Ernst Lubitsch (1892-1947)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Filiba
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Filiba »

:D
Federico
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Federico »

Vieux parasite a écrit :Lubitsch est le sujet d'Une vie, une oeuvre aujourd'hui sur France Culture.
J'ai rajouté le lien, ça peut toujours aider... :wink:
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Profondo Rosso
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Profondo Rosso »

Haute Pègre (1932)

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Gaston Monescu, célèbre voleur mondain, rencontre l'âme sœur en la personne Lily de Vautier, jeune et séduisante pickpocket. Ils décident d'associer leur talent pour soulager la riche et célibataire Madame Colet, dans la vie de laquelle Gaston a réussi à s'immiscer. Mais Lily veille.....

Film favori de son réalisateur, Trouble in Paradise représente déjà une forme de quintessence de la Lubitsch Touch transcendée ici par le contexte Pré Code autorisant toutes les audaces. Lubitsch comme souvent va chercher ici son inspiration dans une pièce hongroise (comme ce sera le cas pour les futurs Ange et Ninotchka par Melchior Lengyel, The shop around the corner de Nikolaus László et Le ciel peut attendre par László But-Feketé), The Honest Finder/A Becsületes Megtaláló écrite en 1931 par László Aladár. Autre habitude aussi de ses grandes comédies des années 30, l'intrigue se situe dans la haute société européenne où de la frivolité et des caractères intéressés il saura faire naître les sentiments les plus délicats.

Ce mélange singulier de cynisme et de romantisme se signale dès la mémorable scène d'ouverture à Venise décrivant la rencontre entre Herb Marshall et Myriam Hopkins. On en reste à la séduction courtoise tant que chacun porte encore son masque, baron pour lui et comtesse pour elle mais c'est véritablement lorsqu'ils se découvrent tout deux escrocs chevronnés et partagent leur virtuosité à se dépouiller l'un l'autre que l'amour naît entre eux. L'amour véritable ne semble pouvoir naître que dans l'authenticité représenté par nos deux voleurs, les codes du paraître de la haute société entravent eux l'expression de sentiments sincère. Cette idée va être mise à rude épreuve lorsque notre duo va tenter d'arnaquer la riche et belle Madame Colet (Kay Francis) dans la vie de laquelle ils s'immiscent pour mieux la spolier. Lubitsch déploie des trésors d'audaces pour dépeindre le désir naissant entre Herb Marshall peu à peu désarçonné par le charme d'une divine et élégante Kay Francis. Regards équivoques et brûlant de désir de Madame Collet (la séparation après le premier dîner), dialogues à double sens brillants et situations inventives filmé de manière virtuose par Lubitsch rendent donc le spectacle délectable. La scène d'ouverture/fermeture des portes des chambres d'Herb Marshall et Kay Francis par son sens du montage et de l'ellipse est absolument géniale dans cette idée, le simple cliquetis d'une serrure faisant plus travailler l'imagination qu'une scène d'amour plus explicite.

Tout a été pourtant dit dès l'ouverture et la possible et réelle histoire d'amour entre le voleur et la riche héritière est vouée à l'échec. Lubitsch nous y prépare par le dialogue lorsqu’enfin tombé dans ses bras Herb Marshall découvre les velléités possessives de Madame Collet qui se sent désormais propriétaire de son employé qui lui a cédé. Lorsque les masques tomberont son statut de voleur aura moins de poids malgré son attitude noble que celle du vrai escroc de l'affaire issu du même milieu et contre lequel on ne saurait agir. Le constat est assez noir malgré la fougue de l'ensemble, seuls ceux sachant se reconnaître comme semblable peuvent s'unir en ne se cachant pas de ce qu'ils sont (notre coule de voleur) quand chez les nantis cette franchise est synonyme de rupture. Lubitsch fait preuve d'un sens du rythme toujours aussi parfait (82 minutes mené tambour battant) et met idéalement en valeur son excellent casting. Herb Marshal en simili Arsène Lupin (inspiré d'un vrai cambrioleur hongrois virtuose Georges Manolescu dont les mémoires parus en 1907 furent adaptées dans deux films muets) virant à l'amoureux transi fait preuve d'un bagout et d'une aisance parfaite, Myriam Hopkins la plus franche et sincère de tous est très attachante et difficile de ne pas succomber à Kay Francis en aristocrate se délestant de sa frivolité pour un désir plus pressant. On n'oubliera pas non plus l'amusant duo de prétendants éconduits formé par Charles Ruggles et le futur cocu magnifique de Sérénade à trois Edward Everett Horton en Filiba. Ce classique de Lubitsch resta longtemps invisible après son succès initial, l'instauration du rigoureux Code Hays entretemps le privant de toute ressortie jusqu'en 1968. 5/6
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Federico »

