Le Cinéma muet

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

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Ann Harding
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Re: Le cinéma muet

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Tiens ! Coincidence, je vais ajouter une critique d'un bon film avec Norma Talmadge. Il vient du DVD KINO qui vient de sortir:
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Je n'ai pas regretté mon achat. 8)

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The Devil's Needle (1916, Chester Withey) avec Tully Marshall, Norma Talmadge, Marguerite Marsh et Howard Gaye

Renée (N. Talmadge) est secrètement amoureuse du peintre John Minturn (T. Marshall) dont elle est le modèle. Elle se drogue à la morphine. Un jour, l'ayant surpris en train de se piquer, il décide lui aussi de prendre une injection pour se donner de l'inspiration...

Cette production de la compagnie Triangle intitulé 'l'aiguille du diable' montre les ravages de la drogue. Produit sur la Côte Ouest, le réalisateur Chester Withey en profite pour filmer les bas-quartiers louches de Los Angeles pour donner à son film encore plus de vérité. Dans le rôle principal, on reconnaît l'inusable Tully Marshall qui fut un des seconds rôles les plus importants du cinéma américain. Il est ici un peintre qui a de gros problèmes d'inspiration et l'attrait de la drogue est trop fort pour y renoncer. En fait, le film dénonce un fléau qui hante le pays à cette époque. Des médecins peu regardants prescrivent des injections de morphine à des personnes souffrantes sachant bien qu'ils ne pourront pas se défaire facilement de cette addiction. D'ailleurs, au sein du milieu cinéma, il y a de nombreuses personnes qui en furent les victimes. Il y a le cas de Wallace Reid, le talentueux jeune premier des films de Cecil B. DeMille qui mourut en 1923 n'ayant pu se débarrasser de cette addiction contractée après un accident durant un tournage. La jeune actrice Alma Rubens fut un autre cas. Traitée à la morphine, elle ne pourra pas non plus se désintoxiquer et mourra à 33 ans. Le film de Withey montre comment la dépendance à la morphine mène le peintre vers la démence. On découvre le petit monde des traficants et des revendeurs dans les ruelles borgnes sans recourir à des décors de studio et c'est ce qui fait le prix de ce film. Les acteurs sont tous dignes d'éloge. En premier lieu, il y a Norma Talmadge en jeune modèle qui est naturelle et émouvante. Tully Marshall est étonnement sobre en peintre torturé dans la première partie avant de devenir un drogué proche de la démence. Il réussira cependant à se débarrasser de son addiction après un séjour à la campagne. Le film se termine par une course poursuite dans les bas-quartiers. L'unique copie qui a survécu de ce film a subi les outrages du temps: elle comporte de larges taches de décomposition. Mais, il faut féliciter Kino d'avoir fait l'effort de sortir un film aussi rare dont on ne parle guère dans les livres de cinéma, sauf dans Behind The Mask of Innocence de K. Brownlow.

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Children of Eve (1915, John H. Collins) avec Viola Dana, Robert Conness, Thomas F. Blake, Robert Walker et Nellie Grant

Un étudiant, Henry Clay Madison (R. Conness), tombe amoureux de Flossy (N. Grant) sa voisine. Mais, celle-ci se sent inférieure à lui et pour ne pas compromettre son avenir, disparaît avec l'enfant qu'elle porte. Dix-sept ans plus tard, sa fille Mamie (V. Dana) vit dans le même quartier pauvre. Elle rencontre Bert (R. Walker), un travailleur social qui est le neveu de Madison...

