Les Indiens dans le western

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Tutut
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Tutut »

Je pense que c'est peu par rapport à la production de westerns dans les années 50 (si quelqu'un peut donner le nombre de westerns produits durant la décennie). :)
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Jeremy Fox
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Jeremy Fox »

Tutut a écrit :Je pense que c'est peu par rapport à la production de westerns dans les années 50 (si quelqu'un peut donner le nombre de westerns produits durant la décennie). :)
Parmi les westerns tournant autour des indiens dans les années 50, je pense que tu te trompes. A mon avis, il devait être politiquement incorrect de faire autrement après le passage de Daves et Mann ; la plupart du temps après 1950, les indiens étaient montrés avec respect et le scénario prenait fait et cause pour eux. Au moins à vue de nez dans plus de 50% des cas. Je ne parle pas des séries Z, secteur que je ne connais absolument pas.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par THX »

J'ai lu vos posts sur les indiens et le racisme ou pas des westerns à leur encontre, mais je n'adhère pas trop à cette idée car je pense qu'Hollywood était avant tout une machine à fric. Au début les indiens étaient montrés comme de bons sauvages mais quand le public a commencé à se détourner de ce type de films, les producteurs ont essayé une autre approche et avec le succès ont continué sur leur lancée. S'il y a racisme c'est de la part du public et non des réalisateurs. Seuls quelques réalisateurs en présentant une oeuvre forte qui allait à contre courant des goûts du moment ont pu modifier, avec le soutien de la critique, le cours des choses. Le plus marquant ayant été à mon avis Robert Aldrich avec Bronco apache (pro indien) puis avec Fureur apache (anti indien) 20 ans plus tard.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Le Révérend »

Jeremy Fox a écrit :
Tutut a écrit : De plus, ce film et quelques autres, sont des exceptions par rapport à la production habituelle, sinon, il faut attendre les années 60 pour voir les indiens, les noirs ou les mexicains avoir un traitement un peu plus équitable dans les westerns.
Concernant les indiens tu peux reculer d'une décennie ; il y en a eu une tripotée dans les 50's : les films de George Sherman par exemple, Delmer Daves et bien d'autres dont pas mal avec Audie Murphy d'ailleurs et beaucoup même au sein de la série B, pas mal de films de Lesley Selander par exemple.
Le western "pro-indien" est historiquement bien antérieur aux années 50. Il existe entre 1908 et 1914 toute une production (alors considérée comme distincte du western, ce qui est intéressant) qui reprend la figure du sage et noble sauvage popularisée dès les années 1820 par Fenimore Cooper dans Le dernier des Mohicans avec les personnages d'Uncas et de Chingachgook. Ces films sont assez peu connus dans la mesure où ils n'ont pas toujours été faciles à voir : ils se situent à la croisée des chemins entre la pastorale, le document ethnologique (à la véracité souvent douteuse), le film à message dénonçant les injustices et les spoliations dont sont victimes les Indiens, et le mélodrame. Dans The Redman's View de Griffith (1909), le fils d'un chef indien doit d'abord s'acquitter de son devoir filial avant de partir délivrer la femme qu'il aime retenue en captivité par de méchants blancs. Lien YouTube ci-dessous pour les curieux :

http://www.youtube.com/watch?v=SawVHKuwi9A

Pour l'anecdote, le même Griffith réalise deux ans plus tard The Battle at Elderbusch Gulch qui concentre tous les clichés du sauvage sanguinaire massacreur d'innocents, preuve que deux représentations diamétralement opposées peuvent co-exister dans l'oeuvre d'un même cinéaste bien avant Fort Apache et Rio Grande chez Ford.

Quant à l'évolution des années 50, elle s'explique à la fois par la prise de conscience des discriminations socio-économiques dont sont victimes les Indiens (prise de conscience qui débouchera sur la termination policy des réserves au milieu de la décennie) et par l'héritage de la seconde Guerre Mondiale, durant laquelle 45 000 Indiens ont combattu. Ce n'est pas un hasard si le western se fait davantage pro-indien au moment où le gouvernement fédéral prône une politique d'intégration des Amérindiens vivant dans les zones tribales.

