Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Alex Blackwell
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Shining (Stanley Kubrick - 1980)

Message par Alex Blackwell »

Il est toujours intéressant de faire un peu d'art comparé particulièrement lorsqu'il s'agit de littérature et de cinéma, dont les rapports sont souvent perçus comme un antagonisme. Qui n'est pas le plus souvent déçu en comparant l'ouvrage littéraire à son adaptation cinématographique, qui n'est jamais aussi bien: "oui, mais dans le livre c'est comme ça..." Le cinéma est-il donc un art forcément inférieur destiné à divertir les sens là où les poètes font appel à l'intellect? avons-nous choisi la mauvaise passion?
La comparaison entre le monde de Stephen King et celui de Stanley Kubrick est à cet égard passionnante. Le roman de King est une vraie réussite: le style est soigné et sait explorer la psychologie de ses trois protagonistes. Il y règne une vraie compexité des sentiments, la folie de Jack ne naissant pas de nulle part mais étant en partie faite de raison. Pourtant la conclusion du livre déçoit au-regard de ce que l'on était en droit d'attendre: lorsque la violence a fait son apparition, les situations apparaissent banales et dignes d'un banal thriller horrifique (combat de Wendy pour sa survie, attaque du cuisinier par Jack, qui se transforme en un espèce de mort vivant). Et là on se dit véritablement: ça ne va pas, ce n'était pas comme ça dans le film.
Kubrick s'est en effet complètement réapproprié l'oeuvre pour l'intégrer à son monde: plus de psychlogie ici mais une atmosphère, des situations très fortes émotionnelement et recrées avec toute la maestria possible: Jack défonçant la porte à coups de hache, assassinant le cuisinier, pourchassant son fils à travers l'hôtel puis le labyrinthe...Que de moments anthologiques démontrant la différence entre le talent et le génie même si Kubrick est allé encore bien au-delà ailleurs.
Tout ceci est donc très rasurant: le cinéma a le droit d'abandonner son complexe d'infériorité même si depuis les bans de l'école on veut nous faire croire que les Misérables, Germinal ou les frères Karamazov au cinéma c'est forcément moins bien. Oui mais c'est qui qui les a réalisés?
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

En général, je pense justement qu'il est pratiquement impossible de retranscrire parfaitement un livre à l'écran. Ou alors il faut s'éloigner du roman et le trahir. Mais alors pourquoi trahir un grand livre ? Quel intérêt ? C'est pourquoi l'adaptation de 99% des grandes réussites de la littérature ont été des échecs. Par contre adapter un bon livre, voire un mauvais, peut être intéressant et l'éloignement par rapport au sujet ne pose pas le même problème.

Kubrick a justement fait un film assez différent, s'attachant plus à la personnalité du personnage joué par Nicholson, insistant sur son terrible conflit intérieur d'écrivain frustré. Le fantastique n'est plus simplement traité comme étant associé à l'enfant, mais également directement du point de vue de l'écrivain. Les apparitions fantasmagoriques renvoient, de manière plus évidente, à son dérèglement mental. Le livre est bien plus axé sur l'enfant et il est plus premier degré (je ne dis pas cela négativement j'aime aussi le travail de Stephen King). La fin est différente. D'ailleurs King s'est senti fortement trahi.
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Requiem
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Message par Requiem »

Attention SPOILER

Jack Torrance à mon secours ! J'ai vu le film 3 fois et je continue de me demander comment il a pu sortir de la chambre froide !!!! :evil:

Fin du SPOILER
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Message par Requiem »

Roy Neary a écrit :La fin est différente. D'ailleurs King s'est senti fortement trahi.
Il est vrai par exemple que plusieurs des grandes réussites d'hitchcock étaient adaptées de bouquins médiocres (et les critiques le lui reprochèrent beaucoup à une époque...).
Alex Blackwell
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Message par Alex Blackwell »

