Richard Brooks (1912-1992)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alexandre Angel
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Alexandre Angel »

AtCloseRange a écrit : 19 août 21, 13:12
Alexandre Angel a écrit : 19 août 21, 11:27 Bon, d'ici la fin de la semaine, j'en aurai le cœur net.
Même si c'est loin d'être la meilleure adaptation de Williams, je ne le trouve pas plus mauvais que le surestimé La Chatte sur un Toit Brûlant.
Le film vaut surtout pour moi pour Shirley Knight et Ed Begley.
Oui, au lecteur qui s'interroge j'aurais tendance à souhaiter préciser que, pour ma part, je ne fais pas de Doux oiseau un nanar flottant au milieu d'une filmographie comme un étron à contourner toute affaire cessante.
Et j'ajouterais qu'à l'époque des grandes découvertes cinéphiles de mes 20 piges, les copains qui l'avaient vu à la Cinémathèque ou quelque chose d'approchant (grosso modo quand Brion avait sorti son bouquin sur Brooks à La Martinière) l'aimaient, voire déliraient dessus. Mais c'était nos 20 vingt ans et le fait que ce soit noir, un peu glauque et sudiste dans l'esprit littéraire, pouvait séduire.
Dans mon souvenir plus récent (mais qui commence à remonter), c'est surtout que j'ai trouvé ça pesant de dramaturgie datée (ça, c'est Tennessee Williams dont je ne raffole pas) et surtout (je dis "surtout" car je n'adresserais pas ce reproche à la Chatte), terriblement laid.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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AtCloseRange
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par AtCloseRange »

Jeremy Fox a écrit : 11 mars 20, 08:08 Après avoir revu aussi ces jours-ci les formidables Graine de violence et La Chatte sur un toit brûlant, Brooks continue à faire partie de mes chouchous hollywoodiens.
Pour revenir sur Graine de Violence, j'ai un rapport contrarié avec le film. C'est évidemment en terme de mise en scène un film réussi mais j'ai tendance à reprocher au film sa descendance.
On a l'impression que le genre (parce que le film de "violence à l'école" est un genre en soi) a quelque chose d'un peu pourri dans ses gènes.
Le scénario pousse à chaque fois tous les potards pour qu'on soit du côté du gentil prof opposé aux jeunes désœuvrés/dépravés.
Il y a toujours des variations mettant en avant des raisons sociologiques, l'aveuglement (souvent volontaire) de l'administration, etc... mais quelle différence y a-t-il finalement entre Graine de Violence et 187: Code Meurtre de Kevin Reynolds?
La forme bien sûr mais il y a toujours quelque chose de pourri au royaume de l'enseignement (et le côté parfois un peu lourd de Brooks le renforce).
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Alexandre Angel
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Alexandre Angel »

J'ai aussi un rapport contrarié avec ce film pour des raisons un peu autres mais qui rejoignent un peu ce que tu dis: le balancement entre modernité et poussière.
Le côté démonstratif, lourd, comme tu dis, date terriblement le film quand des résonnances avec des problématiques si contemporaines (les jeunes profs envoyés dans les ZUP) le font basculer dans une sorte d'atemporalité.
Et comme c'est tendu, bien joué (Glenn Ford est impeccable comme toujours et Vic Morrow, le meilleur "sale jeune" de ces années-là) et solidement mis en boîte, ça reste du bon côté de la ligne rouge.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Profondo Rosso
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Re: Richard Brooks (1912-1992)

Message par Profondo Rosso »

À la recherche de Mister Goodbar de Richard Brooks (1977)

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Dans les années 1970, une enseignante pour sourds célibataire et sage en apparence, s'aventure chaque nuit dans les quartiers chauds en quête d'expériences sexuelles débridées et sans lendemain, avec toutes sortes de marginaux.

Richard Brooks signe un de ses très grands films et parvient une fois de plus à se connecter aux grandes angoisses de son temps avec Looking for Mr Goodbar. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Judith Rossner, best-seller publié aux Etats-Unis en 1975. Le livre est librement inspiré d’un fait divers marquant de l’époque qui vit en 1973 l’institutrice Roseann Quinn sauvagement assassinée un soir de nouvel an par un amant d’un soir à coup de couteau. Le livre et donc le film reprennent certains éléments biographiques (l’éducation catholique, le métier d’institutrice, la fréquentation des bars et les amants d’un soir) pour introduire le personnage de Theresa (Diane Keaton) et brode ensuite sur le cheminement qui l’aura mené à cette fin tragique.