Et comme le passé du western sert souvent (toujours ?) à illustrer indirectement les préoccupations du présent, le sergent qui rentre dans sa tribu à la fin de la guerre civile dans La Porte du Diable évoque explicitement les vétérans indiens de la deuxième guerre mondiale - et je doute que les rares spectateurs américains qui ont vu le film en 1950 aient manqué de faire le rapprochement. Quant au fait que le personnage de Robert Taylor meure à la fin avant de pouvoir consommer son idylle avec l'avocate blanche, il s'agit d'une ficelle de scénario très courante dictée par les impératifs du Code Hays qui a interdit jusqu'en 1956 la représentation des relations interraciales, avant tout entre blancs et noirs, mais aussi par extension entre blancs et Indiens - le premier cas de figure est interdit, le second découragé. Plutôt que ne pas du tout montrer d'amours entre blancs et indiens, les scénaristes avaient fréquemment recours à l'astuce mélodramatique de la mort d'un des deux amants, ce qui permettait de désamorcer en partie le caractère transgressif de la miscégénation et de considérer qu'un verre à moitié plein vaut toujours mieux mieux qu'un calumet de la paix des ménages désespérément vide.

La règle n'est cependant pas toujours respectée : longtemps avant le Code et aussi les trois versions de The Squaw Man de De Mille ou l'Indienne aimée mourait tragiquement à la fin, For the Squaw/La rivale indienne (1911) montrait un héros blanc qui abandonne sa fiancée "officielle" pour aller filmer le parfait amour avec une... squaw (ben oui, c'est écrit dans le titre, tout de même). Et dans The Big Sky/La captive aux yeux clairs de Hawks, le personnage de Boone choisit à la fin de rester vivre parmi les indiens avec son épouse indigène pour être heureux et avoir beaucoup d'enfants avec elle.

Pour reformuler légèrement le débat, je dirais que la question à se poser est moins "Le western a-t-il été raciste et si oui, quand a-t-il cessé de l'être ?" que "En quoi les westerns sont-ils représentatifs de l'époque à laquelle ils sont été tournés ainsi que du modèle économique et institutionnel qui les a engendrés ?".

Cela peut paraître un peu jésuite formulé de la sorte, mais pour peu qu'on regarde les films de près, on se rend compte que chaque période de l'histoire du western a engendré des représentations contrastées et contradictoires de la figure de l'Indien.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Tutut »

THX a écrit :J'ai lu vos posts sur les indiens et le racisme ou pas des westerns à leur encontre, mais je n'adhère pas trop à cette idée car je pense qu'Hollywood était avant tout une machine à fric. Au début les indiens étaient montrés comme de bons sauvages mais quand le public a commencé à se détourner de ce type de films, les producteurs ont essayé une autre approche et avec le succès ont continué sur leur lancée. S'il y a racisme c'est de la part du public et non des réalisateurs. Seuls quelques réalisateurs en présentant une oeuvre forte qui allait à contre courant des goûts du moment ont pu modifier, avec le soutien de la critique, le cours des choses. Le plus marquant ayant été à mon avis Robert Aldrich avec Bronco apache (pro indien) puis avec Fureur apache (anti indien) 20 ans plus tard.
Penser que les réalisateurs, parce qu'ils font un métier artistique, ne peuvent qu'être tolérants, ouverts ou anti-racistes est une vue de l'esprit. Les studios, que leurs dirigeants soient racistes ou pas, auraient faits des westerns anti-racistes si ça avait pu leur rapporter du pognon à l'époque.

L'histoire est conventionnelle dans Bronco apache, sur le thème humiliation-revanche-rédemption, celle d'un homme trop fier pour accepter l'humiliation de la défaite, qui s'assagit et rentre dans le droit chemin par l'amour de sa femme.
Le héros est indien et le film montre que les "bons indiens" sont ceux rentrés dans le rang, sédentarisés, qui cultivent les terres qu'on daigne leur donner. Je dois avouer que je n'ai jamais accroché à ce film, malgré ses qualités, même s'il est progressiste.

Pour Fureur apache, j'ai l'impression qu'Aldrich prenait le contre-pied des films pro-indiens et très(trop) humanistes de l'époque, pour montrer l'aburdité de la guerre en général.