Profondo Rosso a écrit :Haute Pègre (1932)
5/6
Euh... tu voulais mettre 6/5, n'est-ce pas ? :P
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Profondo Rosso
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Profondo Rosso »

Federico a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Haute Pègre (1932)
5/6
Euh... tu voulais mettre 6/5, n'est-ce pas ? :P
J'ai beaucoup aimé mais je garde le 6 pour To be or not to be et The Shop around the corner :mrgreen:
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Federico »

Profondo Rosso a écrit :
Federico a écrit : Euh... tu voulais mettre 6/5, n'est-ce pas ? :P
J'ai beaucoup aimé mais je garde le 6 pour To be or not to be et The Shop around the corner :mrgreen:
Alors ce sera 7/6 pour Ange et 10/6 pour Sérénade à trois. :D
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Profondo Rosso »

To be or not to be c'est celui qui me fait le plus rire et The Shop around the corner celui qui me touche le plus tout les autres sont un léger cran en dessous (quoique Sérénade à trois quand même) même si j'adore toute la filmo de Lubitsch le reste doit toujours se confronter à ces deux mètres étalons. :wink:
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onvaalapub
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par onvaalapub »

Profondo Rosso a écrit :To be or not to be c'est celui qui me fait le plus rire et The Shop around the corner celui qui me touche le plus tout les autres sont un léger cran en dessous (quoique Sérénade à trois quand même) même si j'adore toute la filmo de Lubitsch le reste doit toujours se confronter à ces deux mètres étalons. :wink:
Je crois qu'on peut pas être plus d'accord... :D Deux chef d’œuvre et un quasi-presque.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par allen john »

Les films tournés en Allemagne par Ernst Lubitsch entre 1915 et 1922 sont à bien des égards un « tour de chauffe » pour la prestigieuse carrière du metteur en scène aux Etats-Unis. S’ils préfigurent un grand nombre de traits communs à ses films Américains (Un goût assumé pour l’utilisation du vaudeville, une ordonnance maniaque pour la mise en scène et une tendance à la coquinerie), les genres identifiés sont loin de ces comédies douces-amères et de ces films fripons qui feront le sel de son cinéma. On distingue des comédies burlesques avec des personnages inspirés de l’univers Juif et Berlinois dans lequel le metteur en scène évoluait, des comédies grotesques, des comédies « montagnardes » (Dont on retrouvera le pendant « dramatique » dans le film de 1928, Eternal love), et quelques films dramatiques ou d’aventure, à très gros budget. Ces derniers n’auront finalement aucune réelle descendance lors de son passage à Hollywood… Le metteur en scène est vite hautement respecté et sera même un temps assimilé à une sorte de figure tutélaire dans les studios Allemands, un "patron" symbolique. Il bénéficie de sa propre troupe, dans laquelle on trouve des acteurs qui vont être amenés à faire parler d'eux de façon importante, y compris aux Etats-Unis, jannings et negri en tête. mais il y a aussi des acteurs moins connus mais qui changent de rôle de film en film: Julius Falkenstein, Victor Janson, Ossi Oswalda...

Voici un petit tour d’horizon de quelques films accessibles, passés à la télévision ou diffusés en DVD depuis quelques années.

Als ich tot war
(1916)
Dans ce film, Lubitsch joue un homme qui feint d'être mort, pour mieux revenir chez lui, auprès de sa femme que sa belle-mère a monté contre lui. Bien sur, on est un peu dans la Kolossale Rigolade, mais cette histoire de dissimulation, de déguisement dans un cadre boulevardier est malgré tout annonciatrice de biens des films futurs.