En 1915, John H. Collins réalise ce mélodrame social au studio Edison. Collins est alors un jeune réalisateur prometteur. Mais, sa carrière s'arrêtera brusquement en 1918 ; il meurt durant la fameuse épidémie de grippe espagnole (qui tua plus de personnes sur la planète que la première guerre mondiale). Son épouse est la gracieuse Viola Dana, alors âgée de 18 ans qui est fréquemment l'actrice principale de ses films. Inutile de dire que ses films sont des raretés enterrées dans les réserves des cinémathèques. Heureusement, Kino a eu l'excellente idée de sortir un DVD avec de belles raretés des années 10 qui nous permettent de découvrir le cinéma social de cette époque. Certes, le film fonctionne sur les ressorts du mélodrame. Mais, Collins utilise habilement les clichés du genre sans tomber dans des excès larmoyants. Son héroine Mamie Fifty-Fifty (Viola Dana) est une fille des quartiers pauvres pleine de malice, de charme et de vitalité. Elle fréquente un mauvais garçon qui l'emmène danser dans un caf-conc' local où elle gagne régulièrement le prix de la meilleure danseuse. Le film explore également la trajectoire de Henry Madison qui d'étudiant miséreux devient un capitaliste éhonté exploitant des enfants dans une usine de conserves. Il ignore ce qu'est devenu son amour de jeunesse et l'existence de sa fille. Celle-ci rencontre Bert, le neveu de Madion et il va tenter de la sortir de son milieu interlope. Elle est embauchée dans l'usine de Madison pour faire un rapport détaillé sur les manquements à la sécurité et à l'hygiène. En fait, l'usine est un lieu insalubre sans issue de secours qui va flamber comme une allumette. Mamie en sera la première victime. Collins filme une partie de son film sur les toits new-yorkais et filme l'incendie d'une ancienne briqueterie remplie de pellicule et d'essence. Collins utilise habilement le montage pour nous montrer plusieurs actions parallèles. Et surtout, il nous raconte son histoire visuellement avec très peu d'intertitres. Par exemple, quand Henry rencontre Flossie, celle-ci est à moitié ivre, et son dégout d'elle-même la pousse à fracasser une vieille photo de son enfance. Ce geste désespéré en dit plus qu'un long discours. Il faut aussi saluer la superbe caractérisation de Viola Dana. Je ne la connaissais jusqu'ici que pour son rôle dans un Frank Capra, très mineur That Certain Thing (1928). Ici, elle habite l'écran avec un talent que je soupçonnais pas. Ses yeux immenses et son corps frêle recèlent des montagnes d'énergie et d'enthousiasme. Elle offrait un témoignage très émouvant sur sa carrière dans la série documentaire Hollywood (1980, K. Brownlow & D. Gill). Et je suis bien contente d'avoir pu enfin apprécier son talent.
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Re: Le cinéma muet

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joe-ernst a écrit :Mes petites critiques des coffrets consacrés aux soeurs Talmadge, parus chez Kino :
Ann Harding a écrit :Tiens ! Coincidence, je vais ajouter une critique d'un bon film avec Norma Talmadge. Il vient du DVD KINO qui vient de sortir:
Ann, joe-ernst, est-ce que vous pouvez me dire si ces DVD sont all zone ou pas ? Merci d'avance :wink:
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Ann Harding
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Re: Le cinéma muet

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Kiki/Within The Law : Zone 1
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feb
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Re: Le cinéma muet

Message par feb »

Merci Ann :wink:
Ann Harding a écrit :Kiki/Within The Law : Zone 1
Her Sister from Paris/Her Night of Romance: Zone 1
:evil: Moi qui voulait découvrir les films des soeurs Talmadge....
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :DVD KINO qui vient de sortir:
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Acheté, et reçu ce matin en Blu-Ray. j'ai hâte de découvrir, et donc je ne te lis pas... Pas encore!
:D
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :Tiens ! Coincidence, je vais ajouter une critique d'un bon film avec Norma Talmadge. Il vient du DVD KINO qui vient de sortir:
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Je n'ai pas regretté mon achat. 8)

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The Devil's Needle (1916, Chester Withey) avec Tully Marshall, Norma Talmadge, Marguerite Marsh et Howard Gaye

Renée (N. Talmadge) est secrètement amoureuse du peintre John Minturn (T. Marshall) dont elle est le modèle. Elle se drogue à la morphine. Un jour, l'ayant surpris en train de se piquer, il décide lui aussi de prendre une injection pour se donner de l'inspiration...

Cette production de la compagnie Triangle intitulé 'l'aiguille du diable' montre les ravages de la drogue. Produit sur la Côte Ouest, le réalisateur Chester Withey en profite pour filmer les bas-quartiers louches de Los Angeles pour donner à son film encore plus de vérité. Dans le rôle principal, on reconnaît l'inusable Tully Marshall qui fut un des seconds rôles les plus importants du cinéma américain. Il est ici un peintre qui a de gros problèmes d'inspiration et l'attrait de la drogue est trop fort pour y renoncer. En fait, le film dénonce un fléau qui hante le pays à cette époque. Des médecins peu regardants prescrivent des injections de morphine à des personnes souffrantes sachant bien qu'ils ne pourront pas se défaire facilement de cette addiction. D'ailleurs, au sein du milieu cinéma, il y a de nombreuses personnes qui en furent les victimes. Il y a le cas de Wallace Reid, le talentueux jeune premier des films de Cecil B. DeMille qui mourut en 1923 n'ayant pu se débarrasser de cette addiction contractée après un accident durant un tournage. La jeune actrice Alma Rubens fut un autre cas. Traitée à la morphine, elle ne pourra pas non plus se désintoxiquer et mourra à 33 ans. Le film de Withey montre comment la dépendance à la morphine mène le peintre vers la démence. On découvre le petit monde des traficants et des revendeurs dans les ruelles borgnes sans recourir à des décors de studio et c'est ce qui fait le prix de ce film. Les acteurs sont tous dignes d'éloge. En premier lieu, il y a Norma Talmadge en jeune modèle qui est naturelle et émouvante. Tully Marshall est étonnement sobre en peintre torturé dans la première partie avant de devenir un drogué proche de la démence. Il réussira cependant à se débarrasser de son addiction après un séjour à la campagne. Le film se termine par une course poursuite dans les bas-quartiers. L'unique copie qui a survécu de ce film a subi les outrages du temps: elle comporte de larges taches de décomposition. Mais, il faut féliciter Kino d'avoir fait l'effort de sortir un film aussi rare dont on ne parle guère dans les livres de cinéma, sauf dans Behind The Mask of Innocence de K. Brownlow.