Merci @Le Révérend pour ton approche très documentée, je pense que l'imagerie des indiens dans les films en général, correspond à celle du public ou le conforte dans l'idée qu'il en a à un moment donné.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par kiemavel »

Tout ceci est effectivement très documenté et j'ajoute très bien formulé.
Pour l'anecdote, le même Griffith réalise deux ans plus tard The Battle at Elderbusch Gulch qui concentre tous les clichés du sauvage sanguinaire massacreur d'innocents, preuve que deux représentations diamétralement opposées peuvent co-exister dans l'oeuvre d'un même cinéaste bien avant Fort Apache et Rio Grande chez Ford.
ça illustre ce que tu dis plus loin sur le fonctionnement du cinéma Hollywoodien. Des réalisateurs illustres se débrouillaient plus ou moins pour tourner ce qu'il voulait, refusant des projets ou trainant des pieds pour accéder aux demandes des studios ; d'autres même illustres tournaient tout ce qu'on leur demandait de tourner sans trop d'états d'âmes refusant de s'épuiser dans une lutte contre les producteurs ou les studios ; enfin, on peut considérer que la plupart des autres, sous contrat, n'avaient guère le choix. L'exemple de Griffith, un sudiste est quand même un peu à part selon moi mais de grands réalisateurs (tu prends pour exemple John Ford) ou de petits (j'ajoute Charles Marquis Warren) ont effectivement tournés successivement ou alternativement des westerns "pro ou anti"-indiens.
Plutôt que ne pas du tout montrer d'amours entre blancs et indiens, les scénaristes avaient fréquemment recours à l'astuce mélodramatique de la mort d'un des deux amants, ce qui permettait de désamorcer en partie le caractère transgressif de la miscégénation et de considérer qu'un verre à moitié plein vaut toujours mieux mieux qu'un calumet de la paix des ménages désespérément vide.
Pour illustrer ce passage dont je ne quote qu'une partie...Au sujet de The Vanishing American que je viens d'évoquer dans un autre sujet, à travers les différences de traitement du sujet entre la version de 1925 et celle des années 50, on peut remarquer une évolution mais elle est presque inattendue puisque c'est dans le "remake" que les scénaristes ont été les plus prudents dans la description de cette histoire d'amour interdite.
À propos du rôle joué par le public, on peut aussi remarquer qu'avant les adaptations, déjà lors de la parution du roman de Zane Grey en feuilleton, ce sont les lecteurs, choqués par cette histoire d'amour interraciale, qui avaient fait pression sur l'éditeur afin de modifier le texte et Zane Grey avait plié. Il avait fait du révolté Navajo tombé amoureux d'une blanche, un blanc enlevé enfant par les indiens...mais il ne mourrait pas.
Pour reformuler légèrement le débat, je dirais que la question à se poser est moins "Le western a-t-il été raciste et si oui, quand a-t-il cessé de l'être ?" que "En quoi les westerns sont-ils représentatifs de l'époque à laquelle ils sont été tournés ainsi que du modèle économique et institutionnel qui les a engendrés ?".
...et quand l'époque était paternaliste ou raciste, il est normal d'en retrouver la trace dans son cinéma
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Tutut »

Les studios laissaient un peu de liberté aux réalisateurs tant qu'ils avaient du succès, et étaient assez puissants pour les faire plier s'ils le voulaient.

Les relations inter-raciales entre une femme blanche et un homme de couleur ont été taboues pendant très longtemps, il faut un contexte hors norme pour en évoquer l'idée comme dans The World, the Flesh and the Devil (1959).
Pour l'anecdote, le patron de la Columbia n'aurait pas mis un contrat sur Sammy Davis Jr (pas pour le tuer, juste pour lui briser les jambes) à cause de sa relation avec Kim Novak si ce n'était pas si grave à l'époque (1957-58).

Je ne connais pas The Vanishing American de 1925, mais à en lire les résumés et critiques, la relation entre le héros et l'institutrice est amicale ou au mieux platonique, ça reste prude. :)
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Le Révérend »