Das fidele Gefängnis (1917)
Dans ce moyen métrage situé au début de sa gloire, Lubitsch explore avec délectation les errements d'un quarteron de personnages qui se déguisent, se mentent et se trompent: un mari volage qui court le guilledou au lieu de répondre à une convocation de la police, un comte coureur de jupons obligé d'aller en prison à sa place, une épouse qui cherche à coincer son époux en se faisant passer pour une autre, et une servante déguisée en dame de la haute qui se paie le luxe de retourner à sa condition au lieu de mener la grande vie avec un bourgeois. Une fois faux semblants, tromperies et situations limites mis de coté, tout retournera dans l'ordre. Tout ceci est un peu rustique, mais on est déjà dans un univers proche de celui qui sera le théâtre de ses films du début des années 30.

Ich möchte kein Mann sein (1918)
Sur un scénario du déjà fidèle Hanns Kräly, Lubitsch tricote un petit film gonflé, dans lequel il explore la confusion des genres à l'aide d'un petit bout de bonne femme (Ossi Oswalda) qui décide de se déguiser en homme pour sortir en boîte, boire jusqu'à la biture, fumer à en vomir, et draguer sans vergogne... Et se retrouve pintée, dans les bras de son percepteur. Une petite merveille, certes avec un soupçon de l'artillerie lourde déployée par Lubitsch dans ses comédies Allemandes, mais c'est déjà un film riche en possibilités.

Die Augen der Mumie Ma (1918)
Alors qu'il devenait lentement mais surement le numéro un du cinéma Allemand, Lubitsch s'essayait à tous les genres, dont un certain exotisme de pacotille. Il y reviendra d'ailleurs (Sumurun, Die Weib Des Pharao), mais ce film ne passe plus, excepté pour certaines séquences triées sur le volet. Le final en particulier, dont l'intérêt relatif est du aux talents conjugués de Jannings et Negri. Pour le reste, il fallait bien faire bouillir la marmite et faire oublier une guerre en voie d'être perdue.

Meyer aus Berlin (1918)
Retrouvé dans les années 80, ce film de quatre bobines avec Lubitsch dans le rôle de Meyer, une sorte de double en véritable caricature de lui-même, accuse les défauts de ce genre hérité du vaudeville boulevardier. Paradoxalement, diffusé à la télévision, il a aussi constitué une introduction à Lubitsch pour un grand nombre de néophytes…

Die Austernprinzessin (1919)
Délaissant la comédie burlesque populiste pour une expérience de "comédie grotesque", autour d'une caricature de magnat Américain qui accepte de marier sa fille pour satisfaire un caprice de celle-ci. Mais le grotesque, qui va pousser Lubitsch à expérimenter de façon innovante sur la représentation d'une fiesta délirante (Et qui préfigure son propre film So this is Paris), permet aussi à ce bon Ernst de pousser le bouchon en matière de coquinerie. Bref, c'est délicieux.

Madame Du Barry (1919)
Faire mentir l'histoire? Pas vraiment, Kräly et Lubitsch prennent le contrepied des historiens, justement: leur France qui va de Louis XV en révolution, elle est vue du point de vue d'une femme qui a essayé de ne pas choisir entre l'intérêt (Monter dans l'ascenseur social par le lit s'il le faut, et devenir la maitresse du roi), et la passion (aimer éternellement celui qu'elle a été obligée de laisser sur le bas-côté, quitte à aiguiser son désir de vengeance...).
Si les évènements semblent se précipiter, et si les révolutionnaires ne sont que des pouilleux malappris, c'est que du point de vue de la Du Barry, c'était une réalité.
C'est donc parfois historiquement discutable, mais toujours percutant, avec d'un coté Emil Jannings en Louis XV et Pola Negri en du Barry, et de l'autre le sens hallucinant de la composition, de la lisibilité et du maniement des foules du maitre.

