire Juve a écrit :La mauvaise série continue.


PS : j'avais bien aimé Le Caporal épinglé... j'ai peur de le revoir, maintenant. :mrgreen:

Non, mais à ce train-là, laisse tomber ! :?
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Commissaire Juve
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Commissaire Juve »

Y a pas de raison... Il y a 25 ans entre les deux films, ça devrait mieux passer. Truc bizarre : Charles Spaak a bossé aux dialogues de "la Grande illusion" ; ce n'était pourtant pas un manchot.

Cela dit, je crois que... cet aprèm... je vais me refaire French Cancan (en BLU). :mrgreen:
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Watkinssien
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Watkinssien »

Commissaire Juve a écrit :Y a pas de raison... Il y a 25 ans entre les deux films, ça devrait mieux passer. Truc bizarre : Charles Spaak a bossé aux dialogues de "la Grande illusion" ; ce n'était pourtant pas un manchot.
Je les trouve géniaux les dialogues de Spaak...

De toute manière, La Grande Illusion est pour moi une oeuvre majeure cinématographique, où la mise en scène de Renoir est d'une rare finesse et d'une rare subtilité.

D'où mon côté un peu bougon... :wink:
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Commissaire Juve a écrit :La mauvaise série continue.

Il y a deux trois jours, je me suis enfin décidé à visionner le BLU de la Grande Illusion... et là, je n'ai pas non plus retrouvé le film que j'avais apprécié. Pour faire bref, le truc "tue l'amour", c'est ce besoin qu'a Renoir de nous faire un documentaire sur la vie en captivité. Il ne fait pas un film, il nous fait un exposé. Et certaines scènes sont presque dignes d'un spectacle de patronage (ex : quand Dalio réceptionne son colis). Misère !

On en revient à ce que je disais pour "La bête humaine" :
Commissaire Juve a écrit :...

C'est typique des mauvaises adaptations. Voir par exemple le boulot calamiteux effectué sur le Germinal de Berri. Avec les personnages qui sont incapables d'ouvrir la bouche sans nous faire un cours sur l'industrie minière et sur les difficultés d'existence des ouvriers de la mine en France dans la seconde moitié du XIXe siècle ; sans réciter le roman presque mot pour mot en fait !...
Là, il ne s'agit pas d'une adaptation littéraire, mais on a quand même une part des dialogues qui n'est pas du tout naturelle. Les personnages n'ont pas de vie propre, ce sont des archétypes au service d'un exposé, d'une démonstration ; ça casse complètement l'ambiance.

Incidemment : par un hasard incroyable, j'avais revisionné "Les Temps modernes" quelques jours plus tôt et j'ai été surpris de voir que -- dans La grande illusion -- Julien Carette faisait une imitation de Charlie Chaplin (pendant le spectacle). Jusque-là, ça ne m'avait jamais frappé. Et sachant que Renoir a carrément repris la fin des "Temps modernes" pour la dernière séquence de "Les Bas-Fonds" (1936), je pense que ce n'est pas un hasard.

Au passage : Carette est bien lourdingue dans ce film.

Quoi qu'il en soit : pour reprendre ce qu'un collègue disait en début de topic... plus le temps passe, plus je préfère l'écriture des films de Carné.

PS : j'avais bien aimé Le Caporal épinglé... j'ai peur de le revoir, maintenant. :mrgreen:
Bien sûr que ça a vieilli, bien sûr aussi que le film est parfois lourdement et/ou naïvement démonstratif et idéaliste (il n'y a par exemple aucun personnage réellement négatif ou détestable). Je suis en train de feuilleter d'antiques numéros du magazine Tintin datant pourtant des années 50 et j'y retrouve ces aspects édifiants et bourrés de bons sentiments, ce côté "Belles histoires de l'oncle Jean" en quelque sorte. Et je suis d'accord à propos de la séquence du colis de Dalio qui sonne un peu faux même si elle part elle aussi d'un "bon sentiment". Mais il faudrait se replacer dans le contexte de l'époque et je pense que Dalio lui-même fut ravi d'interpréter enfin autre chose que les personnages caricaturaux de marlou et de "métèque" auxquels on l'abonnait trop souvent.
Un film pas si naïf que cela finalement, comme l'indique son titre et la réplique qui s'y rapporte.
Malgré ses défauts, je continue de le revoir avec un immense plaisir. Plaisir qui démarre dès sa remarquable ouverture, leçon de cinéma et de synthèse. Plaisir des répliques ("Qu'est-ce que c'est qu'ton Pindâââââre ?"), des regards du p'tit matin entre Gabin et Parlo, de l'engueulade puis de la réconciliation entre Maréchal et Rosenthal. Et puis Carette, même si je le trouve encore plus extra dans La règle du jeu, rien à faire, je l'adore ce p'tit bonhomme, même avec ses jeux de mots pourraves.
Les clins d'oeil à Charlot, ça n'est pas étonnant vu comme Renoir admirait Chaplin.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Commissaire Juve »

Pour la séquence du colis... je ne parle pas du repas... mais de l'ouverture du colis : avec les comédiens qui nous font un exposé sur la façon dont les prisonniers étaient nourris. Tous les personnages s'y mettent (même les Allemands), ça sonne vraiment faux.