kiemavel a écrit :...et quand l'époque était paternaliste ou raciste, il est normal d'en retrouver la trace dans son cinéma
Tout à fait, et le racisme/paternalisme ne concerne d'ailleurs pas que les Indiens : la représentation des noirs est un sujet autrement plus sensible, notamment en raison de l'importance de la clientèle des états du Sud dans l'économie du marché intérieur américain jusqu'à l'abolition de la ségrégation dans les années 1960. Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est qu'une période historique peut produire plusieurs discours sur un même sujet et que le cinéma reflète cette pluralité de points de vue : ce n'est pas tant qu'Hollywood dit tout et son contraire, c'est plutôt que les films font écho à un débat en cours dans la société et les arts américains. Considérer la décennie X comme raciste et la décennie Y comme pro-indienne, c'est forcément caricaturer une production variée et polyphonique - voire dans certains cas cacophonique. Ceci dit, il est évident que le climat idéologique de certaines décennies fait pencher la balance en faveur de telle ou telle vision des Indiens : en ce sens, il n'est pas faux de dire que les années 50 leur sont plus favorables que les années 20 ou 30. Mais si l'on prend l'exemple des années 60, on s'aperçoit qu'elles ont aussi produit leur lot de films où les Indiens sont réduits à la seule fonction dramatique de menace externe à laquelle sont confrontés les héros : puisque les protagonistes ont besoin d'antagonistes pour faire avancer l'histoire, lâchons les personnages au beau milieu d'un territoire indien hostile.

Ce qui se vérifie par contre à presque toutes les époques, c'est la difficulté à concevoir l'Indien comme autre chose qu'un symbole, positif ou négatif. Même si elle est beaucoup plus sympathique que celle du sauvage bestial et assoiffé de sang, la figure du primitif civilisé noble et sage vivant en communion idyllique avec le jardin d'Eden de la pastorale américaine n'est pas moins artificielle que celle du peau-rouge hurlant et violeur de femmes. Dieu sait que j'adore Little Big Man et Danse avec les loups, mais même si je prends toujours le même plaisir à retourner dire bonjour aux indigènes sous leur tipi, j'ai bien conscience en les regardant évoluer d'avoir affaire à une vision totalement idéalisée des Indiens. J'adore les adorer, mais je sais pertinemment qu'ils n'entretiennent qu'un lointain rapport avec la complexité de vrais être humains - c'est un peu une variante post 1970 de ce qui était dit quelques pages plus tôt, à savoir que l'on peut aimer des westerns classiques tout en étant parfaitement conscient du fait que les Indiens sauvages et hurlants que l'on y voit sont des caricatures grossières.
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Re: Les Indiens dans le western

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Tutut a écrit :Les relations inter-raciales entre une femme blanche et un homme de couleur ont été taboues pendant très longtemps, il faut un contexte hors norme pour en évoquer l'idée comme dans The World, the Flesh and the Devil (1959)
Le code Hays les interdit explicitement jusqu'en 1956, date à laquelle il est modifié pour autoriser la représentation - timide au départ - d'une relation amoureuse interraciale.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par kiemavel »

Tutut a écrit :Les studios laissaient un peu de liberté aux réalisateurs tant qu'ils avaient du succès, et étaient assez puissants pour les faire plier s'ils le voulaient.

Les relations inter-raciales entre une femme blanche et un homme de couleur ont été taboues pendant très longtemps, il faut un contexte hors norme pour en évoquer l'idée comme dans The World, the Flesh and the Devil (1959).
Pour l'anecdote, le patron de la Columbia n'aurait pas mis un contrat sur Sammy Davis Jr (pas pour le tuer, juste pour lui briser les jambes) à cause de sa relation avec Kim Novak si ce n'était pas si grave à l'époque (1957-58).

Je ne connais pas The Vanishing American de 1925, mais à en lire les résumés et critiques, la relation entre le héros et l'institutrice est amicale ou au mieux platonique, ça reste prude. :)
Au sujet des relations, souvent des rapports de force, entre les réalisateurs et les studios, il y a tout de même des fortes têtes qui résistaient aux volontés des producteurs. Ford était réputé foutre à la porte des studios certains prods encombrants , Boetticher et Fuller en ont témoigné si ma mémoire est bonne. Maintenant, avec ces fortes personnalités, qu'est ce qui relève de la forfanterie ? D'autre part quelqu'un comme Walsh prétendait tourner le moins de métrage possible pour empêcher le studio de monter autre chose que ce qu'il avait filmé. ça c'est de l'ordre de la malice. Mais ce que tu dis est valable dans l'immense majorité des cas. En tout cas, ce sujet des relations conflictuelles entre les studios et les cinéastes revient dans presque toutes les autobiographies de grands cinéastes, certains exprimant de la rage des décennies après certains faits, d'autres beaucoup d'amertume mais un certain fatalisme (Capra).