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Children of Eve (1915, John H. Collins) avec Viola Dana, Robert Conness, Thomas F. Blake, Robert Walker et Nellie Grant

Un étudiant, Henry Clay Madison (R. Conness), tombe amoureux de Flossy (N. Grant) sa voisine. Mais, celle-ci se sent inférieure à lui et pour ne pas compromettre son avenir, disparaît avec l'enfant qu'elle porte. Dix-sept ans plus tard, sa fille Mamie (V. Dana) vit dans le même quartier pauvre. Elle rencontre Bert (R. Walker), un travailleur social qui est le neveu de Madison...

En 1915, John H. Collins réalise ce mélodrame social au studio Edison. Collins est alors un jeune réalisateur prometteur. Mais, sa carrière s'arrêtera brusquement en 1918 ; il meurt durant la fameuse épidémie de grippe espagnole (qui tua plus de personnes sur la planète que la première guerre mondiale). Son épouse est la gracieuse Viola Dana, alors âgée de 18 ans qui est fréquemment l'actrice principale de ses films. Inutile de dire que ses films sont des raretés enterrées dans les réserves des cinémathèques. Heureusement, Kino a eu l'excellente idée de sortir un DVD avec de belles raretés des années 10 qui nous permettent de découvrir le cinéma social de cette époque. Certes, le film fonctionne sur les ressorts du mélodrame. Mais, Collins utilise habilement les clichés du genre sans tomber dans des excès larmoyants. Son héroine Mamie Fifty-Fifty (Viola Dana) est une fille des quartiers pauvres pleine de malice, de charme et de vitalité. Elle fréquente un mauvais garçon qui l'emmène danser dans un caf-conc' local où elle gagne régulièrement le prix de la meilleure danseuse. Le film explore également la trajectoire de Henry Madison qui d'étudiant miséreux devient un capitaliste éhonté exploitant des enfants dans une usine de conserves. Il ignore ce qu'est devenu son amour de jeunesse et l'existence de sa fille. Celle-ci rencontre Bert, le neveu de Madion et il va tenter de la sortir de son milieu interlope. Elle est embauchée dans l'usine de Madison pour faire un rapport détaillé sur les manquements à la sécurité et à l'hygiène. En fait, l'usine est un lieu insalubre sans issue de secours qui va flamber comme une allumette. Mamie en sera la première victime. Collins filme une partie de son film sur les toits new-yorkais et filme l'incendie d'une ancienne briqueterie remplie de pellicule et d'essence. Collins utilise habilement le montage pour nous montrer plusieurs actions parallèles. Et surtout, il nous raconte son histoire visuellement avec très peu d'intertitres. Par exemple, quand Henry rencontre Flossie, celle-ci est à moitié ivre, et son dégout d'elle-même la pousse à fracasser une vieille photo de son enfance. Ce geste désespéré en dit plus qu'un long discours. Il faut aussi saluer la superbe caractérisation de Viola Dana. Je ne la connaissais jusqu'ici que pour son rôle dans un Frank Capra, très mineur That Certain Thing (1928). Ici, elle habite l'écran avec un talent que je soupçonnais pas. Ses yeux immenses et son corps frêle recèlent des montagnes d'énergie et d'enthousiasme. Elle offrait un témoignage très émouvant sur sa carrière dans la série documentaire Hollywood (1980, K. Brownlow & D. Gill). Et je suis bien contente d'avoir pu enfin apprécier son talent.
J'ai vu les deux films, et je partage totalement ton enthousiasme. Le collins en particulier m'a énormément plu, et j'espère que Kino en dénichera d'autres... Voeu pieux. :(
http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 03757.html
http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 04900.html
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Ann Harding
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Re: Le cinéma muet

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On peut quand même espérer vu que Kino avait dit la chose suivante avant la sortie du DVD:
Kino Classics has launched a new series dedicated to archival rarities -- influential classics that have gone virtually unseen for decades.
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :On peut quand même espérer vu que Kino avait dit la chose suivante avant la sortie du DVD:
Kino Classics has launched a new series dedicated to archival rarities -- influential classics that have gone virtually unseen for decades.
Oui, mais on verra bien...
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

The duchess of Buffalo (Sydney Franklin, 1926)
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Tourné après Her sister from paris par la même équipe (Le scénariste Hanns Kräly, le réalisateur Syndey franklin, et l'actrice Constance Talmadge), ce film est à nouveau une pétillante comédie dans laquelle la bonne humeur et l'exubérance triomphent, tout en surfant sur les non-dits d'une situation très boulevardière: Constance Talmadge est Marian Duncan, une danseuse Américaine de passage en Russie qui fait chavirer les coeurs de deux hommes: le Lieutenant Orloff (Tullio Carminati), et le Grand Duc Grégoire Alexandrovitch (Edward Martindel). Elle est elle aussi amoureuse du lieutenant, mais celui-ci est sous la coupe de son supérieur le grand duc qui entend bien profiter de la situation. Quant à la Grande-duchesse, elle sait à quoi s'en tenir, et a décidé d'agir... Provoquant dans une petite auberge une série de quiproquos, de confusions et de portes qui claquent.