Die Puppe (1919)
Un jeune homme doit obligatoirement se marier afin de satisfaire son oncle qui craint de disparaitre en ne laissant aucun espoir d'héritier à l'horizon. Comme c'est une irréversible andouille, il se "marie" avec une poupée grandeur nature. Sauf que chez le fabricant, ce jour-là, un assistant du patron a cassé la poupée promise; afin de gagner du temps, la fille du patron va donc le temps d'une longue journée, "jouer" la poupée, et provoquer beaucoup d'émois...
Le déguisement, sous toutes ses formes, et le jeu à être quelqu'un d'autre, voilà des thèmes Lubitschiens fréquents. Mais ici, le metteur en scène s'amuse à multiplier les niveaux: une femme joue à être une poupée qui joue à être une femme... Tout ça va permettre à un homme effrayé de tout y compris de son ombre, de trouver l'amour, l'âme soeur, voire tout simplement de... devenir un homme.
Et puis, comment ne pas s'émouvoir de voir cette mise en scène qui met délibérément l'accent sur le factice, depuis cette ouverture durant laquelle Lubitsch soi-même plante le décor d'une maison de poupées? Les arbres en carton-pâte, les toiles peintes, tout l'univers du film semble renvoyer à une esthétique liée autant au théâtre qu'à l'enfance, et fait encore mieux ressortir l'ineptie du benêt dont Ossi Oswalda, impeccable comme d'habitude, va inexplicablement tomber amoureuse.

Kohlhielses Töchter (1920)
Un gros benêt aime Gretel, la deuxième fille de l'aubergiste. Alors il lui demande sa main, mais on lui répond que la première doit d'abord être mariée, et il faut dire qu'elle est gratinée. Alors notre héros n'a comme autre solution que de se marier avec la grande soeur en espérant la lasser suffisamment vite pour pouvoir ensuite épouser la deuxième. Un plan idiot, et qui ne va pas du tout se dérouler comme prévu... Tourné en pleine montagne, ce film joue beaucoup sur la grosse comédie, mais le fait avec tendresse, d'autant que les acteurs qui sur-jouent cette pantalonnade ne sont autres que des sommités, dont Emil Jannings et Henny Porten. Hanns Kräly et Lubitsch continuent à explorer les abords les plus drolatiques de l'amour sous toutes ses formes...

Romeo und Julia im Schnee (1920)
Romeo et Juliette dans la neige: Lubitsch transpose Shakespeare dans la montagne Allemande et impose à ses Montaigus et Capulets des comportements un brin rustique. Grosse comédie la encore, mais le sens de l'observation du metteur en scène, et son équipe qui tourne toute seule, rendent bien service à l'ensemble. Un film qui sert de brouillon paradoxal à l'unique film muet dramatique de Lubitsch aux Etats-Unis, Eternal love (1928)

Sumurun (1920)
Encore un mélange... Pola Negri est une danseuse, dans une Arabie mythique, qui débarque dans un petit royaume en pleine crise: la favorite du Sheik complote pour se faire remplacer dans le harem, afin de pouvoir filer le parfait amour avec un autre que le dangereux souverain. La danseuse va faire tourner les coeurs, et ça finira mal... Mais pas pour tout le monde. Les mille et une nuits, ou du moins leur version décorative. D'une part, c'est assez ennuyeux, et tout ce petit monde se prend trop au sérieux; d'autre part, Lubitsch a toujours ce sens aigu de la composition, et accessoirement sait manier les foules comme pas un. Mais au-delà de l'aspect impressionnant de la forme, un film peu convaincant, sinon par l'intrusion occasionnelle de comédie...

Ann Boleyn (1920)
La triste destinée de la femme la plus connue de ce bon Henry VIII, de son arrivée à la cour jusqu'à sa séparation en deux tronçons. On pense à Madame Du Barry, qui a d'ailleurs subi la même opération, mais ici, il s'agit moins du portrait d'une intrigante piégée par l'amour, que du portrait d'une amoureuse piégée par l'intrigue. Henny Porten compose donc une femme victime de ses sentiments, et Emil Jannings met tout son poids dans l'interprétation d'un monstre royal, aux appétits phénoménaux; comme d'habitude, Lubitsch mélange adroitement les styles et les tons, passant de marivaudage en drame, et la belle ordonnance de la mise en scène est accompagnée déjà d'un sens de la suggestion... Le style du metteur en scène se raffine avant de devenir la fameuse "Lubitsch Touch".