Pour ce qui est des amours interraciales, j'ignorais l'anecdote à propos de Sammy et Kim :shock: sinon , au cinéma, j'ai lu quelque part que le premier film montrant une histoire d'amour interraciale se terminant bien serait La flamme pourpre (1954) (sous toute réserve). Pour ce qui est de l'adaptation muette du bouquin de Zane Grey, je confirme, ils ne se sautent pas dessus :mrgreen:
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Re: Les Indiens dans le western

Message par kiemavel »

Le Révérend a écrit :
kiemavel a écrit :...et quand l'époque était paternaliste ou raciste, il est normal d'en retrouver la trace dans son cinéma
Tout à fait, et le racisme/paternalisme ne concerne d'ailleurs pas que les Indiens : la représentation des noirs est un sujet autrement plus sensible, notamment en raison de l'importance de la clientèle des états du Sud dans l'économie du marché intérieur américain jusqu'à l'abolition de la ségrégation dans les années 1960. Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est qu'une période historique peut produire plusieurs discours sur un même sujet et que le cinéma reflète cette pluralité de points de vue : ce n'est pas tant qu'Hollywood dit tout et son contraire, c'est plutôt que les films font écho à un débat en cours dans la société et les arts américains. Considérer la décennie X comme raciste et la décennie Y comme pro-indienne, c'est forcément caricaturer une production variée et polyphonique - voire dans certains cas cacophonique. Ceci dit, il est évident que le climat idéologique de certaines décennies fait pencher la balance en faveur de telle ou telle vision des Indiens : en ce sens, il n'est pas faux de dire que les années 50 leur sont plus favorables que les années 20 ou 30. Mais si l'on prend l'exemple des années 60, on s'aperçoit qu'elles ont aussi produit leur lot de films où les Indiens sont réduits à la seule fonction dramatique de menace externe à laquelle sont confrontés les héros : puisque les protagonistes ont besoin d'antagonistes pour faire avancer l'histoire, lâchons les personnages au beau milieu d'un territoire indien hostile.

Ce qui se vérifie par contre à presque toutes les époques, c'est la difficulté à concevoir l'Indien comme autre chose qu'un symbole, positif ou négatif. Même si elle est beaucoup plus sympathique que celle du sauvage bestial et assoiffé de sang, la figure du primitif civilisé noble et sage vivant en communion idyllique avec le jardin d'Eden de la pastorale américaine n'est pas moins artificielle que celle du peau-rouge hurlant et violeur de femmes. Dieu sait que j'adore Little Big Man et Danse avec les loups, mais même si je prends toujours le même plaisir à retourner dire bonjour aux indigènes sous leur tipi, j'ai bien conscience en les regardant évoluer d'avoir affaire à une vision totalement idéalisée des Indiens. J'adore les adorer, mais je sais pertinemment qu'ils n'entretiennent qu'un lointain rapport avec la complexité de vrais être humains - c'est un peu une variante post 1970 de ce qui était dit quelques pages plus tôt, à savoir que l'on peut aimer des westerns classiques tout en étant parfaitement conscient du fait que les Indiens sauvages et hurlants que l'on y voit sont des caricatures grossières.
Après ça, on peut presque clôturer le sujet :D Merci révérend ! (v'là que je me mets à faire des révérences. Je risque le lumbago tant je suis peu habitué à la courbette) Je reviendrais plus tard mais seulement si j'ai du neuf :oops:
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Commissaire Juve
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Commissaire Juve »

Le Révérend a écrit :celle du sauvage bestial et assoiffé de sang ... du peau-rouge hurlant et violeur de femmes... les Indiens sauvages et hurlants...
C'est marrant, cette façon de prendre la lorgnette par le mauvais côté.

Personne ne parle jamais du comportement des envahisseurs blancs, des colons (au sens latin du terme... ceux qui cultivent* le sol dans des coloniae). Même si je suis instinctivement solidaire des gens de ma "tribu", c'est plutôt leur comportement qui "m'interpelle" (comme on disait autrefois).

* quod colant terram (pluriel du verbe colere)

A mes yeux, la conquête de l'Ouest demeure une guerre de colonisation menée par des Européens cherchant à rafler les terres des autochtones, imposer leur civilisation et refouler / massacrer ceux qui s'opposaient à eux.