Roy Neary a écrit : La fin est différente. D'ailleurs King s'est senti fortement trahi.
D'après ce que j'ai entendu, King était bien plus satisfait de l'adaptation téléfilmique en deux parties tournée en 1997. La fin y est pourtant également trahie, de la plus abominable des manières: un flash forward de plus de 10 ans, Danny vient d'obtenir son diplome universitaire, a toujours le Shining et voit son père, qui n'a jamais cessé d'être à ses côtés, en vision l'encourageant. Le genre de scène qui donne envie de glisser en-dessous de son fauteuil pour y échapper: il fallait rendre tout de même le plus positif possible Jack Torrance pour satisfaire un public qui a décidément horreur des fins trop brutales.
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Tuck pendleton
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Message par Tuck pendleton »

Requiem a écrit :Attention SPOILER

Jack Torrance à mon secours ! J'ai vu le film 3 fois et je continue de me demander comment il a pu sortir de la chambre froide !!!! :evil:

Fin du SPOILER

Pour Kubrick il sort de la chambre à l'aide du fantome tout simplement. C'est d'ailleurs la seule manifestation concrete du fantastique dans Shining. Jusqu' à ce moment là on pouvait avoir un doute.
Par exemple, Danny aurait pu se faire soi même les marques sur son cou.

D'ailleurs apres ce passage de la chambre froide le seul personnage relativement neutre, Wendy, se met également à voir des fantomes.
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Message par Swan »

Ajoutons que la mini-série prouve, s'il en était besoin, que les diverses trahisons kubrickienne étaient plus que justifiées : ainsi, aucune comparaison possible entre la puissance onirique du labyrinthe et les ridicules animaux de buis vivants.
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Message par Swan »

Requiem a écrit :Attention SPOILER

Jack Torrance à mon secours ! J'ai vu le film 3 fois et je continue de me demander comment il a pu sortir de la chambre froide !!!! :evil:

Fin du SPOILER
Disons que cette séquence est un argument de plus pour ceux qui penchent en faveur de l'explication surnaturelle...
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Message par Rockatansky »

Star Maker a écrit :
Roy Neary a écrit : La fin est différente. D'ailleurs King s'est senti fortement trahi.
D'après ce que j'ai entendu, King était bien plus satisfait de l'adaptation téléfilmique en deux parties tournée en 1997. La fin y est pourtant également trahie, de la plus abominable des manières: un flash forward de plus de 10 ans, Danny vient d'obtenir son diplome universitaire, a toujours le Shining et voit son père, qui n'a jamais cessé d'être à ses côtés, en vision l'encourageant. Le genre de scène qui donne envie de glisser en-dessous de son fauteuil pour y échapper: il fallait rendre tout de même le plus positif possible Jack Torrance pour satisfaire un public qui a décidément horreur des fins trop brutales.
King est d'autant plus satisfait que c lui qui l'a produit, et qui a écrit en partie l'adaptation.
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Message par Billy Budd »

Stan, bon même si King a écrit des bouquins corrects, le mettre sur le même pied que les frères Karamazov est un peu osé

Je rejoins d'autre l'idée d'un autre forumeur, à savoir que les adaptations sont souvent réussies lorsque le livre est médiocre - je crois d'ailleurs que Godard avait fait tout un un truc autour de ça il y a quelques années lorsqu'il avait acheté les droits de Truismes pour dire ensuite que comme c'était un bon livre, je ne suis pas trop d'accord, il était finalement inadaptable

Une des réussites de ces dernières années en terme d'adaptation, ou plutôt transposition, car justement on retrouve le livre à l'écran, reste Les liaisons dangereuses de Frears et pourtant, vu sa structure, roman épistolaire, ce n'était pas gagné

Sinon, il y a d'autres réussites, Le festin nu par exemple, mais il s'agit vraiement d'adaptations, on adapate le livre pour le cinéma et là, forcément on ne peut tout retrouver : plus le livre est psychologique plus il sera difficile d'être fidèle, à l'inverse s'il est graphique, ce sera, a priori plus simple - il y a évidemment des exceptions
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Message par Alex Blackwell »

Nikita a écrit :Stan, bon même si King a écrit des bouquins corrects, le mettre sur le même pied que les frères Karamazov est un peu osé
Loin de moi cette idée, je finissais simplement mon post en élargissant le propos aux adaptations de manière générale.
Par ailleurs, je précise bien que je trouve le livre de King en définitive décevant pour ne pas donner le final qu'un tel crescendo dramatique était en droit de faire attendre.
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Message par Requiem »

Roy Neary a écrit :En général, je pense justement qu'il est pratiquement impossible de retranscrire parfaitement un livre à l'écran. Ou alors il faut s'éloigner du roman et le trahir. Mais alors pourquoi trahir un grand livre ? Quel intérêt ? C'est pourquoi l'adaptation de 99% des grandes réussites de la littérature ont été des échecs. Par contre adapter un bon livre, voire un mauvais, peut être intéressant et l'éloignement par rapport au sujet ne pose pas le même problème.