Richard Brooks brosse à la fois le portrait intime de la jeune femme, mais aussi celui sordide d’une époque. Le film se situe en pleine ère de la libération sexuelle, fait d’amours éphémères et hédonistes où seul compte le plaisir de l’instant. Pourtant au fil des aventures que va nouer Theresa, la finalité est souvent la même en la montrant exposée à des hommes abusifs. Qu’elle expose ses sentiments et elle se verra brutalement mise à distance par Martin (Alan Feinstein) son professeur d’université déjà marié. Qu’elle cède au bel et dangereux étalon Tony (Richard Gere), et ce dernier fera d’elle sa possession dont il se sentira libre de disposer à sa guise. Et lorsqu’elle cherchera à provoquer le propret James (William Atherton), elle réveillera les démons enfouis sous l’image de respectabilité WASP.

Le film fait le constat presque inéluctable que même dans un contexte supposé libertaire, le maître du jeu doit rester l’homme, sans quoi la femme frivole paiera le prix de son refus de soumission. Il ne s’agit pas non plus pour Richard Brooks de faire un portrait uniformément néfaste de la gent masculine, mais d’expliquer ce qui dans cette société et la psyché de l’héroïne l’amène à constamment se heurter à ce type de personnalité. La figure mâle oppressante est inscrite depuis toujours dans la construction de Theresa avec ce père (Richard Kiley) sévère et la rigoureuse éducation catholique qu’il lui a inculquée. Il y a comme une part de défi et de rejet de ce cadre strict qu’elle a connu dans la manière maladive dont Theresa a, soir après soir, le réflexe systématique d’écumer bars et boite de nuit pour ne jamais finir une soirée seule. Brooks ajoute un traumatisme physiologique à cela avec le souvenir d’une scoliose qui cloua Theresa un an allongée dans un plâtre, la dimension héréditaire de ce mal étant rattaché à un drame familial étouffé qui nourrit une peur et le refus d’attache sentimentale durable et ce qu’elle impliquerait à terme (fonder une famille, avoir des enfants…).

Toute cette dualité s’inscrit dans la personnalité de Theresa et l’opposition de ce qu’elle est lorsque le jour cède à la nuit. De lumineuse, bienveillante et attentionnée envers ses élèves dans le cadre de l’école où elle enseigne en journée, Theresa passe de lascive, décomplexée et aguicheuse la nuit venue dans les lieux de rencontres interlopes qu’elle arpente. Richard Brooks fait de ces lieux un capharnaüm sordide où les décors de Edward C. Carfagno rendent palpable l’aspect crapoteux tandis que la photo diaphane de William A. Fraker baigne l’ensemble dans un véritable cauchemar éveillé de néons et fumée de cigarettes.Diane Keaton est absolument stupéfiante, trahissant une détresse fascinante sous la langueur, notamment les scènes de sexe très crues où son langage corporel trahit davantage une addiction qu’un abandon au plaisir. Les comportements masculins s’y font désinvoltes, les regards insistants de concupiscence et les remarques machistes légions. Par sa présence offrant explicitement une invitation au plaisir, Theresa désarçonne les hommes trop habitués à être les maîtres du jeu. Dès lors on ne s’étonne pas qu’en chaque amant de passage elle stimule les pires névroses dès que leur virilité sera mise à mal par son libre arbitre. Diane Keaton est absolument stupéfiante, trahissant une détresse fascinante sous la langueur, notamment les scènes de sexe très crues où son langage corporel trahit davantage une addiction qu’un abandon au plaisir.

Le fil rouge du récit est cette véritable escalade dans l’abject où en refusant d’être le seul objet de leur plaisir et en se montrant actrice du rapprochement comme de la rupture, elle éveille le pire de ses amants. Cela commencera de façon crue et verbale avec Martin totalement désintéressé d’elle une fois qu’il l’aura « consommée », le jeu masochiste avec Tony ne dure que le temps de sa soumission amusée avant que le premier rejet avive la violence, et le « gentil » James ne le reste pas bien longtemps en comprenant l’inaccessibilité de Theresa. La mise en scène de Richard Brooks travaille le tempérament autodestructeur de Theresa, notamment dans l’espace de l’appartement. Le travail sur les ombres, l’ambiguïté constante entre lâcher-prise et chaos dans les scènes d’amour et de séduction, tout cela contribue à dresser une frontière mince entre la chronique et le thriller. Theresa est sur la corde raide, au bord du précipice physiquement comme mentalement et Brooks rend cet inconfort palpable jusqu’au bout, laissant bien comprendre que le risque va se payer dramatiquement à un moment ou un autre. Les hallucinations ponctuelles de Theresa laissent s’exprimer son excentricité à travers des visions surréalistes où le fantasme se dispute à l’absurde. Plus l’on avance et plus elle chercher à tester ses limites en expérimentant cela dans la réalité, plus le ton se fait sombre et désespéré jusqu’à une conclusion absolument tétanisante et abrupte.

Le film sera le dernier grand succès commercial de Richard Brooks, le chaland étant attiré par la promesse de stupre, mais le réalisateur transcende la possible accusation de racolage (ou à l’inverse de puritanisme) pour livrer un poignant portrait de femme. 5/6
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