La situation est toute entière proche de l'opérette, et on imagine très bien le grand Lubitsch s'attaquer à un tel film, avec son collaborateur fréquent Hanns Kräly... Mais une fois de plus, Franklin n'est pas Ernst, et son film, aussi bien fait soit-il, n'ofre de grands moments que sporadiquement. C'est bien sur une comédie hautement recommandable, dont le rythme ne faillit pas, mais on est loin de la mélancolie sous-jacente de Her sister from Paris, qui bénéficiait d'un numéro de dédoublement de personnalité de la star, et bien entendu de la présence de rien moins que Ronald Colman. Ici, au moins, on a quelques marivaudages réjouissants en particulier entre Marian Duncan et le Grand-Duc...
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

The wind (Victor Sjöström, 1928)

Ne soyons pas timides: The wind est le couronnement de la carrière de Lillian Gish, actrice de premier plan dont la longévité force presque autant le respect que son génie. C'est aussi une grande date pour le réalisateur Victor Sjöström, tout en étant hélas son chant du cygne, et tant qu'à faire, rangeons-le par la même occasion dans la catégorie des meilleurs films de 1928, oui, oui, l'année de The circus, Steamboat Bill Junior, Street Angel ou The last Command: ça en impose...

Et comme de bien entendu, cet admirable film n'a pas eu le succès escompté, sorti en novembre 1928 à l'issue d'un montage qui n'a pas été de tout repos, le film a du subir les interférences de distributeurs qui espéraient ne pas avoir de nouveau un film de Lillian Gish qui se termine en tragédie, et surtout en cette fin d'année on aurait été voir n'importe quel film à condition qu'on y parle un peu... The wind était glorieusement muet, se contentant d'utiliser la bande-son pour fournir un accompagnement muisical sans aucun relief.

Le carton de titre, qui clame "A Victor Seastrom production" (Seastrom était l'américanisation de Sjöström), ne doit pas nous tromper: à la base du film, on trouve Lillian Gish, actrice de renom, dont l'aventure en indépendante entre 1922 et 1924 n'avait produit que deux films, The white sister et Romola, tous deux de Henry King; cela l'avait amenée en 1925 à accepter une proposition de Irving Thalberg de venir s'installer à la toute nouvelle MGM, afin de grossir les rangs des acteurs sous contrat du studio. Le prestige de l'actrice était son principal atout, étant assimilée dans l'esprit du public comme de la critique à son ancien mentor David Wark Griffith... Ce n'était pas faute d'avoir tout fait pour se dégager de son influence, jusqu'à avoir réalisé un film, aujourd'hui perdu, Remodeling her husband (1920), avec sa soeur Dorothy dans le rôle principal, et quand même sous la supervision de Griffith. A la MGM, Lillian Gish a la plupart du temps choisi ses scripts, ses partenaires, ses réalisateurs... et a relativement peu travaillé: The wind n'est que son cinquième film, après La bohême (King Vidor, 1926), The scarlet letter (Victor Sjöström, 1926), Annie Laurie (John S. robertson, 1927) et The enemy (Fred niblo, 1927). Les deux premiers étaient des oeuvres artsitiquement ambitieuses, menées par l'actrice, mais les deux suivants représentaient un compromis entre elle et le studio. Pas The wind: du moins, pour le film, Lillian Gish, Victor Sjöström et Irving Thalberg parlaient semble-t-il d'une seule voix, et le choix du metteur en scène incombait à Lillian Gish seule.

Non que le tournage ait été facile... comment en aurait-il été autrement avec un tel sujet? Un film, quasi western, mais privé des morceaux de bravoure qu'après Stagecoach on assimillerait systématiquement au genre, tourné en plein désert avec un vent à décorner les boeufs, qui souffle en permanence de la poussière... L'actrice, en perte de vitesse au box-office, a par ailleurs besoin d'un matériau adulte, et de ne pas trop se reposer sur son image éthérée de vierge éternelle... Elle a donc sélectionné elle-même le roman de Dorothy Scarborough, dont l'adaptation a été confiée à la scénariste Frances Marion: le film, en 75 minutes, nous détaille de façon hallucinante la transformation d'une femme déçue, une Bovary sudiste (Elle vient de Virginie!) qui doit affronter la crudité du monde, symbolisée par la tourmente incessante d'un vent et de tempêtes de sable, et s'éveiller aux sens, à son corps défendant d'ailleurs. Letty Mason arrive au Texas pour vivre chez son cousin, persuadée qu'elle va trouver un endroit plaisant à vivre, mais se retrouve chez des paysans qui vivent dans des cabanes délabrées, en plein désert, en plein vent... Et la femme de son cousin ne voit pas arriver une rivale potentielle avec la plus grande bienveillance. Au bout de quelques jours, Letty se voit contrainte de choisir un mari pour quitter les lieux. Trois choix possibles: Wirt Roddy, un séduisant voyageur de commerce, Lige Hightower et Sourdough, deux cow-boys amis de la famille...