Au passage : on parle des Indiens du Nord... mais les Aztèques et les Incas auraient bien des choses à dire aussi.

Cet aprèm, j'ai rejeté un coup d'œil à "La piste des Mohawks" (1939). Le personnage du "bon indien christianisé" -- celui qui salue le drapeau étoilé à la fin -- m'a bien fait sourire.

Il n'y a pas de Classikien amérindien ; c'est dommage. Il pourrait nous dire ce qu'il en pense.

Je crois avoir vu un film (ou un documentaire) où l'on faisait dire au chef Metacomet qu'il regrettait que son père Massasoit ait aidé les colons du Mayflower. Metacomet s'est battu en 1675, sa tête a fini sur un piquet, son corps a été découpé en morceaux, et sa femme et son gosse ont été vendus comme esclaves. Sympa ! Qui est "bestial et assoiffé de sang" dans cette histoire ?

By the way : dommage que Black Robe / Robe noire (Bruce Beresford, 1991) n'ait jamais eu les honneurs d'une édition en France. Le voyage du jésuite en territoire algonquin est très sympa (seul gros défaut : les Français s'exprimant en anglais).

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PS : j'ai édité 5.000 fois pour corriger mes fautes.
Dernière modification par Commissaire Juve le 31 août 15, 16:44, modifié 15 fois.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Watkinssien »

THX a écrit :Le plus marquant ayant été à mon avis Robert Aldrich avec Bronco apache (pro indien) puis avec Fureur apache (anti indien) 20 ans plus tard.
Fureur Apache, anti-Indien? Le film parle des Apaches, pas de tous les Indiens d'Amérique.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Le Révérend »

kiemavel a écrit :Au sujet des relations, souvent des rapports de force, entre les réalisateurs et les studios, il y a tout de même des fortes têtes qui résistaient aux volontés des producteurs. Ford était réputé foutre à la porte des studios certains prods encombrants , Boetticher et Fuller en ont témoigné si ma mémoire est bonne. Maintenant, avec ces fortes personnalités, qu'est ce qui relève de la forfanterie ? D'autre part quelqu'un comme Walsh prétendait tourner le moins de métrage possible pour empêcher le studio de monter autre chose que ce qu'il avait filmé. ça c'est de l'ordre de la malice. Mais ce que tu dis est valable dans l'immense majorité des cas. En tout cas, ce sujet des relations conflictuelles entre les studios et les cinéastes revient dans presque toutes les autobiographies de grands cinéastes, certains exprimant de la rage des décennies après certains faits, d'autres beaucoup d'amertume mais un certain fatalisme (Capra)
Outre la personnalité des metteurs en scène, il ne faut pas non plus négliger le rôle des producteurs, qui est très important durant l'âge d'or d'Hollywood. De 1931 à environ 1955, les studios sont organisés en unités de productions dont chacune est confiée à un producteur qui supervise la gestation des films et leur imprime souvent sa marque. Certains deviendront même réalisateurs eux-mêmes, comme Mankiewicz qui commence sa carrière de metteur en scène à la Fox après avoir été producteur à la MGM. Sans même citer l'exemple extrême d'un Selznick, des gens comme Walter Wanger ou Dore Schary avaient une griffe très reconnaissable.

Pour prendre un exemple lié au western, on voit bien ce qu'un film comme Quand les tambours s'arrêteront d'Hugo Fregonese doit à Val Lewton, ce que Brion et Tavernier ne se privent pas de souligner à très juste titre dans les bonus du DVD français Sidonis/Calysta. Les Apaches y sont moins des sauvages traditionnels que les éléments constitutifs d'une atmosphère à la limite du fantastique - et le film s'autorise même un "bon" apache en la personne de l'éclaireur indien de la cavalerie, qui m'a toujours donné l'impression - probablement totalement erronée - d'annoncer le personnage de Kenitay dans Ulzana's Raid/Fureur Apache, d'Aldrich.