Kubrick a justement fait un film assez différent, s'attachant plus à la personnalité du personnage joué par Nicholson, insistant sur son terrible conflit intérieur d'écrivain frustré. Le fantastique n'est plus simplement traité comme étant associé à l'enfant, mais également directement du point de vue de l'écrivain. Les apparitions fantasmagoriques renvoient, de manière plus évidente, à son dérèglement mental. Le livre est bien plus axé sur l'enfant et il est plus premier degré (je ne dis pas cela négativement j'aime aussi le travail de Stephen King). La fin est différente. D'ailleurs King s'est senti fortement trahi.
Et le génie de Kubrick d'ailleurs, c'est sans doute aussi sa capacité à adapter des bouquins corrects avec un bon résultat : en témoignent Lolita et Shining... (mais là attention Nikita, plutôt me couper un doigt que de mettre Nabokov et King au même niveau...) :wink:
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Message par harry callahan »

Requiem a écrit :Et le génie de Kubrick d'ailleurs, c'est sans doute aussi sa capacité à adapter des bouquins corrects avec un bon résultat : en témoignent Lolita et Shining... (mais là attention Nikita, plutôt me couper un doigt que de mettre Nabokov et King au même niveau...) :wink:

Tu peux rajouter Orange mécanique sur ta liste. Je trouve à ce titre quele livre est bien plus que correct. Ceci dit, Kubrick a fortement changé la fin, pour le mieux je trouve, même si la fin du livre intitulé L'orange mécanique était réussie tout de même.

Au rayon des bons bouquins bien retranscrits ( et non transposés au mot près ), je citerais le Dracula de Coppola, qui reprend cette façon de voir l'histoire à travers les yeux de tous les personnages qui écrivent des notes ou des journaux intimes. D'où cette abondance de voix off pendant le film. On notera d'ailleurs que c'est pas le premier yes man hollywoodien venu qui l'a réalisé.
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Message par John Anderton »

Swan a écrit :Ajoutons que la mini-série prouve, s'il en était besoin, que les diverses trahisons kubrickienne étaient plus que justifiées : ainsi, aucune comparaison possible entre la puissance onirique du labyrinthe et les ridicules animaux de buis vivants.
Il faut savoir que la première idée de Kubrick avait été de conserver cette scène des animaux sous forme de buissons. Mais il a opté pour autre chose, et ça a donné son excellent SHINING, pour moi largement supérieur au livre, que je n'ai pas aimé... je préfère les romans de King "réalistes" comme "Misery" ou "Jessie", où là, il fait preuve d'une virtuosité dans le suspense absolument hallucinante... :wink: [/b]
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tuco dunn
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Message par tuco dunn »

harry callahan a écrit :
Au rayon des bons bouquins bien retranscrits ( et non transposés au mot près ), je citerais le Dracula de Coppola, qui reprend cette façon de voir l'histoire à travers les yeux de tous les personnages qui écrivent des notes ou des journaux intimes. D'où cette abondance de voix off pendant le film. On notera d'ailleurs que c'est pas le premier yes man hollywoodien venu qui l'a réalisé.
ayant lu le livre, je n'ai jamais réussit à pleinement apprecier le film, comme tu le dis tout le livre fonctionne à base de journaux intimes, lettres dictaphones etc...
ce qui donne un richesse énorme aux personnages du livre, et malheureusement le passage au film perd énormément de ce coté là, même si je pense que c'était inévitable sans assomer le spectateur d'un film de 4 heures avec une voix off omniprésente...
"Que celui qui n'a pas traversé ne se moque pas de celui qui s'est noyé"
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