La Forêt Interdite (Nicholas Ray - 1958)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alexandre Angel
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Re: La Forêt Interdite (Nicholas Ray - 1958)

Message par Alexandre Angel »

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Cottonmouth n'est pas content. Et quand Cottonmouth fulmine, vous risquez le pire, y compris finir scotché à un mancenillier ( arbre vénéneux des Everglades) pour décéder dans d'atroces souffrances.
Et ce ne serait pas volé car enfin, qu'ai-je lu sur ce topic sinon de déprimants jugements contempteurs (au mieux de tièdes tolérances) alors que nous avons affaire à un des meilleurs Nicholas Ray? Aucunement mineur, aucunement malade (au sens de grand film malade) mais juste bizarrement produit. Nicholas Ray s'est fait viré du tournage, tout alcoolisé qu'il était? Le montage est-il fagoté en dépit du bon sens , squatté par d'insignes ellipses? Walt Disney a-t-il été sollicité pour pourvoir de très présents stock-shots animaliers? Oui, et alors? Cela empêche-t-il le film d'irradier d'une irréductible santé cinégénique? Cela inhibe-t-il l'indicible lyrisme charmeur qui en émane? Et non, en fait car La Forêt interdite vibre de tout ce que l'on aime lorsque l'on aime les romans d'Erskine Caldwell ou de Jack London, le folklore cajun ou l'impromptu d'une cuite improvisée, au risque de la terrible gueule de bois du lendemain. C'est aussi que Wind Across the Everglades (pour changer un peu) fait feu de toutes ses vicissitudes de confection, de manière organique, autogérée, en électron libre, s'affranchissant de toute prégnance thématique sur telle autre, flottant dans un frémissant papillonnement, un impressionnisme rêveusement liquide, pour mieux nous envoûter. L'alchimie qui règne sur ce magnifique film d'aventures autorise l'heureuse cohabitation des matériaux composites qui le structure (même arbitrairement): stock-shots, donc, vus mille fois ailleurs mais qui n'ont jamais aussi bien été utilisés qu'ici car se faisant l'écho d'un Jardin d'Eden vicié que n'aurait pas renié Luis Buñuel ou bien ces plans livrés à eux-mêmes, semblant essaimés, au gré des humeurs du film, par une truelle mystérieuse . C'est aussi cela la griffe Nicholas Ray, ce regard évocateur, cette manière de régner sur l'âme plutôt que sur la logistique.
Et que dire de l'originalité, du versant inédit de tout ce qui est évoqué : cette Floride bouillonnante d'un capitalisme naissant sertie de ses cocottes aussi snob qu'emplumées, ces bordels respectables, ces putains moins respectables que viennent visiter des trafiquants poétiquement assoiffés de "douces joies de l'existence", ces gangsters marécageux d'un autre âge, cet indien séminole, ce pianiste noir et ces immigrants juifs (Nathanson et sa fille, dont la judéité, alors que je croyais bien connaître le film, ne me fut révélée que par l'entremise de la pimpante, presque sanguine, copie Wild Side). Comment avez-vous pu faire la fine bouche devant tout ce monde contenu dans à peine 1h30??
Plus haut, je parlais de cuite. Celle du film est, parce qu'elle est libertaire, humaniste et crédible, la plus belle du cinéma et son pendant, le lendemain, le mieux rendu et le plus communicatif que j'ai pu ressentir devant un film.
Mais Cottonmouth sera peut-être indulgent car, comme il le reconnaît lui-même à l'issue de La Forêt interdite, il ne les avait pas bien regardé ses oiseaux fabuleux qui sillonnent le ciel de Floride, tout comme vous n'avez pas su apprécier à sa juste valeur ce quasi-chef d'œuvre de Nicholas Ray.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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