Personne ne parlerait comme ils le font après des semaines de captivité". La scène n'aurait fonctionné que si un nouveau venu -- Gabin par ex -- avait été présent. Or, ce n'est pas le cas. Il n'y a que des anciens. D'une certaine manière, ils font avec leurs répliques ce que certains comédiens du muet faisaient en roulant des yeux, en jouant des sourcils et en prenant des postures pas possibles ; ils en rajoutent (le dialoguiste en rajoute).

Cela dit, plus le film avance, plus il "se fait oublier" et gagne en naturel.

Federico a écrit : Et puis Carette, même si je le trouve encore plus extra dans La règle du jeu, rien à faire, je l'adore ce p'tit bonhomme, même avec ses jeux de mots pourraves...
J'aime beaucoup Carette, hein ! Mais là, il est insupportable : on n'a qu'une envie, c'est s'évader du camp le plus vite possible pour ne plus l'entendre. Je le préfère quand il cherche son Etiennette dans "Les portes de la nuit".
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Commissaire Juve a écrit : Au passage : Carette est bien lourdingue dans ce film.

Quoi qu'il en soit : pour reprendre ce qu'un collègue disait en début de topic... plus le temps passe, plus je préfère l'écriture des films de Carné.
En résumé, tu refuses de confondre...
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Ici, le Molyneux...

...avec

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Issy-les-Moulineaux.
:uhuh: :arrow:
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Commissaire Juve »

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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Profondo Rosso »

Le Fleuve (1951)

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Harriet, une jeune anglaise expatriée, vit avec son petit frère, Bogey, et ses trois sœurs cadettes dans une grande maison de la région de Calcutta en Inde. Son père dirige une manufacture de toile de jute tandis que sa mère s’occupe de la famille et attend un sixième enfant. Un jour d’automne, le capitaine John rentre de la guerre et vient habiter une maison voisine. Invité à une fête, il y rencontre Harriet, ainsi que Mélanie une belle métisse indienne et Valérie. Les trois jeunes filles vont toutes trois tomber sous le charme du bel étranger…

Le Fleuve était de son propre aveu son film favori de Renoir au sein de sa filmographie. On peut le comprendre tant dans la réussite de celui-ci s'entremêlent les satisfactions artistique et personnelles avec ce qui constitua une grande aventure humaine et une œuvre inoubliable. C'est un Renoir bien mal en point qui s'apprête à s'atteler au projet. Le réalisateur n'a jamais vraiment réussit à s'adapter à Hollywood où il est installé depuis 1941 et vient même de voir résilier son contrat de deux films avec la RKO après la réalisation du seul La Femme sur la plage 1947) dont la production fut houleuse. Renoir pense pourtant trouver le projet qui pourra le relancer après avoir lu le roman de Rumer Godden The River. Les studios montrent pourtant peu d'intérêt tant le roman plutôt intimiste est dénué des éléments de l'Inde tel qu'ils la conçoivent au cinéma à savoir un exotisme marqué (éléphants, sorcelleries hindoue) et une tonalité de film d'aventures façon Les Trois Lanciers du Bengale (1935) ou Gunga Din (1939). Le salut pour Renoir viendra de Kenneth McEldowney, riche entrepreneur à la tête d'un réseau de fleuriste désirant devenir producteur de cinéma. Pensant qu'un tournage à l'étranger serait plus avantageux, il se rend en Inde fraîchement décolonisée où il se met les notables locaux en poche, obtenant financement et avantage de tournages divers. Seulement il n'a pas encore de sujet de film et lorsque lui est recommandé le roman The River il découvrira que Jean Renoir en possède les droits. Il lui propose tout naturellement la réalisation, Renoir posant comme seule condition un tournage en Inde mais pour le reste en dehors des évidentes difficultés logistiques cette production sera une vraie libération après l'étau des studios Hollywoodien.

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L'adaptation est coécrite par Renoir et Rumer Godden elle-même qui avait détestée la précédente transposition de ses écrits avec Le Narcisse Noir de Powell et Pressburger. Si l'intrigue du roman sera largement remaniée par Renoir, Rumer Godden est partie prenante de ses modifications de par sa connaissance de l'Inde où elle a grandi (The River étant en partie autobiographique) et où se déroule la majorité de ses livres. Le changement essentiel viendra en fait d'un Renoir tombé sous le charme de l'Inde. Privé en début de tournage de l'outil étouffant le son des très bruyantes caméras technicolor, le réalisateur en attendant décide de flâner et de filmer paysages, population et quotidien indien dans des images lorgnant plutôt sur le documentaire. Dès lors le film se fait bien plus indien dans son atmosphère (alors que le roman quitte rarement la famille anglaise et leur demeure) avec l'ajout du personnage de la métisse Mélanie et une large place laissé au us et coutumes locaux, aux séquences purement illustrative nous imprégnant de l'authenticité de cette Inde même si vue à travers le regard occidental. Le film reprend sans les excès la thématique du Narcisse Noir où l'environnement sera un prolongement et/ou un déclencheur des sentiments profonds des personnages. Il est surtout plus proche de The Greengage Summer roman où Rumer Godden s'attarde aussi sur les premiers émois amoureux d'une adolescente (et dont Lewis Gilbert tirera une belle adaptation en 1961).