Parlant de, je suis tout à fait d'accord sur le fait que ce film n'est absolument pas raciste et anti-indien, comme on le lui a reproché à sa sortie. L'idée est plutôt de renvoyer dos à dos la violence des deux camps, quelle que soit leur culture et leur couleur de peau.
Dernière modification par Le Révérend le 31 août 15, 03:26, modifié 1 fois.
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Re: Les Indiens dans le western

Message par Le Révérend »

Commissaire Juve a écrit :
Le Révérend a écrit :celle du sauvage bestial et assoiffé de sang ... du peau-rouge hurlant et violeur de femmes... les Indiens sauvages et hurlants...
C'est marrant, cette façon de prendre la lorgnette par le mauvais côté.

Personne ne parle jamais du comportement des envahisseurs blancs, des colons (au sens latin du terme... ceux qui cultivent* le sol dans des coloniae). Même si je suis instinctivement solidaire avec les gens de ma "tribu", c'est plutôt leur comportement qui "m'interpelle" (comme on disait autrefois)
Pour être clair, je parlais de stéréotypes communément répandus dans un certain nombre de films et dans l'inconscient collectif, pas de la réalité historique, qui est une autre affaire.
Commissaire Juve a écrit :Je crois avoir vu un film (ou un documentaire) où l'on faisait dire au chef Metacomet qu'il regrettait que son père Massasoit ait aidé les colons du Mayflower. Metacomet s'est battu en 1675, sa tête a fini sur un piquet, son corps a été découpé en morceaux, et sa femme et son gosse ont été vendus comme esclaves. Sympa ! Qui est "bestial et assoiffé de sang" dans cette histoire ?
La barbarie des colons est très bien documentée dans l'historiographie, mais pour des raisons idéologiques évidentes, elle est presque entièrement éludée dans la grande majorité des oeuvres de fiction antérieures aux années 60, à partir desquelles les massacres commis par les blancs sont évoqués plus librement. En plus, il ne faut pas oublier que l'inévitable code Hays interdisait la représentation de la violence graphique extrême.

Mais elle n'est pas complètement absente des films de la période classique pour autant, y compris sous ses formes psychotiques : dans Northwest Passage/Le Grand Passage de Vidor évoqué précédemment, il y a tout de même le ranger fou qui a décapité un Indien et se promène durant le reste du film avec la tête dans sa besace (tête qui lui sert aussi de casse-croûte en cas de disette). Robert Taylor n'est pas mal non plus en tueur obsessionnel dans La dernière chasse de Richard Brooks et même La prisonnière du désert dresse indirectement un tableau discret de l'obsession génocidaire (l'épouse indienne de Martin Pawley tuée par la cavalerie alors qu'elle n'a jamais fait de mal à personne, la peur de Martin devant la rage meurtrière d'Ethan Edwards qui massacre des bisons pour affamer les Comanches et qui est prêt à trucider sa propre nièce parce qu'elle est devenue indienne - avant évidemment de se raviser à la fin).
Commissaire Juve a écrit :By the way : dommage que Black Robe / Robe noire (Bruce Beresford, 1991) n'ait jamais eu les honneurs d'une édition en France. Le voyage du jésuite en territoire algonquin est très sympa (seul gros défaut : les Français s'exprimant en anglais).
Coproduction internationale oblige : le film aurait été difficile à vendre hors de l'espace francophone s'il n'avait pas été tourné en anglais. J'aime énormément, ceci dit : c'est une très belle oeuvre qui gagnerait à être davantage connue. Elle est sortie en salles par chez nous au début des années 90, mais vu le succès qu'elle a connu (ou plutôt l'absence de succès : un microscope aurait besoin d'une loupe pour le mesurer), je crains fort qu'il ne faille pas trop s'attendre à une édition à l'usage des indigènes hexagonaux avec ou sans plumes. Superbe musique de Georges Delerue, incidemment. Le portrait des indiens que brosse le film est passionnant parce que justement pas manichéen, peut-être parce que c'est une production principalement canadienne réalisée par un Australien (note à moi-même : créer un topic sur Bruce Beresford s'il n'en existe pas déjà un).

Le fait que Black Robe ait été mis en chantier au moment de la crise d'Oka de juillet 90 entre les Indiens Mohawk et la Sûreté du Québec a peut-être aussi influencé son contenu : je ne sais pas si le scénario était déjà terminé à ce moment-là. En tout cas, il est certain que le film est sorti à un moment où le traitement des Amérindiens faisait encore la une de l'actualité au Canada.
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