Die Bergkatze (1921)
Ce film combine deux courants de la comédie Lubitschienne Allemande: les films situés en montagne, dans un décor de neige authentique, et la comédie grotesque, à la façon de La poupée ou de La princesse aux huîtres. Pola Negri se prête joyeusement à cette opérette muette avec bonheur. L'ordonnance légendaire et l'inventivité des décors font mouche une fois de plus dans un film qui évite l'écueil d'une certaine vulgarité en usant avec intelligence de chemins de traverse...

Das Weib des Pharao (1922)
Avec un Emil Jannings qui tente de faire le spectacle à lui tout seul, ce très gros film de Lubitsch fait plutôt partie des oeuvres spectaculaires du maitre, démonstration de force plus que pièce maitresse. L’intrigue sert de prétexte à des scènes de foule, dans un orientalisme de pacotille qui vient en droite ligne de Sumurun. Mais ce film énorme lui a apporté un ticket pour la Californie, alors réjouissons-nous!

http://allenjohn.over-blog.com/
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Mr-Orange »

Deux courts méconnus de Lubitsch (Quand j'étais mort et Ich möchte kein Mann sein) encore disponibles quelques heures sur Arte Replay !
http://videos.arte.tv/fr/videos/quand-j ... 40794.html
Nouveau sur ce site.
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Profondo Rosso »

La Folle Ingénue (1946)

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Londres, 1938, Cluny Brown, qui a un faible pour la plomberie, effectue un dépannage à la place de son oncle chez un certain Hilary Ames. À cette occasion elle rencontre Adam Belinski, un écrivain qui a quitté la Tchécoslovaquie pour fuir le nazisme. L'oncle arrive chez Ames et trouve sa nièce ivre après avoir bu quelques verres avec les deux hommes. Pour la punir, il décide de l'envoyer travailler comme domestique à la campagne pour les Carmel. Belinski, invité à s'y cacher par le fils de la famille, qu'il a rencontré chez Ames, s'y trouve aussi.

Dans ces derniers films, Ernst Lubitsch tend à adoucir les éléments de sa formule à succès. La provocation, l'argent, le sexe, le délicat équilibre entre ironie et sentiments, tout ce que l'on y apprécie de la Lubitsch touch est toujours bien là mais désormais la férocité cède de plus en plus à une infinie tendresse. Alors que le monde s'apprête à sombrer dans le chaos de la Seconde Guerre Mondiale, Lubitsch mêle son humour à un vrai propos politique (le communisme moqué de Ninotchka, le nazisme raillé dans To Be or not to be) et se dévoile comme rarement dans The Shop Around the Corner où se mêle la chaleureuse vision d'un monde désormais révolu (Budapest avant l'invasion allemande) et nostalgie où l'effervescence de cette boutique évoque ses propres souvenirs d'enfance, dans le magasin de son père tailleur berlinois. On y constate aussi l'intérêt de Lubitsch pour les petites gens, s'éloignant ainsi des milieux bourgeois qu’il se plaisait tant à moquer dans ses comédies des années 30. Dépourvu de cette dimension politique, Le Ciel peut attendre déploiera également une sphère intime et bienveillante du couple confirmant ce changement chez le réalisateur.

Vrai dernier film de Lubitsch (puisque l'ultime La Dame au manteau d'hermine sera terminé après sa mort par Otto Preminger), Cluny Brown effectue un pont idéal entre l'ancien et le nouveau Lubitsch. Le cadre de cette Angleterre aristocrate est typique des milieux nantis que la Lubitsch touch se plu tant à moquer, mais les deux héros dans leur statut social modeste évoque plutôt cette dernière période du cinéaste, tout comme la toile de fond historique traitant de la Tchécoslovaquie envahie par les nazis (et d'une l'Angleterre pas encore engagée mais déjà inquiète). Dans tous ces meilleurs films, Lubitsch a toujours célébré rebelles, les libertaires et extravertis assumant de vivre en dehors des codes sociaux classiques, que ce soit la femme adultère de Ange, le trio amoureux de Sérénade à trois, la fantaisie révélée de Ninotchka ou encore la troupe d'acteur de To Be or no to be. Ici nous aurons comme héros un duo avec un farfelu qui s'assume et s'accepte avec l'écrivain en fuite Adam Belinski (Charles Boyer) et une qui s'ignore et cherche à rentrer dans le rang avec la femme de chambre Cluny Brown (Jennifer Jones). Cet esprit libre revêt un aspect aussi dramatique en toile de fond (Belinski ayant fui son pays et Hitler pour ses idées) qu'irrésistible dans son expression avec cette scène d'ouverture où l'on appréciera le bagout et l'aplomb de Belinski pour s'introduire, faire culpabiliser et taper un aristocrate anglais attendant ses invités. Cette folie douce est moins maîtrise chez l'ouragan Cluny Brown, surtout s'il y a un évier bouché dans les parages, Lubitsch nous assaisonnant de savoureux dialogues à double sens sur la curieuse lubie de son héroïne.