Qui peut nous émouvoir aussi bien que Lillian Gish lorsque, sommée de choisir un mari pour survivre elle trouve comme par hasard rapidement la perle rare dans la personne de l'élégant voyageur de commerce (Montagu Love) qui la fréquente avec une certaine assiduité depuis le début du film? Elle réussit à maintenir la naiveté de son personnage sans pour autant se priver de lui faire exprimer ses désirs (En écho au personnage d'Hester Prynne dans Scarlet Letter, qui conduit effectivement le pasteur vers des rapports charnels, sans hésitation aucune, et sans apparaître pour autant une femme de mauvaise vie...). Mais l'homme est déja marié, et Letty devra faire un autre choix. Et la scène de séduction finale, lorsque l'homme s'introduit dans la cabane de Letty Mason, toujours virginale, n'en prend que plus de poids: on peut dire que c'est un viol, mais le fait est que le personnage de Letty Mason consent et accepte son destin: elle choisit, entre la fuite et l'errance dans le vent ou le quasi-viol par un homme qui par ailleurs la séduit, le moins pire des deux, et scellera son choix en tuant l'homme. Elle le tuera dans un geste ô combien ironique, puisque le révolver est l'objet que Sjöström choisit de cadrer, dépassant de son holster, pour suggérer le rapport sexuel (On hésite à parler de nuit d'amour...) qui vient de se produire: après l'inévitable ellipse, on revient dans la cabane. L'homme se rhabille, ses armes sont sur la table. Letty les regarde, puis regarde l'homme au moment ou celui-ci se rhabille. Le regard qu'elle lui porte au moment ou il la presse de partir avec lui est sans ambiguité: la nuit n'a pas été pour elle la révélation d'un amour... Elle est prête à le tuer pour l'empêcher de la prendre avec lui.

On est loin des bluettes Griffithiennes... Le forte de Sjöström, l'utilisation des éléments du décor et des éléments tout courts, dans le but d'exprimer les passions humaines, trouve un écho formidable dans une Lillian Gish magnifiée par l'approche de la quarantaine(Il faut voir la scène, célèbre du reste, dans laquelle la jeune oie blanche se transforme d'un coup en créature plus charnelle, mais sans en avoir conscience, en se coiffant, révélant de façon troublante sa chevelure jusqu'ici contenue, qu'elle coiffe avec énergie... La répression des pulsions est au coeur de cette scène et de ce film...) et sa collaboration fantastique avec Lars Hanson, qui donne une impressionante consistance à son personnage de bouseux frustré: Lui qui croit que Letty le choisit par amour, il découvre à la faveur d'une scène magistrale de lune de miel maladroite (Sjöström ne cadre que les pieds des acteurs, exprimant leur désir, leur hésitation, leurs impulsions et leurs déplacements; une idée qui pourrait être attribuée à Lillian Gish, qui aimait les scènes d'amour les moins explicites possibles) qu'elle ne l'épouse que pour avoir un toit. Le personnage, jusqu'ici bouffon, va acquérir une véritable dimension tragique par le sacrifice auquel il consent: il va permettre à sa femme de partir et économise dans ce but. Du reste, Sjöström a beaucoup utilisé la fragmentation des corps dans son film, de multiples façons: les pieds qui jouent à la place des visages dans la scène évoquée plus haut; les mains des personnages, soit cadrées en gros plans, soit seuls "accessoires" utilisés par le metteur en scène et les acteurs (La scène ou Cora, l'épouse, regarde Letty sans bouger, sauf sa main qui tient un énorme couteau de boucher et en essuie le sang sur son tablier...); les yeux de Wirt Roddy (Montagu love) quand il regarde successivement la photo de Letty telle qu'elle était à son arrivée, puis la jeune femme aussi délabrée que la cabane dans laquelle elle vit, rendue folle par le vent... De même qu'il sait mettre en valeur n'importe quelle partie du corps pour pour lui faire exprimer des émotions, Sjöström a de toute façon un grand sens du détail, comme on l'a vu avec le fameux holster dont dépasse une arme qui va symboliser autant le viol que le meurtre qui suit.