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Cette Inde foisonnante et aussi authentique que fantasmée servira donc ici de catalyseur émotionnel à un groupe de personnages. Les deux jeunes et inséparables amies Harriet (Patricia Walters) et Valérie (Adrienne Corri) se feront rivales pour les beaux yeux du capitaine John (Thomas E. Breen), vétéran de guerre échoué en Inde. Celui-ci cherche également sa place dans le monde, se sentant étranger partout du fait de son expérience du front et d'un handicap qu'il n'accepte pas puisqu'il est amputé d'une jambe. Pour la métisse Mélanie (Radha Shri Ram), ce sentiment amoureux naissant s'accompagne aussi d'un trouble identitaire sur sa culture indienne et occidentale. Renoir fait baigner l'ensemble dans une langueur, légèreté et innocence qui sied bien au casting non professionnel (Radha Shri Ram ayant été recruté après un spectacle de danse auquel Renoir assista notamment) avec cette intrigue sans vrai pic dramatique (si ce n'est en toute fin) qui peut laisser parler le naturel notamment chez les plus jeunes plein de fraîcheur. Ainsi comme dans tout bon récit adolescent, l'insignifiant est aussi le plus douloureux avec ces petits instants de cruauté (Valérie lisant le journal intime d'Harriet) et de désarroi tel la déception de ce premier baiser au terme d'une somptueuse séquence où les rivales traque l'objet de leur affection à travers la jungle. Le pays avec ses rites, ses fêtes et son bestiaire est autant un terrain de jeu pour les enfants (la joyeuse célébration du Diwali au début) qu'un espace immense où noyer sa mélancolie chez les adultes avec ces longs moments contemplatifs où l'on observe l'activité du Gange et les paysages à perte de vue.

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Renoir s'était entouré de ses plus fidèles collaborateurs avec Claude Renoir à la photo et Eugène Lourié aux décors (tandis qu'un débutant admirateur de Renoir nommé Satyajit Ray fera partie de l'équipe et s'occupera des repérages) et, entre stylisation et authenticité le résultat à l'image est grandiose. Premier film en technicolor de Renoir, Le Fleuve est aussi une des plus belles illustrations du procédé, les couleurs saturées figeant les cadrages dans un voile de chaleur opaque et nuancé à la fois, faisant jaillir la vie de la faune foisonnante et exacerbant les envolées sentimentales par ses teintes marquées. On est tout à la fois en surface et impliqué par les évènements, les aléas des personnages nous intéressant tout en empêchant pas cette activité grouillante de se poursuivre. C'est un cycle de la vie symbolisé par le final où une terrible perte est suivie d'une naissance sur laquelle s'achève le film. Universel et intimiste, Renoir nous promène sur les rives du Gange avec la photographie de cette Inde et de ses personnages à un moment charnière de leur vie. Une belle vision à l'influence immense sur d'autres films visitant ces mêmes terres comme Chaleurs et Poussières (1982) de James Ivory et La Route des Indes de David Lean (1984). 6/6
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Rediffusion cette nuit à 1h57 sur France Culture des Rêves perdus de Jean Renoir diffusés en 1954.
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Jeremy Fox
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Jeremy Fox »

Pour certains, il serait incongru de se déplacer en salles pour aller voir un film, appartenant certes à notre patrimoine culturel national, mais qui a bénéficié de nombreuses diffusions à la télévision durant des décennies. Ce n'est évidemment pas notre avis. En premier lieu parce que la rencontre entre Zola et Renoir constitue déjà un événement en soi. Ensuite parce que pouvoir apprécier la force et la noblesse de la mise en scène de Jean Renoir sur grand écran, ainsi que la puissance des émotions apportée par un casting dominé par un Jean Gabin au faîte de sa jeune gloire, vaudra toujours le déplacement. Remercions donc le distributeur Les Acacias pour cette reprise bienvenue de La Bête humaine.
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Rick Blaine
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

La Bête humaine a été réalisé entre les deux films les plus estimés de Jean Renoir, La Grande illusion l’année précédente et La Règle du jeu l’année suivante. A cet égard, il vaut peut être mieux ne pas l’évaluer à la lumière imposante de ces chefs-d’œuvre, auquel - osons le dire - il se mesure difficilement,
Même si je classerais La Grande Illusion et La Règle du Jeu, deux chef d'oeuvres inestimables, avant La Bête humaine dans une hiérarchie stricte du cinéma de Renoir, je dois dire que pour ma part, ce dernier est parfaitement à sa place entre les deux, et peut leur être comparé, c'est un film d'une force dramatique extraordinaire, à la mise en scène impressionnante, je n’hésiterais pas à le classer parmi les chef d’œuvres de Renoir.
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