Cette première rencontre scelle les affinités entre Belinski et Cluny que leur audace conduit bientôt chez la même famille traditionnelle anglaise en campagne dans des statuts et pour des raisons différentes. Le culot de Belinski l'a conduit chez les Carmel, ses nouveaux protecteurs prêts à l'accueillir sans le connaître quand Cluny punie par son oncle pour n'avoir pas su "rester à sa place" y est engagée en tant que femme de chambre. Lubitsch moque avec brio le snobisme et ce rapport de classe qui atrophie tout rapport humain chez les hôtes. Cluny est ainsi accueillie chaleureusement quand par erreur elle est prise pour une égale mais lorsque l'on constate qu'il ne s'agit que de la nouvelle bonne, les Carmel s’éclipsent ainsi immédiatement. Cette différence est inscrite dans les gènes de toute cette communauté y compris les domestiques plus à cheval encore sur ses principes à l'image du vieux couples d'employés si maniéré qu'ils ne peuvent s'avouer leur sentiments. La hauteur de ces nantis ne les rend pas plus autonome non plus à l'image de la faussement libre Betty Cream (Helen Walker) se jouant des hommes mais à la première lueur de scandale se réfugiant dans le mariage et ramené au stade de petite fille obéissante par Lady Carmel.

Belinski et Cluny sont bien au-dessus de toutes ces entraves. Charles Boyer malicieux et attachant est parfait en Belinski à l'aise partout où il passe et finalement ne se réfrène qu'avec Cluny en qui il a trouvé une âme sœur mais qu'il pense attirée par un autre. Jennifer Jones montre des capacités jusque-là inexploitée en comédie et injecte la folie de ses rôles plus dramatiques dans cette Cluny Brown. Si l'excentricité de Belinski est habilement maîtrisée par ce dernier et constitue un atout, c'est un poids pour la fougue juvénile de Cluny que les épreuves amènent à masquer sa différence. C'est une tuyauterie encombrée qui fera revenir le naturel au galop et la sauvera d'un sinistre mariage avec un pharmacien fils à maman provincial, une nouvelle fois elle a dépassé les bornes. Le titre français est bien trouvé, Jennifer Jones est absolument craquante en ingénue inconsciente de ses écarts à la bienséance guindée et illumine l'écran de son sourire et de ses coups de marteau vigoureux. Dans une conclusion magique, elle comprendra enfin que celui son meilleur confident est aussi celui qui la comprend le plus, qui lui ressemble le plus. Peut-être le plus beaux couple du cinéma de Lubitsch, ce qui n'est pas une mince affaire et fin de carrière en apothéose pour le réalisateur. 5/6
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Demi-Lune
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

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Ninotchka (1939)