Oui, car si on a beaucoup reproché au système Hollywoodien d'avoit imposé un happy-ending à Sjöström et Lillian Gish pour ce film par ailleurs structuré en cinq actes en dépit de sa brièveté, il n'en reste pas moins que Lillian Gish se rend coupable d'un meurtre, même si comme le dit son mari, il a été comis de bon droit. Et ces deux amants poussés l'un contre l'autre par le vent et le sort plus que par l'amour, doivent désormais vivre dans la prudence, car ils ont un lourd secret à dissimuler.. On peut rêver plus heureux, non?

Quoi qu'il en soit, The wind est un admirable chef d'oeuvre, un film dont le visionnage s'impose... si on peut le voir, puisque Warner qui détient les droits du film, se refuse pour l'instant à l'éditer, ni dans un DVD ou Blu-ray digne de ce nom, ni dans la collection de VOD Warner archives. le film est juste régulièrement programmé sur TCM. Un jour, peut-être...

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Re: Le cinéma muet

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Je reviens de Londres où j'ai pu voir un excellent film muet britannique. 8)

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The First Born (1928, Miles Mander) avec Miles Mander, Madeleine Carroll et John Loder

Madeleine (M. Carroll) est l'épouse de Sir Hugo Boycott (M. Mander). Son époux la traite avec mépris car elle ne lui a pas donné d'enfant. Durant une de ses longues absences, elle décide d'adopter secrètement l'enfant d'une jeune manucure et de faire croire à son époux qu'elle en est la mère...

Ce film de la firme Gainsborough est une petite perle du cinéma muet britannique. Le scénario a été écrit par le réalisateur-acteur Miles Mander avec Alma Reville qui était Mrs Hitchcock à la ville. Et le résultat rappelle par moment les films de son époux. On peut donc avancer sans se tromper qu'Alma a certainement eu une influence sur l'oeuvre d'Alfred. Miles Mander réalise là une étude de moeurs bien vue de la haute société britannique de l'époque. Madeleine Carroll, qui était encore brune à cette époque-là, est l'épouse délaissée d'un politicien qui la maltraite. Elle doit subir constamment les reproches de son époux: ils n'ont pas d'enfants. C'est tout à fait symptomatique de la société rigide de l'époque de voir que c'est l'épouse qui est immédiatement suspectée d'être stérile. De même son mari peut avoir des aventures à répétition, mais il n'est pas question pour elle de flirter même innocemment avec un homme. Madeleine est tellement désespérée à l'idée de perdre son époux qu'elle va utiliser un stratagème pour le faire revenir. Elle adopte l'enfant d'une jeune manucure qui est enceinte d'un homme qui l'a quittée. Ce 'premier né' du titre est d'autant plus important pour l'aristocratie britannique que c'est lui qui hérite du titre et de la fortune de son père. Le deuxième enfant est lui dépossédé de toute succession. Madeleine pense avoir réussi à le reconquérir avec cet enfant qu'il désirait tant. Mais, il reprend rapidement le chemin de la maison de sa maîtresse. Et cette dernière lui suggère qu'il n'est peut-être pas le père de l'enfant. Le venin du doute et de la jalousie le rend fou. Madeleine refuse d'avouer, mais finalement sous la contrainte lui dit que l'enfant est adopté. Cette révélation va précipiter le drame. Boycott tombe dans une cage d'ascenseur et Madeleine reste veuve. Mais, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Le film offre un rebondissement final tout à fait étonnant. Miles Mander réalise son film avec une caméra mobile et fluide typique de ces années de la fin du muet. Lorsqu'il rentre chez lui sans se faire annoncer pour surprendre sa femme dans son bain, la caméra se fait subjective et suit son regard vers le lit défait, la coiffeuse et finalement la baignoire où se prélasse sa femme. Une autre scène est purement Hitchcockienne (sans qu'Alfred y soit pour quelque chose). La mort d'Hugo Boycott est superbement amenée. Il se dispute avec sa maîtresse sur le palier de son appartement. Il appelle l'ascenseur et se retourne pour lui parler. L'ascenseur est monté, laissant la cage vide. Il tombe et un petit nuage de poussière apparaît devant un liftier étonné. La chute est accompagnée par une série d'images en surimpression. Le tout est parfaitement rythmé. Madeleine Carroll donne une interprétation sensible et sensuelle de Madeleine tel un animal pris dans une cage. L'observation de la vie sexuelle de la haute société est féroce et sans concession. Miles Mander ne cherche pas à se donner le beau rôle. Il est un salaud parfait. Le film a été restauré récemment par le BFI et on peut en voir un extrait ici. De plus, une nouvelle partition musicale de Stephen Horne a été composée pour l'occasion. Malheureusement, j'ai dû regarder ce film en silence à la Médiathèque du BFI où ce film est disponible en version numérisée. A quand une première en France de ce beau film avec la musique de Stephen Horne? Bientôt, j'espère.
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Message par allen john »

The man who laughs (Paul Leni, 1928)

Il aurait fallu pouvoir compter sur Paul Leni. mais la mort du metteur en scène en 1929 a été un point final tragique à une carrière prometteuse, que le fait d'avoir été cantonnée au muet a aussi précipité dans l'oubli pendant très longtemps. Décorateur génial à Berlin, il a aussi très vite mis en scène des films sans jamais abandonner, du moins en Europe, sa première activité... On lui doit un film expressioniste tardif, Le cabinet des figures de cire (1924), film à sketches avec Emil Jannings, Wilhelm Dieterle, Conrad Veidt et Werner Krauss, soit le gratin du cinéma Allemand; appelé à Hollywood par Carl Laemmle qui souhaitait lui aussi avoir sous contrat un génie Européen (Il en aura d'ailleurs plusieurs, puisque Benjamin Christensen, Karl Freund, et Paul Fejos réaliseront tous des films pour la Universal durant les dernières années du muet ou les débuts du parlant), il dirige des films esthétiquement très différents de ce qui se pratique alors à Hollywood, et va beaucoup faire pour définir un style fantastique dont la firme fera le socle d'un genre à venir: en d'autres termes, sans l'arrivée de Leni et son Cat and the canary (1927), pas de Dracula (1931) ni de Frankenstein (1931). Leni était d'ailleurs le réalisateur pressenti pour Dracula lors des premiers préparatifs de l'adaptation de la pièce inspirée du roman de Bram Stoker.

Avant The man who laughs, il y a The hunchback of Notre-Dame (Worsley, 1923), puis The phantom of the opera (Julian, 1925), bien sur: tout en restant une usine à films (La fameuse "usine à saucisses", comme l'appelait sans grande affection Erich Von Stroheim), la firme de Carl Laemmle cherchait le prestige, en s'inspirant de romans fantastiques ou gothiques Français, après avoir cherché la classe du coté de Stroheim et de ses poisons Viennois... Le succès de Lon Chaney dans les deux premiers films ne pouvaient qu'appeler une suite, et le fait d'avoir de nouveau recours à Hugo s'explique de multiples façons: l'adaptation de Notre-Dame de Paris avait été une tâche difficile, mais pas aussi complexe que The phantom of the opera, qui avait du être retourné puis remonté durant un an avant que des compromis acceptables voient le jour, et les romans de Hugo reposaient moins sur le sensationnel que ceux de Leroux. Et L'homme qui rit, roman mineur de Victor Hugo, permettait de toucher paradoxalement un plus grand nombre par son sujet étonnant, tout en permettant un creuset de genres. Il est probable que le film était déja dans les cartons au moment ou se terminait le montage du Fantôme, mais le fait que Chaney ait définitivement dit adieu à la Universal en partant pour la MGM a du freiner les ambitions du studio... Par contre, dès son arrivée, Leni est l'homme idéal pour le film, étant probablement le plus prestigieux des réalisateurs de la firme. Il est vrai que la Universal est un studio que l'on quitte (Stroheim, bien sur; Ford, Ingram, Wyler...) mais auquel on revient peu (Sauf Browning!)... les metteurs en scène sont plus à l'aise dans les prestigieuses Fox, MGM et Paramount...

Arrive alors Conrad Veidt: venu à Hoolywood sur l'insitance de John Barrymore qui voulait travailler avec le prestigieux acteur Allemand (The beloved rogue, Crosland, 1927), il est aussitôt pressenti par Leni autant que par Laemmle pour jouer le rôle de Gwynplaine. Il est remarquable de constater que Laemmle, considéré comme un abominable inculte (une blague célèbre lui prète un memo envoyé à un assistant, après que le patron de la universal ait vu une pièce de Shakespeare: Carl Laemmle demandait à rencontrer l'auteur pour lui faire signer un contrat...), avait en ce qui concerne le cinéma de son pays d'origine un instinct redoutable: il avait fait venir Leni, Veidt, à la Universal, et s'était chargé de signer le contrat de distribution du Dernier des hommes, ce qui eut pour effet de faire venir Murnau à Hollywood... Veidt, encore marqué dans les esprits par sa participation de premier plan au cinéma expressioniste, n'était pas Lon chaney, mais il était juste lui aussi un immense acteur, dont le jeu énorme garantissait les grands frissons pour un tel rôle; de plus, son physique particulier le rendait là aussi idéal... Pour compléter la distribution, Leni a pioché d'une part dans le vivier d'acteurs de la Universal, avec le méchant Brandon Hurst (The hunchback of Notre-Dame), et l'actrice Mary Philbin (The phantom of the opera); il a aussi sur compter sur les grands "character actors", notamment Josephine Crowell, plus une faune de gens souvent aperçus dans les petits rôles durant les années 20: John George, Cesare Gravina, Lon Poff... enfin, Leni et Veidt se sont tous les deux impliqués dans le débauchage d'une actrice Russe de passage, Olga baclanova, dont Sternberg alait vite repérer l'insolente plastique pour deux films.