Attention. Ce texte est dédié à feb. Merci de votre compréhension. :D

Écrire sur Ninotchka n'est pas facile. Écrire sur Lubitsch, de toute façon, n'est pas facile. L'expression consacrée "Lubitsch touch", fourre-tout utile, ressemble à une bouée de secours pour le cinéphile qui voudrait s'aventurer à décortiquer son œuvre : il s'agit toujours de cette formule indéfinissable, cette sensibilité qui n'appartient qu'à lui et qui ne se laisse pas dompter par les catégorisations... car tout fonctionne par dosages et pincées. Ici un peu de distinction racée, là de sentimentalité tendre, de dextérité humoristique entre corrosion et suggestion. Cependant inventorier les traits de l'esprit lubitschien ne suffit pas à cerner l'âme qui s'en dégage. Peut-être que la difficulté à parler du style de Lubitsch tient justement dans son constant équilibre, son aspect "miraculeux" et donc intimidant, l'écriture résolvant constamment les tiraillements entre la légèreté et la gravité, l'humour et l'amour, l'esprit et le cœur, la lucidité et l'optimisme. Lubitsch, humaniste caustique, a l'art de trouver l'harmonie entre toutes ces tonalités. Il offre un cinéma dont le plaisir spirituel communicatif ne prend jamais le pas sur la compréhension des sentiments et l'investissement du champ des émotions, et inversement.
Ninotchka, à cet égard, s'avère un parfait représentant de l'art de Lubitsch à interpénétrer la rigolade franche, raffinée et critique, au moralisme bienveillant d'un Européen cultivé qui observe son temps et ses mœurs avec acuité, sinon culot. Il n'y a peut-être que To be or not to be qui puisse prétendre être aussi drôle et incisif.
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Ninotchka, c'est un scénario notamment écrit par un duo plein d'avenir, Charles Brackett et Billy Wilder, qui épouse complètement l'élégance de l'esprit lubitschien tout en lui injectant une spontanéité comique au pouvoir encore dévastateur. La vivacité cinglante des répliques, le rythme comique endiablé qui tient du génie, l'incongruité des situations, les gags visuels (« Smile, little Father » :lol: ) ou encore la dérision des totalitarismes, peuvent trahir la marque de Wilder qui enrichirait de ses facéties un humour lubitschien peut-être plus porté sur le pouvoir évocateur du sous-entendu, l'insolence et la chute différée. Toujours est-il que cette association de talents débouche sur une écriture infaillible, d'une puissance drolatique inentamée malgré l'âge du film au compteur. La perfection du timing, notamment, force le respect. Il n'y a pas une scène qui ne comporte pas une idée tordante, et Lubitsch tient solidement son film en mains dès les premières images qui nous plongent dans l'histoire pour ne plus nous en faire décrocher. On s'imaginerait facilement les scénaristes se bidonner en réunion de travail, inventant frénétiquement de nouveaux gags, de nouvelles punchlines en ne se refusant presque rien.

La férocité humoristique de Ninotchka, comme ultérieurement avec To be or not to be, tient dans la conjugaison qu'opère le film entre satire politique et cocasserie des personnages : la raillerie du stalinisme ne serait pas aussi efficace si les personnages n'étaient pas si hauts en couleur, si attachants. Les aberrations idéologiques sont moquées, et férocement, mais sans que les personnages qui en sont les vecteurs soient toisés ou ridiculisés, ce qui est assez remarquable quand on y pense. Par exemple, les "accommodements" satiriques d'Iranoff, Buljanoff et Kopalski avec les préceptes marxistes (les voir vainement négocier entre eux est franchement tordant... tout comme les voir s'envoyer une bonne tranche avec les femmes de chambre à la queue leu leu :mrgreen: ) révèlent autant leur humanité que l'inanité de la doctrine. De la même façon, le décrispement progressif de Ninotchka, ce glaçon sur pattes, face à l'attractivité de l'Occident (aaaah, ce chapeau ridicule en forme d'entonnoir qui deviendra le symbole de sa "révélation") pointe toute la raideur effrayante car déshumanisante du système, mais surtout la renaissance d'une femme dont on comprend bien qu'elle avait gelé ses sentiments derrière la façade monolithique de l'idéologie... elle n'est pas corrompue par les tentations de Paris, elle extirpe simplement la part d'elle qui ne demandait qu'à vivre. Jamais Lubitsch ne rend ridicule Ninotchka d'être ce produit du stalinisme. L'art de Lubitsch évolue constamment sur ce jeu à deux vitesses, la truculence des personnages nourrissant la satire politique sans que celle-ci ne devienne condescendante ou verse dans la caricature stérile. C'est là la condition sine qua non à notre empathie pour la romance, façon choc des cultures, entre la stalinienne Ninotchka et le très parisien Léon d'Algout... une écriture moins habile aurait condamné Ninotchka à n'être qu'une vignette parodique.