Gwynplaine, un enfant héritier du domaine d'un ennemi politique du roi James II, est vendu à des gitans qui vont le défigurer afin de faire de lui un monstre de foire. Désormais paré d'un éternel sourire grimaçant, il échappe à la mort lorsque ses nouveaux maitres sont sommés de partir d'Angleterre; il est recueilli en même temps qu'une petite fille aveugle, Déa, par Ursus, un forain. Les trois vont rester ensemble et monter un spectacle basé sur le physique particulier de Gwynplaine. Mais les intrigues de cour vont les rattraper, puisque les biens et les terres qui doivent revenir à Gwynplaine sont sous le contrôle de la duchesse Josiana, une cousine de la reine à la beauté (et la libido) sans limites...

Le mal dont souffre Gwynplaine est qu'il aime Déa, sans retenue, mais qu'il se demande si elle serait toujours amoureuse si elle pouvait le voir. De son coté, la jeune femme aime sans aucune condition celui auprès duquel elle a grandi, et leur idylle est surveillée de près, avec tendresse, par Ursus... Par comparaison, le reste du monde régi par la politique du royaume d'Angleterre est sans pitié, et bien sur l'éminence grise de la Reine Anne, qui jouait déja ce rôle sous le roi James, est également de mêche avec la duchesse Josiana. Celle-ci, interprétée par olga Baclanova, est d'une importance capitale pour l'intrigue, dans la mesure ou elle va servir à Gwynplaine de révélateur durant un épisode du film: venue voir la pièce L'homme qui rit, avec en vedette un Gwynplaine au succès phénoménal, elle a décidé de le séduire... une scène fougueuse de séduction durant laquelle baclanova fait fondre la pellicule s'ensuit. De son coté, Gwynplaine est motivé par son propre amour, ce qui peut paraitre paradoxal: il se dit que si une femme peut le désirer tel qu'il est, alors il n'y a plus d'obstacle à son amour avec Déa. Ne nous le cachons pas, cette dernière, jouée par Mary Philbin, est l'un des moindres intérêts du film... Baclanova a d'ailleurs droit à une autre scène érotique, durant laquelle elle est vue prenant un bain, à travers de nombreux dispositifs pour (à peine) cacher son corps.

Veidt, assisté par Jack Pierce dont le studio utilisera bientot la science du maquillage pour ses films fantastiques (le fameux monstre de Frankenstein par Boris Karloff!!), a composé un personnage laid, dont le sourire permanent et grimaçant est encore aujourd'hui inconfortable. L'acteur joue de ses yeux extraordinairement expressifs, et de son corps long et élancé. Le maquillage de Veidt était si contraignant qu'il garantissait que le fim ne pouvait qu'être muet tant il était malaisé pour l'acteur de parler durant le tournage...

Les moyens dont Leni a bénéficié sont très impressionnants, et on sent la confiance que lui témoignait Laemmle; les décors certainement largement récupérés de productions antérieures, dont The hunchback of Notre-dame bien sur, sont utilisés avec un sens plastique extraordinaire, la photo joue de toutes les nuances de gris, les costumes sont superbes... il commande sans difficultés aux foules qui peuplent son Londres post-expressioniste. Et Leni n'a pas son pareil pour truffer son film de détails macabres, comme ces gibets dans la brume durant les scènes hivernales. Du coup, le film quant il est vu dans sa version intégrale restaurée est l'un des plus beaux et vénéneux à voir de toute la période muette Américaine...

Je le disais: la maitrise dont Leni a fait preuve sur ce film lui garantissait de mener la révolution des films d'horreur Américains, un genre dans lequel le cinéma Américain a toujours été mal à l'aise... Avant que la firme ne produise coup sur coup Dracula et Frankenstein en 1931. Mais le sort en a décidé autrement, puisque Leni ne fera, après cet Homme qui rit, qu'un seul film, The last Warning, petite comédie à frissons située dans le monde du théâtre qui n'a rien d'indispensable... Mais avec The man who laughs, il a signé le meilleur des trois films gothiques fleuves que la Universal a produit durant le muet, un des plus beaux films de l'année, et un film qui aurait été un immense succès et un grand classique... si le parlant n'avait pas été tant à la mode en dépit de ses imperfections techniques durant cette fatidique année 1928.

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someone1600
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Re: Le cinéma muet

Message par someone1600 »

très beau texte Allen John pour un film qu'il me tarde de découvrir.
allen john
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Re: Le cinéma muet

Message par allen john »

Merci pour le compliment, Someone. Si tu farfouilles un peu dans le forum (Notamment ici, ou sur le topic consacré à Conrad Veidt) il y a d'autres avis, généralement laudatifs... Film indispensable pour moi.
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Silenttimo
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Re: Le cinéma muet

Message par Silenttimo »

Des classikiens se rendent-ils au festival de Pordenone ??

Vu que j'y vais, je me disais que cela pouvait être l'occasion de croiser une ou deux têtes, et partager des films et des bières !
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