Dans Ninotchka comme dans To be or not to be, les totalitarismes sont conjurés par le rire, un rire franc et jovial, qui en identifie lucidement les cruautés et les méfaits pour en extraire le ridicule : dans sa chronique du film, Alligator parlait de "front rieur" et c'est exactement ça. Lubitsch élève un front par le rire, et développe par ce même pouvoir de rire des nuages sombres, un optimisme irréductible. On retrouve ça aussi dans The shop around the corner sur un mode moins ouvertement drôle. Cette onde positive que ni les vacheries ni les coups durs ne feront dévier de sa trajectoire finale : la réunion amoureuse, envers et contre tout. D'aucuns trouveront cet optimisme naïf. Perso, je le trouve puissant. La réunion amoureuse émeut parce qu'elle est le produit miraculeux d'une longue suite de désillusions, d'entraves ou de blessures silencieuses... et c'est peut-être là le plus grand tour de Lubitsch sur Ninotchka : combattre le stalinisme par le rire, et contre toute attente le vaincre par une autre force, celle, incoercible, de l'amour. Pilonner l'idéologie et sa représentation de l'individu en faisant redécouvrir à ce même individu ce qui fait de lui un être humain.
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Il faut enfin dire un mot particulier sur Garbo. Ninotchka, c'est Garbo. Il est difficile d'imaginer meilleure actrice pour le rôle : pour elle, c'est l'occasion de perfectionner son registre de sérieux à tout épreuve, pour mieux ensuite dynamiter son image glacée de Divine. Le film de Lubitsch relate une humanisation et Garbo ne fait pas autre chose vis-à-vis de son propre mythe. Les publicitaires ne s'y étaient d'ailleurs pas trompé en inventant pour ce film le fameux slogan « Garbo laughs ! » qui avait de quoi intriguer après des années de « Garbo talks ». Paradoxalement, Ninotchka sera son avant-dernier film ; de là à voir une corrélation dans le fait que l'actrice suédoise ait « cassé » quelque chose en désacralisant son image, en se rendant accessible par le rire, la tentation est grande. Toujours est-il qu'elle livre chez Lubitsch une très grande prestation et fait preuve d'un vrai pouvoir comique, à partir d'un rôle très difficile. Comme avec Marlene Dietrich auparavant, je trouve que Lubitsch se retient dans le glamour et cherche au contraire à créer une proximité en termes d'image, à ne pas vampiriser le personnage derrière le monstre sacré. C'est très discret, mais cela passe dans la façon d'éclairer et de cadrer Garbo... à mesure que le personnage se dégèle, se noue l'apprentissage et la redécouverte d'une féminité et on voit ainsi le visage de l'actrice devenir de plus en plus « beau » d'un point de vue esthétique. Il suffit très simplement de comparer le chemin parcouru entre le premier plan sur le quai de la gare et le dernier en Turquie. Garbo, de son côté, développe toutes les nuances de jeu nécessaires pour évoquer subtilement ses évolutions intérieures : la dureté du visage et la lippe boudeuse seront par exemple atténuées par un petit lever de sourcil interrogateur, le regard fuyant trahira la fausseté de son insensibilité (« l'amour n'est qu'une simple réaction chimique »), un tout petit sourire en coin, ailleurs, sera comme violemment réprimé. L'actrice nous fait adhérer à un personnage qui sur le papier fait tout au départ pour être fuyant et inamical.
feb
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par feb »

:shock: :oops:
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Muchas Gracias Hombre
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Flavia
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Flavia »

Pour résumer Demi-Lune a aimé le film :mrgreen:
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Frances
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Re: Ernst Lubitsch (1892-1947)

Message par Frances »

Flavia a écrit :Pour résumer Demi-Lune a aimé le film :mrgreen:
C'est aussi mon impression. :wink:
Je l'ai aussi revu très récemment. C'est toujours aussi drôle et enlevé. D'une richesse incroyable pour peu qu'on prenne la peine de décoder les scènes. De relever le détail qui nous avait échapper précédemment. Et forcément on regrette que Garbo n'ait pas croisé plus souvent la route de réalisateurs de son envergure.
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